La loi Besson est une loi d’équilibre, comme le soulignait d’ailleurs le rapporteur du Sénat sur ce texte, notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye. Il indiquait alors que ce texte visait à « favoriser l’aménagement, sur quelques années, d’un nombre d’aires suffisant pour faire face aux besoins, [... à prendre] plusieurs dispositions destinées à soutenir financièrement les communes dans la réalisation et la gestion des aires d’accueil [et à] renforcer […] les moyens juridiques permettant de lutter contre les occupations illicites ».
L’article 1er de cette même loi prévoit ainsi l’établissement, dans chaque département, d’un schéma départemental qui identifie des secteurs géographiques disponibles pour l’implantation des aires permanentes d’accueil et précise les communes dans lesquels cette implantation doit être réalisée. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement dans ce schéma. Ce dernier détermine également les emplacements destinés aux rassemblements traditionnels ou occasionnels.
L’article 2 a fixé un délai de deux ans à compter de la publication du schéma pour permettre aux communes concernées de participer à la mise en œuvre de ce dernier.
La loi de 2000 a été modifiée à deux reprises pour accorder des délais supplémentaires aux communes ayant manifesté la volonté de se conformer à leurs obligations légales.
L’article 3 permet à l’État de se substituer à une commune défaillante.
En contrepartie de ces obligations pesant sur les communes, la loi Besson a créé des outils juridiques permettant de mettre fin, dans les communes remplissant leurs obligations légales, aux occupations illicites et sauvages.
Ces dispositifs ont été renforcés par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, qui a substitué à une procédure civile d’expulsion une procédure d’évacuation forcée relevant de la police administrative.
L’article 9 de la loi de 2000 prévoit désormais que, dans les communes respectant leurs obligations en matière d’aires d’accueil, le maire peut interdire par arrêté le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d’accueil aménagées. En cas de stationnement illicite, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d’usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. La mise en demeure ne peut cependant intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques. La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures, le préfet pouvant procéder à l’évacuation forcée des résidences mobiles au terme de ce délai ou au terme des recours. En cas de recours contre la mise en demeure, l’exécution de la décision du préfet est suspendue ; le juge statue alors dans un délai de soixante-douze heures.
Je ne vais pas revenir sur le contenu de la proposition de loi de notre collègue Hérisson : il a déjà été amplement décrit. Je dirai simplement que ce texte, dans sa version initiale, vise à renforcer les sanctions prévues par la loi de 2000 en cas d’occupation illicite.
Il convient toutefois de relever que ses articles 2 à 4 modifient l’article 9 de la loi de 2000.
L’article 2 supprime la condition fixée par la loi pour la mise en demeure du préfet, à savoir le fait que le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.
L’article 3 prévoit que le délai d’exécution de la mise en demeure est fixé à vingt-quatre heures au maximum et non plus au minimum.
L’article 4 fixe à six heures le délai maximal d’exécution de la mise en demeure dans le cas où les occupants du terrain en cause ont précédemment procédé à une occupation illicite.
La commission des affaires économiques s’étant réunie au même moment que la commission des lois, elle a examiné la proposition de loi initiale de Pierre Hérisson, sans prendre position sur les modifications effectuées par la commission des lois.
Tout en comprenant bien la question, tout à fait réelle, à laquelle les auteurs de cette proposition de loi cherchent à répondre, je ne peux que souligner le scepticisme de la commission des affaires économiques à l’égard de ce texte : certaines de ses dispositions posent de vraies difficultés d’ordre constitutionnel.
Dans le même souci d’équilibre qui a inspiré la loi de 2000, une réflexion doit être menée aujourd’hui sur les moyens de faire respecter par les communes leurs obligations en matière d’accueil.
D’autres sujets mériteraient d’être traités dans un grand texte relatif à l’accueil et au statut des gens du voyage, tels que le statut juridique de ces derniers. Je m’étonne d’ailleurs que notre collègue Pierre Hérisson, qui avait déposé en juillet 2012 une proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie, ait déposé aujourd’hui cette proposition de loi très incomplète.
Avant de reprendre dans l’ordre ces différents points, je me dois, au préalable, de souligner que cette proposition de loi constitue une réponse aux indéniables difficultés rencontrées par certains élus locaux, d’ailleurs largement relayées par les médias. Certains élus locaux, dont la commune respecte ses obligations légales, se trouvent démunis face à l’arrivée inopinée de plusieurs dizaines de caravanes et à l’occupation illicite de terrains publics ou privés. Lorsque j’étais moi-même élu local, j’ai été confronté à ce type de situation : je suis donc tout à fait conscient du problème et, en particulier, du sentiment d’abandon qu’éprouvent les élus locaux en de telles circonstances.
Il convient donc de réaffirmer, à la suite de notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye dans son rapport sur la loi Besson, que « les efforts importants demandés aux communes doivent avoir pour contrepartie une répression effective du stationnement illicite ». Tout le monde est d’accord là-dessus, et il ne sert à rien d’opposer de prétendus laxistes et des non-laxistes.
Autrement dit, il convient, madame la ministre, d’apporter une réponse très ferme à la question des occupations illicites. J’espère que vous pourrez nous donner des assurances en la matière.
Cela étant dit, j’attire votre attention, monsieur le président, mes chers collègues, sur le fait que, au cours des trois dernières années, plusieurs rapports importants ont été publiés sur l’application de la loi de 2000. Je pense à un rapport d’octobre 2010 du Conseil général de l’environnement et du développement durable, à un rapport de mars 2011 fait par Didier Quentin au nom d’une mission d’information de l’Assemblée nationale, au rapport de juillet 2011 de notre collègue Pierre Hérisson, Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun », ainsi qu’à un rapport d’octobre 2012 de la Cour des comptes sur l’accueil et l’accompagnement des gens du voyage.
À la lecture de ces documents, un constat s’impose : aucun d’entre eux ne suggère de modifier le dispositif de sanction en cas de stationnement illégal dans les communes respectant leurs obligations. Notre collègue Pierre Hérisson lui-même, dans son rapport, n’avait formulé aucune proposition en la matière.
Comment expliquer cette absence de proposition sur ce sujet ? Pour répondre à cette question, je me contenterai de citer le rapport du député Didier Quentin, qui soulignait que « le législateur [était] probablement allé en 2007 aussi loin qu’il était possible d’aller. »
Dans une décision du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que, « compte tenu de l’ensemble des conditions et des garanties qu’il a fixées et eu égard à 1’objectif qu’il s’est assigné, le législateur a adopté des mesures assurant une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les autres droits et libertés ».
En s’appuyant sur cette décision, notre collègue député Didier Quentin a donc conclu que « la constitutionnalité de la procédure repose en partie sur les conditions et garanties qui ont été fixées, qu’il serait donc constitutionnellement périlleux d’assouplir ».
Dans ces conditions, pour la commission des affaires économiques, les dispositions prévues par les articles 2, 3 et 4 de la proposition de loi initiale de notre collègue Hérisson posaient de réelles difficultés constitutionnelles. C’est pourquoi elle a adopté des amendements de suppression de ces articles.
Au-delà de la question constitutionnelle, la proposition de loi de notre collègue Hérisson est déséquilibrée. Elle ne traite la question de l’accueil des gens du voyage que sous un angle répressif, alors que la problématique est beaucoup plus vaste, comme l’ont d’ailleurs relevé les rapports que j’ai évoqués précédemment.
Le statut juridique des gens du voyage est, ainsi, l’un des sujets qui n’est pas du tout évoqué par la proposition de loi.
Les gens du voyage sont soumis à la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. Une partie de cette loi, notamment ses dispositions discriminatoires portant sur l’exercice du droit de vote, a été déclarée contraire à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel en date du 5 octobre 2012. Demeurent cependant en vigueur les dispositions relatives au livret spécial de circulation ou au rattachement obligatoire à une commune.
La loi de 1969 a été dénoncée tant par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité que par la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Sur mon initiative, la commission des affaires économiques a adopté un amendement visant à abroger cette loi, comme le propose d’ailleurs notre collègue Hérisson dans sa proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie.
Autre sujet qui n’est pas évoqué par la proposition de loi : les communes défaillantes.
Trop peu d’aires d’accueil ont été construites. Le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2012 a souligné que le taux de réalisation des places en aires d’accueil prévues par les schémas départementaux n’était que de 52 % à la fin de 2010, soit dix ans après le vote de la loi Besson.
Les écarts d’un département à l’autre sont très importants : le rapport de la Cour des comptes relève que, pour les dix départements où l’obligation de réalisation est la plus importante, ce taux varie de 8 % – les Alpes-Maritimes – à 56 % – Seine-et-Marne et Haute-Garonne.
Le pouvoir de substitution prévu par la loi Besson n’a cependant jamais été mis en œuvre. Il convient donc de réfléchir, en lien avec les associations d’élus locaux, aux moyens de renforcer l’effectivité de la loi Besson, en améliorant le pouvoir de substitution du préfet aux maires défaillants, voire en créant des pénalités financières pour les communes ne respectant pas leurs obligations.
On pourrait s’inspirer du dispositif prévu par l’article 55 de la loi SRU, en prévoyant un prélèvement sur les ressources des communes défaillantes ou en permettant au préfet de conclure des conventions avec des organismes pour construire les aires nécessaires. L’éventuel constat de carence devrait prévoir, comme pour la construction de logements sociaux, la prise en compte des spécificités locales et des réelles difficultés rencontrées par certaines communes, par exemple en raison de l’absence de foncier disponible.
Les évolutions constatées depuis l’adoption de la loi Besson ne sont pas traitées non plus par cette proposition de loi, alors qu’il conviendrait de les prendre en compte. Je pense notamment à deux problématiques évoquées par l’ensemble des rapports évoqués précédemment : la question des aires de grand passage et l’accès au logement des gens du voyage qui se sédentarisent.
Pour ce qui concerne les aires de grand passage et les grands rassemblements, les difficultés rencontrées par les élus locaux ont été soulignées, lors de l’examen de mon rapport par la commission des affaires économiques, par des collègues appartenant aux divers groupes politiques de notre assemblée. Il faut cependant rappeler que seules 29 % des aires d’accueil prévues par les schémas départementaux ont été réalisées !
Pour autant, madame la ministre, que pensez-vous de l’idée de renforcer la coordination à l’échelon national et l’information des collectivités territoriales en créant un poste de médiateur, comme l’a suggéré notre collègue Bruno Retailleau dans le cadre des travaux de la commission des affaires économiques ?
Je souhaite évoquer un peu plus longuement la question de l’accès au logement des gens du voyage, problématique qui relève pleinement du champ de compétence de notre commission.
Toutes les études montrent un phénomène de sédentarisation partielle ou totale des gens du voyage. Or, faute de terrains adaptés, la sédentarisation se fait bien souvent sur des aires permanentes d’accueil. Ainsi, les aires d’accueil sont aujourd’hui majoritairement utilisées par des familles semi-sédentarisées, ce qui pose deux problèmes majeurs : d’une part, ces aires ne sont pas adaptées à une occupation permanente, d’autre part, la rotation ne peut pas se faire.
Il convient donc de réfléchir à une éventuelle modification de la loi de 2000 afin de permettre la prise en compte par les schémas départementaux des besoins en matière de terrains familiaux ou d’habitat adapté.
Mes chers collègues, entre 2004 et 2012, seules 791 places en terrain familial ont été financées. C’est évidemment très insuffisant !
De même, il faudrait que les schémas départementaux soient davantage coordonnés avec les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées, les PDALPD, ces derniers devant, en principe, identifier les besoins des gens du voyage en matière d’habitat adapté et définir des objectifs de réalisation quantifiés et territorialisés.
Je l’ai dit, la commission des affaires économiques n’a pu examiner le texte de la commission des lois et n’a pas été en mesure de se prononcer sur les modifications apportées par celle-ci. Je salue cependant, à titre personnel, le texte issu des travaux de la commission des lois, notamment la réécriture des articles 2 et 3 de la proposition de loi, qui posaient de réels problèmes constitutionnels.
Au nom de la commission des affaires économiques, je présenterai deux amendements. Le premier vise à abroger la loi de 1969. Le second tend à supprimer l’article 4 de la proposition de loi, qui, outre qu’il soulève des difficultés constitutionnelles sérieuses, me paraît inapplicable sur le terrain, comme l’a souligné le rapporteur de la commission des lois.
La commission des affaires économiques a finalement jugé que la proposition de loi initiale, si elle répondait à de véritables difficultés, posait des problèmes juridiques et qu’elle était à la fois déséquilibrée et incomplète. J’espère que la discussion en séance publique permettra de corriger les défauts de ce texte, déjà amélioré par la commission des lois.
Par ailleurs, je sais que notre collègue député Dominique Raimbourg a déposé la semaine dernière une proposition de loi qui embrasse l’ensemble du champ de l’accueil des gens du voyage, c'est-à-dire les questions du statut juridique, de l’effectivité de la loi Besson, des moyens légaux permettant de mettre fin aux occupations illicites... Ce texte devrait permettre la discussion sereine et sans exclusive qui est souhaitée, je le pense, sur toutes nos travées.
Comme le proposait Pierre Hérisson dans son rapport au Premier ministre du mois de juillet 2011, il est temps de « restructurer le droit applicable aux gens du voyage autour d’une loi unique par une mise à jour de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ». §