Intervention de Jean-Claude Frécon

Réunion du 11 décembre 2013 à 14h30
Financement du service public de l'assainissement — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean-Claude FréconJean-Claude Frécon, rapporteur :

C'est pourquoi les auteurs de la présente proposition de loi notent que « les communautés de communes peuvent être amenées à rechercher des participations financières de leurs communes membres, destinataires des aménagements, afin de ne pas faire peser tout l’effort financier des travaux sur l’ensemble des usagers du territoire intercommunal ».

Tel est le sens de leur démarche. J’ai le regret de dire qu’elle se heurte cependant à deux obstacles juridiques.

Tout d’abord, en application du principe d’exclusivité des EPCI – vous avez, monsieur Dubois, repris ce terme d’exclusivité que j’avais utilisé en commission des finances –, une commune qui a transféré une compétence à un EPCI – et toutes les communes sur le territoire intercommunal doivent transférer en même temps cette compétence – ne peut plus intervenir dans le cadre de cette compétence qu’elle n’a plus. En conséquence, son budget ne peut plus comporter ni dépenses ni recettes relatives à l’exercice de la compétence transférée.

Si, d’aventure, cela s’est fait – et on sait que le cas s’est produit dans plusieurs communes –, le service du contrôle de légalité de la préfecture ou de la sous-préfecture renvoie la délibération en disant : « Cela n’est pas possible, vous ne pouvez pas délibérer sur ce sujet puisque vous n’en avez plus la compétence ».

Par ailleurs, second obstacle juridique, les budgets des SPIC doivent être équilibrés en recettes et en dépenses, comme tous nos budgets, mais ils doivent être financés par les usagers et non par les contribuables, ce qui s’oppose à ce que le budget général d’une commune vienne abonder le budget annexe d’un SPIC.

Tels sont les deux principes juridiques essentiels qui s’appliquent, mais le droit actuel prévoit tout de même quelques exceptions. L’auteur de la proposition de loi a, sur ce point, développé des arguments auxquels je regrette de ne pouvoir souscrire.

Une première exception concerne le versement de fonds de concours entre communes et EPCI, qui a été rendu possible en 1999, dès la première loi sur la coopération intercommunale, et assoupli en 2004. Le versement de fonds de concours est ainsi autorisé lorsqu’il s’agit « de financer la réalisation ou le fonctionnement d’un équipement », après accord concordant des instances concernées. La seule limitation est que le fonds de concours ne peut financer au maximum que 50 % du montant du projet à réaliser, hors subventions.

Une deuxième exception concerne la possibilité de subventionner un service d’assainissement. Ouverte en 1988, avant même la création des communautés de communes, cette possibilité a été assouplie en 2005. Ainsi, il est notamment possible de subventionner un service si la réalisation de l’investissement projeté provoquait une « hausse excessive des tarifs ».

Cette dérogation s’applique à toutes les communes sans limitation de taille, mais elle visait en particulier les petites communes. En effet, une petite commune non pourvue en service d’assainissement ou dont le service de distribution d’eau potable est insuffisant serait obligée, pour équilibrer son budget, de fixer, pour l’assainissement ou pour l’eau potable, des tarifs très élevés afin de financer la réalisation d’équipements de cette importance.

De même, troisième dérogation, les communes de moins de 3 000 habitants et les EPCI ne comportant aucune commune de plus de 3 000 habitants peuvent prendre en charge, dans leur budget général, des dépenses de service de distribution d’eau et d’assainissement, pour la raison que je viens de citer. Dans les communes rurales, notamment, où le nombre d’usagers est faible, il faudrait augmenter les participations dans des proportions très importantes pour équilibrer les budgets.

Cette dérogation a été acceptée en 2005 mais, j’y insiste, elle a été adoptée pour les communes de moins de 3 000 habitants et les EPCI ne comportant aucune commune de plus de 3 000 habitants.

Monsieur Dubois, vous le voyez, le législateur s’est bien soucié des territoires ruraux !

Mais pourquoi avoir retenu le seuil de 3 000 habitants ? Si vous reprenez les débats de l’époque – en séance publique, mais aussi en commission –, vous constaterez que la décision a été prise après quelques hésitations. Entre les seuils, habituels, de 3 500 et de 2 500 habitants, le législateur s’est finalement décidé pour le seuil intermédiaire de 3 000 habitants.

Comme vous l’avez fort bien remarqué, les communes de plus de 3 000 habitants ne sont pas majoritaires dans notre pays – ce n’est pas seulement le cas dans le département de la Somme – puisque, sur 36 700 communes, plus de 33 000 comptent moins de 3 000 habitants, ce qui représente 90 % des communes – la proportion est peut-être plus importante dans votre département, puisque vous avez fait état de 97 %.

À tout le moins, puisque 90 % des communes sont concernées, on ne peut pas dire que le législateur n’a pas pris en compte le problème de la ruralité.

La proposition de loi qui nous est soumise – je m’en tiens pour l’instant au texte initial, nous aborderons plus tard l’amendement déposé par M. Dubois –, prévoit d’aller plus loin dans cette démarche en prévoyant une dérogation générale.

Dès lors qu’il s’agira d’un service public de l’assainissement, les communes pourraient verser à un EPCI, et vice-versa, des fonds de concours, sans être tenues ni par la taille des communes, ni par les effets sur les tarifs, ni par un délai courant à la date de création de l’EPCI. C’est la fin de toutes les dérogations prévues dans les textes de 1988, 1999, 2004 et 2005. On raye tout et on institue une dérogation générale !

Naturellement, les règles régissant ces fonds de concours seraient également assouplies puisqu’il serait possible de couvrir à la fois des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement liées à un équipement – c’est le texte initial et nous verrons que l’amendement proposé prévoit une modification –, mais également, le cas échéant, les déséquilibres structurels des services, et ce en opposition complète avec les règles régissant les SPIC selon lesquelles ceux-ci doivent être financés par la participation des usagers et non par la fiscalité.

La commission des finances a donc considéré que cette dérogation générale était excessive et que les exceptions actuelles étaient suffisantes.

Le dernier point que nous avons noté, car nous avons tenté de cerner tous les problèmes susceptibles de se poser, mes chers collègues, concerne l’intercommunalité en général.

Que font des communes avant de se regrouper en intercommunalités ? Que font-elles avant de prendre une compétence supplémentaire par rapport à celles qu’elles assumaient auparavant ? Elles en discutent, et chacun pèse les avantages et les inconvénients des différentes possibilités, tant il est vrai qu’aucune solution n’est parfaite. L’important est de ne pas découvrir ces inconvénients a posteriori.

Au moment de faire le choix de l’intercommunalité, on y réfléchit, on en mesure les conséquences et on ne le valide que si les conséquences positives l’emportent sur les conséquences négatives. C’est ce que nous avons tous fait dans nos intercommunalités.

N’allons pas encourager, par une dérogation générale, des transferts de compétences qui n’auraient pas été précédés de cette nécessaire évaluation des conséquences.

Notre collègue Daniel Dubois m’a signalé un cas particulier que je n’avais pas envisagé. Il est possible que, ces trois dernières années, quelques exceptions se soient produites lors de la définition des nouveaux schémas de coopération intercommunale.

Certaines communautés ont pu, en vertu de la législation applicable alors, être fortement incitées à se regrouper au sein d’une plus grande intercommunalité. Vous avez indiqué, mon cher collègue, que, dans le département de la Somme, l’autorité préfectorale avait encouragé les communautés de communes à prendre la compétence « assainissement ». Je vous laisse la responsabilité de vos propos. Pour ma part, j’estime qu’il ne faut pas pour autant modifier la loi et instituer une dérogation générale qui mettrait à mal le principe essentiel de l’intercommunalité.

Car qu’est-ce que l’intercommunalité, sinon le fait de s’associer pour exercer mieux ensemble une compétence, et non faire marche arrière quand bon vous semble ?

Et faut-il rappeler que les services sont financés par un tarif, le reste par la fiscalité ?

La commission a donc considéré que les difficultés dont il a été fait état devaient être traitées dans le cadre de l’intercommunalité, quoi qu’il ait pu se produire depuis trois ans. Prévoir une dérogation générale pour permettre à une commune de financer les dépenses d’assainissement sur son territoire, alors même que cette compétence a été transférée à l’EPCI, revient à nier l’existence même de l’intercommunalité.

C’est pourquoi la commission vous invite, mes chers collègues, à ne pas adopter la présente proposition de loi.

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