Intervention de Jean-Marie Bockel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 décembre 2013 : 1ère réunion
68ème assemblée générale de l'onu — Communication

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel :

Comme nous le rappelait l'ambassadeur allemand, M. Peter Wittig, ce continent est le principal bénéficiaire des opérations de maintien de la paix. Nous avons eu à New York deux entretiens extrêmement intéressants. Le premier avec le général Jean-Luc Friedling qui est le chef de la mission militaire de la France auprès des Nations unies, et le second avec Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint pour les opérations de maintien de la paix.

En quelques chiffres, les OMP de l'ONU c'est 15 opérations en cours, 118 000 hommes dont 98 000 « en uniforme ». C'est un budget de 7,3 milliards de dollars sur lequel la quote-part de la France est de 527 millions de dollars. Nous contribuons pour 900 hommes déployés, 52 policiers ou gendarmes et 20 observateurs militaires, ce qui nous place au 24e rang sur 114 pays contributeurs notre principal contingent est celui déployé au Liban dans le cadre de la Finul pour 868 hommes.

L'un des points à souligner est que les pays ne sont pas les pays contributeurs en troupes. La principale contribution financière et celle des États-Unis (28,4 %) suivis du Japon (10,83 %) puis de la France (7,22 %) talonnée par l'Allemagne (7,14 %) puis par le Royaume-Uni (6,68 %) et la Chine (6,64 %).

Les principaux pays contributeurs en troupes sont le Pakistan, le Bangladesh, l'Inde, l'Éthiopie, le Nigéria et le Rwanda.

Le défi principal de ces opérations tient à leur dimension multidimensionnelle et à la capacité de l'ONU à faire la génération de troupes et à réussir les déploiements opérationnels dans des zones enclavées et reculées, sans infrastructures. Une approche globale est nécessaire avec en particulier l'amélioration du travail en partenariat avec les différents acteurs locaux et régionaux. L'allongement de la durée des missions est un problème important d'autant que les forces régionales en attente n'existent pratiquement pas. Le département des opérations de maintien de la paix est par ailleurs confronté à des difficultés logistiques - en particulier les moyens aéroportés - et à la nécessité d'améliorer une capacité autonome d'information.

Trois progrès très significatifs, qu'il convient de porter au bénéfice du secrétaire général adjoint, Hervé Ladsous - méritent d'être soulignés :

Le premier concerne la RDC : pour la première fois, et malgré les réticences d'un certain nombre d'états, a été déployée une brigade d'intervention de 3000 hommes avec un mandat très robuste qui a immédiatement porté ses fruits. Sa mission est de neutraliser les groupes armés comme le M 23. Cela a été autorisé par la résolution 2098 du Conseil de sécurité. C'est une avancée considérable.

Le second, également en RDC, concerne l'emploi de drones de reconnaissance et de renseignement.

Enfin, le secrétaire général adjoint a obtenu la création d'un « inspecteur général des opérations de maintien de la paix » qui lui est directement rattaché et dont la tâche consistera tant à enquêter sur les incidents ponctuels qu'à étudier les problèmes systémiques.

Ce dernier progrès est à mettre en relation directe avec l'importance de la formation des troupes onusiennes à laquelle le Secrétaire général adjoint, Hervé Ladsous, est particulièrement attentif. Il a souligné la priorité qu'il accordait à la qualité (compétence et comportement) des contingents engagés dans les OMP des Nations unies. La question des normes et de la formation (avec une labellisation par l'ONU des activités dispensées par les écoles régionales de formation au maintien de la paix) est particulièrement importante. Je ne rappelle pas l'implication de la France dans la formation militaire à travers notre coopération même si nous ne pouvons que déplorer la baisse des moyens budgétaires qui lui sont consacrés alors qu'il s'agit d'un enjeu majeur.

Face au nombre et à la complexité croissante des OMP, leur rationalisation constitue une triple nécessité opérationnelle, budgétaire et politique. Au-delà de la réduction des dépenses, la maîtrise du coût des OMP et leur meilleure gouvernance financière constituent un objectif politique. L'enjeu est bien de gagner des marges de manoeuvre afin d'être capable de faire face à de nouvelles crises, comme l'illustrent le Mali et la RCA, ou de marquer des efforts sur des opérations déjà engagées.

Notre pays est, avec le Royaume Uni, en pointe sur ces questions à travers la mise en oeuvre du rapport New Horizon. La France entend poursuivre, en liaison avec le DOMP, l'adaptation permanente et l'amélioration de l'efficacité des OMP pour garantir la crédibilité des Nations unies. Le renforcement de la chaîne de commandement, la coopération du Conseil de sécurité avec les contributeurs de troupes, la gestion des phases de transition et de retrait des opérations, la coopération avec les organisations régionales, la coopération inter-missions demeurent aujourd'hui les principaux axes de cet effort.

Nous en venons à présent aux principales crises concernant l'Afrique. Nous avons choisi de nous limiter au Mali et à la République centraficaine. À New York nous avions organisé un très passionnant diner avec les ambassadeurs africains au cours duquel a été évoquée la question de la prévention. Il est évident que les Nations unies ne peuvent continuer à faire de la gestion de crise à répétition et d'être confrontées à l'alternative opération africaine ou OMP des Nations unies. Il faut traiter les problèmes à la racine, de façon globale. À l'initiative française ce sera l'un des thèmes évoqués lors de la réunion au sommet de l'Elysée qui va débuter le 6 décembre.

Dans la suite des recommandations et des analyses de notre rapport d'information sur l'Afrique, notre commission a décidé de se saisir de ce sujet en 2014. Il pose de redoutables problèmes dans lesquels nous retrouvons la ligne de fracture entre ceux qui défendent strictement le principe de la souveraineté des Etats et ceux qui tentent d'élaborer une pratique autour de la notion du devoir de protection.

S'agissant des opérations au Mali, l'un des premiers constats est celui l'unanimité des remerciements faits à la France pour son intervention. Le Secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, a notamment émis le souhait de bénéficier encore dans l'avenir de l'appui politique et militaire de notre pays au Mali.

Comme l'a souligné Hervé Ladsous, la MINUSMA est une opération de maintien de la paix qui, pour la première fois, met l'ONU en présence, non pas d'un gouvernement, mais d'acteurs non étatiques transnationaux comme AQMI ou comme des trafiquants de tout genre. Il n'y a pas à s'interposer entre des belligérants. Il ne s'agit pas de maintenir la paix puisqu'il n'y a pas de guerre, même civile. Cela signifie que les attaques asymétriques seront privilégiées. Le mandat et les moyens d'action sont donc à repenser.

La question qui se pose dans l'immédiat est la montée en puissance de la MINUSMA et l'élargissement des contingents à d'autres pays pour venir compléter la force onusienne. À cet égard, nous ne pouvons que souligner l'importance d'avoir des contingents francophones dans un pays francophone. C'est bien sûr l'une des conditions du succès.

Le principal défi, récurrent pour les OMP, est celui de la mobilité et donc de la mise à disposition d'hélicoptères. Le fait, très positif, que les Pays-Bas se soient récemment engagés avec la mise à disposition de quatre hélicoptères Tigre et des personnels les accompagnant, ne résout pas la question de l'aéromobilité. L'autre point positif est la mise en place d'une escadre d'hélicoptères au Mali, grâce à la mutualisation des moyens du Burkina Faso, du Niger et du Sénégal. Cette opération pourrait servir d'exemple à l'avenir.

La solution de la crise au Mali se trouve bien évidemment dans la gouvernance de ce pays. C'est le défi auquel est confronté le nouveau président de la République en particulier pour réussir la réconciliation et la réforme de l'armée.

Nous ne revenons pas ici sur l'opération en cours si ce n'est pour souligner qu'elle doit s'inscrire dans une stratégie plus large de l'ONU sur la zone sahélienne qui soit parfaitement coordonnée avec la stratégie Sahel de l'Union européenne.

La stratégie, adoptée en 2012 à notre initiative et confiée à Romano Prodi, tourne autour de 3 axes (développement, gouvernance, sécurité). Elle couvre cinq pays (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso) et élargit la perspective à l'Afrique du nord.

L'évènement Sahel qui a eu lieu à New York en marge de l'AGNU a confirmé la mobilisation de l'ensemble des partenaires et du besoin de coordonner les différentes initiatives (ONU, UE, Banque mondiale, CEDEAO, bilatéraux, etc.).

Le secrétaire général de l'ONU a fait récemment une tournée dans la région accompagné du président de la Banque mondiale, de l'Union européenne, de Mme Zuma pour l'Union africaine et de la Banque africaine de développement.

Le succès de ces démarches qui doivent aboutir à des décisions concrètes est la condition indispensable pour permettre le retrait de nos troupes et la limitation de notre contingent à un millier d'hommes. On comprend mieux à travers l'exemple malien l'importance du rôle confié à nos diplomates à l'ONU.

J'en viens à la RCA. Comme au Mali en 2012 notre pays s'est trouvé en pointe en République centrafricaine. L'alerte a été donnée par le Président de la République lors de son discours devant l'AG le 24 septembre. Outre l'urgence humanitaire, quelles sont nos motivations pour intervenir ?

La première est que nous ne voulons pas laisser la situation dégénérer avec un Etat qui n'aurait plus d'Etat que le nom et qui, par contagion, entraînerait une situation extrêmement difficile dans l'ensemble de la région. Si elle se poursuivait, cette déstabilisation de la Centrafrique serait de nature à compromettre la paix et la sécurité dans toute la région et d'attirer un certain nombre de groupes terroristes et criminels. C'est très vraisemblablement le cas avec des éléments importants de Boko Aram et de la LRA, l'armée de résistance du Seigneur.

Cette analyse a été partagée par la communauté internationale puisqu'à la suite de la demande de partenariat en faveur de la force africaine en cours de déploiement (MISCA) adressée par l'UA, la résolution 2121 a été adoptée le 10 octobre à l'unanimité par le Conseil de sécurité.

La résolution appuie le processus politique, qui doit accompagner les efforts de stabilisation, en rappelant que les élections doivent se tenir, comme prévu par la déclaration de N'Djamena et la Charte de transition, 18 mois après le début de la transition soit d'ici février 2015. Elle demande au Secrétaire général un rapport sous 30 jours sur des options de soutien international à la force africaine MISCA, y compris sa possible transformation en OMP lorsque les conditions sur place seront réunies. Ce rapport a été remis le 19 novembre dernier.

M. Ban Ki-Moon a proposé au Conseil de sécurité cinq options pour rétablir la sécurité en République Centrafricaine, dont l'envoi de 6000 casques bleus. Le rapport souligne la grave détérioration de la situation. Ils mettent en exergue le « niveau alarmant de violences intercommunautaires » et les affrontements confessionnels entre chrétiens et musulmans. Il souligne le risque que les affrontements « dégénèrent en conflit religieux et ethnique à l'échelle du pays avec le risque d'aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités ».

Ce rapport permet la poursuite des efforts de mobilisation politique et diplomatique.

Il convient à présent d'entreprendre la négociation de la deuxième résolution qui devrait être adoptée dans les prochains jours. Placée sous chapitre VII, elle devrait donner un mandat robuste à la MISCA, précisera les conditions de soutien international à la force (probablement via une conférence des donateurs pour alimenter un fonds fiduciaire) et ouvrira la perspective d'un passage de cette force africaine sous le casque bleu des Nations unies. Il faut toutefois être bien conscient que le déploiement d'une OMP fait encore l'objet de préventions, notamment africaines mais aussi anglo-saxonnes. De ce point de vue les négociations en cours montrent que le soutien de nos alliés les plus proches se fait du bout des lèvres, ce que nous ne pouvons que regretter.

Les Etats-Unis ne souhaitent pas voir en RCA une réplique de ce que fait l'ONU en Somalie. Ils refusent notamment la mise à disposition d'un paquet logistique. La représentation britannique nous a fait savoir qu'elle n'avait pas d'objection de principe sur le montage d'une OMP en RCA sous réserve que les financements nécessaires ne viennent pas en déduction des fonds alloués pour la Somalie, pays qui constitue une priorité pour le Royaume Uni.

Les discussions à l'ONU posent très concrètement la question de notre politique d'intervention en RCA comme au Mali, peut-être demain dans un autre pays. Le surcoût des OPEX en 2013 constaté en loi de finances rectificative est de 1,26 milliard d'euros à comparer aux 650 millions budgétés en LFI. C'est le coût supplémentaire de Serval qui explique ce doublement. Certes, le financement est couvert par la réserve interministérielle et ne pèse pas sur le budget du ministère de la défense mais nous voyons bien la limite de la multiplication des interventions alors même que nous avons beaucoup de mal à seulement stabiliser les crédits en euros constants.

Ces interventions sont pleinement justifiées par l'urgence humanitaire et par le risque de déstabilisation régionale dont les conséquences sont directes sur la sécurité des zones concernées mais aussi sur celle de nos pays. Nous le savons, les frontières n'arrêtent plus les menaces. Ce double impératif nous conduit à assumer nos responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité. Mais il est évident que nous ne pouvons supporter le poids tant militaire que financier de ces interventions. Le relai des organisations régionales et de l'ONU sur ses deux plans est indispensable. Nous ne pouvons être durablement les seuls à prendre nos responsabilités.

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