Intervention de Philippe Dallier

Réunion du 12 décembre 2013 à 22h15
Loi de finances rectificative pour 2013 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce collectif de fin d’année est pour nous l’occasion, avant même la loi de règlement, de dresser un premier bilan d’une année budgétaire tumultueuse pour le Gouvernement et durement ressentie par nos concitoyens.

Premier cycle budgétaire complet pour votre majorité, ce rendez-vous nous permet donc de comparer vos résultats, tels qu’ils apparaissent aujourd’hui, à vos prévisions, inscrites dans la loi de finances initiale adoptée à l’automne 2012.

Texte budgétaire après texte budgétaire, monsieur le ministre, vous avez fondé tout votre argumentaire sur la vérité des chiffres. Les chiffres, tous les chiffres, rien que les chiffres, tel est votre credo, assorti, bien souvent d’une comparaison au vitriol avec la période précédente. Eh bien, nous voilà au premier rendez-vous significatif. Nous allons voir quels sont vos résultats.

Et que dire d’autres des chiffres que vous nous présentez, si ce n’est qu’ils sont assez loin, bien trop loin de la prévision, et donc, en tant que tels, qu’ils ne sont pas bons.

Oh ! nous savons bien, les uns et les autres, que la prévision budgétaire est un art difficile, particulièrement en période de crise, en dépenses comme en recettes. Il est difficile de soutenir le contraire. Voilà pourquoi la prudence devrait être le fil conducteur de tout ministre.

Mais à l’été 2012, en préparant le projet de loi de finances pour 2013, vous étiez encore tout à l’euphorie de votre victoire électorale dont chacun se souvient des principaux slogans : la crise, c’est Nicolas Sarkozy, la compétitivité de nos entreprises est à peine un sujet, quant au déficit public, pour le réduire, il suffirait de faire payer les riches. Tel était le triptyque qui, on doit le reconnaître, a fonctionné puisqu’une majorité de Français y a cru.

Le budget 2013 a donc été construit sur ce malentendu avec les Français mais aussi, et c’est bien plus grave, sur une erreur d’analyse de la gravité et des causes de la crise que nous traversons. Non, monsieur le rapporteur général, ce que nous vivons là, ce n’est pas la traduction de la théorie économique des cycles courts que vous avez évoquée en commission des finances, c’est une crise bien plus profonde pour notre économie et la croissance ne reviendra pas toute seule, après une période de pessimisme des investisseurs qui devrait leur passer.

Le Président de la République aura mis six mois avant de reconnaître publiquement, à la télévision, qu’il avait sous-estimé la gravité de la crise. C’était début 2013, mais c’était trop tard, le budget était déjà voté et vous n’avez pas voulu de collectif budgétaire jusqu’à celui-ci.

La prévision de croissance avait donc été fixée à 0, 8 %, ce qui s’est très vite révélé absolument illusoire. Sur la base de cette prévision, vous avez augmenté, sans commune mesure, les impôts et les taxes de toutes natures, en déduisant presque mathématiquement les recettes attendues. On croyait même, à tort manifestement, que vous étiez allé au bout de votre imagination puisque Jérôme Cahuzac déclarait doctement, en janvier 2013 : « La réforme fiscale est faite ».

Les Français pouvaient donc légitimement penser que toutes les injustices avaient été réparées, qu’en 2013 les riches allaient enfin payer pour combler le déficit, que la machine économique, grâce au CICE, allait se remettre en marche, que la croissance reviendrait et que le chômage baisserait.

Chacun ici connaît la suite de l’histoire et peut constater aujourd’hui combien la réalité est différente. Non, la légère croissance espérée – 0, 8 %, ce n’était tout de même pas beaucoup ! – n’est pas au rendez-vous, les rentrées fiscales non plus, le chômage a continué de progresser et les Français ont découvert stupéfaits qu’ils devaient tous être riches puisque tous, ou presque, ont vu leurs impôts augmenter et globalement leur pouvoir d’achat baisser.

Onze milliards d’euros de recettes en moins, par rapport à la prévision, voilà bien le premier chiffre à retenir alors que ce n’est pas celui sur lequel l’attention semble se focaliser le plus. Il est d’ailleurs assez paradoxal qu’en matière d’exécution budgétaire on parle toujours beaucoup de la maîtrise des dépenses, ce qui est très utile, et peu, et moins souvent, de la baisse des recettes ou de la rentrée des recettes, comme si, à partir du moment où les taux des impôts et des taxes étaient votés, le produit attendu était quasiment certain.

Ce collectif budgétaire nous démontre qu’il n’en est rien et c’est bien là que le bât blesse particulièrement cette année.

Alors pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Eh bien, je crois qu’on peut le résumer en deux phrases, quitte à être taxé de populiste, mais puisqu’on nous a appris que François Mitterrand disait la même chose… Après tout, monsieur le rapporteur général, oui : « Trop d’impôts tue l’impôt », et « Trop d’impôts étouffe la croissance ».

Pouviez-vous faire autrement ? Bien sûr, mais vous ne l’avez pas voulu. À peine arrivés aux affaires, vous avez supprimé la TVA anti-délocalisation qui aurait eu des effets immédiats pour nos entreprises, dès l’automne 2012, pour la remplacer par le CICE qui aura eu peu d’effets en 2013 et dont le coût est d’ailleurs reporté, par un tour de passe-passe budgétaire, sur l’année 2014 et les années ultérieures. Et finalement vous aurez augmenté la TVA, ce que vous nous reprochiez. On aurait envie de vous dire : « Tout cela pour ça ».

Vous auriez également pu utiliser, de manière plus importante, le levier de la baisse des dépenses. Certes, j’en conviens, c’est difficile et ce n’est pas sans risque. Mais vous nous dites que vous le ferez en 2014 de façon très importante et que vous réitérerez, en allant plus loin, en 2015 et en 2016.

Or, là aussi, vous étiez pris au piège de vos promesses électorales. La RGPP était coupable de tous les maux, alors vive la MAP, la modernisation en douceur de l’action publique, qui d’ailleurs ne contente même pas les responsables du fameux think tank Terra Nova qui viennent d’en dire tout le mal qu’ils en pensent. Alors à quoi bon, monsieur le ministre ? Et puis, à chaque nouvelle contestation, et cela finit par ne pas être neutre budgétairement, le Gouvernement lâche quelques centaines de millions d’euros.

Effort insuffisant sur les dépenses, pression fiscale trop importante, tout cela a bien évidemment pesé sur notre économie et sur les résultats de cet exercice 2013, tels qu’ils se dessinent.

Certes, et c’est tant mieux, le déficit diminue par rapport à l’année dernière, mais on a envie de vous dire « heureusement », monsieur le ministre, au regard de l’augmentation de la pression fiscale ! C’est une bien maigre consolation, qui ne nous permettra pas de tenir les engagements de la France ; le Haut Conseil des finances publiques en tirera d'ailleurs les conséquences.

Pourtant, vous n’hésitez pas à parler de « bons résultats » s'agissant du déficit 2013. Permettez-moi de vous dire que nous ne partageons pas ce point de vue. La loi de finances initiale estimait le déficit à 61, 5 milliards d'euros ; il s’élèvera en fait à 71, 9 milliards d'euros. Cet écart correspond peu ou prou aux 11 milliards d'euros de recettes fiscales en moins, puisque les dépenses sont tenues grâce à la très utile réserve de précaution et aux annulations de crédits, qui ne sont pas toutes sans conséquence ni toutes vertueuses ; j’y reviendrai.

Au total, si l’on prend en compte les rentrées de recettes sociales, qui devraient être en retrait de 7, 9 milliards d'euros, et si l’on y ajoute 1, 9 milliard d'euros de recettes en moins pour les collectivités territoriales, plus de 20 milliards d’euros ne seront pas rentrés cette année. C’est bien le chiffre que notre collègue député Gilles Carrez avait avancé avant l’été. Que n’aviez-vous dit alors ! Malheureusement, nous constatons aujourd'hui qu’il avait raison.

Ce manque de recettes fiscales s’explique bien sûr par une croissance atone, que vous n’avez pas su soutenir. Estimée de manière très volontariste à 0, 8 % en loi de finances initiale, elle atteindra péniblement 0, 1 % ou 0, 2 %, alors que certains de nos partenaires européens feront mieux. Comment s’en étonner et, surtout, comment ne pas y voir, en grande partie, l’un des effets récessifs du matraquage fiscal auquel vous avez soumis les entreprises et les particuliers ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion