Intervention de Alain Richard

Réunion du 9 décembre 2013 à 16h00
Simplification et sécurisation de la vie des entreprises — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Madame la ministre, il me revient de vous apporter le soutien du groupe socialiste, en l’assortissant de quelques observations et suggestions afin d’améliorer ce projet de loi, qui a déjà reçu l’approbation de l’Assemblée nationale.

La simplification est une mission à laquelle nous adhérons tous. Il nous faut toutefois prendre un bref temps de réflexion pour essayer de comprendre les questions de société sous-jacentes. Quand on parle de simplification, on porte une appréciation économique, sociale ou sociétale : on affirme que le dispositif d’encadrement juridique des activités de la société est excessif et en partie dysfonctionnel. Il arrive trop souvent, au Parlement ou dans les débats académiques qui accompagnent les débats parlementaires, que l’appréciation soit traduite en termes de bien et de mal, en cherchant qui est fautif de l’absence de simplification et de la surcharge juridique et réglementaire qui en résulte.

Il me semble que, face aux difficultés sérieuses que connaissent un certain nombre de fonctions sociales, dont la fonction d’entreprendre, notre mission n’est pas de distribuer les bons et les mauvais points, mais de réfléchir sur les mouvements d’intérêts en confrontation qui ont conduit à l’empilement normatif, et de rechercher les intérêts communs, qui peuvent exister dans une société complexe, pour rétablir un système de règles opérationnel, équitable et durable. Je souhaite, très modestement, que nous n’ayons pas une approche moralisatrice ou distributrice de critiques : essayons plutôt, comme nous l’avons fait la semaine dernière sur l’initiative de la commission pour le contrôle de l’application des lois, de comprendre les mécanismes qui ont conduit à l’empilement, afin de traiter le fond des problèmes.

Le présent projet de loi comporte certes quelques éléments de dispersion, mais ses objectifs sont essentiellement concentrés sur les charges normatives qui pèsent sur les entreprises. Le principal mérite de ce texte est de proposer, sous la forme, il est vrai, d’habilitations à prendre des ordonnances, une série de modifications concrètes qui produiront leurs effets dès les premiers mois de l’année 2014.

Pour contrebalancer les observations, tout à fait légitimes et justifiables, de ceux qui regrettent l’absence de débat parlementaire approfondi, je tiens à souligner – et Mme la ministre pourra le repréciser lors de l’examen de tel ou tel article – que l’essentiel des mesures de simplification ont déjà fait l’objet de concertations préalables approfondies. J’en profite pour relever la grande qualité des travaux du rapporteur et des rapporteurs pour avis, qui font état des nombreuses concertations qui ont été réalisées. Elles montrent bien que les mesures de simplification envisagées n’ont pas été inventées dans l’improvisation, mais sont le résultat d’une réflexion en lien avec les différents intérêts de la société. Je pense d’ailleurs que ces mesures recevront l’approbation générale des acteurs concernés lorsque les ordonnances seront publiées.

J’ajoute, en réponse aux interrogations qui portent sur le défaut d’urgence ou la possibilité de poursuivre le débat parlementaire, que certaines des dispositions proposées, qui pourraient entrer en vigueur dans un délai assez court, répondent à un objectif de sécurisation. Une partie des modifications qui interviendront par voie d’ordonnance, si l’habilitation est approuvée, permettra de régler des situations de fragilité juridique dues soit à l’existence de textes contradictoires qui soulèvent des difficultés dans l’application de la loi, soit à des décisions de l’autorité judiciaire ou du Conseil constitutionnel qui ont fragilisé le droit existant.

Il me semble donc qu’il existe des arguments sérieux pour justifier le recours à l’habilitation. Comme il est naturel, ce choix suscite des interrogations ; il en allait de même sous la précédente majorité. Cependant – André Reichardt l’a dit très justement –, suivant le type de dispositions envisagées et leur degré de maturation en termes d’apport juridique, on peut, me semble-t-il, émettre un jugement nuancé et reconnaître l’utilité de cette procédure que, du reste, personne n’a jamais modifiée depuis cinquante-cinq ans qu’elle figure dans la Constitution.

Je mentionnerai quelques-unes des mesures que, pour ma part, j’approuve pleinement. Grâce à l’expérience que mes fonctions de législateur m’ont permis d’acquérir au contact des entreprises, et notamment des petites et moyennes entreprises, je sais que ces mesures apporteront des progrès concrets. Je pense par exemple à la réduction des obligations de publication de comptes pour les micro-entreprises, à l’encouragement de la facturation électronique pour les entreprises fournisseurs de marchés publics, ou encore au développement du financement participatif, qui bénéficie à présent d’un fort soutien au sein de la société française.

Des mesures de simplification sont également prévues dans le domaine du droit des affaires. Il est vrai que, sur un plan purement théorique, il serait intéressant d’en débattre au Parlement. Mais nous savons d’expérience qu’il s’agirait d’un débat de spécialistes, auxquels seuls quelques-uns d’entre nous prendraient part. Si le Gouvernement – c’est un point sur lequel je reviendrai – se montre vraiment déterminé à poursuivre la concertation avec les parlementaires pendant la période d’habilitation, la qualité du débat ne sera pas très éloignée de ce qu’elle aurait été si nous avions examiné ces mesures en séance publique.

Mes chers collègues, je souhaite appeler votre attention sur trois ou quatre mesures qui me paraissent particulièrement positives, même si elles peuvent donner lieu à discussion. Je pense notamment à l’adaptation de notre code monétaire et financier au droit de l’Union européenne en matière de surveillance prudentielle des établissements financiers. Alors que, pendant des mois, la France a mené le débat au sein de l’Union européenne pour obtenir des décisions de principe importantes, qui habilitent la Banque centrale européenne à mettre en place un système efficace d’encadrement prudentiel, il serait singulier que nous soyons parmi les derniers à transposer ces nouvelles dispositions européennes.

Nos échanges dans le cadre de la commission des affaires européennes ont montré que ces dispositions faisaient l’objet d’un accord très large. Leur adoption représente un succès pour la France, d’autant que, au départ, il n’existait pas de convergence avec l’Allemagne sur ce sujet. Notre pays a fait sérieusement avancer la réflexion européenne en matière d’encadrement et de sécurisation du système bancaire. À partir de ce constat, j’estime que nous pouvons en confiance habiliter le Gouvernement à transposer rapidement les nouvelles dispositions dans notre droit financier.

Je voudrais également insister sur la réforme, d’ailleurs limitée, des procédures collectives. Dans une période de ralentissement économique qui voit un nombre croissant d’entreprises aller devant les tribunaux de commerce, cet ensemble de dispositions relatives à un sujet dont on discute depuis des années, et sur lequel les positions des uns et des autres sont bien connues, favorisera le sauvetage de ce qui peut l’être dans les entreprises en difficulté. Nous jouons notre rôle en permettant au Gouvernement de prendre des ordonnances – j’indique au passage que je suis favorable à la précision de l’habilitation suggérée par notre rapporteur Thani Mohamed Soilihi – plutôt que de reporter une nouvelle fois la réalisation de cette réforme.

Par ailleurs, des orateurs ayant exprimé la même position que celle du groupe socialiste, je ne reviendrai que brièvement sur les deux procédures spécifiques introduites en matière de droit de l’environnement. À cet égard, je tiens à remercier notre collègue Esther Benbassa, qui s’est exprimée au nom du groupe écologiste, de la bonne foi avec laquelle elle a abordé le sujet. En effet, il faut préciser que ces deux procédures simplifiées ne réduisent aucune des obligations écologiques de fond, c’est-à-dire que les obligations au regard du respect de l’environnement, du paysage et du voisinage qui s’appliquent, par exemple, lors de l’implantation d’éoliennes, restent en vigueur. C’est simplement la procédure de vérification du respect de ces conditions qui va être simplifiée. Il en va de même pour le certificat de projet.

Madame la ministre, mes chers collègues, il est vrai que quelques cas spécifiques soulèvent des interrogations, car ils constituent, pour le dire sobrement, des adjonctions au cœur du projet de loi.

C’est le cas pour la réforme qui affecte les relations entre le Syndicat des transports d’Île-de-France et la Société du Grand Paris, mais, sauf erreur de ma part, ce texte recueille l’accord de tous les partenaires du système de transport parisien. En outre, il permet une réalisation plus fluide, plus efficace d’un projet majeur, dont le coût financier s’élèvera à près de 30 milliards d’euros, et qui sera un des facteurs les plus importants du rebond économique de la région capitale. Ce n’est donc pas tout à fait sans lien avec l’objet du projet de loi.

Il est vrai que ce projet de loi d’habilitation comporte aussi des dispositions relatives aux professions réglementées, notamment les avocats aux conseils et les notaires. Mes chers collègues, nous ne pouvons pas nous plaindre à longueur d’année de la rigidité de ces professions en raison de leur numerus clausus et désapprouver en même temps une remise en cause de ce dernier qui aura pour effet, tout simplement, d’atténuer le caractère malthusien du fonctionnement de ces professions, ce qui pourra se retrouver dans les tarifs pratiqués.

J’ajoute un autre dispositif qui est, me semble-t-il, cohérent avec l’objectif de faciliter la vie des entreprises. Même si elle a été introduite sous forme d’amendement au Sénat, pour une question de calendrier, il me semble, madame la ministre, que nous sommes tous favorables à la réforme du régime de l’assurance vie qui conduira cette forme d’épargne à contribuer substantiellement au financement des PME. La partie fiscale de cette réforme va figurer en toute logique dans la loi de finances rectificative, mais la partie relative au droit des assurances doit bien trouver un support si nous voulons que cette mesure importante pour le financement des PME soit applicable en 2014. Dans cette optique, le texte que nous présente Mme la ministre est tout à fait adapté.

Je termine en soulignant, et j’y insiste, que tous ces projets d’habilitation ont fait l’objet d’une concertation et ne surprendront aucun des partenaires concernés. Si nous voulons analyser, comme l’a fait légitimement M. Reichardt, la manière dont le Gouvernement joue le jeu de l’habilitation, deux dossiers sont déjà sur la table.

En effet, d’une part, nous avons déjà habilité le Gouvernement à adopter des ordonnances tendant à faciliter la construction de logements. En l’espèce, tout le monde a pu observer que le contenu de l’ordonnance en question, qui a été publiée en peu de mois, répondait très exactement, sans qu’aucune discussion ne s’élève, à l’habilitation qui avait été donnée.

D’autre part, mes chers collègues, s’agissant de l’habilitation votée pour permettre au Gouvernement de prendre une série de mesures de simplification des relations entre l’administration et les citoyens, je puis vous dire, pour siéger en votre nom à la Commission supérieure de codification, que le premier projet de code des relations entre l’administration et le public y sera examiné vendredi prochain. Cette seconde habilitation est donc bien, elle aussi, en train d’être mise en œuvre loyalement et fidèlement.

Néanmoins, madame la ministre, il vous reste à lever, dans le cours de notre débat, tout doute sur la volonté déterminée du Gouvernement de jouer le jeu de l’association du Parlement à la préparation de ces ordonnances. Plus d’une fois, cet affichage a pu constituer un élément de langage utilisé par l’exécutif lors des débats parlementaires, mais la traduction effective de ce souhait a laissé quelques-uns d’entre nous un peu perplexes. Comme nous aurons, en fin de parcours, un rendez-vous à la fois légal et politique, à savoir la ratification, je pense que le Gouvernement se simplifierait la vie en démontrant de façon tout à fait franche et effective sa volonté de faire participer les parlementaires spécialisés dans chacun des domaines – ils sont connus et identifiés – à la préparation des ordonnances dont nous parlons.

S’il agit de cette manière, et je suis sûr qu’il en sera ainsi, la ratification des ordonnances, qui aura lieu de toute façon, sera beaucoup plus simple. Le Gouvernement doit nous offrir un véritable contrat de confiance qui nous aidera à soutenir ce projet de loi d’habilitation, lequel, je le crois, repose sur de bons motifs.

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