Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre du prochain Conseil européen, qui se tiendra les 19 et 20 décembre prochains. Deux points principaux seront à l’ordre du jour : l’approfondissement de l’Union économique et monétaire et la politique de sécurité et de défense commune.
Avant d’aborder ces deux sujets, j’aimerais évoquer les normes européennes en matière de détachement des travailleurs. Voilà deux mois, le Sénat avait adopté à l’unanimité la proposition de résolution européenne présentée sur le sujet par M. Éric Bocquet. Je tiens à vous faire part des grandes avancées que notre pays a obtenues sur ce dossier très sensible et à saluer l’ensemble des ministres qui s’y sont impliqués. Je pense notamment à notre ami Michel Sapin, qui a négocié au nom du Gouvernement.
Le Président de la République et le Premier ministre se sont fortement engagés ces dernières semaines pour rallier un par un les soutiens en Europe. J’ai moi-même accompagné le Président de la République à Rome, à Madrid et à Varsovie. J’ai pu mesurer combien sa mobilisation personnelle avait permis de faire bouger les lignes. Il s’est efforcé à chaque fois de convaincre les dirigeants concernés de l’intérêt commun que représente la protection des travailleurs détachés, dans leur pays de destination comme dans leur pays d’origine.
Alors que certains commentateurs nous disaient « isolés » voilà quelques semaines encore, une majorité d’États nous ont rejoints avant-hier et le Conseil européen a approuvé un texte qui servira de base aux négociations avec le Parlement européen, institution, vous le savez, plutôt favorable à nos vues.
Le texte contient des avancées considérables. Des coopérations seront mises en place entre États pour éviter les détournements. Tous les pays européens devront adopter une définition commune des travailleurs détachés, afin d’empêcher que l’on ne puisse jouer sur des définitions différentes pour contourner le dispositif.
Les États européens se sont engagés à fournir rapidement toutes les informations sur la réalité de l’activité des sous-traitants pour combattre les sociétés écrans, boîtes aux lettres ou coquilles vides et remonter les chaînes.
Au-delà, les accords bilatéraux seront développés pour rendre les contrôles plus efficaces dans chaque État membre. Il sera désormais possible d’exiger des travailleurs détachés eux-mêmes, et pas seulement des entreprises – ce sont parfois des coquilles vides –, les documents en français, donc facilement contrôlables, prouvant que la rémunération et les conditions de travail respectent les règles.
Par ailleurs, partout en Europe, les donneurs d’ordres devront surveiller les pratiques de leurs sous-traitants et seront tenus responsables des agissements frauduleux de ces derniers. Ce sera un puissant levier pour assurer le respect des règles sur toute la chaîne de la sous-traitance.
Les sanctions décidées dans un pays seront appliquées dans toute l’Union européenne. Aucune impunité ne pourra persister. Le recouvrement d’une amende prononcée en France à l’encontre d’une entreprise domiciliée dans un autre pays européen et ne respectant pas le droit des travailleurs détachés pourra s’effectuer dans le pays d’origine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces avancées cruciales prouvent qu’une plus grande protection sociale est possible en Europe à condition de négocier en amont avec l’ensemble de nos partenaires et d’avoir une forte mobilisation de soutien. Votre combat, qui s’est traduit par l’adoption de la proposition de résolution européenne présentée par M. Bocquet, a apporté une pierre à l’édifice ; je tiens à vous en remercier.
Négocier avec des idées claires et convaincre sans cesse : voilà la clé qui permet d’avancer en Europe et d’obtenir une réorientation de la construction européenne. Et cela vaut pour les deux principaux sujets qui seront abordés au cours du Conseil européen des 19 et 20 décembre.
Premier sujet, l’Union économique et monétaire, l’UEM. Il sera évidemment question de l’union bancaire, mais également des contrats de compétitivité et de croissance et des mécanismes de solidarité financière associés.
La crise que nous avons traversée a révélé deux faits majeurs. D'abord, nous ne pouvons pas vivre indépendamment les uns des autres en zone euro ; nous devons nous coordonner et harmoniser nos règles de fonctionnement, en particulier en matière économique. Ensuite, des réformes sont nécessaires.
Tous les chantiers sur lesquels nous travaillons aujourd'hui pour renforcer l’UEM visent à répondre à ces deux impératifs, dans le respect d’un seul mot d’ordre : la solidarité.
À cet égard, l'union bancaire est une dimension majeure de l’effort d'approfondissement de l’UEM. Elle illustre parfaitement notre souhait d'harmoniser le fonctionnement de nos systèmes financiers en mettant la solidarité et la protection du citoyen au cœur du projet.
Notre objectif, déjà affirmé lors des précédents Conseils européens, est de compléter l’union bancaire avant la fin de l’actuelle législature européenne, c’est-à-dire avant le mois de mai prochain, notamment en adoptant un mécanisme de résolution unique.
Le Conseil Ecofin a longuement discuté de cette question hier : il est parvenu à définir les grandes lignes d’un accord politique, ce qui constitue une avancée majeure. Il abordera de nouveau le sujet la semaine prochaine, la veille du Conseil européen, pour finaliser les contours de l’accord.
Quoi qu’il arrive, le Conseil européen sera en mesure de saluer une première approche définie en Ecofin sur le mécanisme unique de résolution. C’est une excellente nouvelle. Nous allons enfin pouvoir nous doter de règles communes et de mécanismes de protection pour gérer efficacement les crises bancaires, si elles surviennent.
À ce propos, je tiens à saluer la nomination d’une grande spécialiste de la régulation financière, Danièle Nouy, une Française, à la tête du comité de supervision nouvellement constitué auprès de la Banque centrale européenne. Mme Nouy aura comme première responsabilité de conduire l’application de tests de résistance à nos banques au cours de l’année 2014.
J’en viens à la mise en place des contrats de compétitivité et de croissance et des mécanismes de solidarité associés. Là encore, la position de la France est également très claire : nous sommes favorables à ce projet, si tant est qu’il soit formulé positivement et réponde à un réel besoin. À cet égard, nous avons défini très clairement des lignes rouges, que nous défendons avec détermination en vue du Conseil européen de la semaine prochaine.
Tout d’abord, nous ne concevons les contrats de compétitivité et de croissance qu’en contrepartie de mécanismes de solidarité financière. À nos yeux, les premiers ne vont pas sans les seconds et il n’est pas question d’avancer de manière dissociée sur l’un ou l’autre de ces projets.
Ensuite, la France défend une approche globale au niveau de la zone euro. Nous souhaitons que les contrats de compétitivité et de croissance résultent d’un diagnostic économique établi à l’échelle de l’ensemble de la zone euro avant d’être déclinés en fonction des priorités nationales. Il s’agit non pas de cibler les faiblesses que la Commission européenne aurait identifiées chez les uns et les autres, mais de définir des priorités communes à tous, positives et constructives, et de les adapter aux besoins de chacun.
Enfin, ces contrats doivent concerner tous les pays de la zone euro, hormis les pays sous programme, qui font l’objet de surveillances particulières. Il n’est pas question de mettre en place un système stigmatisant pour certains et pas pour d’autres.
L’objectif est non pas de créer une usine à gaz, mais de prendre appui sur le mécanisme actuel du semestre européen pour créer une nouvelle dynamique.
L’autre sujet majeur à l’ordre du jour du Conseil européen de la semaine prochaine est la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC.
Dans ce domaine, notre stratégie est la même que pour les deux questions cruciales dont je viens de parler : le détachement des travailleurs et l’UEM. Elle consiste à négocier en amont avec nos partenaires pour renforcer la sécurité et la solidarité européennes.
C’est la première fois depuis cinq ans que la PSDC sera à l’ordre du jour d’un Conseil européen. Elle y a été inscrite sur la demande de la France, qui a abordé cette question au cours de chacun de ses derniers sommets bilatéraux, en particulier avec l’Italie, l’Espagne et la Pologne.
Je veux le souligner d’emblée, le Conseil européen ne constituera pas un solde de tout compte sur le sujet. Il marquera le premier moment clé d’un processus de long terme visant à renforcer la PSDC.
L’inscription d’une telle question à l’ordre du jour du prochain sommet nous a semblé d’autant plus cruciale que des événements dramatiques se produisent aux quatre coins du monde, plus particulièrement dans des zones voisines de l’Union européenne.
On pense nécessairement à la situation en République centrafricaine, ou RCA, tant il est vrai que ce pays connaît actuellement la pire crise de son histoire, ne ressemblant à aucune autre. L’ensemble du territoire est soumis aux exactions et en proie aux groupes armés. La situation humanitaire et sécuritaire est catastrophique, à tel point que le concours de la France a été sollicité par le pays et par ses partenaires.
C’est pourquoi nous avons décidé de renforcer notre présence en RCA, aux côtés des forces africaines déjà déployées, afin de contribuer au retour de la sécurité et de permettre, le moment venu, la tenue d’élections libres et pluralistes dans ce pays.
Je tiens à rendre hommage à ceux de nos soldats qui ont trouvé la mort hier, au service de leur pays et de ces objectifs. J’adresse mes plus sincères condoléances aux familles.
Le contexte dramatique dans ce pays d’Afrique démontre la nécessité d’accroître la mobilisation européenne au plus haut niveau, pour venir en aide à la RCA, mais aussi pour consolider la politique européenne de sécurité et de défense.
En RCA, l’Union européenne est au rendez-vous. Par l’intermédiaire de la Facilité de paix pour l’Afrique, elle apportera un soutien financier important, au moins égal à 50 millions d’euros, à la mission internationale de soutien à la Centrafrique, la Misca.
La Commission européenne est elle aussi pleinement mobilisée, comme le président Manuel Barroso l’a souligné devant la presse voilà quelques jours, en marge du sommet de l’Élysée. Elle a décidé de relever de 12 millions à 20 millions d’euros le montant de l’aide européenne d’urgence pour la RCA au titre de l’année 2013. Les commissaires européens Andris Piebalgs et Kristalina Gueorguieva sont très engagés. De fait, l’Union européenne est aujourd’hui le premier bailleur de fonds de la RCA.
Nous mobilisons nos partenaires européens. Plusieurs nous apportent un soutien concret. C’est en particulier le cas du Royaume-Uni et de la Belgique, qui nous fournissent des avions de transport.
La situation en RCA illustre la nécessité pour l’Union européenne de s’affirmer comme un acteur clé de la sécurité internationale. La PSDC contribue à conforter son autonomie stratégique et représente un véritable enjeu industriel pour l’ensemble des États membres.
Depuis le début, nous sommes pleinement mobilisés pour obtenir le renforcement de la PSDC dans chacun des trois volets qui la composent : les opérations, les capacités et l’industrie. À ce titre, nous serons très attentifs à plusieurs enjeux.
D’abord, nous tenons à la mise en place d’une stratégie de sûreté maritime permettant de faire face aux défis de la maritimisation, notamment l’augmentation de l’immigration illégale.
Ensuite, nous serons vigilants quant à l’exécution du mandat confié à la Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité pour améliorer la cohérence des actions de l’Union européenne sur la problématique des frontières dans la zone sahélo-saharienne. Nous veillerons aussi au renforcement des capacités des États tiers en matière de sécurité et de défense.
Nous tenons également au renforcement des capacités européennes de défense, au besoin par des schémas de mise en commun des ressources, qu’il s’agisse des avions ravitailleurs ou de futurs drones de surveillance européens. Un mécanisme d’incitation fiscale pourrait être envisagé pour encourager le développement en commun des capacités, par exemple sous la forme d’exemptions de TVA.
Enfin, nous serons attentifs au renforcement de l’industrie de défense européenne. À ce sujet, nous nous félicitons qu’un mandat soit confié à la Commission européenne pour étudier les modalités de soutien aux PME et financer des programmes de recherche et de développement sur les technologies duales, qui contribueront à préserver l’emploi dans ce secteur et à assurer une croissance durable à nos industries.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’ensemble de ces questions, tout comme sur celles qui ont été abordées lors des derniers Conseils européens, nous n’avons qu’une seule et même priorité, que nous avons fixée ensemble : bâtir pour nos concitoyens une Europe plus protectrice et plus solidaire, au service de la croissance et de l’emploi !