Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 11 décembre 2013 à 14h30
Financement du service public de l'assainissement — Rejet d'une proposition de loi

Alain Vidalies :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation, qui, comme vous avez pu le constater, a été tenue de quitter cet hémicycle pour rejoindre celui de l’Assemblée nationale afin de représenter le Gouvernement pour l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

En inscrivant la présente proposition de loi à l’ordre du jour qui leur est réservé, les sénateurs du groupe UDI-UC ont choisi d’aborder la question des difficultés réelles rencontrées par certaines collectivités territoriales ou groupements de collectivités pour financer le service public d’assainissement.

Conscient de l’importance de cette problématique, le Gouvernement fait sien le constat dressé par les auteurs de cette proposition de loi, qui s’inscrit dans la droite ligne de l’évaluation globale de la politique de l’eau qu’il a menée en 2013, laquelle a abouti à l’organisation de la Conférence environnementale.

Conformément à la feuille de route issue de ces travaux, le Gouvernement réfléchit à des modalités de financement qui garantiraient la durabilité de la politique de l’eau, et, plus globalement, à la rationalisation des 35 000 services publics d’eau et d’assainissement en France, dont la taille devrait être suffisante pour tenir une gestion financière pérenne et supporter, sans avoir recours aux mécanismes des fonds de concours, de telles dépenses de fonctionnement et d’investissement sur des bassins de vie.

Les structures chargées de la gestion d’un service public d’eau et d’assainissement doivent assumer d’importants investissements pour la mise en conformité de leurs ouvrages aux textes européens, tout en assurant le renouvellement conjoncturel des réseaux.

Les collectivités doivent aujourd’hui faire face à une conjonction de plusieurs facteurs qui soulèvent la question de la soutenabilité financière des services d’assainissement.

En premier lieu, je rappellerai la mise en œuvre de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, qui a mis en exergue la problématique de la différence de niveaux d’équipement entre les membres d’une même structure.

Avec plus de 31 000 services publics d’eau et d’assainissement, la gestion de cette compétence reste particulièrement morcelée et hétérogène. Cette organisation enchevêtrée de services communaux, intercommunaux et de syndicats techniques, parfois très anciens, ne coïncide souvent ni avec les bassins de vie ni avec les bassins et sous-bassins versants.

L’achèvement de la carte intercommunale a certes conduit à la diminution relative du nombre de structures exerçant les compétences en matière d’eau et d’assainissement, mais a également révélé les fortes disparités au sein d’une même structure. Les usagers des communes sous-équipées sont alors en droit de demander l’homogénéisation du niveau d’équipement, ce qui est souvent source de tensions. Comme les habitants des communes ou structures équipées ont déjà consenti un effort financier se traduisant par une augmentation de la redevance, ils sont rarement enclins à concourir à l’amélioration du service dans les autres communes. Cette participation revêt pourtant un caractère essentiel au maintien d’une dynamique intercommunale.

En second lieu, les collectivités sont tenues de mettre en œuvre de nouvelles normes sanitaires et environnementales sur les réseaux, ce qui renchérit le coût du service public. Je pense notamment à la maîtrise des impacts des rejets urbains pour atteindre l’objectif de bon état des eaux, comme l’exige la directive-cadre sur l’eau.

À cela vient s’ajouter une baisse tendancielle de la consommation en eau qui induit une diminution corrélative des recettes, les redevances d’eau et d’assainissement, distinctes, étant calculées sur la base du volume d’eau réellement consommé.

Comme on le souligne dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, les petites communes en zone rurale, disposant de capacités financières limitées, sont souvent dans une situation bien plus délicate que les autres, du fait, notamment, d’une faible densité de population qui accroît le coût moyen par habitant du service public d’assainissement.

Il est alors surprenant que la proposition de loi tende à la création d’un dispositif qui, loin d’être réservé aux seules communes rurales, serait applicable à l’ensemble des collectivités.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous examinez aujourd’hui tend à déroger très largement aux principes qui encadrent le financement du service public de l’assainissement.

Concernant le fonctionnement de l’intercommunalité, le principe d’exclusivité interdit à toute commune membre d’un établissement public intercommunal d’intervenir dans le cadre d’une compétence transférée à cet EPCI en vertu de la loi ou de la décision des communes membres, conformément à l’arrêt Commune de Saint-Vallier, rendu en 1970 par le Conseil d’État. Par conséquent, le budget des communes membres ne peut plus comporter de dépenses ou de recettes relatives à l’exercice de compétences transférées.

Aux termes de l’article L. 2224-1 du code général des collectivités territoriales, le financement du service public d’assainissement se fait en application du principe selon lequel « l’eau paie l’eau », c’est-à-dire celui de l’équilibre budgétaire des services publics industriels et commerciaux, sur lequel repose l’ensemble de la politique française de l’eau.

En d’autres termes, l’assainissement ne peut être financé que par la redevance des usagers, et non par l’impôt des contribuables.

Le strict respect de ces deux principes interdit qu’une commune membre finance un service public industriel et commercial relevant d’une compétence transférée à l’échelon intercommunal.

En ce qui concerne le versement de fonds de concours entre communes et EPCI, l’article 186 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales l’autorise sous certaines conditions, liées notamment à la part du financement assuré par le bénéficiaire, pour financer la réalisation ou le fonctionnement d’un équipement.

Jugées trop restrictives, les notions « d’équipement d’intérêt commun », puis « d’équipements dont l’utilité dépasse manifestement l’intérêt communal », respectivement introduites par la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale puis par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, ont été supprimées, garantissant ainsi une large application de la dérogation codifiée au sein du CGCT dans les dispositions applicables aux communautés urbaines, aux communautés d’agglomération et aux communautés de communes.

Afin de garantir le développement et la viabilité de certains services publics, le législateur a également écarté l’interdiction faite aux communes de prendre en charge dans leurs budgets propres des dépenses au titre des SPIC, et ce dans de nombreux cas.

Cette interdiction est notamment écartée si les exigences du service public conduisent la collectivité à imposer des contraintes particulières de fonctionnement, si le fonctionnement du service public exige la réalisation d’investissements qui, en raison de leur importance et eu égard au nombre d’usagers, ne peuvent être financés sans augmentation excessive des tarifs, et, enfin, si la suppression de toute prise en charge par le budget de la commune risque d’avoir pour conséquence une hausse excessive des tarifs.

Surtout, cette interdiction est purement et simplement écartée dans plusieurs cas, pour les services de distribution d’eau et d’assainissement dans les communes de moins de 3 000 habitants et dans les établissements publics de coopération intercommunale dont aucune commune membre n’a plus de 3 000 habitants. Cette exception concerne à elle seule – j’espère que nous n’allons pas nous lancer dans un débat statistique ! – 89 % des services d’eau et 19 % de la population française alimentée.

L’interdiction est également écartée pour les services publics d’assainissement non collectif, lors de leur création et pour une durée limitée au maximum aux cinq premiers exercices, ainsi que pour les services publics d’élimination des déchets ménagers et assimilés, lors de l’institution de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères et pour une durée limitée au maximum aux quatre premiers exercices.

Ces nombreuses dérogations semblent largement suffisantes puisqu’elles permettent à la fois de tenir compte de la spécificité des collectivités rurales, d’assurer la création des nouveaux services publics que constituent les services publics d’assainissement non collectif, les SPANC, pendant une durée de cinq ans et de tenir compte du financement d’équipements d’envergure.

Dans ces conditions, monsieur Dubois, même si je ne remets pas en cause la réalité des situations que vous avez évoquées, j’estime que le droit positif donne les outils nécessaires aux collectivités sans qu’il faille risquer de porter atteinte aux principes encadrant l’intercommunalité et le financement des SPIC, contrairement aux dispositions du texte que vous nous proposez aujourd’hui.

De surcroît, des mécanismes d’aides permettent déjà d’apporter un soutien aux collectivités afin d’assurer le financement du service public d’eau et d’assainissement. Il s’agit notamment des mécanismes de financements dérogatoires, comme le vote en excédent de la partie « investissement » du budget, et des prêts sur fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations – 20 milliards d’euros sur cinq ans sont ainsi prévus à cet effet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi vise à élargir les possibilités de versement de fonds de concours afin de financer « les dépenses au titre du service public de l’assainissement », ce qui comprend à la fois la réalisation et le fonctionnement d’un équipement, mais aussi les déséquilibres structurels de service.

Cette nouvelle notion, à portée générale, permettrait aux communes et EPCI de verser des fonds de concours pour financer le service public d’assainissement sans condition. Je parle ici du texte dans sa rédaction initiale, mais nous débattrons en son heure de l’amendement qui a été déposé.

Une telle remise en cause des principes de spécialité et d’exclusivité des EPCI revient, en permettant à une commune de financer sur son territoire une compétence pourtant transférée à l’intercommunalité, à remettre en cause la dynamique intercommunale à laquelle le Gouvernement reste profondément attaché.

C’est la raison pour laquelle nous vous invitons, comme l’avait déjà fait la commission des finances, à rejeter cette proposition de loi.

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