Intervention de Jean-Louis Nadal

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 décembre 2013 : 1ère réunion
Haute autorité de la transparence de la vie publique — Audition de M. Jean-Louis Nadal candidat proposé aux fonctions de président

Jean-Louis Nadal, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de président pour la Haute Autorité de la transparence de la vie publique :

L'exigence de transparence et de moralisation de la vie publique n'est pas nouvelle. Les affaires politiques et financières ont toutes abouti à des améliorations de la législation. Dans les années quatre-vingt, les affaires de financement de partis politiques ont mené à la loi de 1988, à l'initiative du gouvernement de Jacques Chirac, puis à celle de 1990, sous le gouvernement de Michel Rocard, lequel avait fait de la transparence, de la vérité et la réconciliation entre l'Etat et la société civile, de la confiance des citoyens l'axe même de sa politique.

Quelques décennies plus tard, comme le dit très bien M. Jean-Pierre Sueur dans son rapport, de nouvelles lois marquent une étape décisive d'amélioration de notre dispositif de prévention des atteintes à la probité publique. Ces textes ne sont pas marqués, c'est un précédent, par une inflation pénale mal maîtrisée ; ils sont tout au contraire centrés sur la prévention, la pédagogie, la déontologie. Selon Paul Ricoeur, la déontologie, à la différence de l'éthique, pure interrogation, ou de la morale, qui est normative, est une notion pratique, applicable dans le champ fonctionnel et professionnel. C'est pourquoi, la nouvelle autorité doit être pensée moins comme une institution répressive que comme une instance d'aide à la décision dans le cadre de l'exercice d'une fonction ou d'une profession.

Lors de l'examen de la loi, votre commission s'est attachée à concilier la publicité des déclarations des élus et le droit à la vie privée, le contrôle par un organisme extérieur et la séparation des pouvoirs, l'indépendance des élus et la liberté pour eux de mener l'activité de leur choix. Vos travaux ont été guidés par le rapport du groupe de travail pluraliste, présidé par M. Jean-Jacques Hyest. Ce rapport d'information, publié en mai 2011, a formulé 40 propositions, dont certaines seulement ont été reprises, pour limiter les conflits d'intérêts dans la sphère publique. De même, le Sénat, à l'unanimité, a souhaité le dépôt d'un document annuel retraçant l'utilisation de la réserve parlementaire. J'ai conscience que le Sénat sera exigeant sur l'application de la loi qui porte la marque du travail parlementaire.

Beaucoup d'entre nous s'insurgent contre les sondages qui révèlent la défiance grandissante des Français à l'égard de leurs représentants. En effet, la faute de quelques-uns ne saurait jeter l'opprobre sur tous. Cependant, les dernières publications du Conseil de l'Europe, de l'OCDE ou de Transparency International montrent l'urgence de prendre des mesures pour lutter contre des pratiques qui sapent la confiance de nos concitoyens. Tel était déjà le sens du travail de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, présidée par le vice-président du Conseil d'Etat Jean-Marc Sauvé. Au vu de la décision du Conseil constitutionnel, il me semble que votre position pondérée l'a emportée. Les conclusions de la commission Sauvé sont conformes à celles que je tire de ma longue expérience de magistrat : les atteintes à la morale publique prospèrent quand les frontières sont brouillées entre le licite et l'illicite par ceux mêmes chargés de faire le droit. L'ambition du législateur est de rétablir la confiance, écornée récemment par l'affaire Cahuzac, entre les citoyens et les détenteurs d'un mandat électif. La confiance ne se donne que si elle se mérite. Les citoyens ont besoin qu'une institution de la République garantisse qu'ils peuvent avoir foi dans la vie publique au sens où les Romains envisageaient la fides publica, la plus haute valeur dont les magistrats gérant les affaires de la cité devaient se montrer dignes. Tel est bien le sens de l'article 1er de la loi qui reprend ces mots magnifiques de dignité, probité, intégrité.

Cette loi vise à donner corps à ces valeurs républicaines. Elle crée l'obligation de déclarations d'intérêts et de patrimoine, au nom de la transparence de la vie démocratique. Je veillerai à ce que les intrusions dans la vie privée soient limitées au strict minimum, dans la ligne de la décision du Conseil constitutionnel, qui a posé des règles précises, par exemple concernant la famille et les proches ou la publication. La commission Sauvé avait déjà prôné l'équilibre entre transparence et protection de la vie privée, prévention renforcée et sanction adaptée, confiance et responsabilité. Cette balance des droits et cette protection constituent un impératif quotidien pour un magistrat.

Je souhaite que la Haute Autorité, autorité administrative indépendante dotée de véritables pouvoirs, puisse mobiliser l'ensemble des services de l'État, justice, intérieur, finances... Ce sera le défi des premiers mois et je souhaite que le Parlement suive attentivement l'exécution de cette loi.

Quant aux nouveaux dispositifs contraignants - peine d'inéligibilité, incompatibilités applicables aux membres du gouvernement, etc. -, je considère que ceux qui sont prononcés par l'autorité judiciaire ou les bureaux des assemblées sont hors de la compétence de la Haute Autorité.

Le coeur de la mission de la Haute Autorité est de responsabiliser les acteurs publics. Il n'est de bonne décision qu'acceptée, donc lisible, ce qui suppose un effort d'écoute et des explications. La Haute Autorité aura plus que l'ancienne commission les moyens de garantir la probité publique et elle sera capable de restaurer la confiance par des actions précises, menées dans le cadre de procédures contradictoires, publiques et impartiales.

Assurer la présidence de la Haute Autorité, c'est pour moi la possibilité d'agir dans la continuité de mon engagement fidèle au service de l'État de droit, de la loi et de la démocratie. Comme dans mes activités de magistrat, je rechercherai constamment l'équilibre entre l'égalité de tous devant la loi et l'adaptation aux situations et aux personnes. J'ai toujours eu le souci de lutter contre les atteintes à la probité publique. La répression est parfois nécessaire mais la pédagogie est essentielle. En outre, je chercherai à développer la complémentarité et le dialogue entre la Haute Autorité et les institutions qui lui sont proches : telle a été ma ligne de conduite à la tête des parquets que j'ai dirigés et comme procureur général près la Cour de cassation. Je suis également partisan d'une organisation collégiale, autour d'un but commun. Enfin, les membres de la nouvelle instance devront être exemplaires d'un point de vue déontologique.

Je suis sensible à la recommandation rendue en juin dernier par l'assemblée plénière de la commission nationale consultative des droits de l'homme, qui juge souhaitable de dresser un bilan des travaux réalisés en matière de transparence de la vie publique. Votre commission avait réfléchi sur ce sujet et demandé un rapport au Gouvernement sur les organes chargés d'appliquer la législation en la matière. La Haute Autorité sera au service des membres du Parlement qui voudront se saisir de la question de l'efficacité de la prévention. La Haute Autorité pourra informer et former à ces questions les cadres de l'État, de la magistrature, de la fonction publique territoriale. Elle devra aussi nouer un dialogue avec les institutions internationales et européennes compétentes.

Avec ces lois, la France se place à l'avant-garde des grandes démocraties, en matière de transparence de la vie publique. En tant qu'initiateur et ancien président du réseau des procureurs généraux des cours européennes, je crois que la participation de la Haute Autorité aux réseaux de lutte contre les conflits d'intérêts doit être privilégiée. L'influence du droit européen en la matière est déjà manifeste : l'OCDE a publié en 2003 des lignes directrices pour la gestion des conflits d'intérêts dans les services publics. En 1990, le Conseil de l'Europe a créé la commission européenne pour la démocratie par le droit, dite commission de Venise, qui a déjà rendu depuis plusieurs avis. Le comité national d'éthique a été copié partout dans le monde : sans doute en ira-t-il de même avec la Haute Autorité. Il nous faudra préciser la notion de conflit d'intérêts, construire un corpus déontologique. Les sociétés avancées doivent progresser dans la résorption de ces marges grises du droit. Votre commission avait souhaité préciser la notion de conflit d'intérêts en écartant la théorie des apparences - que le juge constitutionnel a cependant validé - et exclure l'application de cette notion aux conflits entre deux intérêts publics. Il nous faudra parvenir à une définition objective et préciser les conditions du déport. Comme le disait l'adage du droit romain, on ne saurait être juge et partie : tout le monde le comprend, mais il y a des difficultés de mise en oeuvre.

La transparence est un moyen, non une fin. Le système panoptique de Bentham où tout le monde agit sous le regard de tous ne saurait constituer pour nous un modèle ! Néanmoins, l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit que la société peut demander des comptes à ses agents publics : c'est une exigence démocratique et un impératif républicain qu'il nous appartient de garantir. Si vous me permettez de devenir président de la Haute Autorité, j'aurai à coeur de m'y employer.

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