Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 8 janvier 2014 à 14h30
Débat sur la politique du gouvernement en matière d'égalité du territoire

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Comment ne pas rappeler l’adoption, ici même, le 13 décembre 2012, avec votre soutien, madame la ministre, et à l’unanimité, de la proposition de résolution du RDSE relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires ?

Plus d’un an après l’adoption unanime de cette résolution, il nous est apparu nécessaire, à mes collègues du RDSE et à moi-même, de permettre à la Haute Assemblée, car cela fait partie de sa mission de contrôle, de faire le point sur cette question de première importance. D’ailleurs, certains des soubresauts qui ont émaillé la vie de notre pays depuis un an montrent bien l’acuité de cette question. Il nous a donc semblé utile de demander l’organisation de ce débat.

Madame la ministre, vous ne pouvez qu’être d’accord avec ce propos liminaire, me semble-t-il, puisque vous êtes responsable de l’égalité des territoires, de par la volonté du Président de la République et du Premier ministre. En effet, l’intitulé même de votre charge ministérielle vous confie en priorité cette mission : vous êtes notre ministre de l’égalité des territoires avant d’être notre ministre du logement, certains l’oublient trop souvent !

Force est de constater cependant que les réponses trop souvent ponctuelles proposées jusque-là par le Gouvernement ne sont pas encore à la hauteur ni des attentes des Français ni des besoins de nos territoires, qu’il s’agisse de l’accès aux services publics ou des infrastructures de transport.

Madame la ministre, puisque vous représentez ici le Gouvernement, comment ne pas vous dire loyalement, directement, que l’annonce, par ce dernier, de la distribution de milliards d’euros de manière ponctuelle pour répondre à des manifestations ou à des problèmes régionaux ne peut qu’être mal vécue ailleurs.

Même si vous ne pouvez pas me répondre directement, je pense que nous pouvons être sur la même longueur d’onde : verser tant de milliards d’euros à la Bretagne, à la suite de la révolte contre l’écotaxe, et tant de milliards d’euros à Marseille, pour les raisons que l’on connaît, ne fait pas une politique d’aménagement du territoire ! S’il faut brûler des portiques pour obtenir des crédits, ce n’est pas un bon exemple qui est donné au reste du pays. S’il faut qu’un territoire connaisse des problèmes de sécurité pour que l’on annonce le versement de milliards d’euros, je ne crois pas qu’un tel geste révèle une véritable vision de l’aménagement du territoire.

Les disparités territoriales existent, et je crains qu’elles ne se soient aggravées – certes pas depuis que vous êtes membre du Gouvernement, madame la ministre, car ce problème est vieux de plusieurs décennies et imputable à l’évolution de la Ve République.

La décentralisation a modifié le visage de la France en permettant aux territoires naturellement et géographiquement favorisés de s’épanouir. Nous constatons cependant que les territoires en difficulté n’ont pas bénéficié des ressources nécessaires à une réelle autonomie de gestion et à la satisfaction des besoins locaux les plus essentiels. Les médias évoquent souvent les disparités existant entre nos concitoyens et le fossé qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres, mais il faut admettre que l’évolution de notre société concourt au même constat en ce qui concerne nos territoires.

Souvent, les inégalités n’ont fait que s’accroître entre les territoires qui sont bien dotés, d’une part, et ceux qui sont sous-dotés, d’autre part. Parfois, on ne peut que déplorer – vous me direz que c’est le jacobin qui parle à présent – que la régionalisation et la concentration du développement économique, voire administratif, dans la métropole régionale aient laissé de côté nombre de départements périphériques et d’agglomérations moyennes.

Aux yeux de beaucoup de nos concitoyens, ce processus a favorisé, il faut bien le dire, les zones les plus dynamiques, en particulier les métropoles qui sont devenues encore plus riches, au détriment des villes moyennes, dont la situation est problématique.

D’ailleurs, madame la ministre, puisque vous êtes aussi chargée du logement, vous constatez souvent que nombre de villes-centres, dans les agglomérations moyennes, voient leur population décroître, soit au profit des communes périphériques qui se transforment en dortoirs, soit au profit des métropoles où les emplois ont tendance à se concentrer. Ce processus pose un vrai problème d’aménagement du territoire et nous oblige à constater une véritable remise en cause du principe républicain d’égalité, pourtant garanti en théorie par l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Par conséquent, tous les membres de notre groupe le rappellent constamment à cette tribune, il y a urgence désormais à permettre un rééquilibrage en faveur des territoires périurbains et ruraux ; il y a urgence à revenir à une politique volontariste d’aménagement des territoires, qui soit organisée – au moins dans sa vision et ses éléments essentiels – par l’État, seul véritable garant d’un équilibre sur le territoire.

Notre groupe a voté pour la création des trois grandes métropoles sans réticence, mais avec inquiétude quant à la multiplication des autres métropoles. Il faut veiller à ce que tout le développement ne soit pas aspiré par les métropoles régionales. Qu’a-t-on fait, depuis un an, pour faire face à cette aggravation des disparités territoriales ? Là est la vraie question : il est tout à fait louable de voter des résolutions, voire un certain nombre de textes, mais il faut ensuite évaluer les résultats obtenus sur le terrain.

Dans ses vœux à la nation pour l’année 2014, le Président de la République s’est prononcé en faveur de la réduction de la dépense publique et d’une meilleure efficacité des interventions publiques, pour arriver, à terme, à une réduction de la pression fiscale.

Si nous souscrivons à de telles résolutions et soutenons la politique budgétaire du Gouvernement, il ne faudrait pas que ces orientations se réalisent au détriment de l’égalité des territoires. Je me permets donc de vous interpeller directement, madame la ministre : que pouvez-vous nous en dire ? Quelle est votre feuille de route pour 2014 ? Quelle est votre marge de manœuvre, et en avez-vous une ?

Nous avons subi la révision générale des politiques publiques, la RGPP, que nous avons suffisamment dénoncée dans cet hémicycle, ainsi que la rationalisation brutale des services de l’État qui s’est ensuivie. La simplification se poursuit aujourd’hui avec la modernisation de l’action publique, la MAP, et, encore une fois, les territoires les plus fragiles sont les plus lourdement frappés. Nous le vivons quotidiennement sur le terrain.

La simplification, oui ; la disparition, non ! Que voit-on encore trop souvent sur le terrain ? Des fermetures d’écoles ou de classes, la suppression de gendarmeries, la disparition de bureaux de poste, de perceptions, de services déconcentrés de l’État, etc. On invite les communes à dépenser moins, mais quand on supprime l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, l’ATESAT, par quoi la remplace-t-on ? Il est certes possible de mutualiser les moyens, mais il faut disposer de personnel, sinon il faut faire appel au secteur privé, à condition d’être en mesure de payer.

Il est bien évident que les collectivités locales doivent compenser directement le retrait de l’État. Plus personne ne croit au slogan selon lequel les coupes budgétaires contribueraient à améliorer la qualité du service public.

Dans un certain nombre de départements ruraux, en particulier, l’accès aux équipements et aux services publics est aujourd’hui plus difficile qu’ailleurs, et il s’est détérioré par rapport à un passé récent. Une étude de l’INSEE, l'Institut national de la statistique et des études économiques, publiée en décembre 2012, constate que, dans les zones rurales, l’accès à l’éducation exige un temps de trajet médian de soixante-dix-huit minutes aller-retour : voilà un exemple parmi d’autres.

Ne soyons pas démagogues ! Pour ma part, je n’ai pas l’habitude de l’être, madame la ministre. Il n’est pas possible de disposer de la même qualité de service sur l’ensemble du territoire national, quel que soit le lieu où l’on habite. Il faut être réaliste, raisonnable.

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