Intervention de Philippe Marini

Réunion du 12 décembre 2013 à 22h15
Loi de finances rectificative pour 2013 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le collectif budgétaire, c’est deux choses : l’ajustement des comptes en fin d’année, qui conduit à se retourner sur un exercice presque terminé, et diverses mesures législatives et fiscales pour l’avenir. Je bornerai l’essentiel de mes commentaires au premier aspect.

Que retiendra-t-on, monsieur le ministre, de l’exercice 2013 ?

À mon avis, on en retiendra d’abord que l’objectif de retour du ratio de déficit par rapport au PIB sous le seuil de 3 % a été repoussé de deux ans, avec la bienveillance, il faut le dire, de l’Union européenne. De plus, l’objectif de retour à l’équilibre des comptes publics en 2017, engagement de celui qui allait devenir Président de la République et qui avait été réaffirmé après son élection, a également été abandonné puisque l’objectif de solde effectif est désormais, pour 2017, un déficit de 1, 2 % du PIB.

On retiendra aussi que le ratio de dette par rapport au PIB s’établit à présent à 93, 4 % du PIB et qu’il devrait encore augmenter en 2014, alors qu’il y a un an on prévoyait qu’il culminerait en 2013 à 91, 3 %.

On se souviendra sans doute, par ailleurs, que 2013 devait être l’année au cours de laquelle les règles budgétaires allaient enfin devenir plus intelligentes, en donnant un poids plus grand à la notion de solde structurel.

La trajectoire de solde structurel n’a pas non plus été respectée en 2013 et le déficit structurel s’établira, à la fin de 2013, à 2, 6 % du PIB, au lieu de 1, 6 % prévu.

L’instance, que vous avez citée, qui a été créée, à juste titre, pour surveiller attentivement, parmi d’autres choses, le respect de cette trajectoire, le Haut Conseil des finances publiques, vient de confirmer qu’elle sera amenée à constater en 2014 un « écart important » par rapport à la trajectoire et qu’il faudra donc enclencher en 2014 le mécanisme de correction automatique prévu par les accords européens, comme par la législation française.

On ne sait toujours pas, cependant, comment cette correction interviendra. Je présume que cela se fera, sans trop de surprise, par une modification des chiffres de la programmation pluriannuelle des finances publiques, ce qui annulera visuellement l’écart, mais non pas le dérapage des comptes dans leur réalité. À la vérité, ce sera tellement plus simple que de faire des efforts supplémentaires !

En tout état de cause, monsieur le ministre, on peut déjà se demander si la réévaluation du PIB potentiel, notion clef de la nouvelle gouvernance budgétaire, qui devrait intervenir dans la nouvelle loi de programmation des finances publiques, ne conduira pas à constater que la route est encore longue avant de parvenir à l’équilibre structurel et que de nouveaux efforts, plus importants que ceux prévus, seront indispensables !

L’année 2013 a cependant été marquée par un élément positif : l’absence de polémique sur les prévisions de croissance, qui, me semble-t-il, doit être largement portée au crédit du Haut Conseil des finances publiques, cette instance d’expertise à laquelle on ne peut mentir sur de tels sujets.

Il faut aussi se souvenir, mes chers collègues, qu’en 2013 le taux d’évolution en volume des dépenses publiques, variable essentielle pour construire une programmation, aura connu – je pèse mes mots – un spectaculaire dérapage.

Je m’y arrête, car l’évolution des dépenses publiques est le sujet essentiel pour les années à venir, tout le monde l’admet. Au demeurant, lorsque j’ai été reçu, avec d’autres présidents de commission, par le Premier ministre pour l’exercice de « remise à plat », celui-ci a consacré une bonne partie de son propos liminaire à nous dire que c’est sans doute plus sur la fiscalité que sur la dépense publique qu’il faudrait agir.

En 2013, on attendait une progression en volume des dépenses publiques de 0, 9 %. Dans la réalité, – soyez-y attentifs, mes chers collègues ! – nous aurons une progression de près du double, soit 1, 7 %. Malgré ce dérapage, le Gouvernement construit ses prévisions pour 2014 en considérant que le rythme de progression des dépenses publiques sera divisé par quatre, c’est-à-dire n’atteindrait plus en volume que 0, 4 %.

Comment y parviendrez-vous, monsieur le ministre ? Comme un tel ralentissement de la dynamique de la dépense publique s’opérera-t-il ?

On nous dit que les dépenses de l’État, qui ont été réduites de 0, 3 % en volume en 2013, baisseraient de 1, 7 % en 2014.

On nous dit aussi que les dépenses des administrations de sécurité sociale verraient leur rythme de progression divisé par près de trois pour passer de 2, 3 % en volume en 2013 à 0, 8 % en 2014.

On nous dit, enfin, que les dépenses des collectivités locales cesseraient de progresser en 2014, après avoir augmenté de 2 % en volume en 2013.

Sur le fondement de quelles hypothèses peut bien reposer – pardonnez-moi l’expression – ce wishful thinking spectaculaire ? Quels phénomènes défavorables en 2013 ne se reproduiraient pas en 2014 ? Cela mériterait, pour avoir un bon débat, monsieur le ministre, d’être explicité de manière beaucoup plus précise que ce qui figure dans le rapport économique, social et financier pour 2014.

Lorsque l’on s’intéresse aux dépenses de l’État, au sens strict, que voit-on ?

On voit d’abord que les dépenses du budget général seront un peu supérieures en 2013 à leur niveau de 2012, soit 287, 2 milliards d’euros contre quelque 286 milliards d’euros l’année précédente. Ce ne sont plus là des chiffres conceptuels ou structurels, mais des chiffres nominaux en euros sonnants et trébuchants !

On voit aussi que le montant du prélèvement européen dérape de 1, 6 milliard d’euros. Alors que de plus en plus d’États de l’Union européenne obtiennent des rabais sur leurs contributions nettes au budget européen, la France demeure un bon élève et paie sans contrepartie.

On voit, enfin, que des crédits sont ouverts en collectif, dans le cadre de l’exercice de collecte qu’évoquait le rapporteur général, en complément de ceux qui ont été autorisés par le récent décret d’avance, essentiellement pour financer des dépenses de guichet : aides personnalisées au logement, aide médicale d’État destinée aux étrangers en situation irrégulière, par exemple. En face, des crédits sont annulés. Quels postes fournissent les gages ? L’équipement des forces armées et les infrastructures de transport.

Ce constat pourrait me conduire – mais je n’y insisterai pas – à mettre en doute l’exercice de réforme ou de restructuration des services publics qu’est censé représenter la nouvelle, et parée de toutes les vertus, « modernisation de l’action publique ». Ce que je vois surtout, c’est que l’on rabote, à juste titre d’ailleurs, les trésoreries disponibles, bonne vieille méthode budgétaire que je ne rejette pas, tant s’en faut, mais qui n’est pas véritablement porteuse de réforme. Je vois aussi que l’on sacrifie les crédits d’intervention et d’investissement, et que l’on annonce toujours de nouvelles économies, non documentées ou si peu, pour demain ou après-demain.

Que remarque-t-on encore en examinant ce collectif de la fin de l’année 2013 ?

Les recettes rentrent moins bien que prévu. Je ne reviens pas sur les chiffres, que vous connaissez ; le rapporteur général les a donnés.

Je m’inquiète en particulier pour l’avenir de la TVA, qui est notre premier impôt en termes de rendement fiscal. Ce gouvernement, comme le précédent, – mais de façon moins directe et, à mon sens, moins efficace – a constaté qu’il était plutôt positif d’effectuer des transferts de l’impôt de production vers l’impôt de consommation. Cela se traduit par les augmentations de taux de TVA qui figurent dans la loi de finances pour 2014.

Monsieur le ministre, si l’on est de moins en moins en mesure de prévoir le rendement de la TVA et si les évolutions de l’économie – je pense en particulier au développement de l’économie numérique – fragilisent son rendement, il sera vraiment très difficile d’imaginer, « remise à plat » ou non, une véritable stratégie fiscale.

Les récents travaux de la commission des finances, au-delà des différences respectives d’opinions de ses membres, constituent à cet égard une mise en garde contre les risques d’érosion de l’assiette de la TVA, compte tenu de divers phénomènes que nous ne maîtrisons pas.

On remarque aussi dans ce collectif que le déficit de l’État passerait de 87, 2 milliards d’euros en 2012 à 71, 9 milliards en 2013, mais que cette réduction de 15 milliards d’euros est sans incidence, ou presque, sur le besoin de financement de l’État, lequel est quasiment stable : il passerait de 187 milliards d'euros à quelque 186 milliards d'euros. Cela s’explique par des amortissements plus importants que prévu de titres de la dette antérieure, ainsi que par la reprise de la dette de 4, 5 milliards d’euros résultant des déboires de l’ancien Crédit lyonnais. On peut soutenir que, sur la dette, selon le calcul maastrichtien, c’est sans incidence, il n’en reste pas moins que, sur le besoin de financement de l’État et, donc, sur le recours au marché, l’incidence est réelle.

Mes chers collègues, en comparant l’exécution à la prévision en loi de finances initiale, j’observe les bienfaits d’une gestion active de la dette ; il faut en rendre hommage à l’Agence France Trésor. En 2013, il a fallu financer un déficit supérieur d’environ 10 milliards d’euros aux prévisions ainsi que la reprise de la dette de l’Établissement public de financement et de restructuration, l’EPFR, soit une quinzaine de milliards d’euros, et tout cela a été réalisé sans que le montant des émissions à moyen et long termes soit modifié, puisqu’il demeure à 169 milliards d’euros.

Cependant, la magie financière n’agit pas toujours et la conjoncture des taux d’intérêt, dont nous bénéficions et c’est heureux, ne sera probablement pas éternelle. Le Gouvernement le pense, monsieur le ministre, puisque, dans certains documents, c’est l’argument avancé pour justifier la reprise des 4, 5 milliards d’euros de dettes de l’EPFR : raisonnablement, au regard des différents facteurs qui existent dans le monde, il faut s’attendre à une tension sur les taux d’intérêt.

Mes chers collègues, je terminerai sur les dispositions législatives et me concentrerai sur la réforme de l’assurance vie.

Après de nombreux rapports, dont ceux qui ont déjà été cités, les mesures proposées en faveur du contrat dit « euro-croissance », lequel vise à orienter l’épargne vers des placements en actions tout en offrant aux souscripteurs une garantie à terme, sont utiles. C’est un point positif. Pourquoi faut-il alors que, dans le même temps, apparaissent une taxe sur les contrats transformés et une modification du mode d’assujettissement aux prélèvements sociaux particulièrement défavorable aux épargnants que l’on veut inciter à souscrire ces nouveaux produits ? Cette façon de procéder, un coup dans un sens puis un coup dans l’autre, obérera en grande partie l’efficacité du dispositif et engendrera peu de bénéfices pour l’économie.

Quant au contrat « vie-génération », il aurait dû permettre de transmettre son patrimoine dans de meilleures conditions. Or, dans le même temps, la taxation en cas de décès est alourdie, de manière à neutraliser l’avantage fiscal que procure ce contrat. Alors à quoi bon ? En outre, ce produit est soumis à de très rigides contraintes d’investissement. Cela nous rappelle les anciens contrats DSK et NSK. Il est frappant de constater que le présent projet de loi de finances rectificative supprime les contrats NSK, dont la diffusion était restée confidentielle car ils étaient beaucoup trop compliqués. Il faudrait tout de même tirer les leçons des échecs du passé !

Enfin, monsieur le ministre, je relève quelques dispositions d’inspiration bureaucratique pour faire bonne mesure. Je pense à la création d’un fichier central des assurances vie qui, chaque année, recenserait dans le détail les contrats de millions de Français.

On aboutit ainsi à un empilement de mesures contradictoires, qui sont à mon sens mal maîtrisées et se révéleront malheureusement peu efficaces, alors que nous sommes tous en accord pour rechercher des mesures à la hauteur des enjeux liés au financement de l’économie.

Peut-être faut-il attendre la remise à plat de la fiscalité. Peut-être est-ce l’horizon auquel vous allez nous confier. Vous comprendrez toutefois, monsieur le ministre, que le scepticisme ait été de mise au sein de la commission des finances. C’est pourquoi celle-ci préconise le rejet du texte. §

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