Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis ce 17 décembre ressemble singulièrement à celui que le Sénat avait commencé d’examiner le 21 novembre dernier, moyennant quelques menues modifications, à savoir 10 millions d’euros sur les 356 milliards d’euros de dépenses publiques.
En effet, entre discussion des articles, seconde délibération, vote bloqué et commission mixte paritaire, tout s’est passé comme si le Sénat n’existait pas ou plus, dès lors que les groupes faisant partie de la majorité de gauche de notre Haute Assemblée n’ont pas été entendus et que leurs propositions n’ont pas été prises en compte.
À aucun moment, nous n’avons eu le sentiment d’une recherche de réponses à nos interrogations susceptibles de recueillir l’assentiment de la majorité de gauche du Sénat. On a recouru aux moyens de coercition parlementaires ; les plus radicaux ont été choisis, comme cela avait également été le cas pour le texte relatif à la sécurisation de l’emploi, qui transposait notamment l’accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi.
Vous venez de dire, monsieur le ministre, que les mesures que vous nous avez proposées améliorent les comptes publics. Mais quand bien même la situation de ces derniers serait moins désastreuse que par le passé, les moyens utilisés pour y parvenir ne dérogent aucunement aux logiques « austéritaires » dont nous connaissons les limites.
Ces limites, c’est le taux de croissance de 0, 1 % cette année et de 0, 9 % – en principe ! – l’an prochain, qui ne créeront pas l’impulsion nécessaire pour résoudre le problème de l’emploi ou le déficit des comptes publics.
La question du statut de la loi de finances initiale est d’ailleurs posée. Elle concrétise les orientations déjà inscrites dans le collectif de la fin de l’année 2012, avec la hausse programmée de la TVA, qui permettra de financer les 20 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. La loi de finances pour 2014 se situe également dans un temps particulier, celui de l’annonce de la « grande remise à plat de la fiscalité », formulée pour animer le débat parlementaire et public jusqu’en 2015. Dans le même temps, nous avons régulièrement entendu, à l’occasion de l’examen des amendements que nous avons déposés, des déclarations visant à expliquer que des modifications étaient déjà intervenues et qu’il n’était pas possible de les discuter.
La mise à plat de la fiscalité n’est pas vraiment pour demain. Nous partageons pourtant l’idée qu’elle est nécessaire. En revanche, nous ne pouvons souscrire à la déclaration de Philippe Dallier, qui évoquait tout à l’heure un impôt confiscatoire. Cette année encore, 7 000 foyers bénéficieront en moyenne de 100 000 euros d’allégement de leur fiscalité, pour ce qui concerne leur seul ISF.
Les parlementaires du groupe communiste, républicain et citoyen ont consacré une bonne partie de leur activité, depuis plusieurs années, à la définition, la conception et la mise en œuvre d’une réforme fiscale de grande envergure. Nous ne pouvons donc qu’être fort intéressés par cette « remise à plat ».
Sans même attendre tout à fait la procédure suivie par le Gouvernement, qui nous semble toutefois prendre une voie délicate en convoquant, dès le 21 janvier prochain, des états généraux de la fiscalité des entreprises, les parlementaires du groupe CRC prendront une part active à l’organisation, par les forces politiques constituant le Front de gauche, des états généraux de la justice fiscale, au mois de juin prochain, après les multiples initiatives publiques et populaires que nous entendons mettre en place.
Car là sans doute réside une partie des solutions aux problèmes qui nous sont posés.
Il convient de solliciter la société civile, la société française, pour procéder, avec les citoyens, à une lecture critique et mille fois nécessaire de notre système de prélèvements sociaux et fiscaux, pour favoriser une large appropriation des problèmes par les premiers intéressés eux-mêmes, à savoir les habitants de notre pays.
Réformer la fiscalité, les prélèvements sociaux, c’est aussi redonner sens au pacte républicain, aux valeurs mêmes de notre démocratie, pour peu que l’on sache marier justice du prélèvement, efficacité sociale et économique de son utilisation, c’est-à-dire la réponse aux besoins collectifs.
La fiscalité est une chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls fiscalistes et il est grand temps que le peuple, dans son intelligence collective et sa profonde sagesse, s’en mêle. Nous sommes partisans de faire cette réforme fiscale, en gardant à l’esprit le mot de René Char : « L’homme est capable de faire ce qu’il est incapable d’imaginer ».
Face à un projet de loi de finances qui vise à entériner la hausse de la TVA et le quasi-gel de la dépense publique, à mettre en cause les solidarités familiales, à alléger encore un peu plus la fiscalité des revenus du capital et du patrimoine, les fondements d’une fiscalité juste et équilibrée ne nous semblent pas à l’œuvre.
Ce texte, c’est, en quelques chiffres : une hausse de la TVA de 5, 1 milliards d’euros, supportée par les ménages et les collectivités locales ; une hausse des taxes sur l’énergie d’au moins 340 millions d’euros, subie par les mêmes ; une baisse d’un milliard et demi d’euros pour les collectivités locales au titre des dotations « encadrées » ; une augmentation de plus de deux milliards d’euros de l’impôt sur le revenu, engendrée par la baisse du quotient familial et la suppression de l’exonération des pensions majorées des parents de familles nombreuses ; la suppression de l’exonération fiscale sur la contribution des employeurs au financement de la couverture santé complémentaire de leurs salariés, à hauteur d’un milliard d’euros, mesure pourtant incitative du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi ; enfin, une baisse de 600 millions d’euros de la taxation des plus-values mobilières et immobilières.
Ce catalogue un peu sommaire n’est pas celui d’une quelconque loi de finances ; c’est celui des mesures principales d’une loi de finances qui privilégie singulièrement la taxation de la consommation sous toutes ses formes – TVA, TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, droits sur les alcools et les tabacs –, alourdit la fiscalité pesant sur les ménages salariés et épargne, une fois encore, les détenteurs de capitaux et de patrimoines, en créant par exemple l’abattement spécifique sur les plus-values immobilières de 25 %, véritable aubaine pour des contribuables fortunés en instance d’optimisation !
Plus d’impôt, sans le supplément de justice fiscale nécessaire, pour moins de service public, tel est le résumé assez peu satisfaisant du projet de loi de finances pour 2014 ! Dire que les parlementaires du groupe CRC n’y trouvent ni leur compte ni la trace des espérances du changement du printemps 2012 est presque une tautologie.
Les réductions des moyens des services publics ne sont pas absentes du projet de loi. Malgré les priorités de recrutement affichées en matière d’enseignement, de justice et de sécurité, ce sont en effet plus de 1 400 emplois publics qui disparaîtront encore en 2014. Partout ailleurs, c’est régime sec et réduction programmée des effectifs.
Les 400 000 salariés de l’ensemble des entités qu’il est convenu d’appeler les opérateurs de l’État – établissements de recherche, universités, Pôle emploi, agences diverses et variées, grands musées et monuments du patrimoine national – font désormais eux aussi l’expérience de la réduction des effectifs, de la débudgétisation, de la recherche d’autonomie financière, de l’obligation de quémander au secteur privé les moyens et les crédits nécessaires à leur intervention.
Des centaines, des milliers d’emplois vont probablement passer par pertes et profits, mettant en péril certaines des missions de service public, aujourd’hui de plus en plus difficilement accomplies.
Demain, parce que nous n’aurons pas octroyé les ressources nécessaires pour la recherche et le progrès scientifique et technique, pour former et lancer de nouvelles équipes, nous serons en carence de brevets, d’inventions et de capacités de développement.
Dans les périodes que nous vivons, le besoin de services publics est fort. La situation des hôpitaux, contraints d’embaucher des médecins intérimaires, celle de nos transports publics de banlieue, rendus exsangues par la progression du trafic et de la fréquentation, le problème de la fraude sociale, révélé avec éclat par le scandale des travailleurs détachés, la lutte contre la fraude fiscale, ce cancer qui ronge et sape les fondements mêmes du consentement à l’impôt et de la solidarité nationale, tout montre un besoin de services publics performants.
De même, la nécessaire réforme des rythmes scolaires ne peut s’accommoder d’un service public de la petite enfance et de l’enfance « à géométrie variable », à raison des capacités des collectivités à mettre en place, avec des moyens financiers et humains fort inégaux, des activités périscolaires répondant aux attentes légitimes, formulées par les parents d’élèves, d’éveil de la curiosité et de l’intelligence.
La loi de finances pour 2014 n’est pas un budget de gauche, elle n’est que l’exercice obligé auquel le Gouvernement se contraint à l’égard de la Commission européenne et de nos partenaires, plus ou moins vaillants, d’une politique économique conduite sous l’empire du TSCG.
Ses conséquences seront les suivantes : l’Europe, en 2014, sera la partie du monde où le train de la reprise avancera le plus lentement. Pourtant, si nous regardons nos voisins, nous savons que sa situation économique et sociale n’est pas en voie d’amélioration. Les taux de chômage observés en Grèce, en Espagne, au Portugal, mais aussi en France, la mise en concurrence des salariés, exacerbée par les directives et accords semblables à ceux des « travailleurs détachés », la relance des mouvements migratoires des jeunes et des salariés des pays les plus en difficulté vers les eldorados supposés, tout montre que le projet européen est en train de se perdre dans les sables de la méfiance, de l’ignorance de l’autre, parfois même dans la xénophobie et le racisme.
Le projet européen ne rassemble plus la jeunesse, devenue taillable et corvéable à merci, et il crée de plus en plus d’incompréhension dans les autres couches de la population. Au demeurant, le maintien au pouvoir de Mme Merkel, soutenue cette fois par le SPD de Martin Schulz et de Sigmar Gabriel, après la disparition du FDP du paysage politique allemand, illustre clairement les contraintes qui enserreront la politique européenne durant les quatre prochaines années.
En lieu et place d’un couple franco-allemand œuvrant à la mise en place d’une Europe sociale, nous avons un statu quo. Si le SPD a gagé son soutien au gouvernement en obtenant la promesse de la création d’un SMIC – plus faible que le SMIC français –, nous ne pouvons espérer une mutualisation des dettes souveraines et l’émission d’euro-obligations, que d’aucuns avaient cru pouvoir nous « vendre » comme solution future et incontournable de toutes les crises financières, laissant une fois encore la priorité à l’équilibre des fonds de pension allemands, au détriment des économies des autres pays de la zone euro.
Nous l’avons souvent rappelé lors des débats auxquels ont donné lieu l’examen du projet de loi de finances et celui du projet de loi de finances rectificative, le choix de la réduction de la dépense publique signifie un ralentissement encore plus important de la croissance.
Je le disais tout à l’heure, la réduction de 1, 5 milliard d’euros des dotations aux collectivités territoriales aura des conséquences lourdes pour les habitants de nos communes et pour les entreprises – en particulier les plus petites d’entre elles – qui bénéficient le plus de la commande publique. Des risques importants de pertes d’emplois vont donc peser sur nos territoires.
Pour l’ensemble de ces raisons, dans cette nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2014, nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à voter cette motion tendant à opposer la question préalable.