Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, près de trois cent soixante années séparent le premier dispositif relatif aux gens du voyage du texte que nous examinons aujourd’hui : en 1662, une ordonnance de Colbert qualifiait de délits le nomadisme, l’oisiveté et l’errance.
Tout au long de ces trois siècles, la législation a certes évolué, mais les pratiques et les mentalités sont encore trop souvent empreintes d’un jugement négatif à l’égard des personnes itinérantes. Il y a, bien entendu, la peur de ce qui est différent, la méconnaissance des autres ; il y a aussi parfois un manque de pédagogie. La proposition de loi telle que celle qu’ont déposée nos collègues de l’UMP est la parfaite illustration de ce défaut.
On peut en effet s’interroger sur la volonté, à la veille d’échéances municipales, de se saisir de la question du renforcement de l’arsenal répressif à l’encontre du stationnement illicite des gens du voyage.
L’article 1er de la proposition de loi initiale prévoyait de doubler les peines prévues pour réprimer le fait de s’installer en réunion en vue d’y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui a respecté ses obligations au regard du schéma départemental des aires d’accueil des gens du voyage ou qui n’y est pas inscrite, soit à tout autre propriétaire sans autorisation de sa part.
Cette disposition a été jugée inopérante par notre commission, ce qui l’a conduite à supprimer l’article en question. En effet, cette démarche visant à sanctionner plus lourdement les gens du voyage ne peut être opérante sans une réévaluation des besoins réels et tant que l’ensemble des collectivités locales ne respectent pas leurs engagements.
J’ai évoqué le manque de pédagogie. C’est le cas de cette proposition de loi, je l’ai dit, mais aussi de la majorité des vingt et une propositions de loi déposées depuis le vote de la dernière grande loi sur le sujet, en 2000. La plupart d’entre elles visent à alléger, simplifier, modifier ou renforcer les procédures d’expulsion. Les propositions de renforcement des sanctions, dont on connaît l’inutilité, ne contribuent pas à faire évoluer les mentalités pour que le libre choix de vie de chacun soit respecté, étant entendu que ce libre choix de vie ne doit évidemment pas empiéter sur les droits d’autrui.
Cependant, encore une fois, l’aggravation de sanctions n’est pas le bon chemin à emprunter, d’autant que ce chemin mènerait certainement à l’inconstitutionnalité. Comme l’a souligné le rapporteur pour avis, cette proposition de loi soulève des difficultés d’ordre constitutionnel.
En effet, dans sa décision du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que la procédure d’évacuation spécifique des résidences mobiles des gens du voyage était conforme à la Constitution, du fait de son encadrement par la loi de 2007. Comme le précise le rapport de M. Leconte, « il ressort de cette décision que la constitutionnalité de la procédure repose en partie sur les conditions et garanties qui ont été fixées, et qu’il serait donc constitutionnellement périlleux d’assouplir ».
Les dispositions de la présente proposition de loi qui modifient, en les assouplissant, les conditions et les garanties de la procédure d’évacuation des résidences mobiles des gens du voyage comportent donc un fort risque d’inconstitutionnalité.
Aujourd’hui, sur le plan législatif, la référence en matière de stationnement des gens du voyage est la loi de 2000. Ce texte comporte des avancées non négligeables.
L’obligation, pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants, de réserver des terrains aménagés aux gens du voyage, rendait possible, en contrepartie, l’interdiction de stationnement des ceux-ci sur le reste du territoire communal par le maire. Cependant, il aurait fallu leur donner vraiment les capacités financières pour le faire jusqu’au bout. Déjà en 2000, notre groupe avait soulevé la question du financement.
Cette loi contient des dispositions financières substantielles à la charge de l’État, pour le financement de l’investissement et pour la compensation des charges de fonctionnement. Toutefois, les départements et les communes y contribuent de façon importante, ce qui, compte tenu des difficultés financières que connaissent déjà ces collectivités, nuit à l’application de ce texte, y compris lorsque les élus sont de bonne volonté.
C’est ainsi que l’on constate encore aujourd’hui un très grand déficit quant au nombre d’aires d’accueil. Il en résulte une très forte pression sur les communes qui sont dotées d’un équipement et qui, de fait, se jugent pénalisées alors qu’elles ont respecté la loi. Il en résulte également une dissuasion encore plus forte pour les communes les moins coopérantes.
Mes chers collègues, nos lois doivent tendre vers la création des conditions d’un équilibre satisfaisant entre, d’une part, la liberté constitutionnelle d’aller et venir, l’aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d’autre part, le souci, également légitime, des élus locaux d’éviter les installations illicites, qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés. Cet équilibre entre droits et devoirs relève de la responsabilité de l’État, en partenariat avec les collectivités locales, les gens du voyage et les populations sédentaires concernées.
La préservation de cet équilibre exige que l’on dépasse le cadre répressif. En la matière, comme dans bien des domaines, la loi doit contribuer à faire évoluer les mentalités. La loi ne doit pas conduire à toujours plus réprimer, mais poursuivre des fins de justice sociale et d’égalité de traitement. C’est l’objet de certains de nos amendements, en particulier deux d’entre eux, l’un visant à supprimer la loi de 1969, l’autre visant à reconnaître publiquement l’internement des nomades durant la Seconde Guerre mondiale.
Certes, l’article 1er a été supprimé par la commission, mais les articles 4 et 5 demeurent, qui ne sauraient être maintenus, car ils portent aussi atteinte à l’équilibre que j’évoquais voilà quelques instants. L’article 4 prévoit de réduire à six heures le délai d’exécution de la mise en demeure dans le cas où les occupants du terrain en cause ont déjà procédé à une occupation illicite sur le territoire de la commune ou d’une autre commune du département. Quant à l’article 5, il tend à réduire de soixante-douze heures à quarante-huit heures le délai maximal dans lequel le tribunal saisi doit statuer en cas de recours contre une mise en demeure de quitter les lieux illicitement occupés.
Nous avons également déposé des amendements de suppression de ces articles.
Nous avons en outre déposé des amendements qui nous paraissent de nature à enrichir le texte ; le sort qui leur sera réservé déterminera notre vote final.
Sachez, mes chers collègues, que les membres du groupe communiste républicain et citoyen soutiendront toutes les mesures permettant de concilier le droit à un habitat adapté et la libre circulation des personnes dans un rapport équilibré entre les droits et les devoirs de chacun, exigence dont, malheureusement, cette proposition de loi n’est, pour l’instant, pas porteuse. §