Intervention de André Vallini

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 décembre 2013 : 1ère réunion
68ème assemblée générale de l'onu — Communication

Photo de André ValliniAndré Vallini :

L'autre sujet sur le Moyen Orient est bien évidemment l'évolution de la position iranienne. Tous nos interlocuteurs ont souligné le changement de ton de l'Iran dès l'ouverture de la session avec le discours du président Rohani. Mais comme nous le faisait remarquer M. Feltman, secrétaire général adjoint aux affaires politiques, il est trop tôt pour dire si ce changement de ton est un changement de politique.

Se référant au Guide, M. Rohani a proposé que l'Iran et les autres acteurs poursuivent deux objectifs inséparables pour trouver une solution politique au dossier nucléaire de l'Iran :

Il a d'abord fortement réaffirmé que le programme nucléaire de l'Iran doit être exclusivement pacifique. Selon M. Rohani, tel avait été et tel serait toujours le cas. Les armes nucléaires et autres ADM n'avaient pas leur place dans la doctrine de défense et de sécurité de l'Iran, et contredisaient les convictions éthiques et religieuses de l'Iran. L'intérêt national commandait que l'Iran dissipe toute préoccupation raisonnable au sujet du programme nucléaire pacifique de l'Iran.

En second lieu, le droit à l'enrichissement de l'Iran sur son territoire devait être reconnu, ainsi que les autres droits liés au nucléaire. C'était la seule façon de mener à bien le premier objectif. L'Iran maîtrisait la technologie nucléaire, y compris au stade industriel. Il était illusoire, et pour le moins extrêmement irréaliste, de supposer que l'on pouvait s'assurer du caractère pacifique du programme nucléaire en l'entravant au moyen de pressions illégitimes.

En conclusion, M. Rohani a indiqué que l'Iran était prêt à s'engager immédiatement dans des pourparlers à durée limitée et avec pour objectif d'atteindre des résultats concrets, pour construire une confiance mutuelle et dissiper les incompréhensions mutuelles en toute transparence. C'est ce qui s'est passé avec la première réunion de Genève puis avec l'accord finalement signé le 24 novembre dernier.

On le sait, cette « ouverture » a été unanimement soulignée.

La première remarque que nous pouvons faire est de constater l'efficacité des sanctions internationales. Le changement de position du Guide Khamenei aurait été impensable si l'économie iranienne n'était au point de rupture et si des conséquences politiques intérieures vitales n'étaient pas à redouter pour le pouvoir.

La seconde remarque est pour souligner qu'il convient de ne pas s'emballer sauf à prendre le risque de voir le patient travail des sanctions réduit à néant par des concessions hâtives. Les Iraniens ont suffisamment fait preuve de leurs qualités de diplomates faisant trainer les négociations avec le 5+1 et avec l'AIEA en longueur tout en poursuivant un programme nucléaire militaire évident. La question n'est pas de savoir si l'Iran veut ou non rester un Etat du seuil en brandissant la menace de se doter de l'arme atomique pour affermir sa position de grande nation régionale. La question c'est que l'Iran, qui a le droit, comme tout état, au nucléaire civil, doit clairement renoncer à toute velléité de se doter de l'arme atomique.

Dans ce contexte c'est à tort qu'on a attribué à la France une position plus restrictive que les autres membres du 5+1. Nous ne souhaitons tout simplement pas lâcher la proie pour l'ombre. On ne peut avancer que si l'Iran prend des engagements fermes et vérifiables. Pour reprendre l'expression du porte-parole du Quai d'Orsay, notre position est ferme, elle n'est pas fermée. La position de fermeté de la France a permis aux négociations d'aboutir.

Lors de ce son déplacement en Israël, le président de la République avait détaillé quatre demandes précises :

- mettre l'intégralité des installations nucléaires iraniennes sous contrôle international, dès à présent ;

- suspendre l'enrichissement d'uranium à 20 % ;

- réduire le stock existant ;

- arrêter la construction de la centrale d'Arak.

Ces quatre exigences ont bien été prises en compte. Elles ont été du reste celles du 5+1 et non celles uniquement de la France.

Il est intéressant de constater que lors de notre entretien avec l'ambassadeur israélien, c'est l'Iran qui a constitué la question prioritaire. Les réactions israéliennes à l'accord du 24 novembre le confirment si besoin en était.

Après le discours extrêmement offensif du Premier ministre Natanyahou à l'ouverture de l'Assemblée générale, dans lequel il qualifiait le Président Rohani de « loup déguisé en agneau », l'ambassadeur nous a rappelé que l'Iran constitue la principale menace existentielle pour son pays. Outre les aspects nucléaires, il a rappelé que l'Iran était impliqué dans tous les conflits de la zone : en Syrie, au Liban avec le Hezbollah, à Gaza, en Cisjordanie.

Selon lui le danger est que le peuple iranien agit rationnellement sur la base d'une idéologie irrationnelle. Israël n'a aucun doute sur la volonté de l'Iran de se doter de l'arme nucléaire. Seul le maintien des sanctions peut faire suffisamment de pression pour faire bouger les lignes. La recherche d'une solution politique, à laquelle Israël, premier menacé, est favorable, doit s'accompagner du maintien de l'option militaire. Ce fut la même chose en Syrie, jamais Assad n'aurait accepté de négocier sur son arsenal chimique sans la menace d'une offensive militaire imminente. Prenant une comparaison pugilistique, M. Prosor a indiqué que l'Iran était dans les filets, qu'il fallait le mettre KO et ne pas le laisser récupérer.

Israël ne fait aucune confiance aux Iraniens qui veulent conserver une capacité d'enrichissement pour avoir la capacité potentielle de passer au militaire. L'Iran doit se débarrasser de toute capacité d'enrichissement sur le modèle espagnol. M. Netanayou avait demandé de « détruire, démanteler, vérifier ».

On peut remarquer que la difficulté de la négociation de Genève tenait précisément au fait que, pour l'Iran, le maintien d'une capacité d'enrichissement était un point de départ alors qu'il n'était, pour nous et pour le 5+1, qu'un aboutissement. C'est du reste la principale ambiguïté de l'accord puisque, selon des Iraniens, il a été reconnu un droit à l'enrichissement, de façon plus ou moins explicite, alors que le Secrétaire d'Etat, John Kerry, prétend le contraire. Ce sera l'un des enjeux de la mise en oeuvre de l'accord qui est, rappelons-le, un accord intérimaire pour une durée de 6 mois.

L'autre difficulté de la négociation est que l'antiaméricanisme est tout ce qui reste de la Révolution. Le débat est donc aussi, et peut être surtout, un problème de politique intérieure pour l'Iran qui porte sur la perspective ou non d'un accord avec le Grand Satan. De ce point de vue des résultats tangibles pour le peuple iranien seront nécessaires pour conforter le clan modéré. Le risque est celui d'une désillusion des espoirs d'amélioration des conditions de vie suscités par l'accord.

L'ambassadeur russe s'est montré convaincu de la sincérité des Iraniens et a affirmé ne rien avoir à redouter d'un rapprochement de ce pays avec les Etats-Unis.

L'un des obstacles de la négociation, et des négociations à venir, est bien évidemment Israël. Lors du débat du Conseil de sécurité sur le Moyen Orient auquel nous avons assisté et qui a été un redoutable exercice de langue de bois internationale, l'Israélien a dressé un tableau très noir de la politique de l'Iran.

Il est évident que les pressions d'Israël vont continuer tous azimuts. Cela passe par le lobbying sur le Congrès mais aussi, comme on vient de le voir par la décision d'autoriser des constructions de logements dans les colonies ou encore par des contacts avec les pays de la zone opposés à l'Iran.

Les tensions avec le gouvernement Obama sont révélatrices des craintes d'Israël sous la pression de trois évolutions :

Du fait des printemps arabes, Israël ne sera plus, à terme, la seule démocratie de la région. Même si le chemin sera long et difficile, les peuples arabes ne sont pas structurellement voués à la dictature. Comme nous le faisait remarquer Gilles Kepel il y a quelques mois, l'homme arabe a reconquis sa dignité. Il y aura un avant et un après les printemps arabes.

De plus la perspective de l'autonomie énergétique de l'Amérique à l'horizon 2020 grâce au gaz et au pétrole de schiste diminue leur intérêt pour la zone du Moyen Orient.

Enfin, la disparition de ce qu'Israël considère comme une menace existentielle, avec le renoncement possible de l'Iran à l'arme nucléaire, fera que la situation sécuritaire du pays ne sera plus la même. Partant, le soutien inconditionnel des Etats-Unis ne sera plus aussi nécessaire. C'est peut être la meilleure chance d'aboutir pour le processus de paix israélo-palestinien.

Venons-en à L'Afrique que Jean-Marie Bockel va vous présenter.

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