Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 13 décembre 2013 à 10h00
Loi de finances rectificative pour 2013 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Pierre Moscovici, ministre :

J’en prends acte ! Mais, pour ce qui me concerne, je suis satisfait que nous n’ayons déposé qu’un projet de loi de finances rectificative en 2013, lequel était justifié par les ajustements de nature financière et technique qui étaient nécessaires et par la volonté de mettre en place de nouveaux outils de financement de l’économie.

Je me félicite également que nous n’ayons cédé en rien aux injonctions qui nous avaient été adressées.

À ce sujet, monsieur Delahaye, vous avez déformé mes propos : ce que j’ai toujours refusé, c’est d’ajouter l’austérité à nos difficultés ! La « rigueur » est un terme dont l’emploi est compliqué. Si nous essayons toujours d’être rigoureux sur le plan intellectuel ou lorsque nous gérons les finances publiques, la connotation donnée à ce mot par certaines politiques menées par le passé explique que je préfère le mot « sérieux ».

Nous avons refusé les injonctions à faire basculer notre économie dans la récession. Pour le coup, si nous avions procédé au plan d’ajustement que les parlementaires de droite avaient réclamé au printemps, la croissance se serait dégradée, ce que nous avons évité grâce à la politique justement calibrée que nous vous présentons aujourd'hui et que nous entendons mener jusqu’à son terme.

Nous avons souhaité un pilotage par le solde, par l’effort structurel, qui permet de laisser jouer, dans une certaine mesure, ce que l’on appelle les « stabilisateurs automatiques » en cas d’évolution défavorable de la conjoncture économique.

Contrairement à M. Marini, j’estime qu’il s’agit là d’un progrès indiscutable de notre gouvernance budgétaire, à laquelle je sais tous les sénateurs très attachés.

Monsieur le président de la commission des finances, tel est le bilan alternatif que je dresse de cette année 2013 !

Au demeurant, je veux également vous remercier d’avoir reconnu l’utilité de la création du produit « euro-croissance », saluée par l’ensemble des orateurs. Cette réforme est nécessaire, consensuelle et positive. Elle a vocation à être neutre sur les équilibres financiers de l’État. Je ne la conçois ni comme une réforme de rendement ni comme une réforme coûteuse.

Les mesures incitatives devaient être financées. Tel est l’objet de la taxe sur les assureurs. Quant à la création d’un fichier central des contrats d’assurance vie, elle permettra tout simplement que notre législation en matière d’impôt de solidarité sur la fortune et de droits de succession soit effective. En effet, chacun conviendra qu’en l’absence de reconnaissance des assiettes fiscales l’administration ne peut pas taxer !

Enfin, je vous confirme que nous avons bien tenu compte de ce que l’échec des précédents que vous avez cités – les contrats DSK et NSK – nous a appris. Il nous a ainsi semblé préjudiciable de prévoir une allocation d’actifs trop complexe ou trop contraignante.

Pour réagir aux propos des sénateurs de l’opposition, je veux d'abord remercier ceux qui, à l’instar de M. de Montesquiou, à la suite du président de la commission des finances, ont reconnu le bien-fondé des mesures incitatives favorables à la croissance, dans le présent projet de loi de finances rectificative.

Monsieur de Montesquiou, j’ai également noté votre intérêt pour la démarche ouverte et transpartisane qui est la nôtre dans le débat qui s’ouvre sur la remise à plat de la fiscalité.

Au passage, j’indique qu’il est très important que toutes les forces politiques participent à cette réflexion. J’ai entendu que la question de la participation des partis de l’opposition n’était pas tranchée. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que cette réflexion est de bonne foi ! J’en ai rappelé les objectifs hier : plus de simplicité, plus de lisibilité, plus de stabilité, plus de justice. Elle mérite que chacun lui apporte sa contribution.

Je veux maintenant revenir sur certains points des interventions des sénateurs siégeant sur les travées de droite, relatifs à la politique fiscale.

Je ne nie pas que des efforts aient été demandés aux Français en 2012 et en 2013, comme d'ailleurs les années précédentes : c’était, à court terme, la condition du redressement des comptes et de la sauvegarde de nos systèmes sociaux.

Sans esprit polémique, je veux rappeler la situation dans laquelle nous avons trouvé les finances publiques en mai 2012 : nous étions alors sous le coup de l’obligation de réduire les déficits structurels de quatre points entre 2010 et 2013, obligation contractée lorsque la droite était au pouvoir. Si nous ne l’avions pas respectée, nous aurions été soumis à des procédures tout à fait désagréables, et il est vraisemblable que notre crédit en eût été atteint très durement…

Or, lorsque j’ai pris mes fonctions au ministère de l’économie et des finances, les déficits structurels n’avaient été réduits que de 1, 5 point. Il fallait donc les réduire de 2, 5 points supplémentaires entre le milieu de l’année 2012 et la fin de l’année 2013 ! Je sais que l’exercice est difficile et, quand il m’arrive d’évoquer le bilan de la majorité précédente, je fais référence à cette obligation, dont nous continuons à assumer les conséquences en procédant au redressement nécessaire. Autrement dit, nous ne faisons que réparer ce qui a été précédemment défait ou dégradé ! Par conséquent, j’invite certains sénateurs de l’opposition à un peu de modestie…

Étant comptable de mes propos – en général, je m’efforce d’être cohérent –, je tiens à apporter une précision : le fait que les rentrées fiscales soient inférieures aux prévisions initiales s’explique non seulement par le niveau de la croissance, plus faible qu’anticipé, mais aussi largement par des effets d’élasticité, résultant de l’évolution défavorable et conjoncturelle de certaines assiettes taxables – et non de l’application de la courbe de Laffer, en laquelle je n’ai jamais cru. Ces aspects sont plus techniques, et il faut bien prendre en compte leurs effets.

On estime ces effets d’élasticité à 0, 4 point de PIB en 2013. Cette baisse est concentrée sur quatre impôts, pour lesquels une telle réaction est tout à fait classique : l’impôt sur les sociétés, les cotisations sociales, la TVA et, enfin, les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que ces éléments sont de nature à vous rassurer sur l’évolution de l’assiette fiscale dans notre pays.

L’année 2014 marquera un changement très clair de cap, et j’insiste sur ce point.

En 2013, nous avons procédé à une réduction des déficits qui reposait, aux deux tiers, sur les prélèvements obligatoires et, pour le dernier tiers, sur les économies de dépenses publiques. En 2014, nous inversons les priorités puisque 80 % de l’effort budgétaire reposera sur les économies et 20 % sur les prélèvements – au reste, ces 20 % incluent la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscale, démarche qui tend à s’imposer de plus en plus à l’échelle internationale et européenne, dont nous savons tous ici qu’elle est une nécessité tant financière qu’éthique pour le pays. Au final, les prélèvements obligatoires n’augmenteront que de 0, 05 point de PIB en 2014.

Pour 2015, je répète que Bernard Cazeneuve et moi-même nous sommes engagés à ce que l’intégralité de l’effort budgétaire repose sur des économies.

Voilà ce que nous faisons. Je rappelle que nous avons hérité d’une situation budgétaire très complexe. Nous avons pris des initiatives sans précédent pour la croissance et l’emploi : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – deux fois plus puissant en termes de baisse du coût du travail et pesant deux fois moins sur ce coût que la pseudo-TVA sociale –, la relance des investissements d’avenir, l’extension du crédit d’impôt recherche. Je précise que la remise à plat de la fiscalité ne remet pas en cause, mais prolonge ce qui a été fait, en respectant deux orientations essentielles : la compétitivité et la justice.

Par ailleurs, je ne peux laisser personne, ni M. de Montesquiou ni M. Delattre, dire que la France aurait « décroché ». Je vous donnerai quelques chiffres qui, depuis mai 2012, montrent l’ampleur de la crise dans la zone euro, dont l’économie stagne, et le fait que la France tient tout à fait son rang.

Certes, depuis le troisième trimestre 2012, la France a connu une croissance très faible, de 0, 1 %. Mais dans le même temps, celle la zone euro s’établit à -0, 1 %, celle de l’Italie à -0, 5 % et celle de l’Espagne à -0, 3 %. Quant à notre voisin allemand – dont je me réjouis de la vigueur, mais dont je sais aussi que, s’il est exemplaire en matière de compétitivité, il l’est nettement moins en matière de précarité –, il connaît une croissance de 0, 2 %.

Alors, finissons-en avec l’autoflagellation et l’autodénigrement dans notre pays. Je comprends qu’il y ait un débat politique, et je comprends que l’on critique un gouvernement – j’ai longtemps, moi-même, été parlementaire dans l’opposition. Mais soyons conscients qu’il existe une limite à ne pas franchir : celle qui consiste, parce que l’on veut critiquer le Gouvernement, à critiquer son propre pays.

Monsieur Delattre, j’ai été très frappé par une de vos tournures linguistiques. Vous avez dit, à plusieurs reprises : « vous êtes ». Mais nous parlons de la France, et c’est le « nous sommes » qui s’impose quand on veut un débat qui prenne de la hauteur…

Non, il n’y a pas le pays de gauche et le pays de droite, il y a la France, et c’est elle que nous ne devons pas abîmer, c’est elle que nous devons soutenir et, à l’occasion, sublimer ! J’ai cette conviction dans les tripes et je voudrais que le débat public soit capable de garder cette dimension de patriotisme qui nous est chère à tous, afin d’éviter les clivages inutiles.

Je voudrais rassurer Thierry Foucaud – que je ne compte pas au rang des orateurs de l’opposition, mais dont j’ai compris qu’il n’était pas très favorable à ce projet de loi de finances rectificative §sur au moins un point : le financement de l’économie, notamment celui des PME et des entreprises de taille intermédiaire, est une priorité du Gouvernement.

Vous évoquez le lien entre les mesures de ce collectif budgétaire et le bilan de la Banque publique d’investissement, Bpifrance. Je vous confirme que ces mesures forment un tout ; comme l’investissement public ne peut être la seule réponse, il faut aussi et d’abord favoriser l’investissement privé dans les PME.

Pourquoi, me demandez-vous, ne pas s’orienter vers un durcissement de la fiscalité de l’assurance vie ?

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