Intervention de Pierre Hérisson

Réunion du 12 décembre 2013 à 15h00
Accueil et habitat des gens du voyage — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Pierre HérissonPierre Hérisson :

Je ne crois pas un mot de tout cela ! Je le dis solennellement, nous sommes ici ce soir pour examiner ce texte, qui traite d’un sujet précis, et c’est tout.

J’ai occupé différentes responsabilités en lien avec ce sujet. J’ai été nommé une première fois parlementaire en mission par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et une seconde fois par le Premier ministre François Fillon. L’objet de ma mission était de faire évoluer le statut des gens du voyage pour tendre à le rapprocher le plus possible du droit commun.

J’ai lu, dans le rapport de la commission des lois, des interventions demandant l’abrogation de la totalité de la loi de 1969. Nous sommes un certain nombre à formuler la même demande, soutenue par l’Association des maires de France.

Je tiens à préciser, en accord avec mon collègue Jean-Claude Carle, qui s’est associé à cette proposition de loi, que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a abrogé deux dispositions de la loi du 3 janvier 1969, supprimant notamment l’obligation faite aux gens du voyage d’être en possession d’un « livret » de circulation ou d’un « carnet » si elles n’ont pas de ressources régulières. Il ne me paraît pas utile de revenir sur ce sujet, sauf à décider d’abroger la totalité des carnets – il en existe encore deux.

Pour avoir été l’auteur de deux rapports sur le sujet, pour être intervenu à différentes reprises et, surtout, pour avoir été nommé par les Premiers ministres en exercice à plusieurs reprises président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, mais aussi représentant de la France à la commission Roms du Conseil de l’Europe, je veux prendre quelques minutes pour tordre le cou à certains amalgames.

Pour dissiper certaines confusions, je tiens à dire que les Roms sont des minorités ethniques issues, pour leur grande majorité, des pays de l’Est. Celles-ci doivent être gérées et traitées dans notre pays selon les lois et règlements sur l’immigration, en tout cas tant que les pays d’origine de ces minorités se trouvent dans la période transitoire, qui devrait normalement se terminer au 31 décembre 2013.

J’en profite pour dire que nous sommes nombreux à être en accord avec l’actuel ministre des affaires européennes, qui considère que ces pays n’ont pas aujourd’hui la capacité de faire respecter les nouvelles frontières de l’Europe. Il est urgent d’allonger la période transitoire pour pouvoir continuer à travailler sur ce sujet, qui est important et pour lequel le Conseil de l’Europe a émis un certain nombre de recommandations, dont certaines ont été votées par la France.

Je voudrais affirmer ici solennellement que les gens du voyage, ceux qui nous préoccupent aujourd'hui, sont aujourd’hui tous de nationalité française et tous des ressortissants de l’Union européenne. À l’exception de la problématique que je viens d’évoquer, il s’agit donc bien de traiter une question franco-française ! Je crois que c’est un point important pour la compréhension de ceux qui nous écoutent, de ceux qui nous lisent et de ceux qui sont à la peine sur ce dossier.

Avant d’évoquer le sujet précis qui nous occupe ce soir, je rappellerai les fondements de la loi de 2000, en particulier pour éviter certains amalgames qui, malheureusement, sont trop nombreux.

Tout d’abord, la loi du 5 juillet 2000 organise, dans le cadre de l’aménagement du territoire, les obligations faites aux communes de réaliser, sur le territoire national et à l’issue d’un schéma approuvé par le conseil général et par le préfet du département, l’accueil et le stationnement des gens du voyage, pour l’essentiel sur des terrains aménagés et prévus à cet effet. Il faut y ajouter le logement social adapté et les terrains familiaux, très rapidement cités dans la loi Besson.

Beaucoup d’entre nous voient dans ce volet une évolution en quelque sorte adossée au logement social. Elle concerne l’accueil des populations qui ont choisi de vivre de manière itinérante sur notre territoire, soit environ 400 000 personnes, dont la moitié est sédentaire ou semi-sédentaire. En effet, l’allongement de la durée de la vie et le vieillissement des populations font que certains, un jour, ont envie de poser leurs valises et de vivre de manière sédentaire sur le territoire. Au printemps prochain, lors de la discussion de la proposition de loi Raimbourg, nous aurons beaucoup à dire à cet égard et nous devrons essayer de trouver un consensus.

Mes chers collègues, il y a un enjeu d’importance dans la discussion qui s’ouvre dans cette enceinte. Nous allons, en effet, essayer d’envoyer un signal à l’adresse des 500 000 élus locaux de ce territoire pour leur dire que les réclamations faites à l’issue de l’été 2013 portent essentiellement sur la problématique des grands passages. J’y reviendrai tout à l’heure.

Ce ne sont pas des maires de gauche, de droite ou du centre qui sont en cause. Ce sont des élus locaux qui expriment la préoccupation de leurs habitants et de tous ceux qui ont du mal à accepter le vivre-ensemble parce qu’un certain nombre de problèmes réels se posent. Tel est bien le sujet de cette proposition de loi.

J’ouvre une parenthèse pour rappeler qu’un ministre de la République française a signé en 2004 une recommandation du Conseil de l’Europe reconnaissant la caravane comme un logement ou une habitation. Toutefois, cette question n’est pas réglée, car la transposition de la recommandation en droit national suscite hésitations et tergiversations.

Par ailleurs, les grands rassemblements, tels qu’ils sont définis dans la loi Besson, sont de la compétence de l’État, et de lui seul. Monsieur le président de la commission des lois, votre département fait exception. C’est, en effet, le seul département français où les gens du voyage, en l’occurrence, l’association « Vie et lumière », ont acquis une propriété agricole de plus de cent hectares. C’est là que se déroule le rassemblement évangéliste du printemps, avec plusieurs milliers de caravanes. Nous nous y sommes rendus, et j’ai lu les commentaires que vous avez faits au sujet de notre déplacement à Nevoy.

Je dois le dire, pour la partie des grands rassemblements, les choses sont bien organisées par les services de l’État. Je le dis ici et je le dirais si une autre majorité était en place, comme j’ai eu l’occasion de le dire sous de précédentes majorités : l’État fait son travail dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par la loi d’assurer l’organisation des grands rassemblements, qui dépassent parfois 30 000 personnes réunies au même endroit, dans des communes de moins de mille habitants.

Il arrive que les gens du voyage soient propriétaires des lieux. Dans ce cas, il est certain qu’ils s’y rendront tous les ans, voire deux fois par an. Le ministre de l’intérieur trouve cette solution plus facile que de trouver un terrain ailleurs, très souvent en milieu hostile. Sans faire de parallèle avec d’autres religions, Nevoy est ainsi en train de devenir le lieu de pèlerinage des évangélistes en France.

Ce dispositif fonctionne, tout comme l’article 1er de la loi Besson, relatif à la participation des communes à l’aménagement des aires d’accueil. On peut toujours imputer aux élus des retards dans la réalisation de ces dernières. Je le rappelle néanmoins, nous avons, sinon inscrit dans la loi, du moins affirmé ici même que le nombre de places dans les aires d’accueil aménagées devrait se situer à terme aux environs de 40 000. Or, à l’heure où nous parlons, 25 000 emplacements sont réalisés.

Certes, ce n’est pas suffisant, mais j’ai lu aussi, dans certains rapports qui n’ont pas de lien direct avec le vôtre, monsieur le rapporteur, que certains s’interrogeaient sur la nécessité des 40 000 places et se demandaient s’il ne fallait pas panacher entre des aires d’accueil aménagées et l’évolution plus rapide des terrains familiaux, afin de permettre des sédentarisations ou des semi-sédentarisations. En additionnant les unes et les autres, on devrait répondre à la demande formulée par cette moitié des 400 000 personnes qui sont, aujourd’hui, soit des voyageurs permanents, soit des voyageurs occasionnels ou saisonniers.

J’en viens au problème des grands passages. Comment les définir ? Il faudra compléter la loi, insuffisante à cet égard. L’origine des grands passages est à vocation cultuelle. Je ne dis pas qu’il faut écarter toute autre forme de grand passage, mais l’origine de ces derniers, ce sont les missions évangéliques, qui étaient censées faire des haltes sur le terrain en direction du lieu de rassemblement annuel.

Une évolution a donc eu lieu. La circulaire définit plus ou moins bien le grand passage : deux cents caravanes au maximum sur quatre hectares au maximum, avec les services publics de la commune à disposition, l’attribution de l’eau, de l’assainissement, des équipements publics et des réseaux publics nécessaires à une vie normale sur le territoire.

Le lien avec le raccordement électrique ne doit évidemment pas être empêché par les élus sur ce territoire, dès lors qu’il s’agit d’alimenter en électricité le terrain qui fait partie du schéma départemental.

Il est vrai que, sur ce point, on peut se demander pourquoi tant de difficultés sont survenues au cours de l’année 2013. Je pense, en particulier, à la Haute-Savoie. Pourtant, dans ce département, le schéma est appliqué. Il compte quatre aires de grand passage, dont l’une est fixe et trois sont mobiles. Le préfet est efficace, il a engagé des procédures et des expulsions, avec le concours de la force publique, pour faire respecter la loi et le schéma départemental.

Bien sûr, certains départements français sont plus concernés que d’autres par ces grands passages : si une dizaine d’entre eux voient une population importante de gens du voyage se déplacer sur leur territoire; dans une trentaine d’autres, on n’a jamais entendu parler de grands passages ni même de gens du voyage !

Pourquoi voulons-nous aujourd'hui donner un tel signal ? Certains ont dit que notre démarche répondait à une préoccupation électoraliste. Diverses explications ont été avancées. Moi, je prétends que cette proposition de loi est tellement ciblée sur les grands passages que, par définition, en quelque sorte, elle est déséquilibrée en ce sens qu’elle ne traite que d’une partie du sujet, notamment de ce qui a causé certains désordres publics et créé des difficultés que nous aborderons plus précisément au fur et à mesure de l’examen des amendements.

Je vous le dis d’emblée, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, nous voterons certains de ces amendements. En effet, dès lors qu’il s’agit, par exemple, de renforcer les pouvoirs du préfet, je demande qui parmi nous pourrait s’y opposer !

Il ne faut pas que les gens du voyage voient dans cette proposition de loi autre chose qu’un texte visant à aggraver les sanctions à l’encontre de ceux qui ne respectent rien, qui détruisent les terrains de sport, non sans avoir préalablement cassé des portails, qui utilisent indûment et dégradent ce qu’on appelait autrefois les « commodités » ou toute autre de ces installations qu’on trouve en général au sein ou aux abords des équipements sportifs. En fait, par cette proposition de loi, nous cherchons au contraire à donner du crédit aux associations qui ont aujourd'hui bien du mal à maîtriser ceux qui donnent une image déplorable des gens du voyage sur nos territoires.

Depuis 2000, j’ai eu l’occasion de rencontrer des responsables d’associations de gens du voyage ainsi que des responsables de différentes confessions chargés d’animer les rassemblements religieux sur le territoire. Comme dans toute la société française, il y a des gens très bien, mais il y a aussi, malheureusement, des délinquants ou des gens qui ne savent pas se conduire. Or, c’est vrai, on constate une aggravation de la délinquance et des détériorations des équipements publics qui nous imposent d’envoyer un signal aux élus : nous devons leur montrer que les parlementaires s’occupent d’eux et cherchent à renforcer les obligations propres à assurer une certaine discipline sur le terrain.

Tout cela doit, bien entendu, s’inscrire dans la poursuite d’une relation de confiance avec les représentants des gens du voyage.

Je crois qu’on n’est jamais récompensé d’un bienfait et, comme le disait un homme politique il y a une dizaine d’années, il faut toujours se faire pardonner les services que l’on rend ! Il m’arrive d’inviter les responsables des gens du voyage à la Commission nationale consultative, car il est intéressant d’avoir l’avis de personnes qui prennent en charge un dossier ; lorsqu’ils s’affichent en tant que membres éminents de cette commission, il me semble que c’est une façon de me remercier de les avoir invités !

À l’évidence, je plaide pour le vote de ce texte, et j’espère que nous pourrons rétablir l’article 1er. J’appelle tous ceux qui connaissent bien le sujet et qui sont par ailleurs présidents d’associations de maires, responsables d’organisations ou membres des commissions départementales à faire comprendre dans cet hémicycle que l’article 1er est un signal, et rien d’autre.

Je n’ai d’ailleurs pas vu beaucoup de magistrats utiliser l’actuel article 322-4-1 du code pénal pour prononcer des sanctions. En effet, ils préfèrent punir ceux qui ont commis le délit visé par une indemnisation ou un remboursement à la collectivité des dégradations que ceux-ci ont causées.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à voter cette proposition de loi dans sa version initiale, telle que je l’ai déposée avec Jean-Claude Carle et un certain nombre d’autres collègues. J’ai d’ailleurs été surpris, monsieur le président de la commission des lois, que vous en ayez changé le titre : ce n’est pas dans les usages de cette maison. Mais vous aurez sûrement de bonnes raisons à avancer pour vous en expliquer.

Oui, j’ai de la suite dans les idées ! Cette proposition de loi traite d’un sujet d’urgence, mais elle s’inscrit dans la lignée de celle de Dominique Raimbourg, qui je l’espère, sera examinée au mois de mai prochain, et elle s’inspire pour l’essentiel de ma proposition de loi de 2012, mais surtout du dernier rapport de parlementaire en mission que j’ai rédigé sous l’ancienne majorité : Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun. « Proche du droit commun » parce qu’il est en effet nécessaire d’offrir à ces populations certaines dispositions leur permettant de vivre dans la légalité sur le territoire.

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