Comme il est d'usage nous allons vous présenter le résultat de notre mission à l'ONU à quatre voix. Je vous parlerai en introduction de la perception de notre pays à l'ONU et de ce serpent de mer qu'est la réforme du Conseil de sécurité avant que nous abordions les deux grands blocs géographiques que sont le Moyen Orient et l'Afrique qui ont constitué le coeur de nos entretiens.
Les entretiens que nous avons eus à New York ont été, comme chaque année, particulièrement riches.
Les rencontres et réunions organisées avec le soutien de notre Représentation permanente nous ont permis de nous entretenir à l'ONU avec le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, et quatre secrétaires généraux adjoints : notre compatriote M. Hervé Ladsous pour les opérations de maintien de la paix ; le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Jeffrey Feltman ; la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et coordonnatrice des secours d'urgence, M. Valerie Amos ; le Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques, M. Miguel de Serpa Soares. Nous avons également rencontré le président de la 68ème AGNU, M. John Ashe.
Parmi les représentants permanents nous avons eu des échanges avec les membres du P5 : l'ambassadeur Vitali Tchourkine pour la Russie, le ministre conseiller aux affaires politiques, Christopher Klein pour les Etats-Unis, le représentant permanent du Royaume-Uni, Sir Mark Lyall Grant, M. Wang Min, représentant permanent adjoint de la Chine. Nous avons également rencontré M. Peter Wittig, représentant permanent allemand, puis pour l'Union européenne le chef de délégation, M. Thomas Mayr-Harting. Enfin, nous nous sommes entretenus avec l'ambassadeur israélien M. David Roet, et l'observateur permanent de la Palestine, M. Riyad Mansour.
La délégation a assisté à une partie du débat public mensuel du Conseil de sécurité sur la situation au Moyen Orient.
Plusieurs déjeuners de travail sont venus compléter ce programme d'entretien : un déjeuner à la résidence nous a permis de rencontrer les ambassadeurs du Maroc, de la Tunisie et de l'Egypte pour faire le point des révolutions arabes.
Un déjeuner auquel ont participé le directeur Afrique du PNUD, M. Abdoulaye Mar Dieye, le représentant du PNUE à New York, M. Elliott Harris, et l'ambassadeur du Bénin, M. Jean-Francis Zinsou, porte-parole du groupe des PMA à New York, a été consacré aux questions de développement durable, de changement climatique et d'agenda post-2015.
Enfin un déjeuner organisé par le Consul général avec des analystes politiques et des journalistes a été l'occasion d'échanges sur la situation politique intérieure américaine après le bras-de-fer entre le Président Obama et la majorité républicaine à la Chambre des représentants sur le budget et la dette.
Comme vous le voyez, notre séjour a été occupé de manière dense par ces rencontres.
Le très grand intérêt de ces missions consiste en la juxtaposition des analyses et des positions des différents pays ou acteurs intervenant au sein de cet outil irremplaçable du multilatéralisme qu'est l'ONU, en dépit de ses défauts et de ses faiblesses. Il permet aussi de juger, dans cette enceinte, de la pertinence de nos choix diplomatiques, de la façon dont ils sont perçus et donc de situer l'action de la France dans le monde.
Il convient d'emblée de rendre hommage à notre représentation à l'ONU pour le très remarquable travail qui y est effectué. L'équipe rassemblée autour de notre ambassadeur, Gérard Araud, est de premier ordre. Les personnalités que nous avons rencontrées, ambassadeurs, responsables de l'ONU, nous ont tous vanté les mérites de notre représentation permanente à l'ONU. C'est un jugement des pairs qui mérite d'être souligné.
Beaucoup de nos interlocuteurs, à commencer par le Secrétaire général, ont souligné le rôle clef joué par la France aux Nations unies pour des nombreuses raisons. Nous sommes le 3ème contributeur au budget des OMP et le 5ème contributeur au budget ordinaire. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la France est l'un des moteurs de l'ONU et, avec le Royaume-Uni, le principal rédacteur des projets de résolution. Nous occupons également un leadership dans la gestion de crise, comme au Mali et en RCA, avec un engagement militaire sur le terrain. Notre implication est forte sur les questions de changement climatique - Paris accueillera la COP en 2015 - et de financements innovants. Enfin nous venons de prendre une nouvelle initiative sur le droit de véto.
Que ce soit le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, le président de l'Assemblée générale, les secrétaires généraux adjoints rencontrés ou des représentants permanents, tous ont souhaité le soutien et l'implication de la France dans les grands thèmes prioritaires de l'ONU.
La France est bien sûr membre de l'Union européenne qui peine à trouver sa place d'organisation régionale au sein d'une institution qui ne reconnait que les Etats et qui appliquent strictement le principe 1 Etat = 1 voix.
Le chef de la délégation de l'UE, M. Mayr-Harting a rappelé le poids de l'UE aux Nations unies (40 % du budget ; plus de 50 % de l'aide au développement ; 3 à 4 membres du CSNU sont européens ; avec ceux qui s'alignent sur elle, l'UE parle pour une quarantaine d'Etats). La coopération européenne profite aux petits Etats membres (car elle accroît leur information et leur capacité d'influer sur les négociations) et aux grands (lesquels trouve une plateforme pour faire partager leurs priorités de politique nationale). C'est en particulier, comme l'ont souligné plusieurs de nos interlocuteurs, le cas de la France.
Depuis le traité de Lisbonne, c'est la délégation qui est la présidence permanente de l'Union européenne. Elle a remplacé la présidence tournante. Le poids de l'union à l'ONU permet, avec ses 28 membres, de mobiliser un volant de 40 pays sur 193. L'union européenne dispose en 2013 de trois membres au conseil de sécurité et en aura quatre en 2014 dont, bien sûr, les deux membres permanents que sont la France et le Royaume-Uni.
Cela étant, le vote reste individuel par État. Comme le faisait remarquer l'ambassadeur du Royaume-Uni, le fait de parler d'une seule voix n'est pas forcément la solution la plus efficace dans les débats. Selon les cas et les circonstances, il est parfois préférable d'avoir une série d'interventions complémentaires des pays européens, en particulier en matière de droits de l'homme et de questions humanitaires. Ce débat, de nature un peu théologique, ne doit pas masquer une certaine montée en puissance de l'Union européenne à l'ONU. Sans que nous nous prononcions sur l'impact réel de l'Union, en tant qu'organisation régionale économique et politique à l'ONU, nous devons constater le bon fonctionnement des délégations des pays membres les uns avec les autres et saluer le travail de coordination indispensable qu'effectue sa représentation permanente à New York. Un chiffre est significatif : la délégation organise plus de mille réunions de coordination chaque année et tient une réunion hebdomadaire au niveau des ambassadeurs.
La conclusion que notre président tirait il y a un an, de retour de New York, demeure pleinement valable : c'est notre intérêt national de jouer la carte ONU, afin de préserver notre statut, gage de notre influence internationale et de promouvoir en son sein le rôle de l'Union européenne. Notre intérêt c'est d'avoir une ONU forte et active dans la gestion des crises internationales. Une perte d'influence de l'ONU rendrait le monde plus incertain, ce dont il n'a pas besoin. Cette implication est d'autant plus importante que notre pays, comme la plupart des grandes nations sans doute, ne peut agir seul. Nous le voyons très clairement en Libye, au Mali ou demain en RCA. Dans un certain nombre de crises, durer implique que l'ONU et les organisations régionales concernées prennent le relai d'une intervention en urgence.
Mais l'ONU évolue. Le principal défi est celui de sa représentativité et de sa légitimité sans lesquelles les forces centrifuges pourraient l'emporter. Il est évident que, pour que l'ONU continue à être l'acteur majeur de la régulation des crises internationales, il faut que les nouveaux équilibres du monde se retrouvent dans l'équilibre des pouvoirs au sein de l'institution. La réforme du Conseil de sécurité est donc un enjeu crucial.
En 2005, la France avait proposé que les cinq membres permanents renoncent volontairement à exercer leur droit de véto quand il s'agissait de traiter de crimes passibles de la CPI. A la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre dernier, le président de la République a défendu l'idée d'une décision volontaire et collective par les membres permanents de renoncer au droit de véto dans les situations de crime de masse. Cette proposition est soutenue par nombre de pays qui constatent chaque jour l'incapacité du Conseil de sécurité à arrêter le massacre des populations en Syrie.
Depuis vingt ans, les Etats membres échouent à élargir le Conseil de sécurité. Mais même s'ils y parvenaient, il est douteux qu'ils parviennent du même coup à restreindre l'usage du véto, comme ce serait souhaitable (le processus de révision de la Charte prévoit lui-même un droit de véto des membres permanents...).
La réforme du Conseil doit permettre l'accession de nouveaux membres permanents pour associer les puissances (notamment émergentes) qui ont la volonté et la capacité de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, et la création de sièges non-permanents supplémentaires pour ajuster l'équilibre de la représentation des différentes zones géographiques.
Au total, un Conseil élargi pourrait compter jusqu'à 25 membres. La France soutient les candidatures du G4 (Allemagne, Japon, Inde et Brésil) comme membre permanent ainsi que d'au moins un Etat africain. On connaît néanmoins les fortes réticences de la Chine à l'encontre du Japon et de l'Inde, de l'Argentine vis-à-vis du Brésil, de l'Italie contre l'Allemagne.... Quant à l'Afrique elle est divisée et se réfugie dans le maximalisme. Les Etats africains restent bloqués sur la position arrêtée par l'Union africaine en 2005, dite « consensus d'Ezulwini ». Ils souhaitent pour l'Afrique deux sièges permanents, avec droit de véto, et deux sièges non-permanents (en plus des trois actuels). Ce « consensus », s'il sert à porter la revendication d'une meilleure représentation de l'Afrique, permet surtout au continent de ne pas se diviser sur le choix du (ou des) futur(s) permanent(s) africain(s). Par son maximalisme, encouragé entre autres par la Chine, il entretient le blocage.
S'agissant précisément du droit de véto, la position du représentant des Etats-Unis à New York est révélatrice de celle des grandes puissances. Pour avoir souvent employé le véto, ils considèrent qu'ils peuvent difficilement critiquer un autre des membres permanents sur son emploi.
Pour l'ambassadeur Churkin, le véto garantit le droit de la minorité. La complexité du monde fait que certains pays sont quasi assurés d'avoir 9 voix au Conseil de sécurité. Sans le véto, le Conseil perdrait sa raison d'être. Au-delà de cet argument, c'est l'intérêt vital d'un membre du P5 qui justifie, au nom de la souveraineté, l'utilisation du véto. Il nous semble que c'est l'analyse faite par les Russes en Syrie : le risque de contagion du danger islamiste dans le Caucase prime sur les crimes de masse qui sont perpétrés.
Le Chinois a rappelé que le droit de véto, expressément limité au P5 par la Charte, découle du principe de consensus entre les grandes puissances, lequel relève des enseignements de l'histoire. Il n'y a donc aucune raison de changer le système. Il nous a du reste fait remarquer que la position de la France serait affaiblie en cas de limitation du droit de véto.
La réforme du Conseil de sécurité est indispensable, notamment son élargissement, pour faire en sorte que l'institution demeure représentative est légitime. Ce sont les blocages régionaux et les antagonismes entre pays émergents qui bloquent le processus. S'agissant du droit de véto, notre sentiment est qu'une réforme inscrite dans la charte est inatteignable du faite de l'opposition, en particulier, des Russes et de la Chine, mais aussi des États-Unis. En revanche, un gentleman agreement sur sa discipline d'emploi et, en particulier, le stade de renoncer à son emploi dans certaines circonstances particulières est une voie pragmatique à creuser.
Nous allons à présent aborder les principales questions évoquées lors de notre séjour. Nous commencerons par la zone du Moyen Orient avec la Syrie, le conflit israélo-palestinien et l'Iran, avant d'en venir à l'Afrique. Nous n'abordons pas dans cette communication les questions sur les négociations climatiques et l'agenda post 2015 qui sont deux des thèmes majeurs de l'ONU mais dont le champ dépasse la seule question des Affaires étrangères et de la défense qui est le périmètre de notre commission.
En tout premier lieu la situation en Syrie. Je passe à présent la parole à André Vallini.