La commission examine en deuxième lecture le rapport de M. Jean-Louis Carrère et le texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 1473 (AN - 14e Législature), relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
Nous examinons en deuxième lecture le projet de loi de programmation militaire, adopté hier par les députés, et qui viendra mardi prochain en séance publique. L'Assemblée nationale n'a pas remis en cause son équilibre général et a conservé l'intégralité des avancées introduites par le Sénat grâce à notre travail commun, en particulier les clauses de sauvegarde, celle de revoyure et de retour à meilleure fortune, ou encore les dispositions relatives au contrôle parlementaire de l'exécution. Ses principales modifications ont limité l'effet sur la trajectoire financière des annulations de crédits de la fin de gestion de l'année 2013 ; elles ont également concerné les dispositions relatives au renseignement.
Particulièrement tendue pour le ministère de la défense, la fin de gestion 2013 risquait d'entraîner un important report de charges sur la première année de la loi de programmation militaire en 2014, susceptible de compromettre la soutenabilité de l'ensemble de la trajectoire financière. Plusieurs phénomènes s'additionnaient : le gel et le surgel de crédits liés à la réserve de précaution ; un surcoût des Opex de 1,26 milliard d'euros (dont 630 millions d'euros seulement avaient été budgétés), principalement en raison de l'opération SERVAL ; un dépassement de la masse salariale de 232 millions d'euros, dû, pour les trois-quarts aux dysfonctionnements du système Louvois, et, pour un quart, aux dépenses liées aux indemnités chômage et à l'indemnisation des victimes de l'amiante ; des annulations de crédits à hauteur de 486 millions d'euros au titre de la contribution de la Défense à la réduction des déficits publics.
Après de difficiles négociations avec Bercy et intervention de votre commission, le ministre de la Défense a obtenu le dégel de la plus grande partie de ses crédits, et la couverture par des crédits interministériels de l'intégralité du surcoût des Opex - la clause de sauvegarde a d'ores et déjà joué son rôle... En revanche, les dépassements de la masse salariale (232 millions d'euros), ainsi que les annulations de crédits supplémentaires (486 millions d'euros) au titre de la solidarité gouvernementale à la réduction des déficits seront intégralement pris en charge par le budget du ministère. Toutefois il peut espérer récupérer au moins une partie des trop-versés des soldes liés à Louvois. D'ailleurs, il n'a pas contesté l'imputation de ces dépassements sur le titre 2.
En outre, quatre amendements du Gouvernement autorisent, le cas échéant, une majoration des ressources exceptionnelles prévues par la loi de programmation militaire, à hauteur de 500 millions d'euros. Comme nous l'avait indiqué le ministre, et comme le précise l'article 3, cette modification compense les annulations de crédits supplémentaires pour la fin de gestion 2013 et sécurise la programmation des investissements. J'aurais certes préféré des crédits budgétaires à des recettes exceptionnelles, mais grâce à votre vote, leur usage est sécurisé. Le financement des Opex nous a instruits...
Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit-il les crédits nécessaires à l'opération en Centrafrique ?
Non. Mais cette opération nouvelle n'obèrera pas le budget de la Défense puisqu'il y aura un financement interministériel.
Les 500 millions d'euros de crédits pourront être versés « sur toute la durée de la programmation » ; c'est pourquoi ils ne figurent pas dans le projet de loi de finances pour 2014, car si d'aventure on ne pouvait pas les consommer en 2014, le surplus serait retiré. Cette modification est de nature à contenir le gonflement du report de charges et à éviter un décalage significatif dans la programmation de l'équipement des forces - la bosse. Il faudra néanmoins, comme nous le réclamons, rechercher résolument une solution définitive. Ce sera l'un des enjeux de la revoyure. Avec votre accord, je demanderai en séance au ministre de nous indiquer quelles sont les intentions du gouvernement pour résorber les reports.
L'Assemblée nationale a également sensiblement modifié, à l'initiative de sa commission des lois, les dispositions relatives à la délégation parlementaire au renseignement. Tout en approuvant le renforcement des prérogatives de celle-ci, elle est revenue sur plusieurs avancées introduites par le Sénat en matière de renforcement du contrôle parlementaire, dans un sens plus conforme aux souhaits du Gouvernement et de certains d'entre vous. En particulier, le droit pour la délégation d'entendre les agents des services, sous réserve de l'accord et en présence du directeur du service concerné, a été remplacé par la possibilité laissée aux directeurs des services de se faire accompagner, s'ils le souhaitent, des collaborateurs de leur choix en fonction de l'ordre du jour de la délégation. Je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas conservé la totalité des modifications introduites par le Sénat pour un véritable contrôle parlementaire. Toutefois, le texte représentant un progrès notable par rapport à la situation actuelle, je n'ai pas souhaité présenter de nouveaux amendements, afin de privilégier une démarche consensuelle entre les deux assemblées, de manière à débuter la loi de programmation début 2014.
À l'initiative de la commission de la défense, l'Assemblée nationale a également adopté une série d'amendements portant sur le dialogue social au sein du ministère de la défense. Pas de faux procès ! L'objectif visé consiste à associer davantage les personnels, civils comme militaires, à la mise en oeuvre des réformes. Mais ces changements sont encadrés et limités : ils ne préjudicient en rien au fonctionnement des armées.
Je voudrais vous remercier pour votre importante contribution à l'examen de ce projet de loi. C'est la première fois qu'une loi de programmation militaire est déposée en premier au Sénat. Le travail réalisé par l'ensemble des membres de notre commission, lors de la préparation du Livre blanc, puis lors de l'examen du projet de loi, a démontré tout l'intérêt du bicamérisme et d'une assemblée telle que le Sénat, dont les membres savent placer l'intérêt général au-dessus des clivages partisans et se rassembler sur des sujets essentiels pour notre pays comme la Défense.
Pour conclure, voici une récapitulation des principaux apports du Sénat sur la partie normative : le renforcement des clauses de sauvegarde sur les ressources exceptionnelles, les Opex et la masse salariale, l'insertion d'une clause de revoyure et d'une clause de retour à meilleure fortune, avec la volonté de revenir à un tendanciel de 2% du PIB ; l'introduction d'un chapitre sur le contrôle parlementaire de l'exécution de la loi de programmation, avec un contrôle sur pièces et sur place ; le renforcement des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement et un dispositif complet de recueil des données de connexion, plus protecteur des libertés publiques à l'initiative de la commission des lois unanime ; une meilleure protection des militaires en Opex face au risque de judiciarisation ; un suivi médical et psychologique des militaires engagés en Opex ; une meilleure garantie pour l'avenir du Foyer de la Légion étrangère ; un renforcement de l'indemnisation des victimes d'essais nucléaires.
De son côté, l'Assemblée nationale a apporté les modifications suivantes : une majoration, en cas de besoin, des recettes exceptionnelles à hauteur de 500 millions d'euros pour compenser les annulations de crédits ; un encadrement du contrôle sur pièces et sur place au regard du secret de la défense nationale ; une atténuation des prérogatives de la délégation au renseignement et un allongement de l'autorisation de géolocalisation en temps réel à 30 jours ; la reconnaissance de la carte du combattant aux militaires engagés en Opex ; le transfert de l'article sur le suivi médical et psychologique dans le rapport annexé ; l'insertion de nouvelles dispositions sur le dialogue social et sur les mousses ; le renforcement de l'indemnisation des victimes d'essais nucléaires ; l'insertion d'un nouveau chapitre sur les matériels de guerre, les produits chimiques, domaines qui faisaient l'objet d'une habilitation de légiférer par ordonnance.
Les apports du Sénat au rapport annexé consistent en une référence à l'Europe de la défense et à la brigade franco-allemande ; des précisions chiffrées en matière d'augmentation des effectifs des services de renseignement et de cyberdéfense ; et une modification du rythme de livraison des avions ravitailleurs MRTT, avec 4 appareils livrés d'ici 2019, au lieu de 2. L'Assemblée nationale a prévu l'insertion d'un volet sur la concertation des militaires et a rétabli le rythme initial de livraisons des avions MRTT.
Je remercie tous ceux qui, comme Daniel Reiner, ont travaillé avec les députés, de telle sorte que le texte n'a pas été dénaturé.
Les crédits pour la police et la gendarmerie devaient augmenter de 115 millions. Est-ce le cas ?
Cette augmentation a été décidée. Les crédits figurent au budget du ministère de l'Intérieur, non dans la LMP.
Une partie de l'opposition a voté pour ou s'est abstenue, en première lecture, dans l'esprit du consensus qui anime notre commission et afin de soutenir le ministre dans la défense de son budget. Il ne faudrait pas que nous retrouvions en porte-à-faux au point que cette position soit intenable.
Nous avons été très attentifs à la trajectoire financière. L'Assemblée nationale a adopté notre texte presque dans son intégralité. Il n'a pas été dénaturé. Sur les autres points nous chercherons à obtenir des réponses du ministre en séance. Le vote de l'Assemblée nationale ne trahit pas votre vote en première lecture, au contraire !
Pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle rétabli le rythme initial de livraison des avions ravitailleurs ?
Elle a rétabli la rédaction initiale du gouvernement, qui craignait de compromettre l'équilibre global en l'absence de retour de bonne fortune en 2015. Nous insisterons en séance pour que le ministre déclare que la fourniture de quatre ravitailleurs est une priorité en cas d'amélioration de la situation économique.
En effet, excepté sur ce point, l'Assemblée nationale a finalement peu modifié le texte. Les acquis du Sénat ont été préservés. En revanche, le report des charges est problématique. Comme l'a indiqué Jean-Marie Bockel, nous ne souhaitons pas être placés en porte-à-faux. Quel sera leur montant exact ? Nous avons dû rechercher dans les déclarations pour établir que le report serait de 3,6 milliards en 2014, contre 1,5 milliard en 2011. Vous nous annoncez une ouverture de crédits de 500 millions. Il importe d'y voir clair afin de ne pas voter une loi de programmation militaire mort-née. Passera-t-on à 1,3% du PIB en 2019 ou à 1,1% ? Il nous faut davantage d'explications. De plus, Jacques Gautier avait proposé d'autres pistes : pourquoi ne pas céder des participations inutiles afin de préserver la trajectoire financière ?
L'effort pour financer le surcoût de 1,26 milliard lié aux Opex n'est pas mince ! De même il faut annuler 232 millions dus à la catastrophe provoquée par le système Louvois, qui n'est pas le fait de ce gouvernement. Enfin l'annulation de 486 millions de crédits participe de l'effort de redressement des comptes publics et fournit des gages pour mieux négocier avec Bercy par la suite.
A une réponse politicienne, je préfèrerais une réponse dans l'esprit de la commission.
Nous sommes unanimes sur le report. Nous sommes partisans de la vente de certaines participations de l'État pour compenser les reports de crédits. Nos amis communistes ne partagent pas tout à fait cette analyse, et Michelle Demessine me l'a rappelé, sans préciser qu'elle s'opposait à toute mesure pour éviter les reports. Je vous propose de demander au gouvernement de fournir rapidement des mesures de réduction, pour y arriver au plus tard avant la revoyure. Si la commission le souhaite, nous pouvons adopter une position plus solennelle et chaque groupe pourra formuler des pistes de financement pour limiter les reports, telles que celles que Jacques Gautier a déjà présentées ; le ministre se verrait soutenu pour avancer en ce sens.
Sur les MRTT, soit nous nous faisons plaisir en déposant un amendement pour modifier le rythme de livraison des avions ravitailleurs, ce qui retardera l'entrée en vigueur de la loi, soit nous insistons en séance, de manière unanime, afin d'obtenir une réponse précise du ministre figurant au Journal officiel, tout en adoptant ce texte conforme.
Je partage ce qu'a dit Xavier Pintat, de même que la majorité de nos amis UMP. Le report de charges est le problème central. La loi de programmation militaire ne résolvant rien, il nous faut des assurances pour le futur, au pire avant la revoyure. Les avions ravitailleurs coûtent 230 millions pièce. Pour l'armée de l'air, pour le ministre, il s'agit d'une priorité. Mon amendement n'a pas été maintenu. Je ne le redéposerai pas : nous avons besoin d'engagements dans la durée.
Enfin, Bercy gèle 7% des crédits cette année, contre 6% l'an dernier. Le budget soumis au Parlement n'est pas sincère. Devons-nous accepter que Bercy décide unilatéralement de geler des crédits ? La question est posée, nous aurons à y répondre ensemble.
Les MRTT constitueront l'un des enjeux du Conseil européen de la défense. L'objectif de la France est de parvenir à une mutualisation et à une coopération européennes. Jouons sur les deux tableaux et demandons avec fermeté au ministre d'affirmer que la modification du rythme d'acquisition des ravitailleurs sera prioritaire en cas de retour à meilleure fortune. Il n'est pas choquant que le budget de la Défense soit prioritaire en ce cas.
Je partage votre analyse sur les gels de crédits, pratiqués par tous les gouvernements. Cependant, grâce aux possibilités de contrôle sur pièce et sur place, nous serons extrêmement présents sur l'exécution. En outre, si la commission le souhaite, je suis prêt à demander que les règles budgétaires soient modifiées afin que les crédits sur lesquels le Parlement se prononce intègrent les prévisions de gels. Il ne faudrait pas, en effet, que des gels intempestifs de crédits modifient l'équilibre obtenu dans cette loi de programmation au risque de la rendre inopérante. Cherchons à obtenir un engagement du ministre en séance. Je pense, d'ailleurs, que le gouvernement a besoin de notre soutien. On peut certes l'affaiblir... Nous pouvons aussi le conforter en faisant valoir une position unanime de notre commission.
EXAMEN DES ARTICLES
Nous devons nous prononcer uniquement sur les articles modifiés, ajoutés ou supprimés par l'Assemblée nationale, mais non sur les articles adoptés conformes par nos collègues députés.
Article 2 et rapport annexé
Le rapport annexé a fait l'objet de plusieurs modifications à l'Assemblée nationale. Elle est notamment revenue à la livraison de deux MRTT sur la période, l'un en 2018 et l'autre en 2019. Le ministre a expliqué que le doublement des livraisons impliquerait des coupes au détriment d'autres programmes, et probablement ceux destinés à l'armée de l'air. Il a rappelé que ce point ferait l'objet de discussions lors de la clause de revoyure en 2015. Aussi je vous propose d'adopter l'article 2 et le rapport annexé sans modification. Je vous suggère que nous travaillions à l'expression d'une position commune rappelant la nécessité d'accélérer le rythme des livraisons de MRTT en cas de retour à meilleure fortune.
Le groupe UMP s'abstient.
L'article 2 est adopté sans modification, ainsi que le rapport annexé.
Article 3
L'Assemblée nationale a adopté un amendement du gouvernement qui modifie la trajectoire financière en autorisant, le cas échéant, une majoration des ressources exceptionnelles prévues par la loi de programmation militaire, à hauteur de cinq cents millions d'euros, afin de compenser les annulations de crédits intervenues en fin de gestion 2013. Cet amendement contient le gonflement du report de charges et évite l'apparition, d'entrée de jeu, d'un décalage significatif dans la programmation de l'équipement des forces. Je vous propose d'adopter cet article sans modification et de vous associer à une position commune demandant au ministre des explications précises. Même vote ?
L'article 3 est adopté sans modification.
Article 3 bis
Cet article introduit par notre commission porte sur la clause de sauvegarde sur les Opex. L'Assemblée nationale n'a apporté que des modifications rédactionnelles.
Je vote pour.
L'article 3 bis est adopté à l'unanimité sans modification.
Article 4
L'article 4, relatif à la déflation des effectifs, n'a fait l'objet que de simples modifications rédactionnelles.
Article 4 bis
Cet article contient la clause de revoyure et celle de retour à meilleur fortune. L'Assemblée nationale n'a adopté que des amendements rédactionnels.
La nouvelle rédaction prévoit explicitement que la clause de revoyure concernera, entre autres, le ravitaillement en vol.
Mais développement et sécurité vont de pair ! Comment apporter le développement au Mali sans armée pour assurer la sécurité ?
L'article 4 bis est adopté sans modification.
Article 4 ter
Sans modifier l'esprit de cet article, l'Assemblée nationale a précisé que le contrôle sur pièces et sur place ne pouvait porter sur les services de renseignement soumis au contrôle de la délégation parlementaire du renseignement, ni sur les sujets à caractère secret concernant la défense nationale.
Article 4 quater
Cet article n'a fait l'objet que d'un amendement rédactionnel.
L'article 4 quater est adopté sans modification.
Article 4 quinquies
A l'article 4 quinquies, l'Assemblée nationale a étendu la transmission des rapports de la Cour des comptes à l'ensemble des commissions permanentes.
Article 4 sexies
Nous avions un rapport annuel du Gouvernement sur l'exécution de la loi de programmation militaire. L'Assemblée nationale a précisé qu'il ferait l'objet d'un débat en séance publique et qu'il détaillerait la ventilation précise des ressources provenant des recettes exceptionnelles. Comment ne pas y souscrire ?
Les députés font preuve de plus d'audace.
L'article 4 sexies est adopté sans modification.
Article 4 septies (nouveau)
Cet article, introduit par la commission des finances de l'Assemblée nationale, avance la date de présentation du rapport annuel sur les exportations d'armement, afin d'améliorer l'information du Parlement.
Je porte la logique de mon groupe et reste fidèle à la position que nous avions adoptée en première lecture.
L'article 4 septies est adopté sans modification.
Article 5
Tout en approuvant le renforcement des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, l'Assemblée nationale est revenue, à l'initiative de sa commission des lois, sur plusieurs avancées introduites par le Sénat, dans un sens plus conforme aux souhaits du Gouvernement et de certains membres de l'UMP. Ainsi, la délégation parlementaire au renseignement ne pourra prendre connaissance que d'« éléments d'information issus du plan national d'orientation du renseignement », et non pas du plan lui-même. Elle devra solliciter le Premier ministre pour avoir connaissance de tout ou partie des rapports d'inspection. Outre les opérations en cours et les échanges avec les services étrangers, elle ne pourra avoir connaissance ni des instructions données par les pouvoirs publics, ni des procédures et méthodes opérationnelles. Son droit d'auditionner les agents des services est remplacé par la possibilité laissée aux directeurs des services de se faire accompagner des collaborateurs de leur choix en fonction de l'ordre du jour de la délégation.
Je regrette les modifications introduites par l'Assemblée nationale. Toutefois, cet article marquant un progrès notable par rapport à la situation actuelle, je vous propose de l'adopter sans modification.
Article 6
L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications à l'article 6, relatif à la commission de vérification des fonds spéciaux : elle remplace la « représentation de la majorité et de l'opposition » par la « représentation pluraliste » ; elle réserve au Premier ministre la transmission du rapport annuel ; elle précise que les membres de la commission seront désignés dans un délai de deux mois après son entrée en vigueur. Cela correspond à la position d'une partie de nos collègues ; adoptons-le sans modification. André Dulait et moi devrons donc nous dépêcher d'accomplir notre mission.
Article 7
L'Assemblée n'a apporté que des modifications rédactionnelles à l'article 7, qui renforce la protection de l'anonymat des agents des services de renseignement appelés à témoigner dans le cadre de procédures judiciaires.
Article 8
L'Assemblée n'a apporté que des modifications rédactionnelles à l'article 8, qui étend l'accès aux fichiers administratifs du ministère de l'intérieur aux agents des services du renseignement.
Article 10
L'Assemblée nationale a exclu du nouveau fichier PNR des passagers aériens les données susceptibles de révéler l'origine raciale ou ethnique d'une personne, ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques, son appartenance à un syndicat, sa santé ou sa vie sexuelle - j'avais déposé, puis retiré un amendement identique. Je note que l'UMP et les écologistes s'abstiennent.
C'est compte tenu de l'amendement adopté par les députés que je m'abstiens.
L'article 10 est adopté sans modification.
Article 11
L'article 11 n'a fait l'objet que d'un amendement de coordination.
L'article 11 est adopté sans modification.
Article 13
Les débats sur l'article 13 provoquent bien des sollicitations... Clarifiant initialement le régime juridique de la géolocalisation en temps réel, cet article avait fait l'objet d'un amendement de Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, qui élargit son champ en unifiant le régime juridique des interceptions de communication issu de la loi du 10 juillet 1991 et celui de l'accès aux données de connexion (les fadettes) fixé par l'article 6 de la loi du 23 janvier 2006. Le dispositif est plus adapté aux besoins des services, mais aussi plus protecteur des libertés publiques : le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est accru et les demandes de géolocalisation en temps réel, motivées, émaneront du ministre.
Le seul changement apporté par l'Assemblée nationale porte sur la durée des autorisations : tandis que sa commission des lois voulait la porter à quatre mois, sa commission de la défense l'a ramené à trente jours, après notre intervention. C'est un équilibre raisonnable : adoptons cet article sans modification.
Y a-t-il un rapport entre ce texte et la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur le sujet ?
Cette jurisprudence concerne les écoutes judiciaires. Un projet de loi ultérieur devrait être déposé sur ce sujet.
Cette jurisprudence reposait sur le manque d'indépendance du parquet ; il n'y a pas de lien. Je constate l'abstention du groupe écologiste.
L'article 13 est adopté sans modification.
Article 14
Cet article et le suivant n'ont fait l'objet que de modifications rédactionnelles.
Article 15
Article 16 bis
Article 16 quater (nouveau)
L'Assemblée nationale introduit un nouveau chapitre III bis composé de trois articles, où elle précise des points sur lesquels le Sénat avait admis la voie des ordonnances. L'article 16 quater aligne le régime des importations de matériels de guerre sur celui des exportations et des transferts intracommunautaires. Je note l'abstention du groupe écologiste.
L'article 16 quater est adopté sans modification.
Article 16 quinquies (nouveau)
L'article 16 quinquies soumet à autorisation préalable les transferts de certains produits chimiques entre États membres de l'Union européenne et harmonise les sanctions pénales.
Article 16 sexies (nouveau)
L'article 16 sexies corrige une omission. Je note l'abstention du groupe écologiste.
L'article 16 sexies est adopté sans modification.
Article 18
L'article 18 n'a fait l'objet que d'une modification rédactionnelle. Adoptons-le sans modification.
Article 19
Article 22 A (nouveau)
L'article 22 A accorde aux militaires ayant participé à des opérations extérieures le bénéfice de la carte du combattant.
Ma proposition de loi sur le sujet allait plus loin. Comme elle a été rejetée la semaine dernière, je ne peux soutenir cette disposition. Je m'abstiens.
Un pilote de Rafale qui décolle de Saint-Dizier pour bombarder la Lybie ou la Centrafrique aura-t-il une carte d'ancien combattant ?
Article 22
L'article 22 n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles, comme l'article 24.
Article 24
Je note l'abstention du groupe écologiste.
L'article 24 est adopté sans modification.
Article 25
L'Assemblée nationale a précisé qu'un militaire qui serait recruté à nouveau par l'armée devrait rembourser le pécule dont il a bénéficié pour la quitter.
Article 26
L'article 26 n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles, adoptons-le sans nouvelle modification. Je note l'abstention du groupe écologiste.
L'article 25 est adopté sans modification.
Article 28 bis (supprimé)
L'Assemblée nationale a placé dans le rapport annexé le dispositif que nous avions prévu pour le suivi des militaires ayant été engagés en opérations extérieures. Confirmons la suppression de cet article.
L'article 28 bis demeure supprimé.
Article 28 ter A
L'article 28 ter A, ajouté par l'Assemblée nationale, prévoit des règles de temps de travail dérogatoires pour les mousses de la marine nationale âgés de 17 ans : temps de travail embarqué limité à onze heures par jour, repos hebdomadaire, service de nuit limité à quatre heures.
Ce compromis entre nécessités du bord et protection des mineurs est conforme à la directive européenne sur le travail des mineurs : c'est pour cela qu'il faut légiférer. Adoptons-le sans modification.
Cela fait réfléchir. L'Europe pourrait s'occuper d'industrie, d'énergie, de défense plutôt que du temps de travail des mousses pendant la nuit ! C'est édifiant !
Article 28 ter B
L'article 28 ter B, ajouté par un amendement de la commission de la défense de l'Assemblée nationale avec l'avis favorable du gouvernement, élargit le champ du dialogue social avec le personnel civil du ministère de la défense aux questions d'organisation ; les organismes militaires à vocation opérationnelle sont toutefois hors du champ et un décret en Conseil d'État déterminera le périmètre pour en retirer les questions d'organisation à caractère militaire ou opérationnel. Si vous le souhaitez, je demanderai au ministre de s'exprimer sur ce sujet en séance.
Je note l'abstention des groupes écologiste, UMP, UDI-UC ainsi que de M. Pierre Bernard-Reymond.
L'article 28 ter B est adopté sans modification.
Article 28 ter
L'article 28 ter sur le foyer d'entraide de la Légion étrangère, introduit par le Sénat, a fait l'objet d'une simple modification rédactionnelle.
Article 28 quater
Même remarque sur l'article 28 quater, dans lequel l'Assemblée nationale précise que le nouvel établissement public pourra reprendre la dénomination actuelle.
Nous nous abstiendrons.
L'article 28 quater est adopté sans modification.
Article 28 quinquies (nouveau)
Le député Yves Fromion a ajouté l'article 28 quinquies, qui prévoit un rapport annuel du gouvernement sur les travaux du Conseil supérieur de la fonction militaire. Adoptons-le sans modification.
Nous nous abstenons.
L'article 28 quinquies est adopté sans modification.
Article 29
L'article 29 n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles. Je note l'abstention du groupe écologiste.
Tous les votes émis par le groupe écologiste obéissent à la même logique qu'en première lecture.
L'article 29 est adopté sans modification.
Article 33 bis
L'Assemblée nationale a modifié l'article 33 bis, que nous avions introduit : le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) devra justifier toute décision conduisant à considérer le risque attribuable aux essais comme négligeable ; le requérant pourra défendre sa demande en personne ou par un représentant ; le Civen produira un rapport annuel d'activité ; dates et zones de présence en Polynésie ont été modifiées, les zones n'étant plus définies par îles. Adoptons-le conforme.
S'agit-il vraiment d'améliorations ? Toutes ces modifications vont dans le même sens : l'élargissement des droits de requérants pouvant venir d'îles distantes de plusieurs milliers de kilomètres de Mururoa et de Fangataufa et qui espèrent ainsi obtenir une ristourne. La République est-elle assez riche pour se payer le luxe d'étendre les droits à indemnisation indéfiniment ? En allant encore au-delà sur un domaine où nous étions allés déjà assez loin, l'Assemblée nationale a manqué d'esprit de responsabilité. Je vote contre.
La mesure a une portée plus psychologique que financière ; les critères d'indemnisation restent les mêmes et ils n'ouvrent de droits qu'aux requérants justifiant d'avoir contracté la maladie. Le fond de la loi n'a pas été remis en cause. La plupart des demandes que la commission reçoit ne sont pas indemnisables.
Pour avoir participé aux premiers travaux sur la question avec M. Jurien de la Gravière, je crains une plus grande judiciarisation : les requérants ne bénéficieront pas de plus d'indemnisation, mais la demanderont et la contesteront davantage. Est-ce bien nécessaire ?
Faisons un conforme : cela nous fera gagner du temps et n'aura pas de conséquences financières dévastatrices.
Ce dispositif n'entraînera pas une plus grande judiciarisation au sens propre, puisque c'est la commission qui reçoit et traite les demandes.
Je note l'abstention de M. Pierre Bernard-Reymond et du groupe UMP. M. Jean-Pierre Chevènement vote contre.
L'article 33 bis est adopté sans modification.
Article 33 ter
Je constate le même vote pour l'article 33 ter, où l'Assemblée nationale allonge le délai des ayants droit pour déposer une demande d'indemnisation ou pour obtenir un réexamen de leur demande. Même vote ?
L'article 33 ter est adopté sans modification.
Article 34
Outre des amendements rédactionnels et de coordination, l'Assemblée habilite le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de protection des installations nucléaires, sujet sur lequel nous avions entendu le directeur général de la gendarmerie nationale et le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.
Et nous contre.
L'article 34 est adopté sans modification.
En commission, sur l'ensemble du texte, le groupe UMP s'abstient, à l'exception d'Alain Gournac, qui vote contre ; pour la séance, nous attendrons les réponses du ministre à nos questions.
L'Assemblée nationale ayant respecté le travail de notre commission en ne procédant qu'à des modifications rédactionnelles - sauf exceptions et dans le bon sens - le groupe socialiste votera des deux mains pour l'adoption de ce texte.
Le groupe centriste avait, à l'issue d'un long débat, voté pour ce texte en première lecture. Malgré le vote contre des députés de notre sensibilité, les changements sont assez mineurs pour que nous ne changions pas d'avis à ce stade.
Je regrette beaucoup la position de votre groupe : la sécurité implique des moyens. Je rends hommage au travail de concertation avec les députés mené par Daniel Reiner, grâce auquel nous pouvons nous retrouver dans le texte de l'Assemblée nationale.
Le projet de loi est adopté sans modification, ainsi que le rapport annexé.
- Présidence de M. Daniel Reiner, vice-président -
La commission entend une communication de MM. André Vallini, Christian Cambon, Jean-Marie Bockel et Mme Leila Aïchi sur leur déplacement à la 68ème Assemblée générale de l'ONU du 21 au 25 octobre 2013.
Comme il est d'usage nous allons vous présenter le résultat de notre mission à l'ONU à quatre voix. Je vous parlerai en introduction de la perception de notre pays à l'ONU et de ce serpent de mer qu'est la réforme du Conseil de sécurité avant que nous abordions les deux grands blocs géographiques que sont le Moyen Orient et l'Afrique qui ont constitué le coeur de nos entretiens.
Les entretiens que nous avons eus à New York ont été, comme chaque année, particulièrement riches.
Les rencontres et réunions organisées avec le soutien de notre Représentation permanente nous ont permis de nous entretenir à l'ONU avec le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, et quatre secrétaires généraux adjoints : notre compatriote M. Hervé Ladsous pour les opérations de maintien de la paix ; le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. Jeffrey Feltman ; la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et coordonnatrice des secours d'urgence, M. Valerie Amos ; le Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques, M. Miguel de Serpa Soares. Nous avons également rencontré le président de la 68ème AGNU, M. John Ashe.
Parmi les représentants permanents nous avons eu des échanges avec les membres du P5 : l'ambassadeur Vitali Tchourkine pour la Russie, le ministre conseiller aux affaires politiques, Christopher Klein pour les Etats-Unis, le représentant permanent du Royaume-Uni, Sir Mark Lyall Grant, M. Wang Min, représentant permanent adjoint de la Chine. Nous avons également rencontré M. Peter Wittig, représentant permanent allemand, puis pour l'Union européenne le chef de délégation, M. Thomas Mayr-Harting. Enfin, nous nous sommes entretenus avec l'ambassadeur israélien M. David Roet, et l'observateur permanent de la Palestine, M. Riyad Mansour.
La délégation a assisté à une partie du débat public mensuel du Conseil de sécurité sur la situation au Moyen Orient.
Plusieurs déjeuners de travail sont venus compléter ce programme d'entretien : un déjeuner à la résidence nous a permis de rencontrer les ambassadeurs du Maroc, de la Tunisie et de l'Egypte pour faire le point des révolutions arabes.
Un déjeuner auquel ont participé le directeur Afrique du PNUD, M. Abdoulaye Mar Dieye, le représentant du PNUE à New York, M. Elliott Harris, et l'ambassadeur du Bénin, M. Jean-Francis Zinsou, porte-parole du groupe des PMA à New York, a été consacré aux questions de développement durable, de changement climatique et d'agenda post-2015.
Enfin un déjeuner organisé par le Consul général avec des analystes politiques et des journalistes a été l'occasion d'échanges sur la situation politique intérieure américaine après le bras-de-fer entre le Président Obama et la majorité républicaine à la Chambre des représentants sur le budget et la dette.
Comme vous le voyez, notre séjour a été occupé de manière dense par ces rencontres.
Le très grand intérêt de ces missions consiste en la juxtaposition des analyses et des positions des différents pays ou acteurs intervenant au sein de cet outil irremplaçable du multilatéralisme qu'est l'ONU, en dépit de ses défauts et de ses faiblesses. Il permet aussi de juger, dans cette enceinte, de la pertinence de nos choix diplomatiques, de la façon dont ils sont perçus et donc de situer l'action de la France dans le monde.
Il convient d'emblée de rendre hommage à notre représentation à l'ONU pour le très remarquable travail qui y est effectué. L'équipe rassemblée autour de notre ambassadeur, Gérard Araud, est de premier ordre. Les personnalités que nous avons rencontrées, ambassadeurs, responsables de l'ONU, nous ont tous vanté les mérites de notre représentation permanente à l'ONU. C'est un jugement des pairs qui mérite d'être souligné.
Beaucoup de nos interlocuteurs, à commencer par le Secrétaire général, ont souligné le rôle clef joué par la France aux Nations unies pour des nombreuses raisons. Nous sommes le 3ème contributeur au budget des OMP et le 5ème contributeur au budget ordinaire. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité, la France est l'un des moteurs de l'ONU et, avec le Royaume-Uni, le principal rédacteur des projets de résolution. Nous occupons également un leadership dans la gestion de crise, comme au Mali et en RCA, avec un engagement militaire sur le terrain. Notre implication est forte sur les questions de changement climatique - Paris accueillera la COP en 2015 - et de financements innovants. Enfin nous venons de prendre une nouvelle initiative sur le droit de véto.
Que ce soit le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, le président de l'Assemblée générale, les secrétaires généraux adjoints rencontrés ou des représentants permanents, tous ont souhaité le soutien et l'implication de la France dans les grands thèmes prioritaires de l'ONU.
La France est bien sûr membre de l'Union européenne qui peine à trouver sa place d'organisation régionale au sein d'une institution qui ne reconnait que les Etats et qui appliquent strictement le principe 1 Etat = 1 voix.
Le chef de la délégation de l'UE, M. Mayr-Harting a rappelé le poids de l'UE aux Nations unies (40 % du budget ; plus de 50 % de l'aide au développement ; 3 à 4 membres du CSNU sont européens ; avec ceux qui s'alignent sur elle, l'UE parle pour une quarantaine d'Etats). La coopération européenne profite aux petits Etats membres (car elle accroît leur information et leur capacité d'influer sur les négociations) et aux grands (lesquels trouve une plateforme pour faire partager leurs priorités de politique nationale). C'est en particulier, comme l'ont souligné plusieurs de nos interlocuteurs, le cas de la France.
Depuis le traité de Lisbonne, c'est la délégation qui est la présidence permanente de l'Union européenne. Elle a remplacé la présidence tournante. Le poids de l'union à l'ONU permet, avec ses 28 membres, de mobiliser un volant de 40 pays sur 193. L'union européenne dispose en 2013 de trois membres au conseil de sécurité et en aura quatre en 2014 dont, bien sûr, les deux membres permanents que sont la France et le Royaume-Uni.
Cela étant, le vote reste individuel par État. Comme le faisait remarquer l'ambassadeur du Royaume-Uni, le fait de parler d'une seule voix n'est pas forcément la solution la plus efficace dans les débats. Selon les cas et les circonstances, il est parfois préférable d'avoir une série d'interventions complémentaires des pays européens, en particulier en matière de droits de l'homme et de questions humanitaires. Ce débat, de nature un peu théologique, ne doit pas masquer une certaine montée en puissance de l'Union européenne à l'ONU. Sans que nous nous prononcions sur l'impact réel de l'Union, en tant qu'organisation régionale économique et politique à l'ONU, nous devons constater le bon fonctionnement des délégations des pays membres les uns avec les autres et saluer le travail de coordination indispensable qu'effectue sa représentation permanente à New York. Un chiffre est significatif : la délégation organise plus de mille réunions de coordination chaque année et tient une réunion hebdomadaire au niveau des ambassadeurs.
La conclusion que notre président tirait il y a un an, de retour de New York, demeure pleinement valable : c'est notre intérêt national de jouer la carte ONU, afin de préserver notre statut, gage de notre influence internationale et de promouvoir en son sein le rôle de l'Union européenne. Notre intérêt c'est d'avoir une ONU forte et active dans la gestion des crises internationales. Une perte d'influence de l'ONU rendrait le monde plus incertain, ce dont il n'a pas besoin. Cette implication est d'autant plus importante que notre pays, comme la plupart des grandes nations sans doute, ne peut agir seul. Nous le voyons très clairement en Libye, au Mali ou demain en RCA. Dans un certain nombre de crises, durer implique que l'ONU et les organisations régionales concernées prennent le relai d'une intervention en urgence.
Mais l'ONU évolue. Le principal défi est celui de sa représentativité et de sa légitimité sans lesquelles les forces centrifuges pourraient l'emporter. Il est évident que, pour que l'ONU continue à être l'acteur majeur de la régulation des crises internationales, il faut que les nouveaux équilibres du monde se retrouvent dans l'équilibre des pouvoirs au sein de l'institution. La réforme du Conseil de sécurité est donc un enjeu crucial.
En 2005, la France avait proposé que les cinq membres permanents renoncent volontairement à exercer leur droit de véto quand il s'agissait de traiter de crimes passibles de la CPI. A la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre dernier, le président de la République a défendu l'idée d'une décision volontaire et collective par les membres permanents de renoncer au droit de véto dans les situations de crime de masse. Cette proposition est soutenue par nombre de pays qui constatent chaque jour l'incapacité du Conseil de sécurité à arrêter le massacre des populations en Syrie.
Depuis vingt ans, les Etats membres échouent à élargir le Conseil de sécurité. Mais même s'ils y parvenaient, il est douteux qu'ils parviennent du même coup à restreindre l'usage du véto, comme ce serait souhaitable (le processus de révision de la Charte prévoit lui-même un droit de véto des membres permanents...).
La réforme du Conseil doit permettre l'accession de nouveaux membres permanents pour associer les puissances (notamment émergentes) qui ont la volonté et la capacité de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, et la création de sièges non-permanents supplémentaires pour ajuster l'équilibre de la représentation des différentes zones géographiques.
Au total, un Conseil élargi pourrait compter jusqu'à 25 membres. La France soutient les candidatures du G4 (Allemagne, Japon, Inde et Brésil) comme membre permanent ainsi que d'au moins un Etat africain. On connaît néanmoins les fortes réticences de la Chine à l'encontre du Japon et de l'Inde, de l'Argentine vis-à-vis du Brésil, de l'Italie contre l'Allemagne.... Quant à l'Afrique elle est divisée et se réfugie dans le maximalisme. Les Etats africains restent bloqués sur la position arrêtée par l'Union africaine en 2005, dite « consensus d'Ezulwini ». Ils souhaitent pour l'Afrique deux sièges permanents, avec droit de véto, et deux sièges non-permanents (en plus des trois actuels). Ce « consensus », s'il sert à porter la revendication d'une meilleure représentation de l'Afrique, permet surtout au continent de ne pas se diviser sur le choix du (ou des) futur(s) permanent(s) africain(s). Par son maximalisme, encouragé entre autres par la Chine, il entretient le blocage.
S'agissant précisément du droit de véto, la position du représentant des Etats-Unis à New York est révélatrice de celle des grandes puissances. Pour avoir souvent employé le véto, ils considèrent qu'ils peuvent difficilement critiquer un autre des membres permanents sur son emploi.
Pour l'ambassadeur Churkin, le véto garantit le droit de la minorité. La complexité du monde fait que certains pays sont quasi assurés d'avoir 9 voix au Conseil de sécurité. Sans le véto, le Conseil perdrait sa raison d'être. Au-delà de cet argument, c'est l'intérêt vital d'un membre du P5 qui justifie, au nom de la souveraineté, l'utilisation du véto. Il nous semble que c'est l'analyse faite par les Russes en Syrie : le risque de contagion du danger islamiste dans le Caucase prime sur les crimes de masse qui sont perpétrés.
Le Chinois a rappelé que le droit de véto, expressément limité au P5 par la Charte, découle du principe de consensus entre les grandes puissances, lequel relève des enseignements de l'histoire. Il n'y a donc aucune raison de changer le système. Il nous a du reste fait remarquer que la position de la France serait affaiblie en cas de limitation du droit de véto.
La réforme du Conseil de sécurité est indispensable, notamment son élargissement, pour faire en sorte que l'institution demeure représentative est légitime. Ce sont les blocages régionaux et les antagonismes entre pays émergents qui bloquent le processus. S'agissant du droit de véto, notre sentiment est qu'une réforme inscrite dans la charte est inatteignable du faite de l'opposition, en particulier, des Russes et de la Chine, mais aussi des États-Unis. En revanche, un gentleman agreement sur sa discipline d'emploi et, en particulier, le stade de renoncer à son emploi dans certaines circonstances particulières est une voie pragmatique à creuser.
Nous allons à présent aborder les principales questions évoquées lors de notre séjour. Nous commencerons par la zone du Moyen Orient avec la Syrie, le conflit israélo-palestinien et l'Iran, avant d'en venir à l'Afrique. Nous n'abordons pas dans cette communication les questions sur les négociations climatiques et l'agenda post 2015 qui sont deux des thèmes majeurs de l'ONU mais dont le champ dépasse la seule question des Affaires étrangères et de la défense qui est le périmètre de notre commission.
En tout premier lieu la situation en Syrie. Je passe à présent la parole à André Vallini.
La situation dans ce pays a naturellement été évoquée dans l'ensemble des entretiens que nous avons eus à New York. Le changement de pied de la diplomatie américaine a été particulièrement déstabilisant pour la France comme pour le Royaume-Uni. Depuis deux ans la diplomatie des États-Unis était extrêmement discrète et la ligne rouge qu'avait fixée le président Obama sur l'utilisation de l'arme chimique n'a pas été respectée. La consultation du Congrès n'avait, de fait, aucune chance d'aboutir à une décision d'intervention. De cette séquence nous pouvons retenir avec certitude que les Etats-Unis n'interviendront pas militairement en Syrie. Cette décision a des conséquences importantes.
Après le refus de la chambre des Communes d'autoriser une participation du Royaume-Uni à des frappes éventuelles, la France s'est trouvée abandonnée par les États-Unis. De même, et surtout, cette décision a conduit à une déstabilisation des pays arabes. La décision américaine de ne pas employer la force fait planer un doute sur la fiabilité des garanties militaires apportées à ces pays par les États-Unis. Cela vaut principalement pour l'Arabie Saoudite plus que pour la Jordanie, glacis d'Israël, où les Etats-Unis ont du reste déployé des missiles Patriot. De plus, l'ouverture faite par l'Iran, acceptée par les États-Unis, est un autre facteur de déstabilisation, notamment pour l'Arabie Saoudite pour laquelle les deux piliers de sa sécurité s'effondrent. C'est cette conjugaison qui explique l'abstention de l'Arabie Saoudite lors du débat général et son refus de siéger au Conseil de sécurité. Le monde arabe est en profond désarroi. L'Égypte est considérablement affaiblie et l'Irak n'existe plus en tant que puissance.
La première conclusion que l'on peut en tirer est que la guerre civile va continuer : d'un côté les salafistes et les extrémistes se renforcent qui reçoivent des armes en provenance de l'Arabie Saoudite et du Qatar, et se battent bien, tandis que le reste de l'opposition, et notamment l'armée syrienne libre, ne reçoit pas de livraisons d'armes de la part des occidentaux. De l'autre côté les forces loyalistes sont soutenues et armées par la Russie, l'Iran, par le Hezbollah qui prend une part considérable aux opérations militaires. Les offensives de l'armée de Bachar actuellement en cours sont des offensives de reconquête.
Au plan politique, la Russie, qui a réussi à délégitimiser l'opposition et utilise désormais la perspective de l'élection présidentielle de 2014, a fait une utilisation très habile du refus d'engagement des États-Unis désormais clairement affiché et assumé. L'adoption de la résolution 2118 sur les armes chimiques en Syrie a permis une réconciliation entre les Etats-Unis et la Russie mais surtout a eu pour effet de relégitimiser Assad et de faire oublier, momentanément, la guerre civile. La « bonne volonté » du gouvernement syrien dans le démantèlement de son arsenal chimique, dont il semblerait qu'il ait déclaré 70 % de son stock, procède de ce processus de relégitimisation sur la scène internationale.
Rappelons que le soutien indéfectible de la Russie et l'intransigeance de sa position tiennent au fait que, pour le président Poutine, le choix est entre Assad et les islamistes. Pour la Russie il s'agit d'un combat vital pour sa propre sécurité. Il y a 12 millions de musulmans en Russie et le Caucase est un souci d'inquiétude majeur pour le Kremlin.
Le régime s'appuie sur le soutien de 30 à 35 % de la population et sur la division de l'opposition et de ses soutiens.
En dépit d'une volonté affichée, notamment par le secrétaire général de l'ONU, de voir se tenir la conférence de Genève II, il existait un scepticisme général de l'ensemble des interlocuteurs que nous avons rencontrés. Lors de notre séjour à New York, le coordinateur spécial nommé par le secrétaire général, M. Brahimi, était en déplacement dans la région afin de consolider les volontés politiques. L'attitude plus conciliante des États-Unis vis-à-vis de l'Iran pourrait se traduire par la participation de ce pays à la conférence. La position de notre pays n'est pas fermée à une telle participation pour peu que soient partagés les objectifs énoncés lors de la première conférence de Genève.
L'opposition syrienne s'est enfin mise d'accord, le 9 novembre, sur sa participation à la conférence mais elle l'a assortie de conditions qui ne peuvent qu'être rejetées par le gouvernement syrien et par la Russie. Contredisant le pessimisme général que nous avions rencontré, une date a été retenue pour la tenue de cette conférence qui devrait se tenir le 22 janvier prochain.
Pendant ce temps, la situation humanitaire continue à se dégrader. En matière de santé par exemple, les cliniques et hôpitaux ont été détruits. Il n'y a plus de médicaments fabriqués en Syrie du fait de la destruction des usines. Lors de notre entretien avec Mme Amos, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, celle-ci a souligné l'impact régional de la crise syrienne en particulier sur le Liban et la Jordanie. Une approche globale est donc nécessaire en particulier pour venir au secours des 2 millions de réfugiés syriens dans les autres pays. À l'intérieur du pays l'ONU essaie d'atteindre 4 millions de personnes déplacées et 6,5 millions de personnes vulnérables. C'est plus de 50 % de la population totale qui est affectée par la crise. L'extrême violence du conflit se traduit par un flux continu de réfugiés dont le nombre déstabilise les pays d'accueil. C'est particulièrement le cas au Liban où désormais un cinquième de la population est syrienne. En dépit des difficultés 2,5 millions de personnes sont assistés alimentaires réguliers et 1 million d'enfants ont été vaccinés. Pourtant plus de 2,5 millions de personnes assiégées ne peuvent être atteintes par l'aide de l'ONU. L'action humanitaire des Nations unies s'appuie sur la déclaration du président du Conseil de sécurité mais non sur une résolution. Dans l'hypothèse où la crise pourrait être résolue, l'ONU essaye de lever 4,4 milliards de dollars pour la reconstruction de la Syrie.
L'ensemble des interlocuteurs rencontrés considère que la solution du conflit doit être politique et non militaire. Le département des opérations de maintien de la paix, que dirige notre compatriote Hervé Ladsous, se prépare à un éventuel succès de la conférence de Genève et aux conséquences de la transition qui en résulterait. Il est vraisemblable que la situation sur le terrain sera très violente et il existe donc une préférence pour une opération initiale menée par une coalition de pays volontaires. L'ONU pourrait intervenir après la stabilisation avec une force importante, de l'ordre de 18 000 hommes, avec de gros appuis extérieurs en particulier en ce qui concerne l'appui aérien et le matériel lourd.
Mais ces hypothèses de travail paraissent fragiles et lointaines face au renforcement du régime et à l'évolution de la situation sur le terrain.
Lors de notre entretien avec le représentant permanent russe, l'utilisation du véto a été justifiée par le fait que le changement de régime ne relève pas du Conseil de sécurité et qu'il n'est pas prévu dans la charte de l'ONU. L'exemple des suites de l'intervention en Libye montre, selon notre interlocuteur, les effets négatifs de l'opération dont, en particulier, la déstabilisation du Mali, résultat direct de la désintégration de la Libye.
Selon l'analyse des Russes, le conflit syrien est un conflit interne à dominante religieuse avec une montée en puissance des organisations affiliées à Al Qaïda qui veulent établir un califat islamique en Syrie comme en Irak. L'ambassadeur russe a rappelé l'accord général à la première conférence de Genève. La Russie considère comme un signe très positif l'acceptation par le gouvernement syrien de la destruction de son stock d'armes chimiques prévues par la résolution 2118. Selon l'ambassadeur Churkin une nouvelle dynamique est en marche et il convient d'encourager les parties syriennes à rester autour de la table jusqu'à un accord de compromis politique. Parmi les questions difficiles à traiter lors de la deuxième conférence de Genève, l'avenir du président Assad sera central. L'important est de comprendre que le président Assad ne se trouve pas dans la position d'un Kadhafi isolé au sein de son propre pays et même de ses plus fidèles partisans. Le président Assad est non seulement soutenu par la communauté alaouite mais le régime était également le garant des minorités en Syrie, lesquelles craignent par-dessus tout une victoire des islamistes radicaux. L'exemple de l'Irak où la minorité chrétienne a été contrainte massivement à l'exil est rappelé.
L'ambassadeur Churkin a rappelé l'importance du principe de responsabilité de protéger mais a souligné que ce principe n'était pas destiné à l'origine à soutenir uniquement des interventions militaires. Ce concept est parfois incompatible avec les réalités de la géopolitique.
De son côté la représentation permanente chinoise a rappelé que l'utilisation du véto ne signifiait pas un soutien à Assad. Il reflète au contraire un attachement aux principes de base de la charte des Nations unies qui reposent sur la souveraineté des Etats. C'est aux peuples des pays considérés, et non au Conseil de sécurité, de déterminer si ses dirigeants doivent ou non rester au pouvoir. La Chine soutient une solution politique tout en reconnaissant que la transition sera extrêmement difficile car le gouvernement syrien dispose de soutiens très forts et remporterait vraisemblablement des élections si elles se tenaient aujourd'hui. C'est une réalité qu'il faut regarder en face.
En conclusion de nos entretiens sur cette question nous pouvons retenir plusieurs points :
Les Etats-Unis ont clairement renoncé à toute forme d'intervention militaire en Syrie ;
L'adoption de la résolution 2118, toute utile qu'elle soit, a permis d'occulter les réalités de la guerre civile et de relégitimer le régime Assad ;
Il existe un très fort doute sur la réussite de la Conférence dite de Genève II alors même que la décision des Etats-Unis n'offre d'issue que dans une solution politique ou dans l'écrasement de la rébellion par le régime ;
La Russie sort renforcée de cet épisode et son analyse du conflit, à savoir un conflit interne à dominante religieuse avec la nécessité de contrer une montée en puissance de l'islamisme radical et du terrorisme, tend à prendre le dessus. Du reste le refus par les puissances occidentales d'armer la rébellion s'explique par la crainte de voir ces armements récupérés par l'opposition extrême et se retourner contre l'occident, ce qui accrédite l'analyse russe ;
L'échec possible de la conférence de Genève serait une victoire pour la Russie et la Syrie. Le régime aborderait l'année électorale en position de force au niveau international comme au niveau militaire sur le terrain. Une réélection du président Assad achèverait le processus de relégitimisation entamé avec la résolution 2118. Dans cette hypothèse le conflit interne pourrait encore durer mais le rapport de force entre un régime soutenu par l'Iran, par l'Irak et par le Hezbollah et armé par la Russie et une opposition divisée et mal armée en dépit du soutien de l'Arabie et du Qatar, penche en faveur du premier ;
La France et le Royaume Uni se trouvent de facto marginalisés dans la résolution du conflit. L'Europe a toujours été inexistante et le demeure ;
La victoire d'Assad serait bien aussi une victoire du principe de souveraineté des Etats et un échec du principe de responsabilité de protéger. Elle constituerait une brèche importante dans le primat de l'universalité des principes de la Charte, et notamment des droits de l'homme, au profit des principes de la Realpolitik. La lutte contre le terrorisme et l'extrémisme de l'islam radical justifiant la tolérance envers des régimes dictatoriaux, comme ce fut le cas encore récemment avec la Libye, la Tunisie ou l'Egypte.
Deuxième grand sujet, un peu « académique », de toute AG de l'ONU : le conflit israélo-palestinien que va vous présenter Leila Aïchi.
Alors que le président de la République, M. François Hollande, vient d'effectuer un déplacement officiel en Israël et en Palestine, il convient de souligner la discrétion des positions prises lors de l'ouverture officielle de la 68ème Assemblée générale. Le président ne l'a citée que dans un court paragraphe rappelant la position de la France en faveur de la coexistence de deux Etats dans des frontières justes et reconnues. Dans ses conférences de presse le ministre des Affaires étrangères n'y fait pas allusion.
Est-ce à dire que nous sommes absents du processus ? Je le crois assez volontiers. Certes nous affirmons notre soutien par des mesures de financement de l'autorité palestinienne mais c'est en fait l'Europe qui participe, au nom des 27, au Quartet, et, bien évidemment, les Etats-Unis qui jouent un rôle majeur. L'objectif d'un accord final entre les deux parties étant un axe central du deuxième mandat du président Obama, le Secrétaire d'Etat John Kerry a mis tout son poids dans la relance des négociations à tel point que cet engagement entraine un fort refroidissement de la relation entre le gouvernement américain et Israël qui n'hésite pas à le contourner pour le contrer auprès du Congrès. Il est clair que la France n'est pas un acteur majeur de cette négociation même si elle l'approuve et la soutient. Même si son action bilatérale est importante c'est surtout au sein de l'Union européenne que transite son aide et son appui à des positions collectives.
L'Union européenne a fait valoir sa disponibilité à soutenir les négociations et, en cas de succès, leur mise en oeuvre. La publication, le 19 juillet dernier, de lignes directrices excluant à partir de 2014 les entités israéliennes et leurs activités dans les territoires occupés du bénéfice des programmes financés par l'Union, a provoqué une levée de boucliers de la part des autorités israéliennes. La Commission et le SEAE font toutefois preuve de fermeté sur ce dossier et nous ne pouvons que nous en féliciter. Les lignes directrices traduisent, en effet, une politique constante de l'UE à l'égard des colonies, réaffirmée notamment dans les conclusions du Conseil de mai et décembre 2012. Le Président Abbas a souligné le rôle des lignes directrices dans sa décision de rester à la table des négociations jusqu'au terme des 9 mois prévus.
Sur ce thème nous avons rencontré l'ambassadeur palestinien, M. Mansour et celui d'Israël, M. Ron Prosor.
M. Mansour nous a rappelé que l'enjeu du rehaussement du statut de l'Autorité palestinienne à l'ONU constitue une donnée-clé des négociations de paix. Après avoir acquis en 2011 le statut d'Etat membre de l'UNESCO, l'Autorité palestinienne a en effet enregistré un succès le 29 novembre 2012 en se voyant octroyer, par l'Assemblée générale, le statut d'Etat non membre observateur à l'ONU. Ce nouveau statut offre à la Palestine la possibilité d'adhérer aux organisations des Nations unies et notamment au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ce qui lui permettrait de saisir la Cour pour les violations du droit par Israël dans les territoires occupés. Une perspective redoutée par Israël, même si la Palestine affirme faire preuve de responsabilité et ne pas risquer l'application de la loi américaine qui interdit la participation financière des Etats-Unis aux organisations internationales qui octroieraient le statut d'Etat membre à la Palestine. Aussi les pourparlers de paix ont-ils été entamés sur la base de l'engagement des Palestiniens à s'abstenir de toute initiative dans les organisations internationales pendant les neuf mois prévus pour leur durée. Mais comme le rappelle M. Mansour, la menace d'une adhésion, notamment à la CPI, plane toujours.
Pour les Palestiniens, Israël occupe leur territoire, ne respecte pas les résolutions du Conseil de sécurité et bafoue constamment le droit international, notamment par sa politique de développement des colonies.
Selon M. Mansour, dans les négociations en cours, Israël ne veut parler que de sécurité et prétend contrôler les frontières, les accès aériens, les ressources, ce qui revient à la perpétuation de l'occupation. Il est évident que la Palestine ne peut accepter la présence de soldats israéliens sur son territoire. Il ne se passe donc rien. Aucun progrès n'est constaté.
M. Mansour a réitéré son souhait de voir l'Europe participer pleinement au processus de paix et de ne pas être uniquement une banque. Selon lui Israël joue l'échec des négociations en marginalisant l'Europe, le Conseil de sécurité et le Quartet dans son ensemble. Pour débloquer la situation il faut tirer les conséquences des violations du droit par Israël et lui opposer des sanctions. Un Etat mosaïque ne répond pas aux aspirations du peuple palestinien. Il faut exiger l'arrêt de la colonisation et ensuite négocier sur ce que M. Mansour qualifie « d'hydre » en appliquant un principe simple : ce qui est illégal doit être détruit. On rappellera qu'Israël a refusé toute référence aux frontières de 1967.
La position de l'ambassadeur israélien paraît diamétralement opposée à celle de l'observateur permanent palestinien. Il souligne d'abord l'absence d'un leader susceptible de prendre des décisions sur le terrain pour faire avancer la négociation. Selon l'ambassadeur Ron Prosor, plus on passe par l'ONU pour internationaliser le conflit, moins on est en mesure de faire des progrès. Le travail de concession est beaucoup plus difficile politiquement parlant et il revient aux leaders politiques de prendre des décisions courageuses même si c'est dangereux pour eux.
Les négociations directes, animées par Mme Litvi, en sont à leur septième mois sur les neufs prévus. La négociatrice serait plutôt optimiste bien que les négociations soient très difficiles. Le premier ministre israélien a pris, selon l'ambassadeur, un risque politique considérable. Il n'a en effet pas le soutien de son propre parti et certains de ses ministres à la Knesset font campagne contre la question de Jérusalem, les colonies etc.
Dans le discours du Premier ministre Nétanyahou à l'ONU, deux points peuvent être soulignés selon l'ambassadeur israélien :
- il est significatif qu'il ait très peu parlé des colonies et pas du tout de la question de Jérusalem dans son intervention ;
- en revanche, il a insisté sur la reconnaissance de la nature juive d'Israël comme le veut du reste la résolution 47 du Conseil de sécurité qui prévoyait la création d'un État juif et d'un État arabe. Derrière les termes « État juif » se profile la question de la fixation sans appel des frontières ainsi que le refus du retour des réfugiés ce qui signerait la fin d'Israël.
Le premier ministre israélien a également évoqué la question de la sécurité avec la présence de soldats israéliens à la frontière. Il s'agit, selon l'ambassadeur, d'un arrangement de sécurité que les Palestiniens dénoncent en disant qu'il y a continuation de l'occupation. C'est pourtant ce qui s'est passé en Allemagne ou en Corée du Sud avec une présence de troupes américaines.
Dans tous les autres domaines, il est possible de faire des progrès. La position officielle de l'État d'Israël prône deux Etats.
La situation parait donc durablement bloquée et l'équilibre de l'alliance politique des partis qui soutiennent le Likoud ne permet guère d'optimisme sur une solution convenable tant sur la question des colonies qu'à fortiori sur celle de Jérusalem comme capitale partagée ou, bien sûr, la question des réfugiés.
À Jérusalem comme à Ramallah, le président Hollande a rappelé, en termes diplomatiques, la position de la France qui est, rappelons-le, une position constante, depuis des dizaines années, comme celle de l'Europe. Le seul élément d'optimisme est cette célèbre phrase de Tomaso Guiseppe di Lampedusa dans « le Guépard » : Il faut que tout change pour que rien ne change.
Je repasse à présent le relai à André Vallini sur l'Iran.
L'autre sujet sur le Moyen Orient est bien évidemment l'évolution de la position iranienne. Tous nos interlocuteurs ont souligné le changement de ton de l'Iran dès l'ouverture de la session avec le discours du président Rohani. Mais comme nous le faisait remarquer M. Feltman, secrétaire général adjoint aux affaires politiques, il est trop tôt pour dire si ce changement de ton est un changement de politique.
Se référant au Guide, M. Rohani a proposé que l'Iran et les autres acteurs poursuivent deux objectifs inséparables pour trouver une solution politique au dossier nucléaire de l'Iran :
Il a d'abord fortement réaffirmé que le programme nucléaire de l'Iran doit être exclusivement pacifique. Selon M. Rohani, tel avait été et tel serait toujours le cas. Les armes nucléaires et autres ADM n'avaient pas leur place dans la doctrine de défense et de sécurité de l'Iran, et contredisaient les convictions éthiques et religieuses de l'Iran. L'intérêt national commandait que l'Iran dissipe toute préoccupation raisonnable au sujet du programme nucléaire pacifique de l'Iran.
En second lieu, le droit à l'enrichissement de l'Iran sur son territoire devait être reconnu, ainsi que les autres droits liés au nucléaire. C'était la seule façon de mener à bien le premier objectif. L'Iran maîtrisait la technologie nucléaire, y compris au stade industriel. Il était illusoire, et pour le moins extrêmement irréaliste, de supposer que l'on pouvait s'assurer du caractère pacifique du programme nucléaire en l'entravant au moyen de pressions illégitimes.
En conclusion, M. Rohani a indiqué que l'Iran était prêt à s'engager immédiatement dans des pourparlers à durée limitée et avec pour objectif d'atteindre des résultats concrets, pour construire une confiance mutuelle et dissiper les incompréhensions mutuelles en toute transparence. C'est ce qui s'est passé avec la première réunion de Genève puis avec l'accord finalement signé le 24 novembre dernier.
On le sait, cette « ouverture » a été unanimement soulignée.
La première remarque que nous pouvons faire est de constater l'efficacité des sanctions internationales. Le changement de position du Guide Khamenei aurait été impensable si l'économie iranienne n'était au point de rupture et si des conséquences politiques intérieures vitales n'étaient pas à redouter pour le pouvoir.
La seconde remarque est pour souligner qu'il convient de ne pas s'emballer sauf à prendre le risque de voir le patient travail des sanctions réduit à néant par des concessions hâtives. Les Iraniens ont suffisamment fait preuve de leurs qualités de diplomates faisant trainer les négociations avec le 5+1 et avec l'AIEA en longueur tout en poursuivant un programme nucléaire militaire évident. La question n'est pas de savoir si l'Iran veut ou non rester un Etat du seuil en brandissant la menace de se doter de l'arme atomique pour affermir sa position de grande nation régionale. La question c'est que l'Iran, qui a le droit, comme tout état, au nucléaire civil, doit clairement renoncer à toute velléité de se doter de l'arme atomique.
Dans ce contexte c'est à tort qu'on a attribué à la France une position plus restrictive que les autres membres du 5+1. Nous ne souhaitons tout simplement pas lâcher la proie pour l'ombre. On ne peut avancer que si l'Iran prend des engagements fermes et vérifiables. Pour reprendre l'expression du porte-parole du Quai d'Orsay, notre position est ferme, elle n'est pas fermée. La position de fermeté de la France a permis aux négociations d'aboutir.
Lors de ce son déplacement en Israël, le président de la République avait détaillé quatre demandes précises :
- mettre l'intégralité des installations nucléaires iraniennes sous contrôle international, dès à présent ;
- suspendre l'enrichissement d'uranium à 20 % ;
- réduire le stock existant ;
- arrêter la construction de la centrale d'Arak.
Ces quatre exigences ont bien été prises en compte. Elles ont été du reste celles du 5+1 et non celles uniquement de la France.
Il est intéressant de constater que lors de notre entretien avec l'ambassadeur israélien, c'est l'Iran qui a constitué la question prioritaire. Les réactions israéliennes à l'accord du 24 novembre le confirment si besoin en était.
Après le discours extrêmement offensif du Premier ministre Natanyahou à l'ouverture de l'Assemblée générale, dans lequel il qualifiait le Président Rohani de « loup déguisé en agneau », l'ambassadeur nous a rappelé que l'Iran constitue la principale menace existentielle pour son pays. Outre les aspects nucléaires, il a rappelé que l'Iran était impliqué dans tous les conflits de la zone : en Syrie, au Liban avec le Hezbollah, à Gaza, en Cisjordanie.
Selon lui le danger est que le peuple iranien agit rationnellement sur la base d'une idéologie irrationnelle. Israël n'a aucun doute sur la volonté de l'Iran de se doter de l'arme nucléaire. Seul le maintien des sanctions peut faire suffisamment de pression pour faire bouger les lignes. La recherche d'une solution politique, à laquelle Israël, premier menacé, est favorable, doit s'accompagner du maintien de l'option militaire. Ce fut la même chose en Syrie, jamais Assad n'aurait accepté de négocier sur son arsenal chimique sans la menace d'une offensive militaire imminente. Prenant une comparaison pugilistique, M. Prosor a indiqué que l'Iran était dans les filets, qu'il fallait le mettre KO et ne pas le laisser récupérer.
Israël ne fait aucune confiance aux Iraniens qui veulent conserver une capacité d'enrichissement pour avoir la capacité potentielle de passer au militaire. L'Iran doit se débarrasser de toute capacité d'enrichissement sur le modèle espagnol. M. Netanayou avait demandé de « détruire, démanteler, vérifier ».
On peut remarquer que la difficulté de la négociation de Genève tenait précisément au fait que, pour l'Iran, le maintien d'une capacité d'enrichissement était un point de départ alors qu'il n'était, pour nous et pour le 5+1, qu'un aboutissement. C'est du reste la principale ambiguïté de l'accord puisque, selon des Iraniens, il a été reconnu un droit à l'enrichissement, de façon plus ou moins explicite, alors que le Secrétaire d'Etat, John Kerry, prétend le contraire. Ce sera l'un des enjeux de la mise en oeuvre de l'accord qui est, rappelons-le, un accord intérimaire pour une durée de 6 mois.
L'autre difficulté de la négociation est que l'antiaméricanisme est tout ce qui reste de la Révolution. Le débat est donc aussi, et peut être surtout, un problème de politique intérieure pour l'Iran qui porte sur la perspective ou non d'un accord avec le Grand Satan. De ce point de vue des résultats tangibles pour le peuple iranien seront nécessaires pour conforter le clan modéré. Le risque est celui d'une désillusion des espoirs d'amélioration des conditions de vie suscités par l'accord.
L'ambassadeur russe s'est montré convaincu de la sincérité des Iraniens et a affirmé ne rien avoir à redouter d'un rapprochement de ce pays avec les Etats-Unis.
L'un des obstacles de la négociation, et des négociations à venir, est bien évidemment Israël. Lors du débat du Conseil de sécurité sur le Moyen Orient auquel nous avons assisté et qui a été un redoutable exercice de langue de bois internationale, l'Israélien a dressé un tableau très noir de la politique de l'Iran.
Il est évident que les pressions d'Israël vont continuer tous azimuts. Cela passe par le lobbying sur le Congrès mais aussi, comme on vient de le voir par la décision d'autoriser des constructions de logements dans les colonies ou encore par des contacts avec les pays de la zone opposés à l'Iran.
Les tensions avec le gouvernement Obama sont révélatrices des craintes d'Israël sous la pression de trois évolutions :
Du fait des printemps arabes, Israël ne sera plus, à terme, la seule démocratie de la région. Même si le chemin sera long et difficile, les peuples arabes ne sont pas structurellement voués à la dictature. Comme nous le faisait remarquer Gilles Kepel il y a quelques mois, l'homme arabe a reconquis sa dignité. Il y aura un avant et un après les printemps arabes.
De plus la perspective de l'autonomie énergétique de l'Amérique à l'horizon 2020 grâce au gaz et au pétrole de schiste diminue leur intérêt pour la zone du Moyen Orient.
Enfin, la disparition de ce qu'Israël considère comme une menace existentielle, avec le renoncement possible de l'Iran à l'arme nucléaire, fera que la situation sécuritaire du pays ne sera plus la même. Partant, le soutien inconditionnel des Etats-Unis ne sera plus aussi nécessaire. C'est peut être la meilleure chance d'aboutir pour le processus de paix israélo-palestinien.
Venons-en à L'Afrique que Jean-Marie Bockel va vous présenter.
Comme nous le rappelait l'ambassadeur allemand, M. Peter Wittig, ce continent est le principal bénéficiaire des opérations de maintien de la paix. Nous avons eu à New York deux entretiens extrêmement intéressants. Le premier avec le général Jean-Luc Friedling qui est le chef de la mission militaire de la France auprès des Nations unies, et le second avec Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint pour les opérations de maintien de la paix.
En quelques chiffres, les OMP de l'ONU c'est 15 opérations en cours, 118 000 hommes dont 98 000 « en uniforme ». C'est un budget de 7,3 milliards de dollars sur lequel la quote-part de la France est de 527 millions de dollars. Nous contribuons pour 900 hommes déployés, 52 policiers ou gendarmes et 20 observateurs militaires, ce qui nous place au 24e rang sur 114 pays contributeurs notre principal contingent est celui déployé au Liban dans le cadre de la Finul pour 868 hommes.
L'un des points à souligner est que les pays ne sont pas les pays contributeurs en troupes. La principale contribution financière et celle des États-Unis (28,4 %) suivis du Japon (10,83 %) puis de la France (7,22 %) talonnée par l'Allemagne (7,14 %) puis par le Royaume-Uni (6,68 %) et la Chine (6,64 %).
Les principaux pays contributeurs en troupes sont le Pakistan, le Bangladesh, l'Inde, l'Éthiopie, le Nigéria et le Rwanda.
Le défi principal de ces opérations tient à leur dimension multidimensionnelle et à la capacité de l'ONU à faire la génération de troupes et à réussir les déploiements opérationnels dans des zones enclavées et reculées, sans infrastructures. Une approche globale est nécessaire avec en particulier l'amélioration du travail en partenariat avec les différents acteurs locaux et régionaux. L'allongement de la durée des missions est un problème important d'autant que les forces régionales en attente n'existent pratiquement pas. Le département des opérations de maintien de la paix est par ailleurs confronté à des difficultés logistiques - en particulier les moyens aéroportés - et à la nécessité d'améliorer une capacité autonome d'information.
Trois progrès très significatifs, qu'il convient de porter au bénéfice du secrétaire général adjoint, Hervé Ladsous - méritent d'être soulignés :
Le premier concerne la RDC : pour la première fois, et malgré les réticences d'un certain nombre d'états, a été déployée une brigade d'intervention de 3000 hommes avec un mandat très robuste qui a immédiatement porté ses fruits. Sa mission est de neutraliser les groupes armés comme le M 23. Cela a été autorisé par la résolution 2098 du Conseil de sécurité. C'est une avancée considérable.
Le second, également en RDC, concerne l'emploi de drones de reconnaissance et de renseignement.
Enfin, le secrétaire général adjoint a obtenu la création d'un « inspecteur général des opérations de maintien de la paix » qui lui est directement rattaché et dont la tâche consistera tant à enquêter sur les incidents ponctuels qu'à étudier les problèmes systémiques.
Ce dernier progrès est à mettre en relation directe avec l'importance de la formation des troupes onusiennes à laquelle le Secrétaire général adjoint, Hervé Ladsous, est particulièrement attentif. Il a souligné la priorité qu'il accordait à la qualité (compétence et comportement) des contingents engagés dans les OMP des Nations unies. La question des normes et de la formation (avec une labellisation par l'ONU des activités dispensées par les écoles régionales de formation au maintien de la paix) est particulièrement importante. Je ne rappelle pas l'implication de la France dans la formation militaire à travers notre coopération même si nous ne pouvons que déplorer la baisse des moyens budgétaires qui lui sont consacrés alors qu'il s'agit d'un enjeu majeur.
Face au nombre et à la complexité croissante des OMP, leur rationalisation constitue une triple nécessité opérationnelle, budgétaire et politique. Au-delà de la réduction des dépenses, la maîtrise du coût des OMP et leur meilleure gouvernance financière constituent un objectif politique. L'enjeu est bien de gagner des marges de manoeuvre afin d'être capable de faire face à de nouvelles crises, comme l'illustrent le Mali et la RCA, ou de marquer des efforts sur des opérations déjà engagées.
Notre pays est, avec le Royaume Uni, en pointe sur ces questions à travers la mise en oeuvre du rapport New Horizon. La France entend poursuivre, en liaison avec le DOMP, l'adaptation permanente et l'amélioration de l'efficacité des OMP pour garantir la crédibilité des Nations unies. Le renforcement de la chaîne de commandement, la coopération du Conseil de sécurité avec les contributeurs de troupes, la gestion des phases de transition et de retrait des opérations, la coopération avec les organisations régionales, la coopération inter-missions demeurent aujourd'hui les principaux axes de cet effort.
Nous en venons à présent aux principales crises concernant l'Afrique. Nous avons choisi de nous limiter au Mali et à la République centraficaine. À New York nous avions organisé un très passionnant diner avec les ambassadeurs africains au cours duquel a été évoquée la question de la prévention. Il est évident que les Nations unies ne peuvent continuer à faire de la gestion de crise à répétition et d'être confrontées à l'alternative opération africaine ou OMP des Nations unies. Il faut traiter les problèmes à la racine, de façon globale. À l'initiative française ce sera l'un des thèmes évoqués lors de la réunion au sommet de l'Elysée qui va débuter le 6 décembre.
Dans la suite des recommandations et des analyses de notre rapport d'information sur l'Afrique, notre commission a décidé de se saisir de ce sujet en 2014. Il pose de redoutables problèmes dans lesquels nous retrouvons la ligne de fracture entre ceux qui défendent strictement le principe de la souveraineté des Etats et ceux qui tentent d'élaborer une pratique autour de la notion du devoir de protection.
S'agissant des opérations au Mali, l'un des premiers constats est celui l'unanimité des remerciements faits à la France pour son intervention. Le Secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, a notamment émis le souhait de bénéficier encore dans l'avenir de l'appui politique et militaire de notre pays au Mali.
Comme l'a souligné Hervé Ladsous, la MINUSMA est une opération de maintien de la paix qui, pour la première fois, met l'ONU en présence, non pas d'un gouvernement, mais d'acteurs non étatiques transnationaux comme AQMI ou comme des trafiquants de tout genre. Il n'y a pas à s'interposer entre des belligérants. Il ne s'agit pas de maintenir la paix puisqu'il n'y a pas de guerre, même civile. Cela signifie que les attaques asymétriques seront privilégiées. Le mandat et les moyens d'action sont donc à repenser.
La question qui se pose dans l'immédiat est la montée en puissance de la MINUSMA et l'élargissement des contingents à d'autres pays pour venir compléter la force onusienne. À cet égard, nous ne pouvons que souligner l'importance d'avoir des contingents francophones dans un pays francophone. C'est bien sûr l'une des conditions du succès.
Le principal défi, récurrent pour les OMP, est celui de la mobilité et donc de la mise à disposition d'hélicoptères. Le fait, très positif, que les Pays-Bas se soient récemment engagés avec la mise à disposition de quatre hélicoptères Tigre et des personnels les accompagnant, ne résout pas la question de l'aéromobilité. L'autre point positif est la mise en place d'une escadre d'hélicoptères au Mali, grâce à la mutualisation des moyens du Burkina Faso, du Niger et du Sénégal. Cette opération pourrait servir d'exemple à l'avenir.
La solution de la crise au Mali se trouve bien évidemment dans la gouvernance de ce pays. C'est le défi auquel est confronté le nouveau président de la République en particulier pour réussir la réconciliation et la réforme de l'armée.
Nous ne revenons pas ici sur l'opération en cours si ce n'est pour souligner qu'elle doit s'inscrire dans une stratégie plus large de l'ONU sur la zone sahélienne qui soit parfaitement coordonnée avec la stratégie Sahel de l'Union européenne.
La stratégie, adoptée en 2012 à notre initiative et confiée à Romano Prodi, tourne autour de 3 axes (développement, gouvernance, sécurité). Elle couvre cinq pays (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso) et élargit la perspective à l'Afrique du nord.
L'évènement Sahel qui a eu lieu à New York en marge de l'AGNU a confirmé la mobilisation de l'ensemble des partenaires et du besoin de coordonner les différentes initiatives (ONU, UE, Banque mondiale, CEDEAO, bilatéraux, etc.).
Le secrétaire général de l'ONU a fait récemment une tournée dans la région accompagné du président de la Banque mondiale, de l'Union européenne, de Mme Zuma pour l'Union africaine et de la Banque africaine de développement.
Le succès de ces démarches qui doivent aboutir à des décisions concrètes est la condition indispensable pour permettre le retrait de nos troupes et la limitation de notre contingent à un millier d'hommes. On comprend mieux à travers l'exemple malien l'importance du rôle confié à nos diplomates à l'ONU.
J'en viens à la RCA. Comme au Mali en 2012 notre pays s'est trouvé en pointe en République centrafricaine. L'alerte a été donnée par le Président de la République lors de son discours devant l'AG le 24 septembre. Outre l'urgence humanitaire, quelles sont nos motivations pour intervenir ?
La première est que nous ne voulons pas laisser la situation dégénérer avec un Etat qui n'aurait plus d'Etat que le nom et qui, par contagion, entraînerait une situation extrêmement difficile dans l'ensemble de la région. Si elle se poursuivait, cette déstabilisation de la Centrafrique serait de nature à compromettre la paix et la sécurité dans toute la région et d'attirer un certain nombre de groupes terroristes et criminels. C'est très vraisemblablement le cas avec des éléments importants de Boko Aram et de la LRA, l'armée de résistance du Seigneur.
Cette analyse a été partagée par la communauté internationale puisqu'à la suite de la demande de partenariat en faveur de la force africaine en cours de déploiement (MISCA) adressée par l'UA, la résolution 2121 a été adoptée le 10 octobre à l'unanimité par le Conseil de sécurité.
La résolution appuie le processus politique, qui doit accompagner les efforts de stabilisation, en rappelant que les élections doivent se tenir, comme prévu par la déclaration de N'Djamena et la Charte de transition, 18 mois après le début de la transition soit d'ici février 2015. Elle demande au Secrétaire général un rapport sous 30 jours sur des options de soutien international à la force africaine MISCA, y compris sa possible transformation en OMP lorsque les conditions sur place seront réunies. Ce rapport a été remis le 19 novembre dernier.
M. Ban Ki-Moon a proposé au Conseil de sécurité cinq options pour rétablir la sécurité en République Centrafricaine, dont l'envoi de 6000 casques bleus. Le rapport souligne la grave détérioration de la situation. Ils mettent en exergue le « niveau alarmant de violences intercommunautaires » et les affrontements confessionnels entre chrétiens et musulmans. Il souligne le risque que les affrontements « dégénèrent en conflit religieux et ethnique à l'échelle du pays avec le risque d'aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités ».
Ce rapport permet la poursuite des efforts de mobilisation politique et diplomatique.
Il convient à présent d'entreprendre la négociation de la deuxième résolution qui devrait être adoptée dans les prochains jours. Placée sous chapitre VII, elle devrait donner un mandat robuste à la MISCA, précisera les conditions de soutien international à la force (probablement via une conférence des donateurs pour alimenter un fonds fiduciaire) et ouvrira la perspective d'un passage de cette force africaine sous le casque bleu des Nations unies. Il faut toutefois être bien conscient que le déploiement d'une OMP fait encore l'objet de préventions, notamment africaines mais aussi anglo-saxonnes. De ce point de vue les négociations en cours montrent que le soutien de nos alliés les plus proches se fait du bout des lèvres, ce que nous ne pouvons que regretter.
Les Etats-Unis ne souhaitent pas voir en RCA une réplique de ce que fait l'ONU en Somalie. Ils refusent notamment la mise à disposition d'un paquet logistique. La représentation britannique nous a fait savoir qu'elle n'avait pas d'objection de principe sur le montage d'une OMP en RCA sous réserve que les financements nécessaires ne viennent pas en déduction des fonds alloués pour la Somalie, pays qui constitue une priorité pour le Royaume Uni.
Les discussions à l'ONU posent très concrètement la question de notre politique d'intervention en RCA comme au Mali, peut-être demain dans un autre pays. Le surcoût des OPEX en 2013 constaté en loi de finances rectificative est de 1,26 milliard d'euros à comparer aux 650 millions budgétés en LFI. C'est le coût supplémentaire de Serval qui explique ce doublement. Certes, le financement est couvert par la réserve interministérielle et ne pèse pas sur le budget du ministère de la défense mais nous voyons bien la limite de la multiplication des interventions alors même que nous avons beaucoup de mal à seulement stabiliser les crédits en euros constants.
Ces interventions sont pleinement justifiées par l'urgence humanitaire et par le risque de déstabilisation régionale dont les conséquences sont directes sur la sécurité des zones concernées mais aussi sur celle de nos pays. Nous le savons, les frontières n'arrêtent plus les menaces. Ce double impératif nous conduit à assumer nos responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité. Mais il est évident que nous ne pouvons supporter le poids tant militaire que financier de ces interventions. Le relai des organisations régionales et de l'ONU sur ses deux plans est indispensable. Nous ne pouvons être durablement les seuls à prendre nos responsabilités.
Le compte rendu qui vient de nous être fait montre tout l'intérêt des missions que notre commission effectue chaque année à l'ONU. Sur les grandes questions internationales elles nous permettent de confronter nos points de vue et nos analyses. Il en va de même du forum transatlantique qui vient de se tenir à Washington et auquel j'ai participé avec Jacques Gautier. Sur la Syrie ou sur l'Iran, nous avons pu constater l'évolution de la politique américaine qui n'entend plus être le gendarme du monde et l'opinion publique a été très désemparée par les bilans obtenus en Irak et en Afghanistan. Nous avons pu également constater le blocage du Congrès américain par le parti républicain qui, paradoxalement, donne une marge supplémentaire au secrétaire d'État John Kerry dans les négociations qu'il mène. Beaucoup de nos interlocuteurs ont fait état pour l'avenir d'alliances de circonstance comme par exemple celle qui pourrait avoir lieu entre Israël et l'Arabie Saoudite contre l'Iran.
L'ONU ne rencontre-t-elle pas les mêmes difficultés financières pour le financement de ses opérations de maintien de la paix que celles que nous connaissons ?
Le budget des opérations de maintien de la paix dépasse les 7 milliards de dollars alors même que de nouvelles opérations lourdes se profilent comme par exemple celles en RCA mais surtout celle, si elle intervient, en Syrie. Cela pose naturellement un problème très important et c'est la raison pour laquelle j'ai insisté tout à l'heure sur la bonne gestion financière de l'organisation. S'agissant des OMP il faut distinguer ceux qui payent - pour simplifier les états occidentaux - de ceux qui fournissent des soldats.
Pour éviter la dérive des coûts il est vital que notre pays comme l'Europe, tout comme l'ONU, doivent avoir une doctrine en matière de suivi des opérations. Il est absolument nécessaire lorsque nous intervenons d'avoir une claire vision de la suite des opérations et notamment des moyens à mettre en oeuvre pour reconstruire des Etats. Je crois que, notamment dans le cadre européen, il faudrait trouver un mécanisme pour que ceux qui ne veulent pas participer militairement puissent participer financièrement aux opérations.
La prévention des conflits est fondamentale. L'Europe et, au sein de celle-ci la France, devraient être leaders dans ce domaine. La communauté internationale ne prend pas assez en compte les questions environnementales qui sont potentiellement génératrices de conflits.
Il est évident qu'après l'usage de la force pour remédier à des situations d'urgence la seule solution est d'ordre politique. S'agissant du Mali ou de la RCA c'est à l'Afrique de régler ses propres problèmes à travers ses organisations sous régionales et l'action de l'Union africaine. Il est nécessaire que l'Afrique se dote progressivement des attributs de la puissance. La France n'a pas vocation à être le gendarme du monde.
Au regard des dernières interventions en Libye, au Mali ou en RCA, cela en donne pourtant l'impression ! Il est extrêmement préoccupant que nous n'ayons pas réussi à entraîner l'Europe qui est pourtant tout autant concernée que la France par la déstabilisation de ces pays. À part au Royaume-Uni, je ne constate aucune prise de conscience que l'Afrique est notre frontière sud commune.
Le Conseil européen qui doit se tenir les 19 et 20 décembre prochain devrait définir une stratégie européenne. Or les échanges que nous avons avec les autres Européens montrent qu'il n'y a aucune analyse commune des menaces. Très peu de pays considèrent l'Afrique comme une menace.