Il avait formulé un vœu voté par 75 % de ses membres, tous convaincus qu’une structure francilienne devait voir le jour, mais que cette dernière ne devait casser ni les dynamiques de territoires ni les interactions entre communes.
Si les élus franciliens sont convaincus que la métropole doit désormais bénéficier d’une gouvernance adaptée à ses ambitions, il n’en reste pas moins vrai qu’ils vous demandaient de ne pas conférer à une structure métropolitaine des prérogatives démesurées. Cela reviendrait à stériliser les communes et à supprimer leurs groupements, sans garantie d’efficacité et de lisibilité pour nos concitoyens.
Aussi les incongruités en matière de production législative ont-elles une traduction immédiate ! Elles constituent, bien souvent, autant de moyens d’inconstitutionnalité. C’est ainsi que l’opposition parlementaire n’a pas manqué, par ses différents votes ou propos, de vous alerter, notamment à l’Assemblée nationale.
L’article 39, alinéa 2, de la Constitution dispose que : « sans préjudice du premier alinéa de l’article 44, les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ». Or la pleine et entière réécriture de l’article 12 par un groupe de parlementaires, introduite par voie d’amendement gouvernemental en première lecture à l’Assemblée nationale, a empiété sur une prérogative du Sénat pourtant constitutionnellement garantie.
De plus, aucune évaluation juridique n’a été réalisée par le Conseil d’État, lequel n’a pas pu être saisi pour avis.
Ensuite, la loi du 15 avril 2009 prévoit expressément qu’une étude d’impact doit être réalisée pour chaque projet de loi, ce qui n’a pas été le cas pour l’article 12, totalement récrit. Le Conseil constitutionnel n’a d’ailleurs pas manqué de sanctionner l’absence d’une telle étude à l’occasion de la décision n° 2009-579 DC.
De facto, l’évaluation financière est également absente puisque les dispositions « financières, budgétaires, fiscales » sont renvoyées à une ordonnance prévue au sein de l’« amendement surprise ».
Aussi la première conclusion est-elle sans appel : la production législative de l’article 12 ne saurait répondre aux exigences constitutionnelles qui nous gouvernent.
Par ailleurs, il est totalement paradoxal que ce projet de loi, initialement intitulé « acte III de la décentralisation », soit en réalité un acte de recentralisation.
Mes chers collègues, l’article 72 de la Constitution dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Il s’agit ici de l’affirmation du principe de subsidiarité qui veut qu’une compétence publique, lorsqu’elle est nécessaire, soit confiée à la plus petite entité capable de résoudre le problème elle-même. De ce fait, on ne peut en aucun cas dessaisir l’entité de cette compétence, ou en dessaisir l’établissement public de coopération intercommunale, l’EPCI, qui l’exerce pour son compte.
Or le devenir des EPCI préexistant à la métropole va être réglé par fusion-absorption, c’est-à-dire que les compétences initialement déléguées aux EPCI sur délibération des conseils municipaux seront directement transférées à la métropole, sans accord exprès des communes délégataires. Cette solution va clairement à l’encontre des dispositions constitutionnelles, en particulier du principe de subsidiarité.
De la même manière, cette situation porte directement atteinte à l’égalité des droits entre collectivités territoriales. En effet, les communes de la petite couronne auront moins de droits que les autres, alors même que leur taille est supérieure à la moyenne nationale.
Enfin, le Gouvernement et sa majorité nient également l’article 1er de la Constitution qui proclame que l’organisation de notre pays est décentralisée. Pour mémoire, je souligne que la disparition des dix-neuf EPCI se fera au profit d’une métropole de 6, 5 millions d’habitants !
Or un certain nombre de compétences nécessitent une gestion de proximité. À titre d’exemple, les bilans de l’urbanisme centralisé ont très largement démontré les failles d’un tel système. Je doute que la proximité soit la première vertu de la métropole du Grand Paris ; malheureusement, les questions d’urbanisme et de logement sont prioritaires en Île-de-France. Six millions et demi d’habitants, cela dépasse même la notion de recentralisation, c’est plus que le nombre d’habitants du Danemark, de la Finlande ou de la Norvège.
La métropole du Grand Paris qui se présente comme un EPCI à statut particulier ne répond pas au premier critère d’un EPCI, à savoir la coopération intercommunale. Le code général des collectivités territoriales reconnaît que la première caractéristique d’un EPCI est d’être démocratique dans sa constitution et son fonctionnement. Ici, la métropole du Grand Paris est autoritaire dès sa création.
En réalité, le projet de loi tel qu’il est rédigé revient à créer une nouvelle collectivité à statut particulier. Ce fut le choix opéré pour la métropole lyonnaise, mais le Gouvernement n’a pas pu faire de même à Paris, car cela aurait abouti à placer les communes sous tutelle de cette nouvelle collectivité, ce qui constituerait une violation de l’article 72, alinéa 5, de la Constitution.
Aussi la création de la métropole permet-elle de contourner le principe selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre.
Je rappellerai enfin la décision n° 91-290 DC du Conseil Constitutionnel, qui précise que « dans son premier alinéa, l’article 72 de la Constitution consacre l’existence des catégories de collectivités territoriales que sont les communes, les départements et les territoires d’outre-mer, tout en réservant à la loi la possibilité de créer de nouvelles catégories de collectivités territoriales ; que le deuxième alinéa du même article implique que pour s’administrer librement, toute collectivité territoriale doit disposer d’une assemblée délibérante élue dotée d’attributions effectives ». Le présent texte, en spoliant les communes d’un très grand nombre de leurs compétences effectives, contrevient donc à l’article 72 de la Constitution.
Mes chers collègues parisiens, j’attire votre attention sur l’alinéa 68 de cet article 12, qui prévoit que le ressort territorial de la commune de Paris constitue un territoire. L’alinéa 152 précise, pour sa part, que le conseil de territoire de Paris est composé des membres du Conseil de Paris. Par suite, la concordance des deux conseils implique que la commune de Paris ne soit plus une collectivité autonome dotée d’une compétence générale.
Avant de conclure, je souligne que l’alinéa 56 permet à l’État d’attribuer par décret à la métropole des compétences dérogatoires pour la création et la réalisation de zones d’aménagement concerté et la délivrance d’autorisations d’urbanisme. Or l’article 72, alinéa 3, de la Constitution dispose que l’organisation des compétences des collectivités locales relève de la loi. Le présent texte, en renvoyant l’organisation des compétences au décret ou à la voie contractuelle, s’expose de nouveau à des griefs d’inconstitutionnalité.
En conclusion, ce projet de loi organise un bouleversement institutionnel, cela a été exprimé au Sénat sur différentes travées, en s’opposant à un grand nombre de principes constitutionnels.
La métropole ne se caractérise pas par sa dimension démocratique. Les décisions seront prises à des niveaux éloignés des citoyens concernés, avec le risque évident de méconnaître les réalités et les enjeux locaux. Plusieurs d’entre nous l’ont rappelé, au mois de mars prochain se tiendront les élections municipales. Je ne doute pas, mes chers collègues, que nos concitoyens sauront sanctionner à cette occasion les auteurs de ce projet !