Mais ce qui me vient également à l’esprit, c’est le nombre d’enfants, de femmes et d’hommes qui ont été sauvés par l’arrivée des troupes françaises sur le sol de Centrafrique, même si les vies épargnées ne compensent en aucune manière la mort de nos militaires. Pour autant, la normalisation de la situation est loin d’être acquise aujourd’hui. La population sort peu à peu de la terreur, les meurtres, les viols, les massacres atroces dans Bangui ont cessé, et cela seul suffirait à justifier, s'il en était besoin, l’intervention française sous mandat de l’ONU.
Face au drame qui se jouait en Centrafrique, la France, fidèle à sa tradition de puissance responsable et fidèle à ses valeurs humanistes, a pris les devants et a agi pour que la communauté internationale assume son rôle face à un enjeu à la fois sécuritaire et humanitaire. En effet, d'autres intervenants l'ont dit, l’enjeu sécuritaire est d’importance. La situation en Centrafrique s’inscrit dans un cycle qui prend sa source dans les années quatre-vingt-dix, la crise actuelle n’étant – espérons-le – qu’un ultime soubresaut d’une spirale de troubles qui fragilisent et détruisent progressivement la République centrafricaine depuis 1996.
Déjà, en 1998, face à l’instabilité croissante et à des violences exacerbées, le Conseil de sécurité des Nations unies avait envoyé une première mission : la mission des Nations unies en République centrafricaine. Celle-ci avait tenté, conjointement avec une force interafricaine, de rétablir la paix et la sécurité dans le pays. Lors de son retrait en 2000, les tensions persistaient. À la fin de 2012, après bien des péripéties et des rébellions confortées par des ingérences étrangères, les troubles latents se sont transformés en crise majeure.
La Séléka, un regroupement composite rassemblant tous les déçus du régime du président Bozizé – si je puis lui attribuer ce titre de président, alors qu’il a pris le pouvoir par un coup d'État –, opposants politiques comme armée, s’est emparé des villes stratégiques.
Le 11 janvier 2013, de nouveaux accords de paix sont signés à Libreville entre le gouvernement et la rébellion. Il s’agit de mettre un terme à l’insurrection et de contenir la rébellion aux portes de Bangui. L’instauration d’un gouvernement d’unité nationale de transition échoue et de nouvelles élections ne peuvent être tenues.
En mars dernier, la Séléka contraint donc le président Bozizé à quitter le pouvoir et Michel Djotodia – alors vice-premier ministre, ministre de la défense du gouvernement d’union nationale et chef des factions rebelles – s’est autoproclamé président du gouvernement de transition. Il dissout officiellement la Séléka et lâche ainsi la bride à une soldatesque d’environ 20 000 hommes. Cette masse grossit de jour en jour avec l’arrivée de nouveaux combattants en provenance des pays voisins. Vous les connaissez, mes chers collègues, qu’il s'agisse des combattants soudanais, des éléments appartenant à Boko Haram au Nigeria, voire de miliciens de la LRA – l'armée de résistance du Seigneur – du tristement célèbre Joseph Kony, qui est déjà implantée dans une partie de la Centrafrique.
La République centrafricaine, carrefour stratégique entre le Sahel, la région des Grands Lacs et la Corne de l’Afrique, est ainsi en passe de devenir une zone de non-droit dans sa totalité. Cette crise a donc des répercussions régionales importantes puisque la plupart des États voisins font eux-mêmes face à des défis sécuritaires considérables. Les frontières sont poreuses, les foyers de tensions énormes, et nous ne pouvons pas laisser la République centrafricaine devenir une source de déstabilisation supplémentaire, voire une base arrière pour le développement d’activités terroristes.
L’enjeu sécuritaire se double d’un enjeu humanitaire immense. Cela a été dit, mais je tiens à le rappeler.
Sans qu’il faille actuellement employer de grands mots et parler de génocide, le pays fait face à un climat de violence tel qu’il laisse présager une évolution vers un conflit à connotation confessionnelle. La Séléka est majoritairement composée de musulmans, tandis qu’une majorité de la population se situe dans la mouvance chrétienne.
On l’a vu – les images télévisuelles l’ont attesté –, la violence se déchaîne et est allée croissante. Les violations des droits de l’homme, ne cessant de s’amplifier, ont été quotidiennes. Les civils ont été la cible de multiples exactions : arrestations et détentions arbitraires, exécutions sommaires, violences sexuelles, tortures, pillages, enrôlements d’enfants soldats drogués – les femmes et enfants étant, d'une façon générale, particulièrement visés.
On dénombre aujourd’hui environ 1, 3 million de personnes victimes d’insécurité alimentaire, soit un tiers de la population, ainsi que 480 000 déplacés, dont 50 000 à Bangui. Le Haut-Commissariat des Nations unies a enregistré, depuis le début des affrontements, 66 000 réfugiés. Malheureusement, les ONG ne peuvent pas apporter d’aide aux populations dans le besoin.
Face à ce danger de catastrophe humanitaire, c’était un devoir impératif de mettre un terme à ce cycle infernal. Je citerai ici les propos tenus par Président de la République lors du sommet africain de l’Élysée : « Aujourd’hui, au cœur de l’Afrique, un peuple est en souffrance. Il nous appelle. […] Nous ne pouvons plus laisser les massacres se perpétrer, […]. Cet engagement n’est pas simplement sécuritaire, il doit être humanitaire, parce que c’est aussi notre devoir. »
Comme lors de la crise malienne, le Président de la République a su prendre la mesure de la gravité de la situation, et je veux ici le souligner et lui en rendre hommage.
Dès le 24 septembre dernier, dans son discours à la soixante-huitième Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République avait lancé un cri d’alarme sur la situation en République centrafricaine. Il avait alors invité la communauté internationale à se mobiliser et à agir sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies.
Pendant de longs mois, la France a réitéré cette volonté et travaillé à la résolution de la crise. Elle a fait adopter par le Conseil de sécurité une première résolution. D’ores et déjà, celle-ci définit le cadre politique de l’intervention actuelle, en autorisant la France à aider nos partenaires africains, mobilisés depuis de nombreuses années sur le terrain. Elle autorise également notre pays à accompagner la montée en puissance d’une force internationale dont le mandat a été présentement fixé par la résolution 2127, votée il y a quelques jours.
L’intervention Sangaris diffère de l’opération Serval, car la situation de ce pays n’est pas celle que les troupes françaises ont rencontrée au Mali en début d’année. La République centrafricaine est aujourd’hui, à n’en pas douter, un État failli. Les groupes rebelles s’affrontent et les exactions y sont systématiques. Les forces de sécurité ne disposent ni des moyens techniques ni des ressources humaines suffisantes à l’exercice de leur fonction.
Il s’agit donc, dans une situation de chaos, de poser les jalons d’une intervention internationale qui devra embrasser l’ensemble des défis qui s’imposent. L’action qui sera menée avec nos partenaires recouvre en effet quatre domaines : la sécurité, la dimension humanitaire, la transition politique – indispensable – et le développement économique. C’est donc à une mission multidimensionnelle que la France et la communauté internationale vont devoir s’atteler.
Je l’affirme, la France n’est pas seule : elle bénéficie du soutien de tous les membres du Conseil de sécurité des Nations unies et elle est aux côtés des pays africains regroupés au sein de la MISCA. Sans cela, la sécurisation ne serait pas durable. La crise centrafricaine sera d’ailleurs à l’ordre du jour du Conseil européen du 19 décembre, date à laquelle débutera la mission des Nations unies.
L’Union européenne apporte déjà un premier soutien financier : elle a porté ses aides en 2013 à hauteur de 20 millions d’euros et la Commission européenne a débloqué la semaine dernière 50 millions d’euros, sans compter l’aide matérielle. À cet égard, je considère que les dépenses liées à des interventions extérieures au service de la paix, de la lutte contre le terrorisme et au secours de populations en danger doivent absolument être décomptées du calcul du déficit budgétaire de notre pays.