Vous avez choisi de taxer plus, mais la base fiscale se dérobe. L’impôt sur les sociétés, l’impôt sur le revenu mais aussi la TVA rentrent bien moins que prévu. Nos entreprises, dont le taux de marge est déjà l’un des plus faibles d’Europe, continuent à perdre des parts de marchés, et les Français consomment moins car, pour beaucoup d’entre eux, ils gagnent moins et sont plus taxés ; voilà la dure réalité de cette fin 2013, celle que traduisent les chiffres de ce collectif budgétaire.
Alors, bien sûr, pour relativiser ce constat, vous nous ramenez sans cesse au passé : cinq ans, voire dix ans en arrière. Eh bien, justement, revenons-y. En 2002 – j’aime à le rappeler –, après cinq années de gouvernement Jospin, le déficit budgétaire était de 49, 3 milliards d'euros ; sur sa lancée, il est monté à 56 milliards d'euros en 2003 ; nous l’avons ramené à 34, 7 milliards d'euros en 2007, juste avant la crise. Est-ce de cela que nous devrions nous excuser, monsieur le ministre ? Nous avons réduit le déficit que nous avions trouvé en 2002.
La crise est venue. En 2009, le déficit a plongé à 138 milliards d'euros, sous l’effet d’une chute spectaculaire et inédite de 35 milliards d'euros des recettes de l’État, mais aussi du plan de sauvetage des banques et du plan de relance, que, à l’époque, vous ne trouviez pas assez généreux. Fallait-il le faire ou non ? Auriez-vous fait mieux ? En 2011, le déficit était ramené à 90, 7 milliards d'euros ; en 2012, année partagée, il s’établissait à 87, 2 milliards d'euros. Voilà les chiffres !
Pour ce qui est de la pression fiscale, oui, nous l’avons d’abord diminuée en 2007, avec la fameuse loi TEPA ; vous nous l’avez suffisamment reproché. Cependant, nous l’avons augmentée à partir de 2009, en raison de la crise. Au total, entre 2007 et 2012, la pression fiscale a progressé de 1, 1 point de PIB. Pour votre part, vous l’aurez augmentée de 1, 5 point en seulement dix-huit mois. Et, bien sûr, tout cela se cumule.
Les chiffres sont là : les prélèvements obligatoires représentaient 43, 4 % du PIB en 2007 et 44, 5 % en 2012. Avec ce collectif budgétaire, ils atteindront 46 % du PIB.
Au demeurant, je crois que les Français se moquent de cette bataille de chiffres présentés par les uns et par les autres sous l’angle le plus avantageux. Pour eux, l’année 2013 est l’année de la révolte fiscale, qui flirte dangereusement avec une révolte sociale.
En un an, vous aurez réussi l’incroyable exploit de fédérer contre vous presque toutes les forces vives du pays, qui se sont donné des surnoms évocateurs pour exprimer leur malaise : les « pigeons » pour les patrons de start up, les « poussins » pour les auto-entrepreneurs, les « moutons » pour les travailleurs indépendants, les « tondus » pour les très petites entreprises, les TPE, et les petites et moyennes entreprises, les PME, les « sacrifiés » pour les commerçants et artisans, les « asphyxiés » pour les professions libérales, les « bonnets rouges » pour les Bretons et transporteurs routiers, et enfin les « bonnets orange » pour les exploitants de centres équestres.
En somme, il n’est pas une seule catégorie – ou presque – d’entrepreneurs, c'est-à-dire de créateurs de richesses, qui ne soit saisie par le ras-le-bol fiscal. Au mois de septembre, vous aviez d'ailleurs semblé dénoncer vous-même ce ras-le-bol, monsieur le ministre, ce qui ne vous empêche pas de nous reprocher maintenant de le pointer du doigt à notre tour.
À l’évidence, le Président de la République a au moins tenu une de ses promesses : « Moi, Président de la République, je ne diviserai pas les Français ». Force est de constater qu’il les a rassemblés, mais plutôt contre lui ! Certains sondages estiment que le taux de mécontents atteint 85 %. C’est un record.
Vous avez d'ailleurs battu d’autres records en 2013 : record de la part des dépenses publiques dans le PIB, avec 57, 1 % ; record du taux de prélèvements obligatoires, avec 46, 3 % du PIB au printemps dernier ; record historique du taux d’endettement, que nous partageons avec vous ; record du taux de chômage depuis 1997, avec 10, 5 %. Voilà la dure réalité des chiffres. C'est pourquoi, en vous écoutant, monsieur le ministre, je me suis parfois demandé si nous vivions dans le même pays. Vous nous avez beaucoup parlé de l’avenir – il est vrai que c’est aussi votre rôle –, sans vous attarder sur l’année 2013, mais les chiffres sont là, et les Français ont du mal à les accepter.
Nos concitoyens constatent amèrement, jusqu’au sein même de votre majorité parlementaire, que les promesses de François Hollande se sont envolées comme les feuilles à l’automne. C’est notamment le cas de la promesse d’inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année, qui ne sera pas tenue, ou alors à grand renfort de cosmétiques.
Certes, au mois d’octobre, le nombre de chômeurs de catégorie A a baissé de 0, 6 %. Cette évolution serait positive si elle n’occultait une augmentation de 55 900 personnes du nombre de chômeurs pour l’ensemble des catégories A, B, C, D et E. Sur les douze derniers mois, le chômage de longue durée a explosé de 17, 6 % et le chômage des plus de cinquante ans a augmenté de 11, 4 % pour les catégories A, B et C, ce qui suffit à démontrer que le dispositif des contrats de génération ne fonctionne pas.
Les prévisions de l’UNEDIC pour 2014 sont alarmantes : il devrait y avoir 75 600 nouveaux inscrits à Pôle Emploi en catégorie A. Non, la baisse du nombre de chômeurs de catégorie A en octobre dernier n’est pas le signe d’une reprise économique qui se ferait sentir. Elle est essentiellement due à un recours massif aux emplois aidés – près de 600 000 en 2013 –, qui sont des emplois précaires pour leurs bénéficiaires et coûteux pour les finances de l’État. Ce sont ces contrats aidés qui expliquent la baisse du chômage des jeunes, dont on peut certes se réjouir, mais qui n’est pas portée par la croissance, alors que c’est ce qu’il nous faudrait.
Pour en revenir aux dispositions de ce projet de loi de finances rectificative, nous avons l’honnêteté de reconnaître qu’elles ne sont pas toutes négatives. Le texte contient de bonnes mesures, comme les contrats euro-croissance d’assurance vie ou les mesures de simplification qui soutiendront nos entreprises exportatrices. Cependant, le texte contient aussi des mesures que nous ne pouvons accepter.
Nous sommes notamment fermement opposés à la réaffectation d’au moins 55 % de la taxe d’apprentissage aux conseils régionaux ; sans doute est-ce un hasard, mais, à l’exception du conseil régional d’Alsace, ils sont tous dirigés par vos amis politiques… Cette réaffectation se fera au détriment de la liberté d’affectation de la taxe d’apprentissage par les entreprises…