Séance en hémicycle du 8 janvier 2014 à 14h30

Résumé de la séance

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  • l’égalité

La séance

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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle le débat sur la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires, organisé à la demande du groupe du RDSE.

La parole est à M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous avez pu le constater ces dernières années et ces derniers mois, notre groupe est particulièrement attaché à la mise en place effective d’une politique d’égalité des territoires et d’aménagement du territoire.

Depuis la fin de 2012, les appels des élus représentant nos collectivités territoriales, tous attachés au maintien des services publics de proximité, au lien social et au développement de ce que nous appelons l’égalité des territoires se multiplient.

Nombreux sont les débats sur l’aménagement et l’égalité des territoires qui se tiennent au Parlement, en particulier, au sein de la Haute Assemblée, dont je rappelle qu’elle est chargée, par la Constitution, de représenter les collectivités locales, donc les territoires, au moins encore pour quelques semaines…

Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Comment ne pas rappeler l’adoption, ici même, le 13 décembre 2012, avec votre soutien, madame la ministre, et à l’unanimité, de la proposition de résolution du RDSE relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires ?

Plus d’un an après l’adoption unanime de cette résolution, il nous est apparu nécessaire, à mes collègues du RDSE et à moi-même, de permettre à la Haute Assemblée, car cela fait partie de sa mission de contrôle, de faire le point sur cette question de première importance. D’ailleurs, certains des soubresauts qui ont émaillé la vie de notre pays depuis un an montrent bien l’acuité de cette question. Il nous a donc semblé utile de demander l’organisation de ce débat.

Madame la ministre, vous ne pouvez qu’être d’accord avec ce propos liminaire, me semble-t-il, puisque vous êtes responsable de l’égalité des territoires, de par la volonté du Président de la République et du Premier ministre. En effet, l’intitulé même de votre charge ministérielle vous confie en priorité cette mission : vous êtes notre ministre de l’égalité des territoires avant d’être notre ministre du logement, certains l’oublient trop souvent !

Force est de constater cependant que les réponses trop souvent ponctuelles proposées jusque-là par le Gouvernement ne sont pas encore à la hauteur ni des attentes des Français ni des besoins de nos territoires, qu’il s’agisse de l’accès aux services publics ou des infrastructures de transport.

Madame la ministre, puisque vous représentez ici le Gouvernement, comment ne pas vous dire loyalement, directement, que l’annonce, par ce dernier, de la distribution de milliards d’euros de manière ponctuelle pour répondre à des manifestations ou à des problèmes régionaux ne peut qu’être mal vécue ailleurs.

Même si vous ne pouvez pas me répondre directement, je pense que nous pouvons être sur la même longueur d’onde : verser tant de milliards d’euros à la Bretagne, à la suite de la révolte contre l’écotaxe, et tant de milliards d’euros à Marseille, pour les raisons que l’on connaît, ne fait pas une politique d’aménagement du territoire ! S’il faut brûler des portiques pour obtenir des crédits, ce n’est pas un bon exemple qui est donné au reste du pays. S’il faut qu’un territoire connaisse des problèmes de sécurité pour que l’on annonce le versement de milliards d’euros, je ne crois pas qu’un tel geste révèle une véritable vision de l’aménagement du territoire.

Les disparités territoriales existent, et je crains qu’elles ne se soient aggravées – certes pas depuis que vous êtes membre du Gouvernement, madame la ministre, car ce problème est vieux de plusieurs décennies et imputable à l’évolution de la Ve République.

La décentralisation a modifié le visage de la France en permettant aux territoires naturellement et géographiquement favorisés de s’épanouir. Nous constatons cependant que les territoires en difficulté n’ont pas bénéficié des ressources nécessaires à une réelle autonomie de gestion et à la satisfaction des besoins locaux les plus essentiels. Les médias évoquent souvent les disparités existant entre nos concitoyens et le fossé qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres, mais il faut admettre que l’évolution de notre société concourt au même constat en ce qui concerne nos territoires.

Souvent, les inégalités n’ont fait que s’accroître entre les territoires qui sont bien dotés, d’une part, et ceux qui sont sous-dotés, d’autre part. Parfois, on ne peut que déplorer – vous me direz que c’est le jacobin qui parle à présent – que la régionalisation et la concentration du développement économique, voire administratif, dans la métropole régionale aient laissé de côté nombre de départements périphériques et d’agglomérations moyennes.

Aux yeux de beaucoup de nos concitoyens, ce processus a favorisé, il faut bien le dire, les zones les plus dynamiques, en particulier les métropoles qui sont devenues encore plus riches, au détriment des villes moyennes, dont la situation est problématique.

D’ailleurs, madame la ministre, puisque vous êtes aussi chargée du logement, vous constatez souvent que nombre de villes-centres, dans les agglomérations moyennes, voient leur population décroître, soit au profit des communes périphériques qui se transforment en dortoirs, soit au profit des métropoles où les emplois ont tendance à se concentrer. Ce processus pose un vrai problème d’aménagement du territoire et nous oblige à constater une véritable remise en cause du principe républicain d’égalité, pourtant garanti en théorie par l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Par conséquent, tous les membres de notre groupe le rappellent constamment à cette tribune, il y a urgence désormais à permettre un rééquilibrage en faveur des territoires périurbains et ruraux ; il y a urgence à revenir à une politique volontariste d’aménagement des territoires, qui soit organisée – au moins dans sa vision et ses éléments essentiels – par l’État, seul véritable garant d’un équilibre sur le territoire.

Notre groupe a voté pour la création des trois grandes métropoles sans réticence, mais avec inquiétude quant à la multiplication des autres métropoles. Il faut veiller à ce que tout le développement ne soit pas aspiré par les métropoles régionales. Qu’a-t-on fait, depuis un an, pour faire face à cette aggravation des disparités territoriales ? Là est la vraie question : il est tout à fait louable de voter des résolutions, voire un certain nombre de textes, mais il faut ensuite évaluer les résultats obtenus sur le terrain.

Dans ses vœux à la nation pour l’année 2014, le Président de la République s’est prononcé en faveur de la réduction de la dépense publique et d’une meilleure efficacité des interventions publiques, pour arriver, à terme, à une réduction de la pression fiscale.

Si nous souscrivons à de telles résolutions et soutenons la politique budgétaire du Gouvernement, il ne faudrait pas que ces orientations se réalisent au détriment de l’égalité des territoires. Je me permets donc de vous interpeller directement, madame la ministre : que pouvez-vous nous en dire ? Quelle est votre feuille de route pour 2014 ? Quelle est votre marge de manœuvre, et en avez-vous une ?

Nous avons subi la révision générale des politiques publiques, la RGPP, que nous avons suffisamment dénoncée dans cet hémicycle, ainsi que la rationalisation brutale des services de l’État qui s’est ensuivie. La simplification se poursuit aujourd’hui avec la modernisation de l’action publique, la MAP, et, encore une fois, les territoires les plus fragiles sont les plus lourdement frappés. Nous le vivons quotidiennement sur le terrain.

La simplification, oui ; la disparition, non ! Que voit-on encore trop souvent sur le terrain ? Des fermetures d’écoles ou de classes, la suppression de gendarmeries, la disparition de bureaux de poste, de perceptions, de services déconcentrés de l’État, etc. On invite les communes à dépenser moins, mais quand on supprime l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, l’ATESAT, par quoi la remplace-t-on ? Il est certes possible de mutualiser les moyens, mais il faut disposer de personnel, sinon il faut faire appel au secteur privé, à condition d’être en mesure de payer.

Il est bien évident que les collectivités locales doivent compenser directement le retrait de l’État. Plus personne ne croit au slogan selon lequel les coupes budgétaires contribueraient à améliorer la qualité du service public.

Dans un certain nombre de départements ruraux, en particulier, l’accès aux équipements et aux services publics est aujourd’hui plus difficile qu’ailleurs, et il s’est détérioré par rapport à un passé récent. Une étude de l’INSEE, l'Institut national de la statistique et des études économiques, publiée en décembre 2012, constate que, dans les zones rurales, l’accès à l’éducation exige un temps de trajet médian de soixante-dix-huit minutes aller-retour : voilà un exemple parmi d’autres.

Ne soyons pas démagogues ! Pour ma part, je n’ai pas l’habitude de l’être, madame la ministre. Il n’est pas possible de disposer de la même qualité de service sur l’ensemble du territoire national, quel que soit le lieu où l’on habite. Il faut être réaliste, raisonnable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Voilà ! Toutefois, l’équité ne consiste pas à accorder tout de la même manière à tous, sans prendre en compte le contexte d’ensemble. L’équité, c’est la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Et c’est ce que nous voulons, je crois, très majoritairement, sur toutes les travées de cette assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Ce problème se pose aussi très souvent dans le domaine de la santé, en raison d’un certain nombre d’évolutions sociologiques et technologiques. La difficulté d’accès aux services d’urgence et de réanimation emporte parfois des conséquences qui peuvent devenir dramatiques. Elle est alors vécue par nos concitoyens comme profondément injuste, parce qu’elle touche à leur vie au premier sens du terme.

Autre statistique éloquente : le taux d’équipement au sens de l’INSEE est de plus de 86 % en zone urbaine, quand il dépasse à peine les 45 % en zone rurale.

Encore une fois, il ne s’agit pas de mettre les chiffres au même niveau. Il s’agit, en tout cas, de donner des signes forts que le Gouvernement veut concourir à cette justice, à cette équité. Si certains écarts peuvent se concevoir, des différences aussi importantes ne sauraient se comprendre, et leur aggravation encore moins.

J’en viens à la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires, qui est l’objet de ce débat.

S’agissant de l’accès aux services publics, le Gouvernement a décidé de déployer mille maisons de services au public d’ici à 2017 pour regrouper les opérateurs tels que La Poste, SNCF, Pôle emploi, la Caisse nationale d’assurance maladie, la CNAM, la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, EDF… Ce n’est pas une nouveauté, puisque l’on tente de les développer depuis d’une dizaine d’années – sans grand succès, il faut bien le dire, c’est là aussi une réalité !

Le deuxième volet de l’acte III de la décentralisation, qui est en cours, devrait permettre d’établir des schémas d’accessibilité aux services publics au niveau départemental.

La charte des services publics en milieu rural, qui avait été adoptée par la Conférence nationale de 2005, laquelle avait rassemblé les élus, les représentations des administrations et les opérateurs de services, n’a jamais été appliquée. Et cela, c’est une responsabilité collective des gouvernements successifs, de toutes sensibilités !

Nombreux, d'ailleurs, sont les relais de service public qui ne sont même plus financés. Madame la ministre, nous craignons – c’est une inquiétude légitime, me semble-t-il – que les mesures du Gouvernement ne connaissent le même sort.

Mis à part le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, les actions prévues en matière d’emploi ne nous paraissent pas suffisamment structurelles. L’aide forfaitaire de 5 000 euros pour les entreprises qui embauchent des jeunes résidant en zone urbaine sensible ou les 30 % des emplois d’avenir réservés aux territoires prioritaires ne peuvent être considérés comme des actions durables et comme de véritables leviers. De même, la réponse apportée aux déserts médicaux n’est que ponctuelle, avec 200 embauches qui étaient prévues pour 2013.

La question des transports et de leur financement est importante, madame la ministre. En effet, développer un territoire quand l’accès à ce dernier est difficile, soit pour les zones, soit pour les marchandises, soit pour les deux, devient un enjeu, un défi qu’il est extrêmement difficile, pour ne pas dire quasi impossible, de relever.

Peut-être avons-nous des approches différentes quant au type de transport qu’il faut privilégier, mais, avec le bon sens, nous pouvons arriver assez souvent à nous rejoindre. C’est, en tout cas, indispensable au désenclavement de nos territoires.

À ce sujet, les scénarii dressés par la commission Mobilité 21 auraient dû constituer l’occasion pour le Gouvernement d’investir dans les infrastructures utiles au désenclavement des territoires aujourd'hui oubliés, non équipés en réseaux à grande vitesse. Ce n’est pas une mauvaise chose, loin de là, que de remettre au goût du jour les lignes traditionnelles et de les améliorer. Sur ce point, nous sommes d’accord, parce que, pour ma part, je crois au rail et j’y ai toujours cru. Il aurait également fallu investir pour moderniser les réseaux routiers et les routes nationales traditionnelles. Or il n’en a rien été.

Je vais vous poser une question d’actualité, madame la ministre. Que compte faire le Gouvernement pour financer rapidement l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF ? Vous pourriez judicieusement me répondre qu’il ne fallait pas suspendre l’écotaxe. §Nous sommes d’accord, mais c’est le Gouvernement qui a suspendu l’écotaxe, en réponse à des manifestations, sur lesquelles je ne reviendrai pas, et sans doute aussi aux interventions lourdes de grands élus bretons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

En tout cas, c’est ce que je pense. Peut-être n’est-ce pas la réalité, mais je crains d’avoir raison…

Le choix qui a été fait est celui de la modernisation des infrastructures ferroviaires existantes, et c’est un bon choix, ce qui ne veut pas dire qu’il faille abandonner les lignes à grande vitesse. Comment trouver de nouveaux financements pour alimenter le budget de l’AFITF ? C’est un réel problème.

Madame la ministre, je vous l’ai déjà dit, j’aimerais que vous me fassiez le plaisir de venir visiter le département dans lequel je cumule encore des mandats.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

L’engagement n° 28 du candidat François Hollande, qui prévoyait de relancer la politique des transports pour lutter contre la fracture territoriale, est un bel engagement, auquel j’ai souscrit avec enthousiasme, comme, d'ailleurs, une grande majorité de nos concitoyens.

Or je crains que cet engagement ne soit davantage compromis que celui qui est relatif à la suppression du cumul des mandats ! Quel que soit le sujet, il me paraît, en effet, plus facile de faire voter l’Assemblée nationale que de trouver des solutions pratiques, concrètes, pour lutter contre la fracture territoriale.

Je souhaiterais, madame la ministre, que vous nous disiez où on en est par rapport à cet engagement n° 28. Où en est-on du dossier de l’écotaxe voulue par deux majorités successives et votée par le Parlement de la République ? Qu’entendez-vous faire rapidement pour permettre soit de remettre à niveau, soit de créer des infrastructures facilitant l’accès aux territoires aujourd'hui oubliés ? Quels sont vos projets pour remettre le réseau ferroviaire traditionnel dans un état digne de ce nom ?

De même, les crédits d’engagement consacrés aux lignes d’aménagement du territoire ont été au moins divisés par deux depuis 2010, dans un objectif de réduction des dépenses publiques, sans aucune stratégie en termes de maillage territorial.

J’en arrive aux zonages. Je l’ai toujours dit ici, je doute de l’efficacité de la politique des zonages, dont l’objectif était de donner plus aux territoires qui en ont structurellement le plus besoin. Cette politique a été entravée, freinée par son éparpillement, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain. La multiplication des zonages n’a pas permis d’évaluer les politiques spécifiques mises en œuvre.

Nous débattrons la semaine prochaine de la politique de la ville. Là aussi, on voit bien qu’il y a beaucoup de choses à faire, mais que les « poches de pauvreté », qui concentrent tous les problèmes sociaux et économiques, n’ont pas été précisément identifiées jusque-là.

Mes chers collègues, il est nécessaire d’en finir avec l’accumulation des zonages, quelles que soient les politiques publiques. En effet, force nous est de constater, malheureusement, que la vision des gouvernements successifs, quelles que soient leurs sensibilités, sur l’avenir de la France et sur l’aménagement du territoire présente un grave déficit de transversalité. La vision depuis les ministères parisiens souffre d’une réelle myopie. Ce dernier terme est, d’ailleurs, modéré, car on pourrait souvent parler d’aveuglement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

On continue de tâtonner dans la confusion, alors que l’aménagement du territoire devrait pleinement s’intégrer à un échelon supérieur, celui de l’Europe.

Je conclurai mon propos en évoquant les questions de péréquation financière. Il est évident que l’aménagement du territoire ne peut se concevoir qu’avec une véritable politique de péréquation financière entre les collectivités, horizontale ou verticale. Cette dernière doit être conçue à l’échelon de l’État et viser un objectif de simplification et de véritable justice.

Madame la ministre, il faut mettre un terme à la situation qui se répète chaque année : au moment du débat budgétaire, les ordinateurs tournent sur les différentes simulations de péréquation. Après quoi, en fonction des résultats, on regarde comment sont traités les départements de la Seine-Saint-Denis, la Corrèze ou l’Ariège. Je le dis comme je le pense et je crains, là aussi, malheureusement, d’avoir raison. Il faut parvenir à des systèmes qui soient justes. Quelles que soient les majorités, ils ne doivent pas être remis en cause tous les ans, au moment du vote du budget de la nation.

La création d’un Commissariat général à l’égalité des territoires a trop tardé. Ce que nous voulons, c’est une véritable politique d’aménagement du territoire. Les Républiques précédentes l’ont fait, et la tâche a été poursuivie au début de la Ve République. Force est de le constater, au cours des trois dernières décennies, les gouvernements successifs, de toutes sensibilités, ont abandonné cette politique. Je vous demanderai, madame la ministre, de nous répondre et de nous dire quelle est votre vision de l’avenir proche sur ce dossier.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a un peu moins de deux mois – c’était, certes, l’année dernière, mais cela ne fait pas si longtemps – le groupe UDI-UC organisait un débat sur le même thème, celui de « l’aménagement du territoire » ou de « l’égalité des territoires », selon la terminologie préférée par les uns ou les autres.

J’y vois la preuve que ce sujet préoccupe fortement les membres de la Haute Assemblée. Cela me semble normal. En effet, comme j’avais eu l’occasion de le dire à l’époque, force est de constater que l’égalité des territoires promise par le Gouvernement, loin de progresser, a plutôt régressé au cours des derniers mois. À cela s’ajoute le fait que le Gouvernement ne cesse, depuis des mois, de porter de mauvais coups à la ruralité.

Je ne vais pas reprendre tout ce que j’ai dit voilà deux mois et qui reste, hélas, toujours valable. Ce que je voudrais, madame la ministre, c’est revenir sur certains de vos propos en réponse aux nôtres, puisque la procédure ne permet malheureusement pas aux parlementaires de répondre à la réponse du ministre. Je profite du fait que deux débats similaires ont été organisés en deux mois sur ce sujet pour revenir sur un certain nombre de points que vous avez évoqués dans votre réponse à nos interventions diverses et variées.

Vous m’avez fait remarquer que, contrairement à ce que je disais, vous répondiez à mes demandes puisque vous répondiez à mes courriers et à mes questions écrites. Avouez que c’est un peu formel !

Certes, vous répondez aux courriers. Je salue d'ailleurs cette preuve de politesse, que n’apportent pas tous vos collègues, je tiens à le souligner publiquement !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Sur le fond, ce que je vous avais dit et que je vous répète, hélas, aujourd’hui, c’est que, sur un certain nombre de sujets, il n’y a pas de réponse, en ce sens qu’il n’y a pas de solution.

Ainsi, sur la question de la téléphonie mobile, votre cabinet m’a proposé – je m’en réjouis – une réunion sur un sujet bien spécifique, celui de la téléphonie mobile dans la vallée de la Lévrière.

Sur le sujet de la téléphonie mobile, je ne citerai pas, par manque de temps, l’intégralité de la liste que j’ai sous les yeux. Celle-ci énumère les dizaines de communes de mon département non couvertes par la téléphonie mobile et auxquelles on ne propose rien, absolument rien ! On leur dit de patienter et d’attendre l’arrivée de la 4G. Or, j’ai entendu, pas plus tard qu’hier, au cours d’une cérémonie des vœux, l’un des maires de mon département soupirer : « Si seulement je pouvais avoir la 1G, je serais déjà bien content ! »

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Mes chers collègues, je transmettrai vos applaudissements au maire dont il s’agit, car ce sont ses propos et non les miens que vous saluez.

En effet, il est tout à fait indécent et insupportable d’annoncer l’arrivée de débits formidables en matière de téléphonie mobile à des personnes qui vivent dans des zones dépourvues de toute couverture !

Sur le haut débit, c’est la même chose. Je n’y reviendrai pas. Il en va de même pour l’accès aux soins et à la démographie médicale. Je devrai tout à l’heure quitter l’hémicycle avant d’avoir entendu la réponse de Mme la ministre à ma réponse à sa réponse. En effet, je dois me rendre dans la communauté de communes de Verneuil. Cette dernière s’est engagée, elle a investi des centaines de milliers d’euros dans une maison médicale qui est absolument parfaite. Il n’y manque qu’une chose : c’est un médecin !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

M. Hervé Maurey. Cela montre bien qu’il ne suffit pas de faire des maisons médicales pour faire venir les médecins. À ce sujet, que propose le Gouvernement ? Eh bien, mes chers collègues, rien, rien du tout !

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Cela vous dérange, chers collègues de la majorité ? Je le comprends, mais c’est, hélas, la triste réalité !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Je vous proposerai très bientôt une proposition de loi sur ce sujet, que vous ne manquerez certainement pas de cosigner.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Face à cette situation, que fait le Gouvernement ? Comme d’habitude – c’est l’une de ses caractéristiques –, il se délivre des satisfecit !

L’autosatisfaction et l’autocongratulation sont des traits communs de tous les ministres de ce gouvernement. Madame la ministre, vous nous avez annoncé que « l’année 2013 aura néanmoins été une année charnière, car bien des projets ont été mis en place ». Mais lesquels, grands dieux ?

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement

Citez la suite !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Le seul élément concret que vous avez évoqué, c’est l’extension du dispositif des maisons de services publics, dont le nombre sera multiplié par trois d’ici à 2017. Or, d’ici là, il peut se passer bien des choses, d’autant que je vous rappelle que ce dispositif a été mis en place par le précédent gouvernement, par notre collègue Michel Mercier, et qu’il nécessite, par ailleurs, que les communes apportent leur financement.

Vous avez également évoqué le Commissariat général à l’égalité des territoires. Je le répète, ce serait bien trop simple s’il suffisait de transformer la DATAR en une telle instance pour changer la donne. Ce n’est malheureusement pas le cas !

En réalité, comme l’a dit notre collègue Jacques Mézard, la RGPP a simplement changé de nom. On parle maintenant de « modernisation de l’action publique », …

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

M. Hervé Maurey. … mais cela produit les mêmes effets.

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Madame Didier, vous m’aviez reproché, lors du précédent débat, de n’avoir rien dit sur les opérateurs du temps de l’ancien gouvernement. C’est faux ! Vous savez très bien que j’avais également signalé à l’ancien gouvernement qu’il n’était pas normal que les opérateurs se déploient où ils veulent et quand ils veulent.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

À l’époque, mes collègues socialistes allaient dans le même sens que moi ; aujourd'hui, ils trouvent que c'est très bien, alors même qu’il n’y a eu aucun changement.

Madame la ministre, votre seule annonce, qui portait sur la remise en cause des pôles d’excellence rurale, n’a fait que créer une inquiétude supplémentaire pour nombre d’élus et d’habitants des territoires ruraux. En effet, depuis un certain nombre de mois, vous avez multiplié les déclarations tendant à prouver que vous n’êtes pas favorable à ces pôles, sans clarifier pour autant votre position, d'ailleurs.

En ce moment, mes collègues et moi sommes très présents sur le terrain, puisque nous participons à de nombreuses cérémonies des vœux. Outre les sujets que j’ai déjà évoqués, sachez qu’on nous parle beaucoup de la réforme des rythmes scolaires.

Vous m’aviez dit que mes affirmations à ce sujet étaient « quelque peu caricaturales ». Toutefois, madame la ministre, c'est plutôt votre gouvernement qui l’est, dans la mise en œuvre de cette réforme ! C'est la réalité, et ce n’est pas en essayant de m’attendrir de manière tout à fait déloyale par un doux regard que vous me ferez changer d’avis !

Rires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Le Gouvernement fait preuve d’un jacobinisme caricatural dans la mise en œuvre de sa réforme des rythmes scolaires : il décide de tout, et tant pis si les communes n’ont pas les moyens de financer la réforme ou si elles ne disposent pas des locaux et du personnel nécessaires. Je peux vous l’assurer – aucun élu de bonne foi ici ne dira le contraire ! –, la réforme des rythmes scolaires est aujourd’hui la priorité numéro un des élus sur le terrain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Nous n’assistons pas aux mêmes cérémonies des vœux !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

La mise en place du plan local d’urbanisme intercommunal est une autre source d’inquiétude sur laquelle vous devrez de nouveau vous pencher.

Nous avions obtenu ici un accord qui était un moindre mal : il prévoyait la possibilité de réunir une minorité de blocage lorsqu’un certain nombre de communes s’opposent au transfert du PLU à l’intercommunalité. Vous vous étiez engagée, madame la ministre, à ce que cet accord soit respecté à l’Assemblée nationale. Pour l’instant, ce n’est pas le cas !

Je le dis à ceux de mes collègues qui n’y auraient pas prêté attention pendant la période des fêtes, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale est revenue sur ce dispositif, en faisant passer la minorité de blocage d’un quart des communes représentant 10 % de la population à la majorité qualifiée, c’est-à-dire à la moitié des communes représentant les deux tiers de la population ou l’inverse, ce qui n’est plus du tout la même chose !

Je souhaiterais, madame la ministre, que vous nous indiquiez très clairement aujourd’hui si, conformément à l’engagement que vous aviez pris, le Gouvernement déposera un amendement à l’Assemblée nationale pour revenir à la version qui avait obtenu votre accord ici même au Sénat.

Mme la ministre acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Pour le reste, j’aimerais bien, comme Jacques Mézard, connaître la feuille de route du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Lors du débat précédent, vous n’aviez pas répondu à un certain nombre de mes propositions. J’avais souligné qu’il fallait, mais cette question ne relève pas de votre responsabilité, avoir un véritable ministère de l’aménagement du territoire, avec pour seule mission de faire prévaloir cette exigence d’aménagement, aujourd’hui systématiquement reléguée derrière d’autres nécessités.

J’avais également souhaité que l’État se recentre sur ses missions, qu’il soit garant des infrastructures – alors que le Gouvernement n’a fait que renoncer à un certain nombre d’infrastructures prévues –, que la priorité soit donnée à la création d’emplois dans les zones fragiles, que les crédits soient optimisés – on continue, me semble-t-il, de les dilapider, alors qu’ils sont aujourd’hui extrêmement rares –, et que l’État travaille en étroite collaboration avec les élus et non, comme c’est parfois le cas, contre eux. Je le rappelle, ce dernier point était l’un des engagements de François Hollande pendant sa campagne présidentielle.

Lors du précédent débat, un certain nombre de mes collègues avaient souhaité qu’une loi-cadre soit adoptée, comme l’appelait également de ses vœux le Conseil économique, social et environnemental. Sur ce point non plus, nous n’avons pas eu de réponse.

Madame la ministre, je voudrais tout de même attirer votre attention sur le fait que votre gouvernement n’a réuni aucun comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire depuis son arrivée au pouvoir, ce qui est sans précédent. Je ne suis certes pas favorable à la réunion systématique des comités, mais qu’il n’y ait eu aucun CIADT en deux ans montre bien, madame la ministre, que l’aménagement du territoire et l’égalité des territoires ne sont pas vos priorités.

Pour terminer, puisque je vois que le temps qui m’est imparti est écoulé, …

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

… je tiens simplement à dire que nous aimerions débattre moins souvent et avoir enfin des actes !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Près de deux ans après avoir pris vos fonctions, vous ne pouvez pas continuer simplement à critiquer ce qui a été fait et à pratiquer la méthode Coué, en disant que tout va beaucoup mieux. Il est temps d’agir et même de réagir !

Les votes extrêmes qui se sont exprimés en 2012 dans les territoires ruraux ont un sens ; il y en aura d’autres, qui seront bien pires, en 2014. Une fois encore, je vous demande, madame la ministre, de bien vouloir – enfin ! – agir. Il y va de l’avenir de nos territoires, de l’égalité non seulement de nos territoires, mais également des citoyens, et de la cohésion sociale de notre pays ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans vouloir préjuger de la qualité de nos débats sur ce sujet central qu’est l’égalité des territoires, je dois vous avouer notre lassitude.

Disserter, y compris à la quasi-unanimité sur les travées de cet hémicycle, pour formuler les mêmes constats et porter l’exigence d’égalité républicaine pour l’ensemble de nos concitoyens et de nos territoires, c’est intéressant, mais, disons-le clairement, c'est insuffisant !

L’égalité républicaine doit se construire par des actes. Nous avions d’ailleurs encore récemment la possibilité de faire quelque chose au travers de la loi de finances ou de la proposition de loi que je vous ai présentée en octobre dernier. Cette dernière visait à mieux répartir la dotation de fonctionnement, notamment en milieu rural : pour ce faire, 800 millions d’euros suffisaient, une somme à comparer aux 20 milliards d’euros de cadeaux offerts au patronat avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

Or tel n’est pas, pour l’instant, le choix fait ni par le Gouvernement ni par la majorité parlementaire, et cela dans la continuité du gouvernement précédent, puisque les maîtres mots de la politique menée sont austérité et diminution de l’action publique au travers de la RGPP, devenue la modernisation de l’action publique, la MAP. Cela s’est traduit notamment par la suppression, dans le cadre de la dernière loi de finances, des missions de l’ATESAT, l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, et ce au moment même où les territoires ont le plus besoin d’être accompagnés.

Parallèlement, les dotations aux collectivités sont en berne, avec une diminution continue depuis de trop nombreuses années : la péréquation verticale est au point mort. Les territoires sont au moins égaux devant la pénurie et le désengagement de l’État ! Ils sont également égaux devant les ravages des politiques libérales, qui ont conduit à la désindustrialisation progressive de nos territoires, sous le coup de la compétition mondialisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

M. Jean-François Husson. Vive le centralisme démocratique !

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

C’est ce déchirement qui est d’ailleurs à l’origine de ce que l’on a pu qualifier de révolte des « bonnets rouges » en Bretagne, un territoire que je connais bien.

C’est bien le sentiment d’abandon par la République qui a nourri ce mouvement, sur fond de crise sociale et économique, mais aussi une incompréhension majeure. En effet, il est demandé de réorienter les transports polluants vers des transports plus propres, un vœu que nous partageons. Toutefois, quand l’alternative de transport n’existe pas, l’écotaxe devient tout simplement une taxe.

Le taux de chômage en Bretagne a atteint 9, 4 %. Piliers de l’économie bretonne, les secteurs agroalimentaire et automobile vacillent depuis 2012. L’intérim et la construction, secteurs très conjoncturels, subissent également des reculs sensibles en termes d’emploi.

Par ricochet, la demande sociale est de plus en plus forte. Ainsi, en 2012, le nombre d’allocataires du RSA, le revenu de solidarité active, s’est fortement accru en Bretagne, avec 4 000 foyers supplémentaires.

Sur le front de l’emploi, Doux a créé un séisme dans la filière volaille, tout en empochant des millions d’euros d’aides publiques. La fermeture programmée de l’usine GAD constitue une nouvelle catastrophe dans la grave crise que traverse la filière agroalimentaire bretonne. Une fois encore, ce sont plus de 1 000 salariés qui se trouvent pris à la gorge, avec des propositions de reclassement inacceptables vers l’Italie, la Roumanie ou encore l’Autriche !

Cette saignée de l’emploi entraîne colère et déception face à l’impuissance des pouvoirs publics à maintenir l’emploi. Où est donc passé le « redressement productif », qui avait suscité tant d’espoir ? L’emploi et sa préservation sont pourtant les premiers leviers de l’aménagement des territoires, car ils permettent à ces derniers d’être attractifs et accueillants, voire compétitifs, pour reprendre un terme en vogue.

Dans ce cadre, les engagements portés par le pacte d’avenir, s’ils sont significatifs, ne sont pas suffisants. Au fond, ils accompagnent la désindustrialisation au lieu de permettre l’implantation de nouvelles entreprises. Les aides aux entreprises ne sont pas suffisamment assujetties de contreparties liées aux investissements créatifs d’emplois.

Nous attendons des mesures encore plus fortes. Le Gouvernement doit s’opposer à tous les licenciements boursiers et mettre en place de nouveaux dispositifs de régulation et un système de sécurité emploi-formation.

Pour qu’un territoire soit attractif, il faut également qu’il soit relié aux autres territoires par des réseaux de communication, et même de télécommunication, et que les services publics essentiels soient présents. Or c’est de moins en moins le cas.

Dans ce cadre, la priorisation des engagements pris par le schéma national des infrastructures de transport laisse la Bretagne de côté. Si nous sommes satisfaits que le pacte entérine pour 2014 la réalisation du débat public sur les nouvelles liaisons ferroviaires Ouest-Bretagne et Pays de la Loire, qui doivent permettre de mettre Brest et Quimper à trois heures de train de Paris, celui-ci ne s’aventure pas à donner de dates précises pour atteindre ces objectifs. C’est dommage ! Il en va de même pour la mise à 2x2 voies de l’axe central RN 164, en chantier depuis plus de quarante ans, un projet pour lequel il est annoncé encore sept années de travaux.

Nous serons extrêmement vigilants à la réalisation concrète de ces investissements, utiles au désenclavement de la Bretagne, ainsi qu’à ceux qui sont relatifs aux lignes secondaires, comme celle de Lamballe-Dinan-Dol.

Concernant le financement du pacte d’avenir, comment ne pas voir que celui-ci est finalement limité ! En effet, les 2 milliards d’euros annoncés regroupent en réalité des aides de l’État, de l’Europe, mais également des collectivités bretonnes. Dans ce calcul, on additionne des financements déjà acquis et des prêts, qui seront à rembourser. Or la situation exige transparence, respect – des élus comme des habitants – et préservation de la démocratie de proximité, dont les élus locaux sont porteurs.

Il faut également savoir que le total des dépenses annuelles de l’État en Bretagne est, depuis quinze ans, inférieur de 90 millions d’euros par an à la moyenne nationale.

M. Bruno Sido manifeste son scepticisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Le rattrapage n’est donc pas à la hauteur. Il s’agit à peine d’une compensation !

Nous souhaitons également que l’effort soit concentré sur les trois premières années. Parallèlement, la péréquation doit être renforcée, en accordant aux communes une dotation de solidarité rurale par habitant égale à celle des villes.

De même, il faut plus de justice dans la répartition des aides du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER. Alors que la Bretagne représente 6, 8 % des exploitations et 12 % de la production agricole, elle perçoit simplement 3, 8 % de ce fonds.

Il est nécessaire d’anticiper les mutations. En effet, la fin annoncée de la PAC, la politique agricole commune, et la suppression des quotas laitiers font peser de lourdes questions sur l’avenir de la Bretagne, garde-manger de la France.

Cette région, comme toutes les autres, est aujourd’hui touchée de plein fouet par la logique européenne du jeu sur le coût du travail, sous contrainte de l’euro.

Pour sortir la France et ses régions du déclin, il faut ouvrir une ère nouvelle qui nous fasse quitter les ornières du libéralisme, lequel, d’un côté, permet l’évasion fiscale à grande échelle – celle-ci équivaut chaque année à 40 milliards d’euros pour la France et à 1 000 milliards d’euros pour l’Europe – et, de l’autre, jette par-dessus bord les hommes.

La théorie qui se développe actuellement du non-consentement à l’impôt est une remise en cause profonde du modèle républicain et de la souveraineté nationale. Elle réfute l’idée d’un bien commun et d’une communauté de destin.

Comme l’indique Emmanuel Todd, « nous entrons dans une période nouvelle. Il faut voir à quoi servent les prélèvements obligatoires. Au financement de l’État social et des nécessaires biens communs, bien sûr. Mais l’impôt, de plus en plus, permet aussi de servir les intérêts d’une dette publique qui n’est plus légitime. Le prélèvement fiscal sert désormais aussi à donner de l’argent à des gens qui en ont déjà trop. Nous sommes confrontés à une ambivalence de l’impôt, à une ambivalence de l’État, serviteur à la fois de l’intérêt collectif et d’intérêts privés, d’intérêts de classe. »

À ce titre, la remise à plat de la fiscalité, telle qu’elle a été annoncée par le Premier ministre, ne semble pas suffisamment ambitieuse et ne se profile qu’à trop long terme.

C’est en rétablissant la justice sociale dans l’impôt, en permettant que les territoires disposent de moyens concrets pour mener les politiques pour lesquelles ils ont été élus et en faisant en sorte que les services publics de santé, d’éducation, de transports, du numérique maillent très finement les territoires, que nous retrouverons de la nécessaire cohésion sociale.

C’est donc un changement réel et tangible de cap que nous attendons pour permettre l’essor partagé de tous les territoires selon les principes d’égalité et de solidarité.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, débattre en l’espace de deux mois du même sujet dans cet hémicycle montre, s’il en était besoin, l’importance qu’attache notre Assemblée à l’aménagement du territoire et à la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires.

L’attente est forte, en effet, car ces dernières années ont été marquées par une conception libérale de l’aménagement du territoire, préjudiciable au monde rural. Les politiques mises en place dans le cadre de cette option libérale ont encouragé la compétition entre les territoires, favorisant la concentration des moyens financiers dans les territoires disposant d’une forte ingénierie de projet et de capacités de financement, au détriment des territoires ruraux isolés, qui se sont ainsi encore plus marginalisés.

Ces effets ont été accentués par une application aveugle de la révision générale des politiques publiques aux territoires ruraux, ignorant les effets de cumuls dévastateurs pour certains d’entre eux. La réforme de la carte des hôpitaux, celle des tribunaux et celle de l’implantation des gendarmeries ont parfois abouti à des retraits massifs de services publics sur un même territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

C’est ainsi que mon département, le Lot-et-Garonne, a connu entre 2007 et 2012, successivement et parfois concomitamment, la fermeture du tribunal de grande instance, de tribunaux d’instance, de gendarmeries et de classes en zone rurale.

Les effets de cette politique sont aujourd’hui visibles et dommageables pour la nation et les espaces ruraux. Ils ont suscité un sentiment d’abandon et de relégation, qui a imprégné nos campagnes.

Aujourd’hui, nous avons changé de paradigme. La logique de l’action de l’État a été inversée, tout d’abord, par le rétablissement de l’esprit de dialogue entre l’État et les collectivités territoriales. Une nouvelle relation, apaisée, a été instaurée, une relation fondée sur la confiance à l’égard des acteurs locaux, une relation fondée sur la confiance dans l’intelligence des territoires.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

« L’État et les collectivités locales doivent retrouver le chemin de la confiance. Ils doivent être des partenaires et des acteurs qui se complètent ». Je cite volontiers cette phrase prononcée par le Premier ministre, car elle rompt radicalement avec les discours de stigmatisation à l’encontre des collectivités locales et des élus que nous avons subis pendant le dernier mandat présidentiel…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

M. Pierre Camani. … et qui avaient conduit à développer un lourd climat de défiance dans les territoires.

Protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Le Gouvernement souhaite renouer avec la nécessaire solidarité entre les territoires, par la mise en œuvre d’une politique d’égalité entre tous les territoires, urbains comme ruraux, sans opposer les uns aux autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

M. Pierre Camani. Bien sûr, le contexte financier est difficile et le cadre forcément contraint.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Toutefois, nous devons nous féliciter de la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, qui regroupera les services de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR, de l’Agence nationale de la cohésion sociale et du Secrétariat général du comité interministériel des villes.

La création de cette structure constitue un signal fort, tout d’abord, en affirmant la valeur d’égalité de nos territoires, principe de notre identité républicaine, qui nous offre la possibilité de dépasser le clivage entre l’urbain et le rural. Le CGET permettra une plus grande transversalité et constituera une opportunité pour revisiter notre conception de l’aménagement du territoire.

Les fractures territoriales qui minent notre pays menacent notre cohésion sociale. Les inégalités nous divisent et nous affaiblissent. La carte des exclusions, du chômage, de la désindustrialisation, des inégalités sociales, des inégalités d’accès à la santé révèle une géographie des périls qui justifie et nécessite une politique d’égalité des territoires.

La recherche de l’égalité des territoires ne constitue pas d’ailleurs l’apanage de l’État. De par leurs compétences, les collectivités territoriales représentent les principaux acteurs du développement et de l’aménagement du territoire.

La péréquation forme le socle de cette politique et je me réjouis que l’enveloppe des fonds de péréquation des ressources communales et intercommunales ait été considérablement abondée cette année, malgré les difficultés budgétaires.

Marques d’ironie sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Je me réjouis également de l’adoption du pacte de confiance et de solidarité de juillet 2013, qui développe des mesures de péréquation et établit une relation de responsabilité et de solidarité entre l’État et les collectivités territoriales.

Cette mesure, entérinée par la loi de finances pour 2014, permettra en particulier aux départements ruraux de continuer à assurer leurs missions de soutien aux territoires infradépartementaux en difficulté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Je veux saluer ici la cohérence de l’action de l’État, qui se déploie dans les domaines que je viens d’évoquer, mais aussi dans les politiques qui renforcent les services publics là où ils ont été précédemment affaiblis.

L’expérimentation des schémas d’accessibilité des services au public, avant même le vote du second volet de la réforme de la décentralisation, est un bon exemple du volontarisme de l’État. §Et mon département est fier de participer à cette dynamique de rééquilibrage de l’offre de services publics adaptée aux comportements des usagers.

J’irai même plus loin : les créations de postes dans l’éducation nationale contribuent à l’égalité des territoires. Dans mon département, vingt et un postes d’enseignants ont été créés à la rentrée 2013. Cela ne s’était pas produit depuis de nombreuses années.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste . – Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Des tribunaux ont parallèlement été rouverts en France. Dans mon département, le tribunal de grande instance de Marmande, fermé en 2010 dans le cadre de la réforme judiciaire alors qu’il était quasiment neuf, bénéficie de l’affectation d’une chambre détachée qui recouvrira la plupart des fonctions exercées auparavant par le TGI.

Ce sont là des mesures concrètes, qui démontrent que le Gouvernement agit en faveur des territoires, quoi qu’en dise mon collègue Hervé Maurey, dont l’impatience n’a d’égal que la démagogie.

Protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

M. Pierre Camani. Il faut vraiment faire preuve de mauvaise foi pour ne pas reconnaître le travail accompli par le Gouvernement et les avancées indéniables réalisées, par exemple, dans le déploiement du très haut débit en France. Le nouveau modèle proposé recueille l’assentiment de tous les acteurs du numérique, qui reconnaissent qu’un grand pas en avant a été accompli par rapport à la situation antérieure.

Protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Sous le précédent quinquennat, un fonds d’aménagement numérique du territoire existait, mais il n’était pas abondé.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Il y avait les mots, maintenant nous avons les actes. Le plan « France très haut débit » définit des objectifs et apporte des moyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

C’est une réalité. L’objectif, c’est le soutien au déploiement du numérique en collaboration avec les collectivités. Les moyens, c’est un programme d’investissement de 20 milliards d’euros sur dix ans qui devrait permettre d’assurer l’égalité des territoires dans leur couverture en très haut débit.

L’État soutiendra les projets – vous le savez bien – dans les territoires où les investissements publics sont les plus lourds, en milieu rural notamment, par une enveloppe dédiée de trois milliards d’euros et par la mise à disposition de prêts à long terme financés par les fonds d’épargne. Un établissement public sera chargé du pilotage de ce plan « France très haut débit ». C’est le retour de l’État stratège, …

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

M. Pierre Camani. … sans lequel il ne peut y avoir de politique d’aménagement du territoire efficace.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Mes chers collègues, veuillez laisser parler l’orateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Dans le domaine de la démographie médicale et au travers du pacte territoire-santé, un plan global de lutte contre les déserts médicaux est mis en place, avec des mesures concernant la formation et l’installation des jeunes médecins, les conditions d’exercice des professionnels de santé et la présence médicale dans les territoires isolés.

Bientôt, nous serons amenés à travailler sur le second volet de la réforme de la décentralisation, qui confiera notamment aux départements la responsabilité d’agir encore plus en faveur de l’égalité des territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

M. Pierre Camani. Mes chers collègues, toutes ces réformes, malgré une période extrêmement difficile, procèdent d’une logique qui rompt avec le passé.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Aujourd’hui, en affichant une véritable ambition pour l’égalité des territoires, il s’agit de changer non pas les mots, mais les méthodes. C’est la première fois que nous avons un ministère chargé de l’égalité des territoires, qui porte une nouvelle ambition pour la République.

Il nous faut faire preuve de volonté et d’optimisme, ainsi que de patience peut-être, pour ce grand chantier. Je terminerai par une citation du sociologue Jean-Pierre Le Goff, expert de nos campagnes françaises, tirée de son dernier ouvrage La Fin du village, Une Histoire française, que je vous invite d'ailleurs à lire, mes chers collègues : « Notre pays dispose de ″réserves d’humanité″ et de forces vives pour sortir de l’impasse. Il n’a pas dit son dernier mot. »

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 1950, Eugène Claudius-Petit, alors ministre de la reconstruction – on sortait de la guerre – et de l’urbanisme, écrivait : « L’aménagement du territoire, c’est la recherche dans le cadre géographique de la France, d’une meilleure répartition des hommes, en fonction des ressources naturelles et des activités économiques ».

Il poursuivait : « Cette recherche est faite dans la constante préoccupation de donner aux hommes de meilleures conditions d’habitat, de travail, de plus grandes facilités de loisirs et de culture. Cette recherche n’est donc pas faite à des fins strictement économiques, mais bien davantage pour le bien-être et l’épanouissement de la population ».

M. Jean-Louis Carrère approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

L’égalité des territoires, à laquelle mon groupe, et plus largement le Sénat, est profondément attaché ne constitue pas une préoccupation idéologique qui viserait à établir une égalité réelle et parfaite entre tous les territoires de la République – ce serait mal nous connaître ! –, mais nous pensons qu’il faut préserver la diversité de nos territoires – c’est elle qui en fait toute la richesse – face aux multiples fractures qui traversent notre pays.

Notre conception de l’aménagement du territoire vise donc le bien-être de tous nos concitoyens. Nous sommes pour des territoires, urbains comme ruraux, où l’on puisse vivre et travailler, et non pour des territoires qui seraient de simples lieux de villégiature ou, en d’autres termes pour des territoires ruraux, des lieux dont la vocation serait de permettre à quelques urbains privilégiés et autres bobos amoureux d’une nature idyllique et fantasmée, de venir se reposer et profiter de la douceur de vivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Certainement pas ! L’aménagement du territoire, c’est permettre à tous les territoires d’avoir une activité économique, de participer à la production nationale de croissance et de créer de l’emploi, de la richesse et du bien-être pour leurs habitants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Bien évidemment, les actes successifs de la décentralisation, le renforcement de la démocratie de proximité et l’accroissement des pouvoirs locaux ont contribué à maintenir et à nourrir cette diversité territoriale et cette activité. Toutefois, en dépit de ces efforts, les inégalités territoriales persistent en matière d’emploi, de revenus et, surtout, comme cela a été dit à plusieurs reprises, d’accès aux services publics.

Dans une conception globale du territoire, il est du devoir de l’État de venir en soutien aux bassins de vie les plus fragiles, les plus marginalisés, et d’organiser cette répartition. Que fait aujourd’hui l’État en ce sens, madame la ministre ?

Ce soutien et cette organisation intelligente du territoire nécessitent de s’appuyer sur l’ensemble des politiques publiques dont les financements doivent être mieux orientés et mieux répartis au plan national. Nous avons besoin de transversalité : toutes les politiques et tous les ministères doivent être mobilisés de façon cohérente, qu’il s’agisse des politiques économiques, éducatives, des politiques du logement, des transports, de la culture, ou encore des politiques de santé ou de sécurité.

Rendre les territoires attractifs, c’est permettre à toutes ces politiques de s’y déployer… depuis Paris et avec les collectivités et les acteurs locaux concernés !

Reprenant un sujet d’actualité, je souhaite évoquer plus longuement les inégalités que l’on rencontre dans notre système éducatif, puisque c’est le lieu où se conditionne la réussite scolaire et, par conséquent, l’insertion professionnelle.

L’enquête PISA de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, de 2012, qui évalue le niveau des élèves de quinze ans dans les pays membres et dont les résultats ont été publiés récemment, démontre que la France est le pays où le lien entre inégalités sociales et réussite scolaire est le plus inéluctable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Or, nous le savons, les établissements scolaires en difficulté concentrent un plus grand nombre d’élèves d’origine sociale plus défavorisée.

Les zones d’éducation prioritaire, les ZEP, sont passées de 10 % du territoire en 1981 à 20 % aujourd’hui, sans que l’on constate d’amélioration. Un rapport de la Cour des comptes publié en mai 2013 soulignait l’absence de prise en compte efficace des besoins des élèves, le système d’affectation des enseignants ne permettant pas d’y répondre. La réforme du zonage prioritaire doit être engagée, notamment en lien avec celle de la politique de la ville, en veillant à prendre en compte les écarts qui existent au sein des académies. Il est donc nécessaire de rééquilibrer les interventions publiques en faveur des territoires oubliés.

La Charte européenne de l’autonomie locale, signée en 1985 et ratifiée par la France en 2006, prévoit dans son article 9 que « la protection des collectivités locales financièrement plus faibles appelle la mise en place de procédures de péréquation financière ou des mesures équivalentes destinées à corriger les effets de la répartition inégale des sources potentielles de financement ainsi que des charges qui leur incombent ». Dans l’esprit de cet article, et dans le cadre de la remise à plat de la fiscalité annoncée par M. le Premier ministre, il conviendra de veiller à ce que les dispositifs de péréquation soient moins complexes, plus lisibles, plus justes ou, pour le dire en un seul mot, comme Jacques Mézard, objectifs.

M. Bruno Sido approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Un autre chantier de simplification réside également dans l’adaptation des normes applicables aux collectivités territoriales. Ah, ces normes !... Les rééquilibrages passent par une politique nationale plus volontariste. J’ai eu, mes chers collègues, l’occasion de m’exprimer sur le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, qui s’inscrit au sein du réseau transeuropéen de transport, le RTE-T. Il est incontestable que les grands projets d’infrastructures de transport apportent une réelle plus-value en développant l’économie locale, l’emploi, les échanges de personnes et de marchandises, même s’ils doivent déranger quelques crapauds sonneurs à ventre jaune ou autres libellules.

Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

C’est dans le cadre d’une politique ambitieuse et cohérente que l’aménagement du territoire peut constituer un véritable levier de croissance agissant de manière structurelle. Nous regrettons que la place des infrastructures de transport y soit résiduelle. Oui, la situation de nos comptes publics est difficile, mais le temps est venu de donner un nouvel élan en adoptant une stratégie non fragmentée en faveur de l’égalité des territoires.

L’avis du Conseil économique, social et environnemental, publié en novembre dernier, préconise la préparation d’une loi-cadre et de programmation afin de mettre en œuvre une politique nationale d’aménagement du territoire.

En mai dernier, madame la ministre, votre ministère a diffusé un dossier de presse assez évocateur, dont la lecture m’a frappé. Un An d’action pour le logement et l’égalité des territoires, tel était son intitulé, dont on pouvait remarquer au passage qu’il inversait l’ordre de vos attributions… Faut-il y voir une inversion de l’ordre de vos priorités ? Je vous pose la question.

On peut aussi très légitimement s’interroger quand on voit, toujours dans ce dossier de presse, que les mesures portant sur l’égalité des territoires figurent dans la rubrique « Autres promesses de campagne », juste après la sous-rubrique « Hébergement d’urgence » !

Madame la ministre, mes chers collègues, il est plus que temps pour l’État de proposer une vision de la France marquée par le principe républicain de l’égalité de nos territoires. L’État doit réinvestir pleinement cette question et assumer ses responsabilités. Les élus locaux, comme les Français de la ruralité et de l’hyper-ruralité, si chères à notre collègue Alain Bertrand, attendent des décisions fortes et concrètes du Gouvernement réaffirmant leur appartenance totale et entière à la République. Car, dans ce domaine, le doute n’est pas permis !

Applaudissements sur les travées du RDSE . – MM. Jean-Louis Carrère et Bruno Sido applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un peu plus d’un an, en décembre 2012, nous débattions ici même de la réforme de la politique de la ville ainsi que, quelques jours plus tard, d’une proposition de résolution du groupe RDSE relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires. Les constats que nous faisions alors sont évidemment toujours d’actualité, et nous nous réjouissons que le Gouvernement tout comme les groupes de la majorité n’aient pas oublié leurs bonnes résolutions.

Il est d’autant plus urgent d’agir que les élections municipales approchent et que, comme je l’avais dit en 2012 dans cet hémicycle, certains de nos concitoyens des quartiers sont déjà déçus de la gauche. C’est bien l’abstentionnisme qui risque d’être, au printemps, dans ces quartiers, le véritable parti gagnant. Hélas ! Beaucoup ont la rage au cœur. Une rage qui pourrait bien alimenter le repli communautaire ou religieux, peut-être pire encore que les violences ou les émeutes, lesquelles, au moins, expriment quelque chose et cherchent à faire réagir la société globale.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. Une rage, aussi, sur laquelle l’extrême droite pourrait finalement surfer, comme elle sait si bien le faire.

M. Claude Dilain acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

En juillet 2012, la Cour des comptes constatait que, en dépit des efforts réalisés par un grand nombre d’acteurs et des résultats obtenus par le programme national de rénovation urbaine, les handicaps dont souffrent les quartiers ne s’étaient pas atténués. Elle attribuait la responsabilité de cette situation aux dysfonctionnements dans la coordination ministérielle et dans la coopération entre l’État et les collectivités territoriales.

Le rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles de 2012 insiste, quant à lui, sur les écarts persistants entre ce qu’il est convenu d’appeler « les quartiers » et le reste des unités urbaines.

Dans « les quartiers », la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté – 964 euros mensuels – est passée de 30, 5 % en 2006 à 36, 1 % en 2010, alors qu’il est passé dans le même temps de 11, 9 % à 12, 6 % en dehors de ces quartiers. La pauvreté touche particulièrement les jeunes. En 2009-2010, près d’un jeune de moins de 18 ans sur deux vivait en dessous du seuil de pauvreté dans ces quartiers, tandis que 40, 7 % des jeunes y sont au chômage. Le taux de chômage des seniors, lui, n’a pas cessé non plus d’augmenter depuis 2008, pour atteindre 14, 9 %. Même tableau du côté des femmes : moins d’une femme âgée de 25 à 64 ans sur deux occupait, en 2011, un emploi.

Et je ne parlerai pas ici de l’échec scolaire, du désert culturel, des transports, de l’habitat, de la santé, ni de l’impact des discriminations liées à l’origine, à la nationalité ou à la couleur de la peau.

Dans le cadre de ce débat, comme de celui que nous aurons bientôt, il me semble nécessaire de rappeler les orientations qui doivent présider à nos réflexions comme à nos actions.

Les habitantes et habitants des quartiers doivent être considérés comme une richesse et mis au cœur de la politique de la ville. Ils doivent voir leur pouvoir d’agir renforcé et être des acteurs de la transformation de leurs quartiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Dans leur rapport, Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache indiquent qu’il s’agit là d’un enjeu politique et appellent à faire de la chose politique un enjeu partagé, à faire émerger de nouveaux responsables politiques, à en diversifier les profils, à réinventer la démocratie.

La lutte contre les stigmatisations et les discriminations dont ces habitantes et habitants sont victimes doit être implacable. Les auteurs du rapport que je viens de mentionner dénoncent la montée de l’islamophobie qu’a alimentée le débat sur le port du voile et qui, en soi, ne peut qu’exacerber des formes de repli communautariste, radicaliser les discours et créer les bases d’affrontements stériles.

Il est nécessaire de faire converger les politiques de droit commun de l’État et des collectivités locales sur les quartiers, en territorialisant une action publique jusqu’ici définie « d’en haut ».

Il est nécessaire de réunir à nouveau l’urbain et le social dans un projet global.

Il est nécessaire de contractualiser à l’échelle de grands territoires, pour mieux organiser la solidarité.

Une politique d’empowerment s’impose, qui s’accompagnerait d’une intensification des politiques publiques coélaborées et s’appuyant sur les initiatives citoyennes.

Il faut changer l’image des quartiers et faire évoluer le regard que les médias nationaux portent sur ces quartiers et leurs habitants.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Aucune réforme ambitieuse, pourtant, ne se fait sans moyens, et il convient ici de se les donner, faute de quoi nous aurons irrémédiablement failli à notre mission républicaine.

Le débat d’aujourd’hui est donc nécessaire et le groupe écologiste se félicite que le projet de loi sur la politique de la ville et la cohésion urbaine soit examiné la semaine prochaine par notre assemblée, même s’il ne s’inspire pas vraiment, semble-t-il, des recommandations les plus marquantes du rapport Bacqué-Mechmache, commandé pourtant par M. le ministre délégué chargé de la ville.

Si nous partageons certaines des préoccupations sous-tendant ce projet de loi et si nous saluons les quelques avancées qu’il comporte, nous resterons vigilants quant aux moyens alloués à la réforme en cours et déposerons des amendements pour que cette réforme ne devienne pas le énième plan Marshall des banlieues, mais au contraire pour que la démarche de la politique de la ville soit inversée et que l’on passe, comme le rapport Bacqué-Mechmache le préconise à juste titre, d’une logique administrative et politique impulsée d’en haut à une dynamique partant des habitants des quartiers populaires et de leur pouvoir d’agir. Nous y reviendrons la semaine prochaine.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « ce n’est point à rompre l’unité française que travaillent les décentralisateurs : autre est leur but... Ils ont la prétention d’obtenir que la province, où vivent les quatorze quinzièmes de la population de l’Empire ne soit plus en tout et toujours la très humble tributaire de Paris ; que les citoyens soient quelque chose et que les fonctionnaires cessent d’être tout. »

Il s’agit là d’un extrait d’un « projet de décentralisation » datant de 1865, qui eut quelque retentissement et suscita notamment de nombreux débats sur la décentralisation. Ce projet, qui prônait une décentralisation fondée sur la libre administration des collectivités, prit le nom de programme de Nancy. Nancéien je suis, Lorrain je reste ! Il est toujours bon de rappeler ses origines pour mieux asseoir ses convictions.

Près d’un siècle et demi plus tard, l’actualité de ces remarques fait frémir : « que les citoyens soient quelque chose », quel que soit leur lieu d’habitation, dans nos villes ou nos villages…

Car ce débat relatif à l’égalité des territoires, avant même de concerner l’espace, concerne d’abord les personnes, car il porte sur l’égalité des chances et sur l’égalité des droits économiques et sociaux, consacrée par la Constitution de 1946. Quel que soit son lieu de vie, l’égal accès à un certain nombre de services doit être garanti à chacun.

L’organisation de notre débat, un an après la résolution sénatoriale relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires, trois mois après la résolution adoptée par l’Assemblée nationale pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires, montre bien que, quelle que soit l’acuité du sujet, ces résolutions sont malheureusement peu suivies d’effets.

De fait, malgré l’existence d’un ministère de l’égalité des territoires, la fracture territoriale s’aggrave. Je ne vais pas reprendre la litanie des écarts qui se creusent en matière d’accès aux services, qu’il s’agisse de la téléphonie mobile dans de très nombreuses communes, généralement rurales, de l’absence du haut et du très haut débit, comme l’a rappelé Hervé Maurey, ou encore de la question majeure des mobilités, qui touche à la fois aux besoins de nos concitoyens et aux grandes infrastructures routières, ferroviaires et fluviales.

Au-delà des mots, ce sont nos concitoyens qui, dans leur vie personnelle, familiale, professionnelle et dans leurs multiples activités de loisirs, souffrent de ces situations.

Notre débat intervient par ailleurs en préambule de l’examen de deux projets de loi importants : le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, qui sera débattu en janvier, et le deuxième tome de la réforme de la décentralisation, qui traitera de la déconcentration de l’État dans les territoires. Hélas, je doute fort que ce dernier projet, divisé en trois tomes, puisse être le garant de l’équité entre tous les territoires... Du reste, en divisant son projet en trois tomes, le Gouvernement consacre clairement la division entre les territoires.

On peut se demander quelle a été son action pour réduire les inégalités entre nos territoires. Certains sont allés jusqu’à dire, madame la ministre, au mois de novembre, que ce gouvernement n’aimait pas la ruralité ; je dirais plutôt qu’il ne donne que trop peu de preuves d’amour au monde rural.

Comment, en effet, pourriez-vous mener une politique d’égalité des territoires alors que vous ne vous interrogez pas sur l’impact des politiques de droit commun dans les territoires ? L’inflation normative sera-t-elle le fossoyeur de nos villages ? Rappelons-nous que la moitié des communes françaises comptent moins de 400 habitants. Comment peuvent-elles suivre ?

Je prendrai un exemple tiré de l’actualité : la réforme des rythmes scolaires. Dire, comme on peut le lire sur le site du ministère de l’éducation nationale, que cette réforme est égalitaire car elle va permettre à quatre enfants sur cinq, au lieu d’un sur cinq, d’accéder à une activité périscolaire, est un mensonge et témoigne d’une profonde méconnaissance de la France et de ses communes. En effet, de nombreuses communes rurales n’ont pas de locaux pour organiser correctement une activité périscolaire. En outre, les activités périscolaires seront le plus souvent payantes. Certaines communes ne peuvent même pas proposer de cantine aux jeunes enfants !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Si c’est le cas dans toutes les communes, bravo !

Comment parler d’égalité des chances quand des enfants de trois ans font parfois jusqu’à deux heures de transport public par jour pour aller à l’école ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Mon cher collègue, ce n’est pas du Zola, c’est une réalité !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Non, c’est de l’idéologie ! Mais c’est votre droit !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Je vous invite à venir dans mon département, comme l’a d’ailleurs fait Mme la ministre. Au reste, ce département ne doit pas être si mal administré que cela à vos yeux puisque, depuis 1998, il est dirigé par l’un de vos amis.

En Meurthe-et-Moselle, plus de 80 % des communes participent à un regroupement pédagogique intercommunal et près de 40 % des communes participent à un regroupement pédagogique dispersé. Dès lors, les problématiques de transport scolaire se surajoutent pour rendre le problème quasi insoluble. C’est la réalité mise en avant par les quelque deux cents maires que j’ai interrogés dans le cadre de la mission sénatoriale ; entendez-les !

Plus grave : faute de pouvoir proposer un accueil périscolaire de qualité, de nombreux maires craignent de subir demain de nouvelles fermetures d’écoles, qui s’ajouteraient à la cure d’amaigrissement imposée par la baisse significative des dotations d’État. Ce serait la double peine !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

L’éducation fait pourtant partie des missions régaliennes de l’État, et l’école est l’un des principaux vecteurs, voire le premier vecteur de l’égalité des chances. La réforme des rythmes scolaire démontre que, en se voilant la face sur la situation réelle des communes, on creuse encore les inégalités.

Madame la ministre, vous me direz que cette réforme n’est pas la vôtre. C’est vrai, mais c’est peut-être l’un des problèmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

En tout cas, cette réforme est la nôtre, et nous y tenons !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Existe-t-il une coordination interministérielle en matière d’égalité des territoires ? Non. Votre ministère est-il associé à toutes les décisions ayant un impact sur les territoires ? Manifestement non.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

L’intitulé de votre ministère était pourtant porteur d’espoirs. De plus, je sais que vous êtes en mesure d’entendre la voix des territoires puisque vous étiez, il y a quarante-huit heures, dans le nord de la Meurthe-et-Moselle. Chez notre collègue Évelyne Didier, vous avez pu prendre le pouls de ces élus qui sont parfois proches de la résignation. Ils constatent en effet que, sous couvert d’un égalitarisme de façade, les différences se creusent à leurs dépens.

Il faut donc remettre l’équité, correctrice des excès de l’égalitarisme, au cœur de l’action politique. La péréquation financière horizontale amorcée par le gouvernement de François Fillon doit être prolongée. Elle l’est ; poursuivons donc dans cette voie !

Madame la ministre, je vous soumets des pistes de réflexion, dans l’espoir qu’elles permettront de bâtir des solutions d’avenir.

Les communes rurales ne bénéficient que trop peu, voire pas du tout, des aides au logement social, ce qui nuit autant à leur développement qu’à leur attractivité. Que proposez-vous ? Comme vous l’avez déclaré, « les territoires ruraux n’ont pas vocation à se transformer en espaces récréatifs ou décoratifs ». Nous avons assurément besoin de leur dynamisme.

En se présentant comme attractifs, porteurs de solidarité et de qualité de vie, les territoires ruraux prendront toute leur place dans l’espace national dès lors que celui-ci ne sera plus perçu de manière binaire, mais appréhendé comme un ensemble de territoires en réseaux qui s’enrichissent mutuellement. Les liens, les réseaux entre les territoires doivent être notre priorité. Il nous faut consolider l’armature du territoire national, soutenir et accompagner les agglomérations, moteurs de notre développement, et revitaliser les bourgs-centres pour qu’ils participent à la dynamique globale et la diffusent dans les villages qui les entourent. Là encore, l’équité doit primer.

Avec la loi SRU – loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains –, l’État a confié aux territoires les réflexions en matière d’urbanisme de projets. Il arrive parfois que les régions n’assument pas pleinement leur rôle dans le cadre des schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire. Les SCOT – schémas de cohérence territoriale – représentent un outil utile et pertinent mis à la disposition des élus, à condition qu’ils recouvrent des périmètres suffisamment larges, permettant de prendre une certaine hauteur, au-delà des « prés carrés » de chacun ; ils sont alors la bonne échelle de réflexion prospective.

Cette matière nouvelle qu’appréhendent aujourd’hui les élus a engendré une demande croissante en matière d’ingénierie, qu’il est, je le souligne, de la responsabilité de l’État d’accompagner, tant en matière de ressources humaines, du fait des compétences de ses services déconcentrés, que par ses dotations, exceptionnelles ou incitatives.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

M. Jean-François Husson. Vous le savez, madame la ministre, je suis disposé à faire des propositions concrètes sur ce sujet ; je vous l’ai indiqué il y a quarante-huit heures. Je suis actuellement président d’un SCOT qui touche à son terme. Ce SCOT est assez particulier dans la mesure où le département de Meurthe-et-Moselle en compte deux ; c’est le seul département « bi-SCOT » de France.

Rires.

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

C’est peut-être craquant, monsieur le président, mais cela représente un travail énorme, qui a duré six ans et a mobilisé les élus de 476 communes et 30 intercommunalités– 20 aujourd'hui. Ce SCOT avait été adopté à l’unanimité – je tiens à le dire dans cette enceinte qui représente les territoires de France –, au-delà des clivages entre villes et villages, droite et gauche, grands et petits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

C’est pour cela que vous devriez être optimiste !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Nous avons adopté un pacte, que je vous ai remis, madame la ministre. Ce pacte constitue la véritable feuille de route de notre action à venir ; il est le fruit de deux ans de travail. C’est bien cela, un pacte : le résultat d’un travail collaboratif de qualité, et non un engagement décrété unilatéralement.

Au-delà des mots, qui peuvent être trompeurs, ce que nous attendons, et ce que nous vous demandons solennellement, madame la ministre, parce que les Français l’exigent, ce sont des actes.

Vient d’être créé le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le CEREMA ; je salue cette création. Vient également d’être annoncée la création du Commissariat général à l’égalité des territoires. Nous prenons acte de cette volonté de regroupement, qui permettra, je l’espère, une meilleure articulation, une meilleure coordination de vos actions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Rassurez-vous, mon cher collègue, Jean-Claude Lenoir ajustera son temps de parole en fonction du mien.

Ce qui ne manque pas de nous inquiéter, c’est que, à regarder de près les lignes budgétaires actuelles, on constate que les moyens financiers qui peuvent être actionnés sont fortement réduits. Madame la ministre, comment pouvez-vous prétendre mener une véritable politique de développement favorisant la dynamique et la cohésion territoriales alors que vous réduisez à la fois les moyens humains et les moyens financiers ? Vous asséchez les collectivités locales en diminuant leurs dotations. Hier, vous avez dénoncé un effet de ciseaux en matière d’allocations de solidarité ; pour ma part, je dénonce aujourd'hui un coup de poignard dans le dos des collectivités locales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

C’est ce que les élus ressentent parce qu’ils le vivent au quotidien. Madame la ministre, entendez la voix de cette France qui gronde mais qui a pourtant envie d’agir. Entendez celles et ceux qui continuent à vouloir entreprendre afin de participer au sursaut indispensable pour redresser notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Aujourd'hui, vos choix politiques brident cette belle ambition ; je le regrette. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Delphine Bataille

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les problématiques d’aménagement des territoires sont régulièrement prises en compte dans notre pays, mais c’est la première fois qu’un gouvernement fait de la lutte pour l’égalité territoriale une priorité. Sa traduction sur le terrain est attendue par nombre de nos concitoyens.

Le Président de la République, dont c’était l’un des thèmes de campagne, a confirmé cette priorité par la mise en place d’un ministère – le vôtre, madame la ministre – chargé de promouvoir l’égalité des territoires. Plus récemment, le Premier ministre a réaffirmé devant les maires de France son engagement dans la lutte contre la fracture territoriale. Cette ambition est d’autant plus nécessaire que les politiques publiques conduites depuis quelques années ont abouti au démantèlement des services publics et ont accru les inégalités entre nos communes, nos départements et nos régions. Ce phénomène a, en outre, été amplifié par la crise économique.

L’accès aux services publics en général – à la santé, à l’emploi, à l’éducation, à la formation, au logement ou encore aux transports – est devenu très difficile dans les territoires ruraux, où l’isolement accentue le sentiment de relégation et d’abandon. La question de l’égalité est donc une priorité pour nos territoires. Cette question est cependant complexe, parce qu’elle couvre un large champ d’interventions et parce que nos territoires ont profondément évolué.

Les espaces ruraux, qui ne sont pas homogènes, ont connu ces dernières années de nouveaux mouvements de population, et les trois quarts d’entre eux sont aujourd'hui sous l’influence des villes. Ceux qui sont proches d’une zone urbaine subissent une forte pression foncière ; ceux qui en sont très éloignés cumulent les difficultés économiques et sociales. La population rurale est vieillissante, et les territoires ruraux accueillent de nouveaux habitants à faibles revenus, et donc fragiles socialement. Souvent dispersée, la population rurale attend pourtant le même niveau de services au public que la population urbaine.

Pour répondre à ces défis, le Gouvernement a lancé un chantier en confiant plusieurs missions à des personnalités qualifiées, dont les rapports viennent s’ajouter aux travaux parlementaires. Il est désormais impératif de préparer une loi-cadre et de programmation sur l’égalité des territoires et de fixer des orientations sur le long terme.

Madame la ministre, vous avez également décidé de créer le Commissariat général à l’égalité des territoires, qui regroupera trois services existants. Cette structure administrative devra organiser concrètement la lutte contre la fracture territoriale, en rapprochant les territoires ruraux, urbains et périurbains et en mobilisant plus efficacement les acteurs publics au service de l’égalité entre les territoires. En effet, l’approche a jusqu’alors été essentiellement sectorielle, et de surcroît très complexe, avec entre autres la multiplication des zonages et des normes.

Aujourd’hui, les élus demandent non seulement une simplification des outils et une attention particulière à l’interdépendance des territoires, mais aussi une analyse plus fine des besoins de leurs territoires – à l’échelle des bassins de vie, pour plus de cohérence – et une meilleure adaptation à chaque situation spécifique.

J’illustrerai mon propos par l’exemple du département du Nord. Dans le souci d’adapter ses interventions aux besoins territoriaux, ce département, premier partenaire des communes à travers sa politique volontariste d’aménagement du territoire, s’est engagé voilà trois ans dans une démarche de contractualisation avec chaque bassin de vie. Cette démarche se traduit par un diagnostic des besoins et une concertation étroite avec l’ensemble des acteurs à l’échelle intercommunale et communale pour développer de véritables projets de partenariat favorisant l’égalité et rompre ainsi avec la logique de guichet.

Aujourd’hui, les élus locaux appellent de leurs vœux l’extension de cette démarche innovante de mutualisation des moyens à l’échelle des politiques de la région et de l’État, sans négliger le rôle des fonds européens.

Par ailleurs, il est souhaitable que le Commissariat général à l’égalité des territoires prenne sans tarder des mesures en faveur de l’accessibilité des services au public, car, face à la montée de plus en plus marquée des comportements qui menacent les fondements de la République, la présence et l’accessibilité des services publics constituent une préoccupation majeure pour nos concitoyens et un enjeu essentiel pour l’attractivité de nos territoires, en particulier dans les espaces ruraux isolés.

Debut de section - PermalienPhoto de Delphine Bataille

Lors du débat du mois de novembre, j’ai évoqué les efforts accomplis en matière d’éducation, de santé, de mobilité et de logement. J’insisterai aujourd'hui sur la réduction de la fracture numérique, qui traduit la volonté du Gouvernement de favoriser l’accessibilité des services publics.

L’accès au très haut débit permet en effet de désenclaver les territoires isolés, notamment en améliorant la couverture médicale et la prise en charge des personnes âgées. C’est également un enjeu stratégique pour assurer le développement d’une économie de proximité diversifiée, car les entreprises pourront choisir de s’installer à la campagne.

Ce facteur important de croissance et de création d’emplois pourra contribuer à résorber les inégalités et à freiner l’exode rural.

L’objectif d’une couverture universelle du territoire dans les dix ans est ambitieux compte tenu du retard de la France par rapport à la plupart des pays européens et du coût important des infrastructures numériques.

On peut s’interroger sur les moyens financiers permettant de résorber les zones blanches, en particulier dans les territoires ruraux. L’intervention de l’État s’avère incontournable dans ces zones rurales pour lesquelles les opérateurs privés ne manifestent qu’un intérêt très modéré.

Debut de section - PermalienPhoto de Delphine Bataille

D’une façon générale, la situation dans les territoires ruraux est si dégradée que le rôle régulateur de l’État sera déterminant, d’autant que les déséquilibres territoriaux sont aussi liés aux inégalités sociales. C’est le cas des territoires qui cumulent des inégalités d’accès aux services publics, de graves difficultés économiques et des situations sociales préoccupantes.

Les mesures de réduction des inégalités dans ces territoires défavorisés relèvent de la solidarité nationale et doivent prendre en compte l’interaction entre les politiques d’aménagement des territoires et les politiques sociales.

Elles doivent aussi être envisagées sur le long terme pour permettre à chacun de ces territoires de développer ses atouts.

Après le projet de loi consacré aux métropoles, ressenti par de nombreux élus des zones rurales comme un abandon de leur territoire par l’État, les volets à venir des textes relatifs à la décentralisation doivent traduire la volonté gouvernementale d’égalité des territoires.

À l’instar de nos collègues députés, qui ont voté il y a quelques jours une proposition de résolution pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires, j’insiste pour que soient consacrés de nouveaux moyens dans l’accès aux services publics, dans le développement de l’ingénierie territoriale et dans l’aménagement numérique.

Je plaide par conséquent pour la refonte et l’amplification des outils de péréquation en concentrant les moyens sur les territoires les plus fragiles, pour la restauration d’une autonomie fiscale pour les collectivités, et enfin pour la mobilisation d’une partie des concours de l’État vers les investissements territoriaux.

Aujourd’hui, les populations demandent plus de solidarité nationale, et donc plus d’État. Si la politique d’égalité des territoires doit conduire à une complémentarité entre un État fort et des collectivités décentralisées, l’intervention de l’État reste fondamentale pour permettre un rééquilibrage et éviter les disparités et les inégalités entre territoires riches et territoires pauvres.

Debut de section - PermalienPhoto de Delphine Bataille

Ces territoires défavorisés ne méritent pas le sort qui leur semble réservé, à savoir un abandon, au regard des contraintes budgétaires et de l’orientation de certaines politiques publiques.

Les réponses du Gouvernement, madame la ministre, doivent traduire une volonté forte de l’État de combattre les inégalités et de donner un second souffle à ces territoires, donc de redonner de l’espoir à leurs habitants. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président Mézard d’avoir ouvert à nouveau ce débat.

Pour le préparer, j’ai bien entendu relu les échanges que nous avions eus sur ce sujet en décembre 2012, puis en novembre dernier, en particulier les propos que vous aviez tenus à ces deux occasions, madame la ministre.

À lire ce que vous disiez en décembre 2012, je devine la flamme, l’ardeur qui vous animent, je perçois l’enthousiasme qui saisit tout nouveau ministre, non sans relever toutefois votre réquisitoire contre les actions publiques menées depuis de nombreuses années.

En novembre dernier, votre propos était plus mesuré, plus prudent. Il faut dire que l’épreuve…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

… des responsabilités gouvernementales endurcit, tout en modifiant le jugement que l’on peut porter sur ses propres possibilités d’action et sur celles de ses prédécesseurs.

Il est un point sur lequel vous vous étiez montrée particulièrement offensive : vous nous aviez annoncé une loi sur l’égalité des territoires. Vous aviez d’ailleurs manifesté votre soutien résolu à la proposition de résolution du président Mézard. Mais cette loi n’est pas venue, et c’est finalement le Sénat qui s’est substitué à l’initiative gouvernementale.

Cela montre au passage que le Sénat joue un rôle sans doute beaucoup plus important et beaucoup plus décisif qu’il n’est parfois rapporté, y compris par certains des nôtres.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Vous voyez que nous avons certains points d’accord !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

En quoi donc le Sénat a-t-il agi en lieu et place du Gouvernement ? Il l’a fait à l’occasion de la discussion du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, texte qui témoignait de l’intérêt que le Gouvernement portait aux territoires métropolitains. C’est grâce au Sénat, sur l’initiative de sa commission, soutenue par l’ensemble des groupes que compte la Haute Assemblée, qu’un second volet a été ajouté, concernant les territoires d’équilibre, autrement dit les territoires ruraux.

Le texte qui a, en définitive, été voté montre bien que l’organisation territoriale s’appuie certes sur les métropoles, mais également sur les territoires d’équilibre, c'est-à-dire sur le reste de la France, la France rurale ou rurbaine.

Depuis, le débat s’est poursuivi. Hier encore, nous discutions de l’organisation décentralisée de la République, sujet quelque peu éloigné de celui qui nous réunit aujourd’hui, certes, mais ce qui a été dit hier rejoint pour partie les observations qui ont été formulées aujourd’hui et celles que je vais, à mon tour, vous présenter.

Première observation : je crois au rôle des pays, et ma position fait écho à la volonté que nous avons exprimée dans la loi sur les métropoles et les territoires d’équilibre.

Je sais qu’il existe en France un débat sur ce sujet : il y a ceux qui sont pour les pays et ceux qui sont contre. Généralement, les premiers sont ceux qui ont créé un pays et en tirent bénéfice tandis que les seconds n’en voient pas la nécessité.

Je crois qu’aujourd’hui un pays, un territoire d’équilibre, pour reprendre l’appellation qui figure maintenant dans la loi, est d’abord fédérateur des intercommunalités.

Souvent, le monde rural compte de nombreuses petites communautés de communes, entre lesquelles un lien doit être assuré ; c’est le rôle du pays. Ce n’est pas une structure supplémentaire. Du reste, de plus en plus, eu égard aux contraintes budgétaires qui sont les nôtres, le pays devra s’organiser avec les moyens déjà présents dans les communautés de communes.

En vérité, le pays est le lieu où les élus se rencontrent sur un territoire pertinent. Bref, c’est l’échelon approprié pour l’organisation des territoires. La preuve en est, madame la ministre, que les SCOT sont portés par les pays…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

C’est le cas la plupart du temps, car il s’agit tout simplement de la meilleure solution pragmatique.

En outre, c’est le bon échelon pour l’organisation des services publics puisque, à ce niveau, les élus peuvent, en lien étroit avec les services de l’État, de la région, du département et des communautés de communes, trouver les sites qui sont adaptés à l’attente des populations.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Deuxième observation : pour que le pays puisse travailler et réussir, il faut de la contractualisation. Sur ce point, je crois pouvoir compter sur votre appui, madame la ministre…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

… puisque, dans les comptes rendus des débats publiés au Journal officiel, j’ai lu avec plaisir que vous étiez convaincue du bien-fondé de la contractualisation.

La contractualisation oblige à la concertation, à la coordination, et elle permet de surcroît de rassembler sur un territoire bien identifié les moyens de l’État, de la région, du département, auxquels s’ajoutent les moyens que l’Europe peut apporter.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Les présidents de conseil général jouent un rôle majeur !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

La contractualisation est nécessaire, et je souhaite, madame la ministre, que vous nous apportiez des assurances sur les suites qui seront données à ce dossier en 2014.

J’ai retenu aussi de vos propos que vous aviez envisagé de mettre en place des contrats de ville. Nous avons deviné les contours de cette mesure, mais ils restent relativement flous, et le moment est venu pour vous de nous en dire plus.

Troisième observation : à quoi servent ces territoires organisés que sont les pays ? Ils sont d’abord destinés à confirmer la place, voire à amplifier le rôle des services apportés au public. Je choisis d’employer cette expression plutôt que celle de « services publics », qui laisse toujours plus ou moins entendre que ce sont l’État et quelques grandes structures qui, notamment à travers de grands équipements, sont concernés. Les services auxquels je pense sont infiniment variés : ce sont tous les services apportés au public par les administrations déconcentrées de l’État, bien sûr, mais aussi par les collectivités locales, par un certain nombre d’associations généralement animées par des bénévoles...

À ces trois observations j’ajouterai quelques remarques.

Premièrement, il faut se garder de penser que les nouvelles technologies répondent actuellement aux besoins de l’ensemble des citoyens, quel que soit leur lieu de résidence.

J’entends trop souvent que, grâce à Internet, grâce à la 3G, ou à la 4G – on ne sait d’ailleurs plus très bien où on en est en la matière ! –, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

… grâce au mobile, il est possible d’exercer une activité professionnelle dans le monde rural comme en ville. Malheureusement, c’est faux : il y a un décalage considérable entre ce qui est proclamé et la réalité, et nos concitoyens nous reprochent à tous de ne pas être en mesure de faciliter l’accès à ces nouvelles technologies.

Deuxièmement, j’ai relevé dans vos propos, madame la ministre, une formule qui m’a plu : vous avez déclaré en décembre 2012 qu’il ne fallait pas avoir une pensée « par silos », c'est-à-dire qu’il ne faut pas raisonner structure ministérielle par structure ministérielle, chacun voulant avoir son champ d’activité propre ; car, il faut bien le reconnaître, tous les fonctionnaires ne sont pas préparés à travailler ensemble dès lors qu’ils relèvent d’administrations centrales différentes.

Troisièmement, il faut faire place à l’innovation, ce qui implique de régler un problème préalable. Je viens d’en parler très rapidement et, soucieux d’être compendieux, je n’y insisterai pas davantage, sinon pour dire que l’accès au très haut débit et l’amélioration de la qualité des réseaux permettant de téléphoner avec des mobiles sont des nécessités absolues.

Quatrièmement, à la suite du président Mézard, je dirai que nous avons besoin d’axes routiers performants. Je profite de ma présence à la tribune pour le répéter : il y a un axe routier qui intéresse l’ensemble des sénateurs, car, je le sais, vous êtes tous attirés par la Bretagne

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

… et je suis sûr que vous êtes tous désireux, lorsque vous vous y rendez, de faire étape à Mortagne-au-Perche, très jolie sous-préfecture…

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. Gérard Larcher. Dans un très beau département !

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

… dont je suis le maire.

Il existe donc, pour se rendre en Bretagne, une très belle route, qui est une quatre-voies. Dans un trait d’humour, notre collègue Jean-François Husson nous expliquait tout à l’heure que le Meurthe-et-Moselle était un département « bi-SCOT ». Pour ma part, j’évoquerai ce député breton qui, voilà bien longtemps, s’exprimant nuitamment, faute de trouver le mot pour désigner ces routes à deux fois deux voies, avait parlé des « bi-routes ». §

Malheureusement, à l’heure actuelle, cette quatre-voies ne couvre pas la totalité du trajet entre Paris et Brest. Or, madame la ministre, notre développement impose que cette question soit réglée.

Cinquièmement, l’innovation passe notamment par la recherche de la mutualisation. Il y a peu, j’ai entendu avec beaucoup d’intérêt le président de La Poste, Philippe Wahl, faire part devant la commission des affaires économiques de ses idées afin que La Poste continue de jouer un rôle important dans notre pays malgré la diminution sensible du volume du courrier.

Il nous a expliqué qu’un certain nombre de services étaient proposés par La Poste, notamment des services à la personne, plus particulièrement en faveur des personnes plus isolées. Il peut s’agir, par exemple, de leur porter à domicile les DVD ou les livres qu’elles empruntent à une médiathèque, puis de les retourner à cette dernière, de livrer des médicaments, ou tout simplement d’assurer une présence.

Le monde rural recèle de véritables trésors d’imagination : beaucoup de personnes sont capables de concevoir un environnement finalement mieux organisé, plus simple et, disons-le, moins coûteux que celui dont ont besoin les zones urbaines.

Cela m’amène, madame la ministre, à mon sixième point : il nous faut accepter de laisser une grande place à ce que je n’hésite pas à appeler des différences de traitement dans nos territoires. En effet, nous avons des formules standardisées qui nous conduisent à avoir les mêmes comportements, quel que soit le département, la Meurthe-et-Moselle, le Morbihan, l’Orne ou le Tarn-et-Garonne. Sans doute du fait de notre culture jacobine, nous appliquons les mêmes standards et nous ne savons pas adapter la loi, le cadre et les outils juridiques à la réalité telle qu’elle est vécue ou souhaitée par les élus. Nous disposons par conséquent, à cet égard, de marges de progrès considérables.

Madame la ministre, ne faisons pas la même chose partout : laissons l’intelligence des territoires s’exprimer !

Je suis persuadé que, au-delà des clivages politiques, les collectivités peuvent apporter énormément à un État en quête d’économies. Quelles que soient les travées que nous occupons dans cet hémicycle, nous adhérons tous à l’idée que nous devons vivre autrement et nous organiser avec des moyens qui vont sans doute aller de plus en plus en diminuant.

À partir de là, voyons comment nous pouvons, avec moins d’argent, faire aussi bien. Dans cette optique, je suis sûr que le monde rural a beaucoup à apporter. Il s’agit non pas d’adresser des leçons à qui que ce soit, mais d’offrir des exemples à retenir.

Souvenez-vous : à partir des années soixante, la ville a été consacrée comme le modèle de vie et d’organisation du territoire. Il était même question de « nouvelles villes », de « métropoles d’équilibre ». En somme, tout a été fait en faveur de l’urbain.

On assiste actuellement, c’est incontestable, à un retour de balancier. En examinant récemment les résultats des recensements faits dans mon territoire, à l’est de l’Orne, en particulier dans la petite province du Perche, j’ai pu constater que le nombre d’actifs de 18 à 40 ans venant de l’extérieur était plus important que celui des membres de cette classe d’âge qui quittaient cette région, pourtant très rurale.

Or des territoires comme celui-là ont la capacité d’accueillir l’imagination et le travail, attirés par l’esprit de solidarité qui est la marque du monde rural. Veillons donc à enrichir et conforter cette évolution en leur donnant les moyens adéquats.

Madame la ministre, en définitive, je considère que vous êtes plus chargée de l’équilibre que de l’égalité des territoires. Je vous l’ai déjà dit, je ne crois pas vraiment à cette valeur d’égalité en matière d’aménagement du territoire ; je demande au minimum l’équité et, si possible, l’équilibre, mot citoyen susceptible de nous rassembler. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai récemment eu l’occasion d’aborder le sujet qui nous réunit aujourd'hui au cours d’une séance de questions cribles thématiques relatives à la montagne. Vous vous souvenez certainement, madame la ministre, que j’avais évoqué le sort du sud du département de la Haute-Garonne, où pas moins de quatre cantons avaient été dévastés par les inondations de juin 2013, lesquelles avaient en quelque sorte révélé la situation de ces territoires ruraux, victimes de leur enclavement et prisonniers de leur mono-activité économique.

Cet exemple illustre, en vérité, une situation que connaissent de nombreuses régions. Elle résulte, bien sûr, de particularismes géographiques, mais pas uniquement. À cet égard, je me dois, après d’autres orateurs, de rappeler ici, n’en déplaise aux amnésiques, que la tristement célèbre RGPP, portée par la précédente majorité, a causé des dégâts durables et aggravé des inégalités préexistantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, à l’occasion du congrès des maires, Jean-Marc Ayrault a rappelé combien le défi que s’est attaché à relever le Président de la République en s’attaquant à la réduction de la fracture territoriale était complexe. Il l’a fait, du reste, en affirmant de manière forte son engagement pour l’égalité des territoires et en annonçant six mesures au service de cet objectif, que Pierre Camani a évoquées tout à l’heure.

Je les rappelle néanmoins, car elles sont importantes : création d’ici à 2017 de 1 000 maisons de services publics sur les territoires les moins denses ; création de 64 zones de sécurité prioritaires où le rural n’est pas oublié ; ouverture de 500 postes supplémentaires dans la police et la gendarmerie ; accélération du déploiement du très haut débit ; programme en direction des bourgs ; association de tous les échelons de collectivités aux négociations des contrats de plan État-région et, en même temps, décentralisation des fonds européens. Ce n’est pas mince !

Par ailleurs, le Gouvernement apportera son soutien aux communes en dotant de 570 millions d’euros le Fonds de péréquation des ressources communales et en créant une nouvelle agence de financement des collectivités locales qui permettra aux communes de taille modeste d’accéder aux marchés financiers, ce qu’elles sont actuellement dans l’impossibilité de faire. Ces collectivités seront du reste confortées par la politique de simplification des normes du Gouvernement, tant réclamée à l’occasion des états généraux de la démocratie territoriale organisée au Sénat par le président Bel. Cette orientation a d’ailleurs été renforcée par la nomination récente d’un médiateur dédié. S’ajoute à ces décisions, sur votre initiative, madame la ministre, la création du Commissariat général à l’égalité des territoires.

Pour autant, ces mesures, aussi bienvenues soient-elles – personne ne peut le nier –, ne sauraient à mon sens suffire à définir une politique globale en adéquation avec les véritables enjeux du XXIe siècle et, surtout, avec le futur paysage institutionnel de nos territoires.

Le débat que nous menons aujourd’hui est donc au carrefour de toutes les interrogations, mais aussi de toutes les inquiétudes : les nôtres, bien sûr, mais également celles que nous portons au nom des élus locaux, au premier rang desquels figurent les maires des communes rurales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Comme l’ont rappelé certains orateurs, ce ne sont pas moins de deux rapports et d’une dizaine de débats organisés notamment dans le cadre des états généraux de la démocratie territoriale, mais également hier au Sénat, qui ont traité de ce sujet récurrent. À l’évidence, mes chers collègues, il est temps de passer à la concrétisation législative de ces réflexions à la faveur de la troisième étape de la décentralisation.

Celle-ci viendra compléter la loi portant notamment sur la création des métropoles qui inquiète à juste titre, suis-je tenté de dire, les élus ruraux, car ils y voient un facteur d’affaiblissement supplémentaire de leurs territoires.

Cette inquiétude, madame la ministre, doit être prise au sérieux. Nous vous demandons donc de tout mettre en œuvre pour que l’égalité des territoires, dont vous avez la charge, s’inscrive pleinement dans le texte qui sera bientôt présenté par le Gouvernement et qui traitera des solidarités territoriales et de la démocratie locale.

Nous sommes en effet nombreux à être persuadés que tous les acteurs d’un territoire doivent penser ensemble l’essor du rural et de l’urbain, dans leur complémentarité. Cela exige – et la future loi devra le garantir – un mode de pensée qui refuse d’opposer une ruralité vitrifiée dans sa pseudo-appartenance au siècle dernier à un monde urbain symbole de modernité.

Pour terminer, mes chers collègues, je ne peux passer sous silence, car il y va de la pérennité du département, les nouvelles modalités de désignation des conseils généraux ni la redéfinition des cantons. Tout le monde s’accorde désormais pour reconnaître, et ce fut encore fait avec force hier au Sénat, que le département continuera à jouer son rôle dans le paysage institutionnel, tout simplement parce que, à l’évidence, il est indispensable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Je veux également rappeler que le nouveau mode de désignation des conseillers généraux va automatiquement et mécaniquement introduire la parité dans les institutions départementales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Cet argument-là, vous êtes allé le chercher vraiment loin !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Pour conclure, je voudrais souligner que tous les outils existants et à venir seront, là comme ailleurs, ce que les élus en feront. Les représentants des territoires ruraux ne devront pas hésiter à se les approprier pour en tirer les meilleurs profits.

C’est à ce prix, du reste, que l’égalité des territoires reviendra à l’ordre du jour, car je reste persuadé, en ce qui me concerne, qu’entre la résignation, d’un côté, et la gesticulation, de l’autre, il reste toute la place pour l’action. §

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est avec très grand plaisir que je vous retrouve en ce tout début d’année 2014 pour traiter de l’égalité des territoires. Je remercie donc le RDSE et son président d’avoir mis ce thème à l’ordre du jour de vos travaux.

Comme certains l’ont rappelé, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet majeur avec vous lors du débat de contrôle qui s’est tenu ici le 18 novembre 2013. Mais la matière est loin d’être épuisée…

« L’unité de l’État, c’est également l’égalité entre les territoires », a déclaré hier le Président de la République lors de ses vœux aux corps constitués avant de développer sa pensée sur ce thème.

Avant que je ne réponde aux interrogations précises que vous m’avez adressées, vous me permettrez de rappeler cette ambition réaffirmée hier par François Hollande, ainsi que mon action et celle du Gouvernement pour ce projet politique majeur.

Au passage, monsieur Lenoir, je peux vous rassurer : mon énergie, mon enthousiasme et ma détermination n’ont absolument pas faibli depuis presque vingt mois que nous sommes aux responsabilités.

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement

En effet, puisque mon intervention a justement pour objet de recenser toutes les avancées rendues possibles par l’action du Gouvernement, sachez que les propos que j’ai tenus devant cette assemblée voilà quelques semaines ne sont pas que des mots ! Ils sont bien la traduction d’un objectif constant, d’un effort continu et régulier que je porte depuis ma prise de fonctions.

Monsieur Requier, vous avez raison, le temps est venu d’élargir notre champ d’action. À cet égard, je vous confirme qu’une rupture avec les politiques précédentes est engagée.

J’ai souhaité recomposer les principes d’un nouveau projet pour l’égalité entre les territoires – je dis bien « égalité », vertu cardinale de la République, et cela avait fait l’objet d’un long échange entre nous au mois de novembre dernier –, fondé sur la solidarité, sur la reconnaissance de la diversité et des capacités de chaque parcelle de notre territoire.

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement

Sans prétendre à l’exhaustivité, je souhaite tout d’abord, à l’aide de quelques exemples, vous faire la démonstration de cet engagement du Gouvernement pour l’égalité des territoires.

Vous avez été plusieurs à le souligner, l’égalité passe d’abord par une répartition plus juste et plus solidaire des dotations aux collectivités. C’est pourquoi, depuis 2012, a été engagé un accroissement progressif de la péréquation. Dans cette période contrainte pour les finances publiques de l’État et des collectivités, il ne faut pas que la péréquation soit la variable d’ajustement. Le Gouvernement a bien compris que l’exigence de solidarité nous oblige encore plus en ce moment.

Aussi le projet de loi de finances pour 2014 prévoit-il de sécuriser le financement des trois allocations de solidarité en rétrocédant aux départements des frais de gestion de la fiscalité locale.

Par ailleurs, un fonds de solidarité doté de 570 millions d’euros sera créé pour alimenter les départements qui ont le plus fort reste-à-charge et dont le potentiel fiscal est le plus faible, tandis que la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale augmenteront de 4 % en 2014.

Ainsi que l’ont annoncé Marylise Lebranchu et Anne-Marie Escoffier, un travail est envisagé pour faire évoluer la dotation globale de fonctionnement afin de mieux l’adapter à la réalité des territoires et de leurs besoins. C’est un travail lourd, mais essentiel et, à mon sens, il répond pour partie à la demande de M. Le Cam de voir approfondir cette question.

Cela étant, lorsqu’on s’attelle au sujet de la solidarité ou à la réparation des inégalités territoriales, on ne peut se dispenser d’évoquer la présence médicale et l’accès aux soins. §À cet égard, le Gouvernement est tout à fait déterminé. Madame Bataille, vous aviez longuement abordé cette question lors du débat du 18 novembre dernier. Je vous l’avais alors rappelé, et je le répète aujourd’hui, mon ministère a contribué au renforcement de la présence médicale dans les territoires en déficit en subventionnant des maisons de santé pluridisciplinaires.

Constatant le nombre important de projets en germe, j’ai d’ailleurs souhaité, en 2013, que 50 maisons supplémentaires soient accompagnées financièrement en mobilisant le fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT. Le nombre total de ces équipements financés par l’État sera ainsi porté à 300 sur trois ans, de manière que le maillage de notre territoire en maisons de santé soit particulièrement dense. Cette action est évidemment menée en parfaite complémentarité avec le pacte territoire-santé soutenu par Marisol Touraine.

Au-delà de la solidarité et de la réparation, la mise en capacité des territoires passe par leur connexion les uns aux autres. En d’autres termes, il faut traiter les liens autant que les lieux : j’emprunte ces mots très justes à la résolution pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires, adoptée par l’Assemblée nationale le 17 décembre dernier. À mon sens, cet impératif est l’une des clefs du développement.

À cet égard, au-delà des infrastructures de transports, qui sont très importantes en la matière, j’insisterai sur un chantier majeur : celui du très haut débit.

Pour ne pas éluder la question des transports, et pour ne pas paraître ignorer les remarques de M. Mézard, je rappelle que, le 4 décembre dernier, le Premier ministre a fait cette mise au point : la taxe poids lourds est nécessaire, notamment, comme chacun sait, pour alimenter l’agence de financement des infrastructures de transport, l’AFIT. Le système adopté par l’ensemble des parlementaires, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, était fondé sur une contribution du transport routier destinée à financer l’ensemble des infrastructures de transports, et en particulier les réseaux secondaires. J’ai entendu les inquiétudes de la fédération nationale des associations d’usagers des transports, la FNAUT, quant aux risques pesant sur un certain nombre de petites lignes fragiles et souffrant de sous-investissement.

Monsieur Mézard, vous l’avez constaté, lors de la présentation du programme d’investissements d’avenir, Jean-Marc Ayrault a insisté sur la nécessaire rénovation du réseau ferré secondaire de notre pays. Au-delà des investissements dans le transport à grande vitesse, ces chantiers sont indispensables pour maintenir la desserte d’un certain nombre de territoires.

En outre, le Premier ministre l’a clairement dit : sur un tel sujet d’intérêt national, il souhaite que les parties ayant voté cette disposition puissent aboutir à un consensus. Mon collègue Pierre Moscovici l’a rappelé au nom du Gouvernement, et je l’affirme à mon tour : la taxation des poids lourds est suspendue, afin de permettre d’analyser les termes du contrat actuel et d’améliorer son fonctionnement. L’objectif du Gouvernement est bien de retrouver un équilibre, en prévenant tout risque d’amputation des financements des infrastructures de transports, notamment de l’affectation du produit de la taxe à l’AFIT. Nous sommes tous, j’en suis certaine, convaincus de cette nécessité.

J’en viens au plan « France très haut débit », annoncé par le Premier ministre au premier trimestre de 2013.

Madame Bataille, en dix ans, ce sont 20 milliards d’euros de financements publics et privés qui seront mobilisés pour atteindre l’objectif de couverture de l’ensemble le territoire. Pour commencer, 4, 7 milliards d’euros de crédits publics seront investis d’ici à 2017.

Les projets se multiplient aux guichets de financement : depuis l’annonce de ce plan, deux à trois projets, représentant plusieurs dizaines de millions d’euros chacun, sont déposés et examinés chaque mois !

Contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, ce plan ne néglige pas les territoires ruraux et montagnards. Je ne fais pas abstraction des difficultés relatives aux zones blanches, et, j’en conviens tout à fait, traiter la question de l’accès au très haut débit ne dispense en rien de résoudre des difficultés qui persistent concernant la couverture en téléphonie mobile. Les opérateurs sont conscients de ces problèmes, et tous les acteurs sont mobilisés pour les résoudre. Ils ne concernent plus de vastes zones blanches, mais se cantonnent dans des sites particuliers, qui restent mal couverts par la téléphonie mobile.

Je tiens à rappeler à cette tribune les modalités de soutien de l’État en la matière, qui sont largement réorientées pour accentuer l’effort de péréquation vers les territoires ruraux. De fait, les taux de subvention sont fortement majorés dans ces espaces, afin de tenir compte des spécificités géographiques et des contraintes naturelles.

Pour ma part, j’ai tenu à engager des travaux relatifs au développement des usages et des services numériques. L’État doit être en mesure de présenter une vision stratégique sur ce sujet. C’est là que se situe la valeur ajoutée pour les territoires. Les initiatives, d’ailleurs, existent déjà. Il faut savoir les encourager, les valoriser et les accompagner. En 2014, je souhaite pouvoir concrétiser l’action de l’État en la matière.

« Traiter les liens », c’est aussi encourager la coopération au sein des territoires. Il s’agit là d’un axe central du changement de paradigme de l’aménagement du territoire que j’ai évoqué en préambule. Dans cette perspective, j’ai décidé de soutenir les pôles territoriaux de coopération économique. Quelque 2 millions d’euros du budget de la DATAR y seront consacrés dès 2014. Ces pôles, mis en œuvre avec Benoît Hamon, ministre de l’économie sociale et solidaire, et François Lamy – dans la mesure où ils concernent également les territoires spécifiques de la politique de la ville – constituent de réels projets de coopération entre les entreprises de l’économie sociale et solidaire, d’une part, et les entreprises au sens classique, les structures de formation et les associations, d'autre part.

Cette coopération permet de proposer de nouveaux services et de répondre à des besoins sociaux, en partant du principe que la concurrence n’est pas le seul levier pour créer des dynamiques de développement. Des initiatives existent déjà, et il est de la responsabilité de l’État de les soutenir !

Mesdames, messieurs les sénateurs, ces exemples pourront, je l’espère, vous convaincre de mon engagement et de celui du Gouvernement tout entier en matière territoriale.

Cette implication trouvera une traduction administrative et opérationnelle. Je remercie M. Camani d’avoir cité la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, prévue pour le début de cette année. Conçue pour être le fer de lance de cette ambition, cette instance est essentielle.

Je le souligne, il ne s’agit pas de la simple transformation du nom d’une organisation, mais bien d’une création : celle de la charnière indispensable de la relation renouvelée entre l’État et les collectivités. Il ne s’agira pas d’un outil de planification centralisée. Ce temps est bel et bien révolu. Le CGET sera le garant de la continuité territoriale. Il sera le catalyseur des initiatives locales. Je veux qu’il soit l’instrument d’une relation essentiellement ascendante, des territoires vers l’État, car c’est ainsi que nous pourrons répondre aux attentes et aux besoins spécifiques de chacun, toujours animés par ce souci d’égalité qui est le socle du modèle républicain.

Monsieur Lenoir, vous avez raison de souligner l’importance de la contractualisation : sur ce point, je tiens à évoquer les nouveaux contrats de projets État-région, les CPER, qui sont en cours d’élaboration et qui comptent au nombre des échéances importantes de l’année 2014. Dans ce domaine également, nous faisons bien sûr confiance aux régions comme à l’ensemble des collectivités pour proposer des projets stratégiques majeurs en cohérence avec les grands axes de la politique nationale.

Ces contrats contiennent des novations dont, personnellement, je me réjouis. Ils font la part belle à la transition énergétique et écologique, qui fait désormais l’objet d’un chapitre spécifique dans ces contrats. C’est, je le répète, l’un des axes stratégiques en la matière.

Par ailleurs, les CPER comportent désormais un volet territorial obligatoire. C’est à mon sens une mesure essentielle, qui traduit la volonté forte du Gouvernement d’apporter une réponse aux inégalités infrarégionales, dont on sait qu’elles se sont renforcées au cours des dernières années.

Enfin, ces nouveaux contrats devront tenir compte d’une demande qui se fait de plus en plus prégnante : il s’agit de la volonté de nos concitoyens de prendre part plus directement et plus fortement à l’élaboration des politiques publiques et des projets. Mme Benbassa l’a rappelé, et je l’affirme à mon tour : cette volonté est légitime. Nous aurions bien tort de nous en effrayer. C’est au contraire un moyen formidable de renouer une relation de confiance entre les citoyens et la politique.

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre

C’est pourquoi j’ai souhaité que cette exigence de participation citoyenne soit prise en compte dans l’élaboration des futurs CPER et que la programmation de ces contrats autorise le financement de projets d’initiative citoyenne.

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je veux attirer votre attention sur deux chantiers qui seront essentiels en 2014. Je m’appuierai à ce titre sur les propos qu’a tenus le Premier ministre devant le 96e congrès des maires, en novembre dernier.

Ce rendez-vous a eu lieu peu après le dernier débat consacré par la Haute Assemblée à l’égalité des territoires. Depuis lors, vous avez vu l’un des nouveaux piliers de l’égalité des territoires formalisé avec vigueur, à cette occasion, par Jean-Marc Ayrault : c’est celui de l’accès aux services.

Comme je n’ai eu de cesse de le répéter devant vous, avec une énergie constante et renouvelable, n’en doutez pas §il s’agit là d’une priorité absolue. En effet, là est le ferment de notre pacte républicain. Je sais combien les effets des fermetures cumulées de services dans nos communes ont pu être négatifs. À cet égard, j’ai décidé de prendre cette problématique à bras-le-corps avec l’ensemble des ministères et des opérateurs concernés.

Les précédents orateurs l’ont rappelé, des dispositions législatives relatives à l’accès aux services figurent dans le projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et de promotion de l’égalité des territoires. C’est une première réponse à la résolution qui a été adoptée : l’égalité des territoires ne fait pas l’objet d’un texte spécifique, mais un titre très important de ce projet de loi y sera consacré. §Il nous a semblé utile de faire figurer cette question dans un texte dédié, plus largement, aux territoires. Je suis heureuse d’avoir pu défendre ces dispositions, et je me réjouis qu’elles soient inscrites dans le projet de loi qui vous sera présenté par ma collègue Marylise Lebranchu.

Des schémas départementaux d’accessibilité des services au public seront mis en place, de manière obligatoire, dans tous les départements. Je le dis à nouveau, sur ce sujet, il convient de sortir de la vision en silos qui a trop souvent prévalu, au détriment d’une stratégie de territoires transversale.

Avant même la présentation de ce projet de loi, j’ai proposé que puissent être lancés plusieurs schémas dans des départements volontaires – il n’y a, bien sûr, aucune obligation en la matière. Je salue le volontarisme des élus qui ont manifesté leur intérêt pour ce travail anticipé. C’est ainsi que M. Camani a souhaité que le Lot-et-Garonne fasse partie de cette première vague.

Au-delà des dispositions législatives, c’est donc toute une stratégie qui a été définie, axée sur un objectif ambitieux et clair : mettre sur pied un réseau de 1 000 maisons de services au public d’ici à 2017. Il ne m’est pas revenu d’inventer les maisons de services au public. Je le souligne, car Claude Dilain me l’a indiqué : à Clichy, une telle structure existe depuis quelques années, et elle a changé le quotidien des habitants !

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre

Oui, ces maisons de services au public fonctionnent. Oui, l’initiative « Plus de services au public » constituait une bonne expérimentation. Il faut aujourd’hui étendre ce dispositif à l’ensemble du territoire, et non se contenter de poursuivre les expérimentations. Dans cette optique, il faut garantir dans la durée la sécurisation financière des maisons de santé. Je me suis employée à ce que soit créé le fonds de développement des maisons de services au public, qui a vocation à assurer la pérennité de leur fonctionnement. Ce sera le cas en 2014. Ce fonds sera alimenté à 50 % par l’État et les opérateurs. Il permettra de financer la moitié des coûts de fonctionnement du réseau, et ce de manière durable.

Chacun le sait, s’il est souvent facile de financer les investissements, il peut se révéler plus difficile d’assumer régulièrement, ensuite, le fonctionnement. Nous avons tenu à résoudre cette question. La montée en charge sera évidemment progressive. Lorsque le dispositif fonctionnera à plein régime, ce sont 35 millions d’euros qui seront apportés par l’État et les opérateurs.

Monsieur Mézard, vous avez souligné que, sur cette question, depuis dix ans, on s’en est tenu à des tentatives. Vous avez raison : un certain nombre d’’expérimentations se sont succédé. Désormais, il n’est plus temps de tenter : il faut généraliser. Je l’ai déjà indiqué devant la Haute Assemblée, notre objectif, c’est une maison de services au public dans chaque canton.

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre

Il ne s’agit évidemment pas d’appliquer cette volonté de manière mécanique. Il faut avant tout garantir une réelle proximité et un contact humain pour l’ensemble de nos concitoyens.

À ce titre, je salue l’ensemble des opérateurs, qui se sont mobilisés. Il faut reconnaître que, le travail en silos correspondant en quelque sorte à la culture de notre pays – les opérateurs ont plutôt tendance à travailler avec leur ministère de rattachement –, le travail mutualisé rompt avec nos habitudes. C’est précisément le rôle de ce nouveau ministère de l’égalité des territoires et du logement que de faire travailler ensemble les uns et les autres. Des groupes de travail techniques ont d’ores et déjà été mis en place pour préciser, avec les opérateurs, les modalités et la ventilation de leurs contributions. Je suis persuadée que nous allons aboutir rapidement.

D’un point de vue plus transversal, je tiens à évoquer aussi un sujet dont il a déjà été question lors de l’examen du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové et lors des discussions consacrées à l’égalité des territoires, dit ALUR.

Alors que, dans certains territoires, l’exode rural ou le développement périphérique de lotissements pavillonnaires désagrège nos centres-bourgs, nous devons agir avec force pour garantir un maillage équilibré de notre territoire. Les conséquences de la situation actuelle sont en effet très lourdes en termes de perte de lien social ou de qualité de vie. Il faut donc recréer, là où ils n’existent plus, des centres-bourgs animés, constituant autant de lieux de centralité et regroupant autant de services de proximité essentiels. C’est toute l’ambition du programme annoncé par le Premier ministre devant les maires en novembre dernier.

Cela répond aux interrogations de M. Husson. L’articulation de ces projets avec les dynamiques territoriales, que portent notamment les SCOT, est évidente. Cela permet de recréer le maillage robuste dont nous avons besoin dans ces territoires.

Monsieur Lenoir, la contractualisation peut évidemment être mise en œuvre à ce niveau. Le Président de la République l’a indiqué hier en souhaitant l’établissement de contrats pour les espaces ruraux qui, à l’image de ce qui existe pour la politique de la ville, orienteront les crédits de l’État dans les domaines du logement, de l’offre de santé ou des emplois pour les jeunes. Cela constituera une proposition du Gouvernement à destination des territoires fragiles.

Chacun est en effet conscient que, aujourd’hui, en France, certains territoires se sentent abandonnés, que des populations pensent que, parce qu’elles sont éloignées des centres de décision, elles ne sont plus considérées et respectées. Face à cela, nous devons agir.

Ce programme, issu d’une proposition élaborée conjointement avec Marylise Lebranchu, aura pour objectif d’accompagner les collectivités pour mettre en place un projet transversal, non consommateur d’espaces agricoles et naturels, qui intègre toutes les dimensions de la revitalisation des bourgs concernés : commerces, services publics, aménagements urbains, réhabilitation des logements privés, rénovation et création de logements sociaux, rénovation du patrimoine.

Lors de la première lecture du projet de loi ALUR, votre collègue Mme Didier, maire de Conflans-en-Jarnisy, m’avait invitée à constater le travail des élus locaux sur le terrain. C’était le sens de la visite que j’ai effectuée il y a quelques jours dans le haut pays de Meurthe-et-Moselle. Je veux l’en remercier devant vous et vous dire combien il est, à mes yeux, nécessaire de s’intéresser à ces territoires. Je sais l’implication des élus locaux sur le terrain.

Vous pouvez en outre noter que je réponds facilement, et avec grand plaisir, aux invitations des sénateurs !

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre

Mme Cécile Duflot, ministre. J’accepte donc volontiers la vôtre, monsieur le président Mézard. La gastronomie lorraine a été une découverte fort agréable et je ne doute pas que les fromages du Cantal nous combleront également d’aise !

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre

Afin de mener ce programme, le FNADT, a été abondé de 15 millions d’euros supplémentaires dans la loi de finances pour 2014. Contrairement à ce que certains ont indiqué, ce fonds n’est donc pas en baisse mais connaît, bien au contraire, une augmentation significative, qui manifeste l’attention réelle et appuyée que le Gouvernement accorde à cette question des bourgs.

J’ai, au surplus, décidé de consacrer une enveloppe spécifique d’aide à la pierre à ce programme, en partant du principe que, si la construction de logements doit se faire essentiellement dans les zones tendues, il nous faut également, dans la logique d’égalité des territoires, répondre aux besoins des zones moins tendues, où l’offre existante n’est plus forcément en adéquation avec les attentes des habitants.

Vous l’avez peut-être entendu – et ceux qui doutaient de l’engagement du Gouvernement y auront certainement été sensibles –, le Président de la République souhaite faire plus encore à destination des territoires ruraux et fragiles. Nous mettrons donc en œuvre ces contrats spécifiques.

Ces deux axes, les services publics et le programme à destination des centres-bourgs, constituent mes priorités en ce début d’année. J’espère pouvoir travailler avec vous à la réussite de ces deux chantiers – d’autant qu’il s’agit de sujets transcendant les divisions politiques –, car l’expérience des élus locaux est un atout pour penser des dispositifs adaptés à la réalité du terrain.

Je voudrais en outre répondre de manière très précise à M. Hervé Maurey, qui m’a interrogée sur les plans locaux d'urbanisme intercommunaux. J’ai pris devant les sénateurs un engagement qui sera tenu. J’ai défendu, en l’expliquant, leur position devant la commission de l’Assemblée nationale, mais les députés ont souhaité adopter une position différente, qui se distingue toutefois de celle qui était initialement la leur, signe que les débats au Sénat ont eu une influence.

Je déposerai donc en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, qui commencera le 14 janvier, un amendement qui reprendra la lettre exacte de ce qui avait été adopté au Sénat concernant les modes de décision relatifs aux plans locaux d'urbanisme intercommunaux. Vous pourrez ainsi constater que les engagements que je prends devant vous sont toujours tenus !

Pour conclure mon propos, je vous soumettrai une dernière piste de réflexion, sur laquelle, là encore, je serais tout à fait heureuse que vous puissiez réagir. Je souhaiterais engager en 2014 une réflexion sur nos outils d’analyse du développement des territoires et de leurs habitants. Il nous faut pour cela, selon moi, créer de nouveaux indicateurs de richesse, plus larges et plus denses que la seule mesure par le PIB, afin de mieux piloter le projet politique d’égalité des territoires. J’espère que vous serez nombreux, de votre côté, à me rejoindre sur cette question et à contribuer à cette réflexion.

Je veux croire que mon intervention, moins lyrique sans doute que celle de décembre 2012, …

Debut de section - Permalien
Cécile Duflot, ministre

… parce qu’elle visait cette fois-ci à exposer les actes qui traduisent mon engagement et celui du Gouvernement, aura permis de dresser un premier bilan de notre action en matière d’égalité des territoires et de tracer des perspectives claires dans ce domaine.

L’égalité, je ne me lasse pas de le répéter, et je vous remercie d’avoir cité Eugène Claudius-Petit, est toutefois un projet que nous devons continuer à construire ensemble. Je compte donc sur votre mobilisation, vos idées et vos initiatives pour le nourrir. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Nous en avons terminé avec le débat sur la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures dix.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle le débat sur la politique étrangère de la France, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

La parole est à M. le président de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Monsieur le ministre, cher Laurent Fabius, permettez-moi tout d’abord de me féliciter de la tenue du présent débat, tout en souhaitant, vous le comprendrez, qu’un échange de ce type soit organisé – il faut trouver les modalités pour ce faire – de manière un peu plus régulière. Je n’ai pas d’idées précises quant à la régularité, mais on pourrait prévoir qu’il ait lieu en tant que de besoin, deux ou trois fois tous les deux ans. Il ne faut pas non plus multiplier les débats de cette nature, car cela risquerait de les affadir.

Cela étant, en programmant ce débat de fond, notre objectif est de permettre à l’ensemble des sénateurs et des formations politiques d’exprimer leurs analyses et leur perception de la politique étrangère de la France. Cet échange est particulièrement important dans un monde globalisé, un monde en transition, en adaptation, qui, après la bipolarité de la guerre froide, puis une quasi-unipolarité de l’hyperpuissance américaine, passe à une autre forme d’organisation, que nous ne discernons pas encore et que nous peinons même à deviner.

Aujourd’hui, le monde n’a pas de pôles. Mais est-il pour autant apolaire ?

Comme vous le souligniez vous-même, monsieur le ministre, lors de la XXIe conférence des ambassadeurs, à l’heure actuelle, « constitué d’acteurs nombreux, de taille et de nature diverse (étatiques et non étatiques), [le monde] se déploie en effet sans que l’un de ces acteurs ou une régulation par plusieurs d’entre eux assure une gouvernance mondiale efficace et incontestée. » C’est dire si nos clés de lecture ne sont pas évidentes. J’espère que notre débat de cet après-midi contribuera à nous éclairer sur les positions et la place de notre pays dans le concert des nations.

Dans ce monde en devenir, voici l’ambition que fixe le Président de la République à notre pays : « la France veut être un pont entre les continents et éviter ce que certains ont appelé le choc des civilisations. Elle se veut – nous en sommes d’accord – une ″puissance repère″, c’est-à-dire une nation, qui s’exprime au-delà de ses seuls intérêts. »

Lorsque la commission des affaires étrangères se rend chaque année en mission à l’ONU, ses membres appréhendent bien ce rôle de repère que joue notre pays, en réussissant à conjuguer nos intérêts nationaux et collectifs avec les valeurs universelles auxquelles l’action de la France est associée.

En effet, notre influence dépasse notre poids démographique, économique ou militaire. L’enjeu des années à venir est de savoir si cette capacité d’influence pourra être maintenue, alors même que le grand rééquilibrage au profit des nouvelles puissances, que souligne Hubert Védrine, se poursuivra inéluctablement.

Démographiquement parlant, dans dix ans, nous ne « pèserons » plus, si j’ose dire, que 0, 85 % de la population mondiale. D’un point de vue économique, nous passerons vraisemblablement de la cinquième à la septième place. Or, nous en sommes bien conscients, sans redressement économique et financier, il n’y a pas de rayonnement international, pas plus qu’il n’y a, comme nous l’avons souvent souligné au sein de la commission, d’indépendance nationale. C’est ce qui justifie pleinement, selon moi, l’accent mis par le ministère des affaires étrangères sur la diplomatie économique.

Pour maintenir cette capacité d’influence, nous avons également besoin de moyens d’action, qui sont ceux que nous confèrent nos capacités militaires.

Nous avons récemment voté la loi relative à la programmation militaire – je vous en remercie d’ailleurs chaleureusement, mes chers collègues –, dont la lettre nous assure un outil de défense fiable, tout en faisant participer la défense au redressement des finances publiques. Un sacré challenge !

Mes chers amis, la tentation reste forte de faire de la défense une variable d’ajustement budgétaire. L’arbitrage du Président de la République pour préserver le budget de la défense a pourtant été rendu de manière extrêmement claire. Nous nous appuierons sur lui pour veiller à la bonne mise en œuvre de cette loi relative à la programmation militaire au cours des années à venir. Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur notre vigilance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Redressement économique et maintien d’une défense forte constituent les deux conditions pour que notre diplomatie puisse agir efficacement et pour que la France demeure cette puissance d’influence et ce repère que souhaitent tant le Président de la République que vous-même, monsieur le ministre.

À cette fin, il faut aussi que des moyens soient donnés à votre ministère. À cet égard, la commission et les rapporteurs pour avis du projet de loi relative à la programmation militaire ont exprimé les préoccupations que leur inspire la tendance baissière des crédits.

De fait, il arrive un moment où, malgré la compétence des ministres et le dévouement des diplomates, on ne peut pas faire mieux avec moins. Alain Juppé et Louis Schweitzer, dans leur rapport de 2008, faisaient déjà le constat que le ministère des affaires étrangères était « à l’os ». Que faudrait-il dire aujourd’hui, même si votre créativité et votre intelligence, monsieur le ministre, nous permettent de tenir le choc ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Du reste, les exemples les plus récents, à savoir ceux du Mali et de la République centrafricaine, la RCA, mettent en évidence les limites de notre action. La France peut beaucoup : elle s’est engagée sans hésiter pour défendre les intérêts et les valeurs de la communauté internationale ; mais elle ne peut pas agir seule dans la durée.

C’est pourquoi nous attendons la solidarité des autres pays, ainsi que celle des organisations internationales et régionales. Or nous avons parfois le sentiment que cette solidarité tarde à se manifester, notamment à l’échelon européen ; c’est une remarque que j’ai déjà formulée au cours du débat sur notre engagement militaire en RCA.

Comme vous l’avez fait observer, monsieur le ministre, les crises au Mali, en RCA, en Syrie et au Moyen-Orient soulèvent la question de l’amélioration de leur gestion collective et de la gouvernance mondiale. Aussi bien, sans des progrès significatifs dans ce domaine, il me paraît clair que notre pays ne pourra pas continuer à prendre seul ses responsabilités.

Dans ce contexte, deux préoccupations majeures se font jour, dont la première tient à l’évolution de la notion de responsabilité de protéger.

Nous savons tous que, dans l’application de celle-ci, l’usage de la force armée n’intervient qu’in fine, lorsque tous les autres recours, notamment les négociations et les sanctions, ont échoué.

Je constate que, au Mali comme en RCA, l’intervention de la France a été unanimement approuvée ; sans nous voiler en aucune façon les difficultés de la tâche, nous pouvons affirmer que, pour l’heure, la transition au Mali se déroule d’une manière exemplaire.

Cette observation me donne l’occasion de saluer l’action remarquable de nos soldats et, monsieur le ministre, de nos diplomates.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Le fait est que je n’ai pas entendu de critiques sur l’action d’une ancienne puissance coloniale ou sur l’ingérence des grandes puissances.

La situation n’est pas la même en Syrie, où le massacre de la population par le pouvoir de Bachar Al-Assad se poursuit sous la protection de la Russie, dont la vigilance ne se dément pas au Conseil de sécurité des Nations unies.

Pis, le pouvoir syrien, relégitimé par le désarmement de son arsenal chimique, marque des points sur le terrain. Au nom de la souveraineté de l’État syrien, la communauté internationale assiste impuissante à une véritable entreprise criminelle à grande échelle, qui risque de plonger l’ensemble de la région dans le chaos.

Le Président de la République lui-même s’est exprimé ainsi devant les ambassadeurs : « Dois-je rappeler que ce conflit a fait déjà plus de 100 000 morts, et qu’il se propage désormais à l’ensemble de la région ? Au Liban par des attentats. En Jordanie et en Turquie par l’afflux des réfugiés. En Irak par le déchaînement de violences meurtrières. Cette guerre civile menace aujourd’hui la paix du monde. »

En dépit de ce constat, rien ne bouge ; et nos récents entretiens à l’ONU ne nous incitent pas à l’optimisme sur les chances de réussite de la conférence de Genève II, qui doit se tenir dans une quinzaine de jours.

Si je partage l’analyse russe sur le danger que constituent l’islamisme radical et le terrorisme qui en est issu, je ne peux que constater que le soutien indéfectible de la Russie au régime syrien a puissamment contribué à l’essor du djihad en Syrie et au renforcement des extrêmes.

J’ai dit à nos amis russes qu’une bonne application du principe de responsabilité de protéger aurait dû les conduire à trouver par la négociation, voilà maintenant plus de deux ans, une solution politique. En vérité, c’est la radicalisation provoquée par le soutien sans concession de la Russie au régime syrien qui conduit à l’impasse dramatique et très dangereuse que nous connaissons aujourd’hui.

L’exemple syrien met en évidence une panne du système international de résolution des crises qui me paraît doublement dangereuse : dangereuse en raison des risques de contagion régionale sur le terrain, elle l’est aussi parce qu’elle révèle le blocage institutionnel de l’ONU.

Le second sujet de préoccupation que je désire aborder est l’Europe, qui est – faut-il le rappeler ? – notre priorité politique. Dans ce domaine, la réflexion a été bloquée par la perspective des élections allemandes, tant il est vrai que, sans ce pays et sans la reconstruction urgente d’une action commune franco-allemande, la panne de l’Union européenne pourrait encore s’aggraver.

Ces élections passées, nous attendons, en retenant notre souffle, les élections européennes et, surtout, la mise en place d’une nouvelle commission, en espérant qu’un nouvel élan en sortira.

Je ne souhaite pas évoquer à cet instant le manque évident de solidarité de l’Europe et des pays européens vis-à-vis de la France au Mali, et surtout en RCA.

Cela étant, j’ai été frappé par cette analyse du Président de la République : « Ou l’Europe est capable de se redessiner un projet ou, lentement mais sûrement, elle connaîtra un processus de désintégration, de déclassement, qui non seulement sera fatal à l’Europe, qui a constitué la grande aventure humaine de ces soixante-dix dernières années, mais qui sera préjudiciable pour l’ensemble du monde, parce que l’Europe est une référence, est un cadre, est même un exemple de coopération régionale. »

Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez nos inquiétudes, qui sont aussi celles des nombreux Européens convaincus de cette assemblée. Vers quoi allons-nous ? Vers une régression ? Vers une consolidation bancale – car il est évident que nous ne pouvons pas nous contenter de ce qui existe ? Vers une intégration plus forte, souhaitée par nos collègues Daniel Reiner et Jacques Gautier en matière de défense ? Vers une Europe à deux ou trois vitesses ?

Je souhaite que vous nous éclairiez sur la politique de relance que vous entendez mener après les élections européennes.

Avant de conclure, je voudrais aborder nos relations avec la Russie.

Juste avant la dernière suspension de nos travaux, j’ai conduit une courte mission à Moscou, à laquelle ont participé Christian Cambon, Michelle Demessine et Yves Pozzo di Borgo. Nous avons rencontré des responsables des ministères russes des affaires étrangères et de la défense, du parlement russe et de la commission des droits de l’homme.

Nos relations sont difficiles avec ce grand pays, qui est et ne peut qu’être un grand partenaire de la France et de l’Europe ; j’ai moi-même souligné les divergences fortes qui nous opposent, sur la Syrie et sur quelques autres sujets irritants – je pense en particulier aux problèmes récurrents en matière d’adoption.

Je ne prétends pas faire à cette tribune une analyse de nos difficultés ; je veux seulement souligner l’excellent climat de nos entretiens, avec nos collègues du Conseil de la Fédération, bien sûr, mais aussi avec les représentants de l’exécutif : nous avons senti une volonté évidente de coopérer et de faire évoluer les choses.

Pour ce qui concerne le problème syrien, qui est emblématique de nos divergences d’approche, nous comprenons bien que la menace islamiste est très prégnante en Russie, qui compte près de 20 millions de musulmans sur son sol ; les attentats récents le rappellent, à la veille des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi. Reste que le soutien à l’une des pires dictatures du moment aboutit au résultat inverse de celui qui est recherché : le succès de l’islamisme radical et, par voie de conséquence, une véritable déstabilisation régionale.

Le refroidissement momentané de nos relations avec la Russie n’est pas acceptable ; je sais, monsieur le ministre, que vous en êtes le premier persuadé.

À notre niveau, nous souhaitons plus de Russie. Mon homologue du Conseil de la Fédération, M. Marguelov, et moi-même avons décidé de multiplier les échanges. C’est ainsi que nous avons appelé ensemble à une réunion des sénats du G8 à l’occasion du prochain sommet. Nous avons également décidé de nous rencontrer plus régulièrement pour brasser des idées ; non pas d’une manière générale et désordonnée, mais sur des thèmes précis et choisis de concert. Bien sûr, nous en parlerons avec le Quai d’Orsay.

Enfin, avec Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, j’ai invité M. Rogozin, vice-premier ministre chargé de la politique d’armement, à être l’hôte d’honneur de nos universités d’été de la défense, au mois de septembre prochain à Bordeaux. §Preuve que la diplomatie parlementaire peut peut-être jouer un rôle dans notre politique étrangère, à côté, monsieur le ministre, de la politique que vous menez.

Permettez-moi, pour finir, de faire mention du passionnant ouvrage que vient de faire paraître Pierre Grosser, intitulé Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXI e siècle. L’auteur traite du complexe de Munich, de celui de Suez et de celui du Vietnam, pour montrer tous les risques de la diabolisation de l’adversaire.

De fait, la diplomatie consiste à parler aussi à ses ennemis ; on ne choisit pas son interlocuteur. Raison pour laquelle, comme le montre Pierre Grosser, la diabolisation n’est pas probante.

Par ailleurs, les diables ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Le monde est plus complexe, même si le propos de Pierre Desproges cité dans l’ouvrage – permettez-moi de conclure avec cette référence sur un ton plus léger – demeure indépassable : « L’ennemi est bête : il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui ! »

Sourires et applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Mme Michelle Demessine . Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce début d’année, bien que les situations soient complexes, nous avons du mal à percevoir clairement les objectifs de la politique étrangère que mène le Gouvernement ; de fait, elle se distingue peu de celle qui a été conduite sous la précédente présidence.

M. le ministre le conteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Nous sommes d’autant plus déçus que nous espérions dans ce domaine une politique nouvelle, plus inspirée par les valeurs de gauche.

Avec l’intervention en République centrafricaine, la poursuite de l’opération militaire au Mali, la volonté un temps affichée de participer à d’éventuelles frappes sur la Syrie, la plus grande proximité des relations de notre pays avec l’Arabie saoudite et une position intransigeante sur le nucléaire iranien, vos lignes directrices, monsieur le ministre, sont parfois difficiles à saisir.

En République centrafricaine, la réalité du terrain évolue dangereusement, selon des paramètres qui ont été largement sous-estimés.

Pour répondre à l’urgence humanitaire, il fallait agir afin de protéger les populations, premières victimes des violences. Nous avons pourtant exprimé de fortes réserves au sujet de cette intervention, en raison de son cadre mal défini et des conditions précipitées dans lesquelles elle avait lieu.

Je sais qu’il est toujours aisé de critiquer après-coup, mais nous nous demandons si la complexité et la gravité de la situation n’ont pas été sous-estimées, parce qu’on a pensé qu’une démonstration de force et le désarmement des milices suffiraient à stopper l’engrenage de la violence.

Au-delà de l’urgence humanitaire, à laquelle nous étions certainement les mieux placés pour faire face rapidement, ne s’agissait-il pas aussi, de façon moins clairement affichée, de préserver notre influence et nos intérêts stratégiques et économiques dans la région en luttant contre l’installation durable d’organisations islamistes radicales ? La question est parfois posée.

Ce sont vraisemblablement ces considérations qui ont rendu nos partenaires européens réticents à nous suivre : visiblement, ils ne sont pas convaincus que la sécurité de l’Europe se joue aussi au Sahel, surtout par des interventions militaires.

Cette réticence est d’ailleurs apparue au grand jour lors du dernier Conseil européen, lorsque le Président de la République a fait appel à plus de solidarité de la part des autres pays de l’Union européenne. Le Chancelier autrichien, Werner Faymann, a alors donné une traduction de cet état d’esprit en déclarant : « Quand on lance une telle opération, il est important qu’on puisse se mettre d’accord avant. On ne peut pas envoyer l’addition après. »

Je comprends, monsieur le ministre, la difficulté que représente la contrainte de devoir prendre, pour de telles opérations, des décisions rapides. Je pense néanmoins que la France n’a pas mené, auparavant, l’action diplomatique suffisante pour convaincre ses partenaires européens de la nécessité d’une intervention coordonnée.

Quand j’évoquais précédemment le cadre mal défini et trop restreint dans lequel notre intervention s’inscrit, je faisais référence au mandat limité de la résolution 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies. En fait, celle-ci n’a pratiquement autorisé que l’usage de la force. Elle a certes le grand mérite d’exister, mais elle n’a prévu aucun mandat pour réussir une transition politique. On voit bien aujourd’hui quelle difficulté provoque cette limite car, en l’absence de cadre défini pour l’« après », l’ONU peine à transformer cette intervention en opération de maintien de la paix.

Monsieur le ministre, percevez-vous suffisamment les dangers de ce guêpier dans lequel se débattent nos soldats, accusés de partialité par les populations civiles, elles-mêmes victimes des exactions de milices qui ont instrumentalisé et transformé le conflit en affrontements religieux ? Il faut rapidement trouver une solution pour sortir de cette impasse, ce qui nécessite de réviser la stratégie de notre diplomatie et de nos forces armées dans cette partie du monde !

Comme l’archevêque de Bangui vient de l’exprimer, nous convenons tous que les interventions militaires ne peuvent jamais suffire à régler durablement une situation. Elles agissent sur les conséquences, et non sur les causes profondes qui sont bien connues et que je veux rappeler en cet instant : ces dernières ont pour nom pillage des richesses de ces pays, ou encore politiques dites d’« ajustement structurel », ces politiques menées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui les étranglent et les plongent dans une extrême pauvreté, aggravée par les inégalités sociales. Loin d’une litanie, c’est là une réalité qui, malheureusement, existe encore aujourd'hui !

Je souhaite donc, monsieur le ministre, que vous puissiez nous préciser ce que vous comptez faire en Centrafrique et dans la région. Nos relations avec les pays africains exigent désormais des changements beaucoup plus radicaux que ceux qui ont été annoncés lors du sommet de l’Élysée à la fin de l’année dernière.

La seule voie – difficile et exigeante, j’en conviens – pour sortir de l’impasse vers laquelle nous nous dirigeons est maintenant de trouver les moyens appropriés, c’est-à-dire d’abord diplomatiques, pour convaincre la communauté internationale de prendre le relais.

C’est pourquoi il est heureux que le Président de la République se soit résolu à demander à l’ONU de jouer un rôle plus important dans ce pays. Bien entendu, cela implique aussi de renforcer notre dialogue avec l’Union africaine pour la convaincre de la nécessité de transformer la Mission internationale de soutien à la Centrafrique en opération de maintien de la paix.

Mais, au-delà du Mali et de la Centrafrique, on voit bien l’ampleur gigantesque de la crise couvant au Sahel, une région qui comptera plus de 200 millions d’habitants en 2050. Il s’agit d’une crise multiforme – économique, humanitaire, politique et sécuritaire –, une crise qui, si elle n’est pas maîtrisée dans le sens de la justice et de la solidarité, aura bien évidemment des répercussions néfastes sur notre continent.

Comme il est indiqué dans le rapport d’information de nos collègues Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, les relations de notre pays avec les pays africains, en particulier subsahariens, doivent maintenant reposer sur un partenariat d’égal à égal, fondé sur des intérêts communs, que ce soit dans les domaines économique et culturel, mais aussi en matière de développement ou de sécurité collective. Il est grand temps d’avancer concrètement vers ces objectifs, sinon, pour reprendre l’expression des auteurs du rapport, l’échec de l’Afrique pourrait aussi bien être le « cauchemar » de l’Europe.

À cet égard, il faut déplorer l’inadaptation de notre aide publique au développement aux problèmes posés par le Sahel. Nous l’avons encore constaté dans le cadre de l’examen de la dernière loi de finances…

Plus largement, l’action diplomatique de notre pays au Proche-Orient, vis-à-vis de la Syrie et de l’Iran notamment, suscite de ma part une grande inquiétude et de nombreuses interrogations.

Quelle est notre ligne de conduite ?

Nous avons failli participer à des frappes militaires sur des objectifs syriens pour punir Bachar Al-Assad de l’usage d’armes chimiques. Vous étiez prêt à vous lancer dans cette aventure aux côtés des États-Unis, monsieur le ministre, sans le feu vert du Conseil de sécurité. Mais nous avons été lâchés par les Américains et écartés d’un accord de compromis négocié entre les États-Unis et la Russie, ce qui nous a opportunément évité de commettre une action illégale et contraire, comme je l’ai déjà souligné, à nos intérêts en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Nous aurions, de surcroît, été totalement discrédités pour jouer un rôle constructif auprès des différents acteurs de ce conflit régional.

À la veille de la conférence de paix dite « de Genève II », qui paraît si mal engagée, tentons de reprendre la main et de jouer un rôle majeur pour concilier les parties en présence. À ce titre, ce n’est certainement pas en écartant l’Iran de cette conférence, me semble-t-il, que celle-ci pourra ouvrir des perspectives de règlement du conflit syrien.

À l’instar de Washington et de Londres, prenons la décision de ne plus fournir d’aide non létale, comme, par exemple, des équipements de protection, aux éléments les plus radicaux de la rébellion syrienne. Les dissensions au sein de celle-ci et la montée en puissance des groupes djihadistes, dont certains combattent maintenant militairement la coalition nationale syrienne, accentuent encore la complexité de la situation dans ce pays.

Utilisons l’influence qui nous reste pour que cette conférence se tienne avec tous les protagonistes du conflit, tout particulièrement les représentants de la coalition nationale syrienne, et qu’elle débouche sur une transition politique acceptable par tous.

Dans l’immédiat, soyons aussi en pointe avec nos partenaires européens pour venir en aide aux millions de déplacés et de réfugiés qui se débattent dans une situation où les besoins humanitaires et l’insécurité alimentaire atteignent un niveau inégalé jusqu’à présent.

Ainsi, selon les derniers chiffres, le nombre de déplacés s’élèverait à environ 8 millions de personnes, dont 2, 3 millions dans les pays voisins – 800 000 au Liban, 500 000 en Jordanie – et 6, 5 millions à l’intérieur de la Syrie. Plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Cela crée une situation de grande instabilité et de violence, d’où peuvent naître de nouvelles tensions, et représente un poids financier et social insupportable pour des pays déjà fragilisés.

À cela s’ajoute un autre drame, dont on parle insuffisamment, celui des Palestiniens qui ont dû fuir la Syrie et, réfugiés dans d’autres pays, ont perdu tous les droits attachés à leur statut. Non seulement ils sont apatrides, mais encore ils n’ont plus désormais leur statut international de réfugiés pris en charge par l’Organisation des Nations unies.

Alors que l’ONU a estimé les besoins humanitaires à 6, 5 milliards d’euros, l’Union européenne annonce un montant d’aide à hauteur de 63 millions d’euros. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : nous sommes bien loin des engagements pris ! Ce n’est digne ni de l’Europe ni de notre pays, ce dernier étant historiquement une terre d’accueil, caractéristique qui en fait aussi sa grandeur. Je voudrais simplement rappeler, à cet égard, que nous avions accueilli, en d’autres temps, 15 000 réfugiés chiliens. Aujourd’hui, seuls 700 Syriens ont pu trouver refuge dans notre pays !

En dernier lieu, et pour conclure, avec le récent voyage du Président de la République en Arabie saoudite, nous avons peut-être temporairement recueilli quelques fruits commerciaux de notre soutien diplomatique à ce pays, mais je doute, monsieur le ministre, que votre choix stratégique de jouer exclusivement la carte des monarchies pétrolières sunnites dans la région soit le bon.

Ne vaudrait-il pas mieux miser, comme le permet l’accord signé à la fin de l’année sous l’égide du groupe des 5+1, de l’Union européenne et de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, sur une démocratisation de l’Iran rendant possible un allègement des sanctions pour favoriser la détente à l’échelon régional ? C’est cette voie, me semble-t-il, que nous devons suivre avec l’Iran pour progresser vers la sécurité collective dans la région.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le laps de temps qui m’était imparti, bien court au regard de la situation internationale, tels sont les propos que je voulais tenir au nom du groupe communiste, républicain et citoyen.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son discours du 27 août 2012 devant la conférence des ambassadeurs, le Président de la République assignait à la France un rôle de « pont entre les nations, y compris les émergentes, entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident. » Il poursuivait : « Notre pays est un acteur et un médiateur du dialogue entre les civilisations. C’est son indépendance qui rend [la France] précieuse au monde. »

Cette définition m’a paru tout à fait judicieuse. On ne saurait définir la France, comme l’avait fait le président Sarkozy, par sa simple appartenance à la famille des nations occidentales. La République française, fidèle à ses idéaux, appartient d’abord à la grande famille des nations humaines.

Vous-même, monsieur le ministre, avez pleinement intégré cette dimension en évoquant, dans votre intervention remarquée du 29 août 2013, toujours devant la conférence des ambassadeurs, mais un an plus tard, ce que vous appelez « le chambardement du monde » à un horizon de dix ans, avec, notamment, le développement des pays émergents, au premier rang desquels la Chine, « la relation sino-américaine – disiez-vous – [structurant] de plus en plus les relations internationales ».

Face à la bipolarité qui se dessine entre la Chine, dont le PNB aura dépassé, avant peu d’années, celui des États-Unis, et ceux-ci qui disposeront encore longtemps d’atouts que la Chine n’a pas, ou du moins pas encore, l’Europe est en voie d’être marginalisée.

D’abord, l’Europe n’est plus ce qu’elle était. L’Europe à vingt-huit n’est plus l’Europe à six où la France tenait les premiers rôles. La géographie, la géopolitique et l’intégration des économies ont façonné une Europe germano-centrée.

Voilà vingt ans, on nous promettait de faire l’Europe sans défaire la France. Le Président de la République, lors ses vœux, le 31 décembre dernier, a déclaré : « Ce n’est pas en défaisant l’Europe qu’on fera la France de demain ». Certes, mais c’est en en changeant l’ambition, la dimension et les règles que l’on refera de l’Europe l’actrice de son destin. C’est ainsi seulement que la France pourra rester une grande nation politique.

La reconquête de notre compétitivité est un objectif juste, que j’approuve, mais peut-on l’atteindre dans le cadre actuel sans toucher aux « fondamentaux » que vous avez évoqués, monsieur le ministre, s’agissant notamment de notre capacité de projection militaire et de notre dissuasion nucléaire ?

Comment pourrions-nous tenir les équilibres si fragiles de la loi relative à la programmation militaire alors que de nouvelles coupes budgétaires, outre celles que le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ou TSCG, a entraînées, se profilent à l’horizon ?

La monnaie unique, qui réunit des économies nationales profondément hétérogènes, bien loin d’unir les peuples, les divise. Plombée par son vice de conception initial, elle est bien loin d’avoir surmonté sa crise, comme le rappelle l’économiste allemand Hans-Werner Sinn.

La Chancelière allemande elle-même, Mme Merkel, vient de déclarer le 19 décembre dernier, sans que personne ne semble s’en être avisé : « Tôt ou tard, la monnaie [unique] explosera sans la cohésion nécessaire ». Chacun sait que la Chancelière et l’opinion allemande, toutes tendances confondues, refusent catégoriquement les transferts gigantesques – environ 10 % du PNB allemand, soit 250 milliards d’euros – qu’impliquerait une véritable union fédérale. Ce refus est tout à fait compréhensible, car l’Allemagne sacrifierait ainsi la compétitivité de son économie.

Même à un niveau beaucoup plus modeste, les réticences de la Chancelière restent entières : on vient encore de le constater avec l’accord sur l’union bancaire. Celle-ci n’est qu’un simulacre vidé de toute substance. Le fonds de résorption des crises bancaires n’atteindra le ridicule montant de 60 milliards d’euros qu’en 2026 ! En cas de faillite bancaire, ce sont non seulement les actionnaires, les créanciers, mais aussi les déposants au-dessus de 100 000 euros qui paieront. Chypre, comme l’avait dit M. Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe, était bien « un cas d’école », c’est-à-dire un précédent, malgré le démenti, à l’époque, de notre ministre de l’économie et des finances.

Mme Merkel propose des « contrats contraignants » à ses partenaires européens pour résorber les dettes souveraines. La voie ainsi dessinée serait celle d’une récession et d’une régression historiques, d’où la France sortirait industriellement, socialement et politiquement laminée. Car on peut très bien défaire la France sans pour autant faire l’Europe !

Alors que faire ?

D’abord, quand on a pris des décisions erronées, il faut savoir les corriger. Vous-même, monsieur le ministre, avez montré une grande capacité à porter un jugement critique sur le passé. La France n’est pas pieds et poings liés par des choix réalisés en matière monétaire voilà plus de vingt ans. L’Allemagne a besoin de la France, et celle-ci n’est pas qu’un chiffre d’affaires. En effet, l’Allemagne joue mondial et elle ne veut pas sacrifier sa compétitivité sur les marchés tiers à une solidarité européenne qui la plomberait. Il faut donc que l’Allemagne et la France s’entendent pour changer les règles du jeu de l’euro, comme le suggère Hans-Werner Sinn, dans l’intérêt de l’Europe elle-même. Il faut en revenir, parce que c’est le bon sens, à la responsabilité des États.

Il faut reconstruire l’Europe à partir de concepts clairs : la démocratie qui vit dans les nations, donc à géométrie variable ; la monnaie mise au service de l’économie, et non l’inverse ; un projet d’Europe européenne recentré sur l’essentiel, à savoir l’économie, la politique industrielle, l’énergie, la défense, la politique extérieure ; des institutions revues et corrigées ; de vrais partenariats, de la Méditerranée à la Russie. Sur ce dernier point, je n’ajoute rien aux propos tenus par M. Jean-Louis Carrère.

À cet égard, quel sens pouvait avoir, le 28 novembre dernier, le projet de l’Union européenne d’un accord d’association avec l’Ukraine, mené sans concertation suffisante, et même sans concertation du tout, avec la Russie ? À long terme et souvent à court terme, les intérêts stratégiques essentiels de la Russie ne sont pas différents de ceux de l’Europe occidentale.

Défions-nous de la russophobie dont font preuve certains de nos médias. Elle est à courte vue : le développement de la Russie et de ses classes moyennes fera plus sûrement avancer la cause de la démocratie dans ce grand peuple européen qu’un anti-poutinisme systématique et réducteur, qui prend M. Khodorkovski pour un défenseur des droits de l’homme et les passagers de l’Arctic Sunrise pour de pieux missionnaires. §

Pour que l’Europe soit un pôle, dans un monde structuré demain par la nouvelle bipolarité sino-américaine, elle doit développer un partenariat stratégique solide avec la Russie, pays, je le rappelle, de 140 millions d’habitants, soit dix fois moins que la Chine.

Retrouver la France, monsieur le ministre, ce n’est pas seulement en faire une nation de principes, ainsi que je l’ai entendu dire. Vous-même, vous décriviez notre diplomatie comme « une diplomatie des valeurs et de la démocratie ». Simplement, puis-je vous faire observer qu’« exporter la démocratie » n’est pas, en soi, un projet ? En la matière, on ne prêche bien que d’exemple, vous le savez bien. À vouloir exporter la démocratie, les États-Unis se sont cassé les dents. Samedi 4 janvier, le département d’État américain s’est dit inquiet de voir l’État islamique en Irak et au Levant, organisation affiliée à Al-Qaïda, imposer son autorité en Irak et en Syrie. Falloujah, située à soixante kilomètres de Bagdad, vient de tomber entre ses mains. Beau résultat, soit dit entre nous, vingt-trois ans après la première guerre du Golfe et onze ans après la seconde : l’Irak voué à la partition et à la guerre civile et l’Iran érigé en puissance dominante de la région !

Le général de Gaulle avait l’habitude de dire qu’« on ne fait pas de bonne politique en dehors des réalités ». Le réalisme n’est pas contraire à la morale, à la vraie morale, à celle qui, selon Pascal, « se moque de la morale ».

Le droit international n’est sans doute pas parfait, mais c’est dans ce cadre que la France doit agir, en distinguant ce qui est souhaitable de ce qui est possible et en privilégiant toujours la négociation.

Ce qui vaut pour l’Irak vaut pour la Syrie. Je ne vous ai pas caché ma perplexité, au début du mois de septembre dernier, quand se dessinait la perspective de frappes militaires franco-américaines en dehors d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, dont la France est pourtant un membre permanent. Certes, la Syrie s’est défaite de son armement chimique, mais cet heureux résultat est dû à une initiative russe et à un accord direct entre les présidents Poutine et Obama. La France, selon moi, n’a rien à gagner à donner aux pays émergents l’impression d’être à l’Ouest de l’Ouest.

Cette tendance s’était certes manifestée sous la présidence de M. Sarkozy, lequel, non content de réintégrer l’organisation militaire de l’OTAN, avait utilisé celle-ci pour donner une interprétation manifestement excessive de la résolution 1973.

En confondant la responsabilité de protéger avec le changement de régime – « Kadhafi doit partir ! » disait M. Juppé –, le précédent gouvernement a contribué à discréditer la première notion.

L’occidentalisme tourne le dos à la vocation de la France, à savoir le dialogue entre les cultures et les nations, justement prôné par le Président de la République. On peut habiller l’ingérence autant qu’on le voudra de références aux droits de l’homme. Dois-je rappeler que ceux-ci ne vont pas sans les droits du citoyen, selon la Déclaration de 1789 elle-même ? Ceux-ci garantissent ceux-là. En l’occurrence, l’Arabie saoudite est-elle pour notre diplomatie le meilleur point de référence ? Je pose la question !

République laïque, la France a-t-elle à prendre parti dans une querelle qui oppose, au sein du monde musulman, sunnites et chiites ? La politique arabe de la France, au temps du général de Gaulle, consistait plutôt à favoriser, au sein du monde arabe, les forces de progrès. Cette vocation progressiste ne commanderait-elle pas aujourd’hui, au moins, une certaine retenue dans ce qui est aussi une nouvelle guerre de religion ?

Nous voulons tendre la main aux nations émergentes qui façonnent et façonneront toujours plus le monde de demain. Alors n’allons pas au rebours du monde ! La communauté mondiale est pour le respect de la Charte des Nations unies et de la souveraineté nationale, pour l’intégrité des frontières et la non-ingérence. La France ne peut aller contre ces principes sans saper les fondements de sa propre indépendance.

En vous parlant avec franchise, monsieur le ministre, je ne vous ai certainement pas étonné. Je connais votre perspicacité, votre intelligence et vos talents, qui rendent et peuvent encore rendre de très grands services à notre pays. C’est aussi dans l’intérêt de la France, tel que je le conçois, bien entendu, que je me suis exprimé ce soir. §

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à indiquer que les membres du groupe écologiste se félicitent de la libération de Georges Vandenbeusch survenue le 30 décembre dernier, notamment grâce aux efforts conjugués des autorités camerounaises, nigérianes et françaises.

Sénatrice des Français établis hors de France, je suis particulièrement sensible, comme nous tous, à la sécurité de nos compatriotes se trouvant à l’étranger et au sort de nos otages.

Vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, que les écologistes défendent une conception pacifique de la conduite des affaires internationales, selon laquelle les interventions militaires sont un instrument de dernier recours. En outre, nous entendons renforcer la spécificité de la politique étrangère de la France dans le concert des nations, en optant pour une dynamique de concertation et d’engagements communs des différents acteurs, dynamique intégrant avant tout les forces régionales.

Pour être efficace, la politique extérieure de notre pays doit être construite sur trois piliers : la réactivité, la pertinence et la pérennité.

Pour être légitime, elle doit également favoriser l’émergence et l’épanouissement d’une « paix positive », partout où elle le peut. En effet, comme l’explique le politologue norvégien Johan Galtung, il existe une distinction entre la « paix négative » et la « paix positive ». La « paix positive » met l’accent non seulement sur l’absence de guerre ou de conflit violent, mais aussi sur la mise en place de structures instaurant la justice sociale et favorisant le développement de toutes les populations ayant été touchées par la guerre. La paix n’est pas seulement le désarmement ; elle concerne aussi et avant tout la vie des populations.

Cette « paix positive » est aussi la plus difficile à construire. La crise centrafricaine illustre tragiquement ce constat. Par l’opération Sangaris, la France a su faire preuve de réactivité face à une situation de guerre civile, ainsi qu’au funèbre cortège de massacres et de viols que les affrontements ont pu engendrer. Mais le plus difficile commence, à savoir la nécessité de gagner la paix. Le chaos qui règne en République centrafricaine est le résultat d’un marasme multifactoriel, alliant la nécrose du système politique à l’absence d’un État viable. De fait, au fur et à mesure que l’ordre sera rétabli, la reconstruction de la Centrafrique s’effectuera dans la durée, par l’instauration d’institutions robustes et légitimes, ainsi que par la mise en place d’infrastructures réelles.

Cependant, l’établissement d’un processus de sortie de crise efficient doit s’inscrire dans une perspective globale. Il faut que notre politique étrangère passe d’une logique encore très marquée par le bilatéralisme à un engagement résolument plus multilatéral. En effet, le cadre multilatéral représente l’échelle la plus pertinente de résolution des conflits, tout en permettant à notre pays de faire valoir son expertise et ses savoir-faire, notamment en matière de formation militaire.

L’Europe doit, en particulier, s’impliquer de manière beaucoup plus active. Il est essentiel que les États membres, ainsi que les institutions de l’Union européenne, soutiennent concrètement cette intervention ; elles auraient d’ailleurs pu soutenir davantage celle qui a lieu au Mali.

Ainsi, un an après le début de l’opération Serval et au lendemain du second tour des élections législatives dans ce pays, la situation sécuritaire reste encore fort préoccupante. Je souhaite également rappeler en cet instant le sort dramatique des enfants soldats, et dénoncer celui des femmes victimes de viols, utilisés comme armes de guerre, notamment en République démocratique du Congo, pays à l’histoire tourmentée, qui peine à se reconstruire après des années de guerre et connaît même actuellement un regain de violence.

Dans ce contexte instable, il est donc essentiel de renforcer l’articulation entre États et organisations régionales – CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, CEEAC, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, IGAD, c’est-à-dire l’autorité intergouvernementale pour le développement – et internationales – Union africaine, Union européenne, Nations unies. Cette approche serait en effet la plus à même d’éradiquer les formes physiques, culturelles et structurelles de la violence qui ronge les sociétés. Elle favoriserait l’émergence d’une véritable capacité à construire une paix durable.

Cette approche globale est également pertinente s’agissant des événements se déroulant au Proche et Moyen-Orient. Dans cette zone, la question du programme nucléaire iranien occupe une place centrale au sein de l’agenda international. Des doutes subsistent, près d’un mois après l’accord intermédiaire du 24 novembre dernier, signé à Genève par Téhéran. Monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs fait part de vos interrogations dans un article paru dans le Wall Street Journal daté du 18 décembre dernier. Vous y déclariez : « Il n’est pas certain que les Iraniens accepteront d’abandonner définitivement toute capacité à se doter de l’arme nucléaire ou seulement de suspendre le programme nucléaire. »

Dans ce contexte, ne faudrait-il pas encourager une nouvelle solution globale, en promouvant l’idée d’une zone exempte d’armes nucléaires et d’armes de destruction massive au Proche et au Moyen-Orient ? L’Afrique peut ainsi nous servir de modèle, avec la signature en 1996 du traité de Pelindaba, faisant du continent une zone exempte d’armes nucléaires. En effet, l’Afrique du Sud a démantelé son arsenal nucléaire clandestin à la suite de cet accord.

Le Proche et le Moyen-Orient restent ainsi au cœur des préoccupations internationales. Depuis 2011 et le renversement du président Morsi, l’Égypte peine à retrouver le chemin de l’unité nationale, tout comme la Syrie, où des armes chimiques ont été utilisées.

Pour ce qui concerne ce dernier pays, le vote d’une résolution de l’ONU, au mois de septembre dernier, sur la destruction de l’arsenal chimique du régime, constitue un premier pas. L’étape capitale se jouera désormais à la fin du présent mois, avec la tenue d’une conférence internationale dite « de Genève II », afin de trouver une solution politique à la guerre civile, dans une région où les violences contre les populations civiles n’ont que trop duré.

Tels sont les défis actuels auxquels la politique étrangère de notre pays est confrontée. Notre diplomatie doit donc rester réactive et pertinente, tout en s’inscrivant dans la durée, grâce à l’adoption d’une approche multilatérale renforcée.

Enfin, fondamentalement, elle doit mettre l’accent sur la recherche d’une paix fondée sur la justice, intégrant bien entendu le développement.

Je conclurai par les propos de Roger Yomba Ngué issus de son ouvrage Qui menace la paix et la stabilité en Afrique ? :« Le plus important, c’est l’enseignement qu’on en tire et les décisions que l’on prend pour en sortir, afin de construire un avenir plus probant et prometteur pour les générations futures. » §

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier M. le président de la commission des affaires étrangères, qui a beaucoup agi pour que ce débat puisse être organisé.

Je souhaite également adresser, au nom de mon groupe, l’expression de notre confiance et de notre soutien à tous nos soldats, qui, dans de nombreux pays, sont le bras armé, mais pacifique, de notre diplomatie.

Monsieur le ministre, en ce début d’année 2014 et en cette période de vœux empreinte d’espoir pour nos concitoyens, notre groupe ne peut que souhaiter, pour notre pays, qu’un vrai cap soit enfin fixé par le Gouvernement, notamment en matière de politique étrangère. J’observe d’ailleurs que nous ne sommes pas les seuls à demander une telle clarification.

La véritable question que nous posons et que se posent de nombreux Français est la suivante : où va la politique étrangère de la France ? Car il semble bien que celle-ci n’ait pas une ligne directrice claire, certains commentateurs la qualifiant parfois de « brouillonne ».

Le propre de notre diplomatie consiste à protéger et à développer les intérêts de notre pays à l’étranger. Cela suppose d’avoir, au préalable, une volonté pour que la France soit respectée, écoutée, suivie et soutenue lorsqu’elle s’engage dans la résolution de crises internationales.

Il en est ainsi de la politique menée actuellement en Afrique. Un an après que nos troupes ont été engagées au Mali et un mois après qu’elles l’ont été en République centrafricaine, le Président de la République a réussi un magnifique tour de passe-passe : s’imposer comme un chef de guerre tout en utilisant nos armées comme seul argument diplomatique. Mais à quel prix ? Et à quel coût pour nos armées, dont les moyens sont en baisse, comme le prévoit la nouvelle loi relative à la programmation militaire ?

Sur la scène internationale, la France endosse un rôle sans plus avoir pourtant tout à fait les moyens financiers adéquats. À l’issue de dix-huit mois de mandat du présent pouvoir exécutif, tout porte à croire que la politique étrangère de notre pays ne répond qu’à des impératifs humanitaires, ô combien importants, sans traduire une vision politique d’ensemble.

Si, dans un premier temps, cela paraît louable, avec du recul, force est de constater qu’il s’agit en réalité d’une politique court-termiste, au coup par coup, qui risque de conduire notre pays à l’isolement diplomatique, voire à la marginalisation.

Mais quelle est la réalité ? Avant chaque intervention militaire sur des théâtres d’opérations, nous étions seuls, seuls au Mali, seuls en Centrafrique, et lorsque la possibilité d’intervenir en Syrie a été envisagée, nous étions encore seuls. Monsieur le ministre, cette position est-elle tenable et raisonnable ? Le chacun pour soi est dangereux et nous prépare peut-être des lendemains qui déchantent.

Agissant ainsi, la France fait fonction de « démineur du monde » de crises politiques qui dégénèrent en crises humanitaires. Nous ne pouvons pas être les casques bleus universels alors même que nous procédons à d’importantes déflations de personnel dans nos armées et que nous peinons à équiper et à entraîner les membres de ces dernières.

Nous savons tous que notre effort national en faveur de la défense est largement passé en dessous du seuil de 1, 5 % du PIB, alors même que les normes de l’OTAN préconisent que nous y consacrions 2 %, hors pensions.

Faut-il rappeler, même si cela peut être douloureux, que les moyens militaires que vous avez mis en œuvre au Mali et en Centrafrique, vous les devez à notre loi relative à la programmation militaire, celle qu’a voulue l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy ?

Soit, les mandats onusiens vous permettent d’intervenir en conformité avec le droit international dans un pays en crise ; pour autant, cela ne signifie pas que nous devions rester les seuls sur le terrain.

Il importe que le chef de l’État ne se contente pas seulement d’être un chef des armées ; il doit aussi tenir compte de nos partenaires européens et de nos alliés.

Certes, la France a toujours incarné une tradition de « moteur » de l’Union européenne, mais elle ne peut faire cavalier seul, sans consultations préalables.

Exister sur la scène internationale implique d’abord et avant tout un dialogue permanent avec nos voisins européens.

Il est facile de se targuer d’intervenir en premier, tant au Mali qu’en République centrafricaine, puis de reprocher à nos alliés européens de ne pas nous soutenir. En matière de communication interne, c’est assez habile : cela permet de surfer sur un euroscepticisme ambiant, mais qui s’avère dangereux à six mois des élections européennes ; cela permet aussi certainement de braquer les projecteurs ailleurs que sur les problèmes économiques et sociaux internes à notre pays…

Les uns et les autres, nous ne sommes pas dupes, pas plus que nos partenaires européens. Avant d’être incriminés pour leur passivité, ceux-ci souhaiteraient être consultés et n’apprécient pas toujours ces reproches.

Plus que jamais, il importe que le Président Hollande mène une politique plus active de concertation et de solidarité, afin de convaincre les grands pays membres de l’Union européenne.

Bien sûr, il est difficile de parvenir à un consensus, mais ce sont là les enjeux et la réalité de la diplomatie. Il faut négocier ; il faut convaincre.

J’en viens à quelques observations sur la présence de notre pays en Afrique.

Sur la fin de la « Françafrique », que n’avons-nous pas entendu ? Or la France est toujours très présente en Afrique, heureusement, oserais-je dire.

Vous savez combien nos interventions sont impopulaires chez nos concitoyens. Il est donc utile de rappeler à ceux-ci en permanence que lorsque la France s’engage en Afrique, c’est d’abord pour assurer la paix, pour éviter les massacres. Un peu de pédagogie ne fait jamais de mal.

Il serait également temps de rappeler que la France ne démérite pas quant à son aide au développement. Nous participons à bon nombre de programmes bilatéraux ou multilatéraux de coopération. Mon collègue Jean-Claude Peyronnet et moi-même, rapporteurs pour avis de la mission « Aide publique au développement », pouvons l’attester et son budget en témoigne.

En République centrafricaine, nous avons répondu courageusement à l’urgence militaire. Mais, désormais, l’urgence est diplomatique. La France ne pourra assurer seule la transition démocratique. C’est, selon nous, le rôle de l’ONU. Sans renfort militaire supplémentaire, comment allons-nous assurer la stabilisation politique de ce pays ? Comment éviter l’engrenage ? Nous ne pouvons, comme au Mali, garantir la reconstruction de l’État de droit – voire de l’État tout court.

Sur ce point, monsieur le ministre, nous souhaiterions comprendre le sens politique de votre action, notamment auprès des chefs d’État africains. Quel projet la France porte-t-elle ? Où en sont les pourparlers avec l’Union africaine ? Celle-ci doit impérativement prendre le relais militaire et diplomatique, car nous n’avons pas vocation à nous substituer aux Africains.

Au mois de janvier 2013, on nous avait annoncé que « nous n’avions pas vocation à rester au Mali ». Le Président de la République a déclaré vouloir des interventions rapides. Il en fut de même en RCA. Mais après ? Quelles sont les solutions envisagées ? Par ailleurs, il est impératif de ne pas sous-évaluer ces deux opérations extérieures, qui, je le répète, ne peuvent se substituer à l’action diplomatique.

Malheureusement, à ce jour, nous n’avons pas de véritable calendrier militaire et diplomatique, alors que ce sont eux qui préfigurent les solutions politiques. Cela est d’autant plus important que, sur le terrain, les soldats français et tchadiens commencent à être accusés de partialité.

Certes, au mois de décembre dernier, sur le dossier de la RCA, notre diplomatie n’a pas ménagé sa peine au Conseil de sécurité des Nations unies afin de parvenir à l’adoption de la résolution 2127. Nous lui rendons hommage pour cette action.

Mais quid de cette mobilisation à l’échelon européen ? Rien pour l’instant, ou pas grand-chose. Et nous le regrettons.

Pourtant, monsieur le ministre, que ce soit pour le Mali ou pour la République centrafricaine, le groupe UMP du Sénat a soutenu le Gouvernement. Mais il ne faudrait pas que ce soutien sur le fond soit mal interprété.

Selon nous, l’intervention en RCA aurait pu être envisagée plus tôt. Au printemps 2013, le régime du général Bozizé, président de la République centrafricaine, s’est effondré sous les coups de la rébellion Séléka. Bangui, la capitale, a été pillée, ainsi que plusieurs villes de province. Les morts, les viols ont été nombreux. La communauté internationale n’a guère réagi à cette situation. À New York, où je me suis rendu avec une délégation, nous avons entendu beaucoup d’encouragements, mais avons noté peu de faits concrets sur les initiatives à prendre. La communauté s’est limitée à offrir son soutien à un premier ministre centrafricain sans réelle autorité sur les forces de la Séléka.

L’État centrafricain a implosé. Il ne contrôle plus son territoire, vers lequel convergent des pillards venus du Tchad, du Soudan, en particulier du Darfour. Des heurts à caractère religieux se produisent dans un pays jusqu’à présent préservé des radicalisations.

Les agences de presse viennent d’annoncer la démission, demain, du président Djotodia, ajoutant peut-être à la confusion, à moins que ce ne soit une solution. Vous nous le direz, monsieur le ministre.

Nous voici engagés sur un territoire de 600 000 kilomètres carrés, peuplé de 4, 5 millions d’habitants, frontalier de pays très fragiles : la République démocratique du Congo, le Soudan du Sud, dont les propres populations subissent également de très nombreuses violences.

La paix en Afrique est l’une des conditions de la sécurité en Europe et dans le monde. Nous partageons bien évidemment ce sentiment. Chaque crise, chaque nouvelle guerre compte son lot de réfugiés qui peuvent déstabiliser d’autres États déjà mal en point. Nous devons bien sûr anticiper et faire face à ce risque géopolitique à part.

Alors, permettez-nous, monsieur le ministre, de regretter une fois encore que le budget des opérations extérieures, les OPEX, pour 2014 soit largement sous-doté, car la compensation par le biais de la solidarité ministérielle ne suffira pas, nous le savons bien. Même si la défense n’est pas de votre ressort, elle est quand même le bras armé de la diplomatie, singulièrement dans ces régions.

Les spécialistes savaient qu’après les événements du printemps, il y avait peu de chance pour que la situation se stabilisât et qu’une sortie de crise s’esquissât. D’autant que ce théâtre d’opérations se situe au cœur même de l’Afrique. Les conditions dans lesquelles vont devoir évoluer nos soldats sont très difficiles. Les infrastructures sont quasi inexistantes. Quels seront les coûts de l’acheminement du matériel et du ravitaillement de nos forces ? Nos soldats méritent pourtant de bénéficier des meilleures conditions d’équipement.

Ils doivent faire face à de véritables guerriers lourdement armés. Il serait irresponsable de considérer cette OPEX comme une simple mission de « sécurisation ». Nos soldats auront besoin de renforts, et non pas seulement d’un soutien logistique. Les fameux « retex » – les retours d’expérience – sur le Mali le démontrent et les premiers bilans de l’opération Sangaris le confirment.

Les interventions de ce type qui répondent à une urgence humanitaire ont un coût. Nous regrettons une fois encore que la dernière loi relative à la programmation militaire ne prenne pas suffisamment en compte cette ambition. À l’avenir, des opérations de cette nature seront difficiles à mener pour notre pays, qui, rappelons-le, est menacé de déclassement stratégique.

Par ailleurs, à l’heure où le continent africain affiche des taux croissance avoisinant les 5 % qui donneraient le vertige à nombre de nos voisins européens et, bien sûr, à notre pays, la France tire-t-elle un bénéfice économique de sa présence en Afrique ?

Notre présence est placée sous le signe de l’intervention militaire et de l’aide publique au développement, alors que d’autres acteurs, et pas n’importe lesquels, se sont véritablement implantés au cours de ces dix dernières années, économiquement et financièrement, profitant au passage de la stabilité que nous parvenons non sans mal à établir.

Or que font ces nouveaux acteurs sur le terrain pour soulager ces populations qui subissent ces crises ? Cette situation, monsieur le ministre, ne peut durer, car elle maintient notre pays dans une posture facilement qualifiée de « néocoloniale », alors même que nous assurons les conditions du maintien des structures étatiques, de la paix et de la sécurité de peuples en proie à la violence et au bord de la guerre civile.

Il est donc prioritaire de revoir les cotisations de notre pays au sein des contributions obligatoires aux organisations internationales et au Fonds européen de développement. Nous avons souvent l’occasion de le rappeler au sein de la commission des affaires étrangères.

Il faut que les barèmes soient réajustés et les quotes-parts renégociées en vue d’un juste rééquilibrage entre la part de notre PIB dans la richesse mondiale et notre contribution.

Dans le même temps, des pays comme l’Inde et la Chine n’ont pas de problèmes existentiels dans la relation qui les unit avec l’Afrique.

Ce rééquilibrage de notre participation dans les enceintes onusiennes ne peut plus se limiter aux seules contributions financières. Non seulement il devrait s’accompagner du respect d’un code de valeurs communes, mais il doit aussi entraîner l’envoi d’un minimum de moyens humains et matériels dans les gestions de crise. La France ne peut être la seule à déployer ses contingents.

Si notre pays doit, chaque fois, répondre à l’appel d’un pays exsangue, cela implique parallèlement – soyons logiques – que le Gouvernement mette en place une politique nationale qui lui en donnera les moyens. Or nous en sommes loin. À ce rythme, nos ambitions seront vite rattrapées par la réalité budgétaire, qui, pour l’instant, rime avec endettement des finances publiques, récession et difficultés budgétaires.

Aujourd’hui, l’un des risques majeurs pour l’Afrique est le délitement des structures gouvernementales et la fissuration des États. Il importe d’observer que la carte de l’Afrique issue de la décolonisation a profondément changé. Par exemple, le Soudan a connu une partition il y a peu et les deux pays tentent de dialoguer pour pallier les nouvelles violences. Hélas ! les événements récents ont montré que ce n’était guère facile.

Aussi, nous nous interrogeons, comme d’autres de nos collègues, sur la portée du dernier sommet de l’Élysée au mois de décembre dernier. Bon nombre des chefs d’État africains sont venus évoquer la paix et la sécurité en Afrique. Est-ce un sommet de plus ? L’Union africaine doit devenir une réalité, pour les Africains, pour leur sécurité et pour l’avenir du continent tout entier.

Par ailleurs, au lendemain de ce sommet, les observateurs économiques et politiques nous disent que les entreprises françaises doivent reconquérir les marchés africains. Ce fut du reste le thème du forum France-Afrique à Bercy, quelques jours avant le sommet de l’Élysée. Dans son rapport, Hubert Védrine fait des propositions, exhortant nos chefs d’entreprise à s’installer sur ce continent, notamment au moment où cinq pays de l’Afrique de l’Est se dotent d’une monnaie commune.

Ce sont des propositions engageantes, mais elles ne pourront être concrétisées que si nous osons changer de regard, d’abord sur nous-mêmes, mais aussi sur notre présence en Afrique. La composante économique de la diplomatie, qui n’est pas une tradition française, doit devenir une réalité. Je vous sais gré d’y avoir accordé la priorité à votre arrivée au Quai d’Orsay, monsieur le ministre.

Je le répète, la France n’a pas à rougir de ce qu’elle fait pour l’Afrique, en matière tant d’aide publique au développement que de coopération administrative, militaire et universitaire. Rappelons, par exemple, qu’elle forme dans ses institutions les futurs responsables politiques et militaires africains.

J’ai terminé mes remarques sur le volet « Afrique » et je souhaiterais maintenant attirer plus brièvement votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur une autre région qui mérite aussi pleinement que l’on s’y intéresse : le monde arabe.

Contrairement au Mali et à la République centrafricaine, nous ne sommes pas intervenus en Syrie, ce dont nous nous félicitons, car, là aussi, nous étions isolés et hors de tout cadre juridique prévu par les institutions de l’ONU.

Pourtant, la crise n’en finit plus et les morts se comptent par dizaines de milliers. La crise syrienne est un autre printemps arabe qui perdure. Dans ce pays, une fois encore toute une génération a grandi en ne connaissant qu’un seul régime, un seul homme qui a verrouillé le pouvoir et créé tout un système qu’il sera difficile de déconstruire.

Cependant, à l’inverse des crises égyptienne ou tunisienne, la crise syrienne s’apparente à un détonateur dans une région qui reste une poudrière. On le constate, hélas, au Liban ou en Turquie.

Aussi, monsieur le ministre, vous comprendrez bien que, à la veille de la conférence de paix sur la Syrie qui se tiendra le 22 janvier, nous souhaiterions avoir le maximum d’informations quant à la position de la France sur ce dossier très lourd et difficile, dont les enjeux dépassent la seule Syrie et concernent tout le Moyen-Orient.

D’autres sujets doivent encore être abordés, notamment celui de nos relations avec la Russie, que le président Carrère a évoqué. Une délégation sénatoriale, dont je faisais partie, s’est rendue dans ce pays voilà un mois. La Russie est un acteur majeur de la scène internationale et son langage diplomatique n’est pas fleuri : ses représentants disent clairement les réalités telles qu’ils les vivent. Nous avons pu le constater notamment au cours des négociations sur le nucléaire iranien et à propos du dossier des armes chimiques en Syrie.

Néanmoins, nos relations avec ce pays doivent être compatibles avec notre politique européenne. Dans ce cadre, il est question de la situation politique en Ukraine, avec en arrière-plan la question de son intégration à l’Union européenne. Il convient de rappeler que les pays qui se portent candidats doivent être en mesure de respecter des conditions élémentaires de démocratie et de liberté. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous dresser un point d’étape sur la situation en Ukraine ?

Nous aimerions aussi que vous puissiez nous donner un peu plus de détails sur ces fameuses initiatives franco-allemandes à venir annoncées par le Président de la République lors de ses vœux aux Français. Nous sommes évidemment très attachés au couple franco-allemand et nous avons, pour notre part, déploré des propos malvenus émanant de votre majorité au cours de l’année 2013 concernant cette relation. Nous souhaitons une relance de ce moteur de l’Europe, car celle-ci est toujours appréciable.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, il importe que nous puissions être en mesure de peser sur la scène internationale pour permettre la résolution de ces problèmes qui menacent directement la sécurité du monde, ainsi que nos intérêts vitaux. Si cette ambition n’a pas de prix, elle a un coût. Nous regrettons que ce gouvernement n’en soit pas assez conscient, mais peut-être est-ce dû au manque de moyens. Monsieur le ministre, aurons-nous demain les moyens de notre politique étrangère ? Pour notre part, nous commençons à en douter. Le président Carrère rappelait le mot d’Alain Juppé, qui reste tout à fait d’actualité.

Il est temps que notre diplomatie soit un peu plus lisible, un peu plus compréhensible pour nos alliés et claire pour nos concitoyens, qui doivent la partager et la soutenir. Cela ne pourra pas se faire sans audace : il faut avoir l’audace de comprendre que le monde change parfois plus rapidement que nous ne le pensons.

En cette période de vœux, hormis des vœux personnels à votre attention, monsieur le ministre, j’en forme un plus politique : que la France soit encore à la hauteur de sa tâche et de sa mission dans le monde !

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Elle l’est !

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le ministre, vous avez été interrogé, et vous allez l’être encore, sur à peu près tous les problèmes de ce vaste monde. C’est le jeu de ce débat et c’est ce qui fait tout son intérêt, dans un monde en pleine mutation, rempli d’imprévus et d’intolérances prévisibles. La multiplication des zones grises où la gouvernance n’existe plus et où tous les terrorismes règnent mériterait à elle seule tout un débat.

Pour ma part, je vais vous parler d’autre chose, et les sujets que je vais évoquer ne seront probablement pas ceux auxquels vous vous attendez.

La politique étrangère de la France commence à la porte de nos ambassades : nos ambassadeurs sont la première vitrine de notre diplomatie. Au risque de paraître un peu entêtée, je souhaiterais vous poser un certain nombre de questions sur le recrutement et sur la formation de nos ambassadeurs, ainsi que sur la façon dont est géré ce réseau de diplomates que le monde entier nous envie.

Je dirai d’abord quelques mots sur mes amis les ambassadeurs thématiques… J’aurais pu vous faire sur ce point quelques propositions à l’automne dernier, mais nous avons été privés du débat sur la deuxième partie du projet de loi de finances. Victoire de l’optimisme sur l’expérience, comme disait Henri VIII lors de son sixième mariage !

Je conteste, comme vous le savez, l’esprit et la méthode du recrutement de ces ambassadeurs. Au fur et à mesure des débats, j’ai pu obtenir des succès modestes et temporaires : j’avais demandé leur suppression et, récemment, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, le Sénat a adopté un amendement visant à obtenir un rapport sur le coût de ces diplomates.

Toutefois, quatre ou cinq ans plus tard, je n’ai toujours pas de réponse ! Mais, monsieur le ministre, vous n’êtes absolument pas en cause : ce système existait bien avant vous.

Quoi qu’il en soit, quels sont les critères de sélection ? Faut-il avoir été recalé du suffrage universel pour prétendre à cette fonction ? Quel est le coût de ces ambassadeurs ? À qui rendent-ils des comptes et remettent-ils des rapports ? Qui évalue la nécessité de leur mission et de leur action ? Nous n’en savons toujours rien !

Je n’aurai pas le mauvais goût de vous rappeler certains titres et certaines affectations... Je me contenterai de noter que, dernièrement, le 11 septembre 2013, Claudine Ledoux, ancienne députée de Champagne-Ardenne et ancien maire de Charleville-Mézières, a été nommée ambassadrice déléguée à la coopération régionale dans la zone de l’océan Indien. Je ne doute pas que cette mission ait été largement évaluée et soit absolument nécessaire !

La Cour des comptes s’intéresse d’ailleurs de près à ces ambassadeurs thématiques, pas nécessairement en raison de leur coût, mais plutôt parce que cette question est emblématique d’une méthode périmée et non transparente de dépense des deniers publics.

Je pense cependant que ces ambassadeurs thématiques pourraient trouver leur place dans l’architecture de notre diplomatie actuelle. Si nous avions examiné le budget de votre ministère, je vous aurais alors fait quelques propositions… Je vais donc vous les présenter ce jour.

La région du golfe Persique ou l’Asie centrale pourraient constituer des terrains d’expérimentation tout à fait exemplaires, notamment en matière culturelle. Ainsi, il serait intéressant de nommer un seul ambassadeur thématique culturel dans les pays du Golfe. En effet, le régime qui consiste à avoir un conseiller par ambassade me semble désormais un peu périmé. On pourrait donc désigner un seul conseiller par région. Cet ambassadeur devrait parler arabe, bien entendu, et pourrait transposer le travail accompli dans un pays à un autre, dans une zone où les effectifs de la coopération culturelle se multiplient, alors que ces diplomates ne font que dupliquer les mêmes politiques.

Des ambassadeurs thématiques pourraient également être nommés dans d’autres secteurs – je pense à la coopération médicale, aux énergies renouvelables, ou encore à la lutte contre la pollution – et être chargés de promouvoir notre technologie.

S’agissant de notre réseau diplomatique, seuls six ambassadeurs parmi ceux qui représentent la France dans les vingt-deux pays de la Ligue arabe parlent arabe, monsieur le ministre.

De ce point de vue, le changement de notre ambassadeur aux Émirats arabes unis a attiré l’attention. En effet, le nouvel ambassadeur ne parle pas arabe, tandis que son prédécesseur, absolument exceptionnel, qui avait également exercé la fonction au Qatar, s’est vu proposer un poste en Irlande. Malgré l’éminence et l’importance de ce poste, cette proposition a dissuadé ce dernier de rester dans notre haute administration diplomatique, ce qui est un peu dommage !

De surcroît, le premier conseiller aux Émirats ne parle pas non plus arabe. Je comprends que la langue véhiculaire soit l’anglais, mais étant donné l’importance de nos relations avec ces pays, notamment avec l’Arabie saoudite, il serait convenable et respectueux de nos hôtes que nos ambassadeurs parlent la langue du pays dans lequel ils sont nommés.

Monsieur le ministre, vous exercez la cotutelle sur l’Agence française de développement. Là aussi, comment pensez-vous mettre en place les outils d’évaluation que nous réclamons depuis des années et qui n’existent toujours pas, alors qu’il est tout de même indispensable que soit évalué l’emploi de l’argent du contribuable, que nous dépensons d’ailleurs volontiers pour cette aide au développement ô combien importante ?

Je voudrais simplement vous citer un exemple récent. L’Agence française de développement a concédé un prêt à l’Azerbaïdjan; or Dieu sait que ce pays n’en a absolument pas besoin ! Dans ce domaine, la cotutelle avec le ministre du commerce extérieur est importante.

Je le répète, je pense qu’il faut absolument, dans notre architecture, mettre en place ces outils d’évaluation.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Cette remarque est liée à la diplomatie économique, que vous avez décidé d’encourager, ce qui nous agrée, car nous sommes très conscients de son importance.

Vous avez mis en place des ambassadeurs dans les régions et confié à certains de nos collègues élus des missions en Chine, en Algérie ou dans les Balkans. Je regarde avec intérêt et jalousie ces nominations…

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Je le sais !

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Cela étant, disposez-vous déjà d’une évaluation de ces deux dossiers ou de retours ?

Pour conclure, monsieur le ministre, je vous parlerai non pas de l’Iran, pays pour lequel – vous le savez – j’ai des yeux de Chimène, mais de l’Azerbaïdjan. Cela devait arriver !

Vous avez promis d’effectuer une visite à Bakou, alors que notre pays détient un record Guinness : depuis dix-sept ans, aucun ministre des affaires étrangères français ne s’est rendu dans cette ville ! Or, dans ce laps de temps, l’Azerbaïdjan a changé. Il joue un rôle important en matière de stabilité énergétique et politique.

Parmi les pays du Caucase si prompts à s’enflammer, c’est probablement l’allié le plus sûr de la France et de l’Europe. Des accords de coopération les plus larges possible sont en passe d’être signés, ce qui est tout à fait légitime eu égard à ce qui se passe en Arménie, en Ukraine, ou encore à la situation difficile que connaît la Géorgie, où le Premier ministre a démissionné, à la suite de la désignation d’un nouveau Président de la République dont on ne peut pas dire qu’il a une expérience internationale majeure. L’Azerbaïdjan est visiblement un pays essentiel dans cette zone, aussi bien en ce qui concerne l’approvisionnement énergétique que la stratégie de l’Europe et de la France. Et les conditions économiques dans lesquelles nous travaillons avec l’Azerbaïdjan sont extrêmement satisfaisantes.

Les trois pays, dont la France, qui coprésident le groupe de Minsk étaient convenus qu’il n’était plus possible de maintenir le statu quo dommageable, c’est-à-dire l’occupation, officiellement reconnue comme telle, par l’Arménie de sept provinces voisines du Nagorno-Karabakh – je ne parle pas de celui-ci, car la situation est vraiment aussi compliquée qu’à Jérusalem !

À cette fin, monsieur le ministre, voyez-vous une piste pour reprendre le dialogue et pour rétablir la confiance entre les belligérants, laquelle, c’est le moins que l’on puisse dire, a totalement disparu ? Car, au contraire, la situation risque encore de se dégrader. Il faudrait évidemment que l’Arménie libère ces territoires occupés, ce qui permettrait à environ un millier de réfugiés azerbaïdjanais de revenir dans leur région. De surcroît, une telle action positive pourrait permettre le redémarrage de négociations sur le statut du Nagorno-Karabakh.

En conclusion, malgré les divergences de points de vue que nous pouvons exprimer sur certaines questions dans cet hémicycle, à l’étranger, nous sommes tous solidaires de la position de la France, y compris dans les moments les plus difficiles, comme peuvent en témoigner certains de mes collègues avec lesquels j’ai voyagé.

M. le ministre manifeste son approbation.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Nous soutenons votre action, monsieur le ministre. Vous pouvez accorder la plus grande confiance à la diplomatie parlementaire, laquelle n’est pas maladroite.

M . le président de la commission applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, comme nombre d’orateurs ici, je souhaiterais vous entretenir de l’Afrique, plus précisément de ses pays pauvres, plus précisément encore de l’aide au développement, ce que ni mon collègue Christian Cambon ni moi-même n’avons pu faire en raison de l’interruption prématurée de la discussion budgétaire.

Plutôt que de regarder l’évolution de telle ou telle mission d’une année sur l’autre, je me pose la question suivante : tout cet argent, pour quoi faire ? Tel est le fond du problème.

Ma première remarque sera pour dire que, malgré tous les satisfecit que nous avons pu donner aux évolutions positives depuis deux ans – nous ne les renions pas –, je regrette, comme d’autres ici, que la nouvelle politique définie en 2013 ne tienne en quelque sorte aucun compte de ce qui s’est passé au Mali et continue la mise en œuvre routinière – je parle de l’aide publique au développement et non des interventions militaires qui appellent d’autres financements –, comme si de rien n’était.

La France ne peut se contenter d’être l’intervenant militaire, le gendarme, sans être aussi l’un des acteurs de ce qui peut lui éviter d’être obligée de relancer une opération militaire de grande ampleur. C’est notre intérêt, comme celui de l’Afrique, et nous sommes ceux qui ont l’expertise la plus complète sur le Sahel. Le Sénat, en particulier, a beaucoup travaillé sur cette question.

Je pense aux deux rapports de Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher qui contiennent de nombreuses propositions très positives. Je fais également référence aux experts. Vos services et vous-même, monsieur le ministre, avez sûrement lu les ouvrages de Serge Michailof, dont l’audition et les travaux m’ont convaincu. Que dit-il ?

Selon lui, et nous le savons en partie, la situation du Sahel présente, malgré d’évidentes différences culturelles et géographiques, des analogies inquiétantes avec celle de l’Afghanistan voilà une dizaine d’années, à savoir, d’une part, une crise environnementale liée à la pression démographique dans un contexte de stagnation de l’investissement public, notamment dans l’agriculture, et, d’autre part, un grave sous-équipement sur le plan économique – les routes, la santé, l’éduction, etc. – conduisant certaines populations au dénuement le plus complet, auquel s’ajoutent de fortes tensions interethniques, voire religieuses, aiguisées par cette crise environnementale.

Le Mali mais aussi nombre de pays du Sahel sont également affectés d’une sous-administration des zones rurales périphériques et d’un effritement, voire d’une absence totale des appareils d’État au niveau local : gendarmerie, justice, administration territoriale.

Ajoutons qu’une population très jeune frappée par un chômage de masse provoque d’importantes migrations régionales, d’autant que la présence de groupes armés très mobiles – tout cela est parfaitement connu – financés par des trafics divers dont la drogue s’appuie sur un fondamentalisme religieux et offre une idéologie séduisante, des perspectives de revenus et d’ascension sociale exceptionnelles pour de jeunes désœuvrés.

Enfin, il existe des zones de repli – nous les connaissons – pour ces groupes armés comme pour les Talibans en 2002.

Au total, nous découvrons à travers la crise malienne l’ampleur gigantesque de la crise qui couve et se développe au Sahel, voire au-delà – la Centrafrique est là pour nous le rappeler –, crise multiforme, économique, humanitaire, politique, et sécuritaire. En effet, ce que nous disons de cette crise exacerbée au Mali est en germe dans bien d’autres régions du Sahel et en particulier au nord du Burkina Faso, dans le centre du Tchad et peut-être surtout au Niger.

Dans ces conditions, il est regrettable que ce problème, qui a récemment mobilisé notre armée au Mali, ne se soit traduit par aucune inflexion significative dans notre loi de finances pour 2014.

Cette situation est imputable au fait que notre outil de coopération ne dispose plus des ressources d’aide bilatérale nécessaires. Son aide bilatérale est, pour l’essentiel, consentie sous forme de prêts de l’Agence française de développement qui sont mal adaptés aux besoins de reconstruction du Mali, ou à des actions liées à des annulations de dettes selon le mécanisme dit du « C2D » – contrat de désendettement et développement –, dont les pays sahéliens ne bénéficient que très marginalement. On sait bien que, pour ces pays-là, c’est l’aide directe qui est nécessaire. Or les montants destinés à financer sous forme de subvention des actions bilatérales dans les pays pauvres sont dérisoires, et répartis entre une vingtaine de pays ; nous le disons depuis des années, notamment mon collègue Cambon. Les montants du fonds de solidarité prioritaire permettant de travailler sur les questions institutionnelles sont dérisoires. §

À partir de là, on peut souhaiter deux inflexions significatives. La première se décompose en trois parties.

Premièrement, il conviendrait de doubler l’aide bilatérale projet en subvention gérée par l’AFD et de la porter à 400 millions d’euros, ou au minimum à 300 millions

Mme Nathalie Goulet s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Deuxièmement, il faudrait doubler les montants du fonds de solidarité prioritaire en les portant à environ 100 millions d’euros, et les affecter prioritairement à l’appui institutionnel aux pays sahéliens. « Où trouver l’argent ? », pourriez-vous répliquer, monsieur le ministre. À cela, je répondrai en deux mots : économies et redéploiement.

Troisièmement, afin de dégager pour ce faire des ressources sur le budget de l’aide publique au développement, il conviendrait de procéder à un rabotage des ressources excessives affectées au fonds SIDA.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Je sais que dire cela n’est pas très politiquement correct. Je sais que cet argent nous vaut une reconnaissance internationale. Je sais également que le Président de la République a annoncé une augmentation de cette aide en allant en Afrique du Sud. Mais je sais aussi qu’il existe des urgences locales, notamment si l’on ne veut pas que l’histoire se répète au Mali.

Par conséquent, cette contribution très lourde pourrait être ramenée à 150 millions d’euros, ce qui représenterait une économie possible de 200 millions d’euros.

De plus, il serait souhaitable de procéder, tout d’abord, à un rabotage des multiples contributions à la cinquantaine de fonds des Nations unies que nous abondons et dont l’efficacité a été discutée, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

M. Jean-Claude Peyronnet. … ce qui représenterait une économie possible de 25 millions d’euros. Il serait également souhaitable de procéder à une réduction des dotations budgétaires accompagnant les concours du FMI, soit, là encore, une économie possible de 25 millions d’euros. Il serait aussi souhaitable de procéder à une réduction des frais de personnel des services de coopération et d’action culturelle, les SCAC, – on parle des ambassades – faisant doublon avec le personnel de l’AFD.

Mme Nathalie Goulet opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Parce que je sais l’existence, au sommet de l’État, d’une réelle volonté politique, je suis persuadé qu’il doit être possible de réorienter 150 millions à 250 millions d’euros de subventions projet pour le Mali, sur un budget global de 4, 2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement.

Pour terminer, je voudrais aborder deux questions d’actualité préoccupantes qui ont déjà été évoquées.

Je commencerai par le Mali du Nord.

Pouvez-vous préciser la position de la France par rapport au Mouvement national de libération de l’Azawad, le MNLA ? En particulier, à la lecture de la presse française et internationale, j’ai l’impression que la situation dans la région de Kidal est en train de ruiner le crédit de la France et le bénéfice politique qu’elle avait tiré de l’opération Serval. Les critiques à Bamako sont très fortes à cet égard. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre ?

Quant à la Centrafrique, l’inquiétude est grande. La présence française devra-t-elle se compter en mois ou en années ? Je sais que vous ne pouvez pas me répondre de façon précise. La force multinationale africaine est-elle réellement en mesure de prendre le relais de l’intervention française ? Sur ce point, je sais aussi que vous ne pouvez pas me répondre de façon précise, pour des raisons diplomatiques. Mais au moins pouvez-vous apporter des précisions sur la position de la France par rapport aux Nations unies. Le désastre humain qui se prépare semble avoir convaincu l’ONU de la nécessité d’envoyer un contingent de casques bleus. Le Tchad, si j’ai bien lu les informations parues dans la presse, a fait savoir qu’il y était hostile, ce qui n’est pas pour me rassurer.

Monsieur le ministre, dans l’hypothèse où la possibilité d’une intervention des casques bleus sous mandat de l’ONU se préciserait, quelle serait la position de la France ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je vais aborder le problème de l’Iran.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Je commencerai en disant que cet accord intermédiaire adopté à Genève en novembre dernier est reconnu comme étant un bon accord. Saluons la pression opportune de la France, et votre rôle, monsieur le ministre !

Nous avons obtenu de l’Iran, selon les propos d’un ancien ambassadeur dans ce pays, toutes les concessions qu’il était envisageable d’emporter.

Certains, plus exigeants, diront que cet accord ne traite pas de la militarisation. Il n’envisage pas non plus la fermeture de l’usine souterraine d’enrichissement de Fordo. Mais aller plus loin, c’était sûrement courir le risque d’un échec. Vous ne l’avez pas pris, monsieur le ministre.

Cet accord arrête ou limite seulement les capacités de l’Iran dans son élan vers le nucléaire si tel était son choix. L’Iran a pris des engagements sur deux filières : l’enrichissement de l’uranium à Natanz et Fordo ; la production et l’extraction de plutonium impliquant le réacteur d’Arak.

Certains, les pessimistes, diront que, en quelques semaines, l’Iran peut encore acquérir assez d’uranium enrichi pour fabriquer la bombe !

D’autres pourront répondre qu’en quelques minutes toutes les installations nucléaires de l’Iran peuvent être détruites. Nous pensons à Israël…

Concernant les sanctions, cet accord est accompagné d’allégement des sanctions imposées à l’Iran.

Notons que cette situation favorise les modérés, à commencer par le Président Rohani – tant mieux !

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Il avait promis durant sa campagne d’obtenir la levée de ces sanctions. C’est un premier résultat.

Surtout, l’Iran a la garantie de pouvoir vendre près de 1 million de barils de pétrole par jour, soit la moitié de ce qu’il vendait avant les sanctions. Avec 1 million de barils à 100 dollars, il peut recevoir des recettes équivalant à celles dont il disposait voilà dix ans.

Souhaitons que les négociations aboutissent à un accord complet qui garantisse la maîtrise du programme nucléaire iranien.

Si ces négociations échouaient, on imagine la suite.

S’agissant des sanctions, on s’interrogeait sur leur effet. Pour ma part, je m’interrogeais souvent sur leur effet. Elles pesaient sur le régime et beaucoup sur la population. Ont-elles joué un rôle ? Sûrement, à la longue.

Au demeurant, notons que, si elles ont freiné le programme nucléaire, elles ne l’ont pas arrêté.

En 2006, Téhéran disposait d’environ 360 centrifugeuses, sept ans après il en a 19 000. Bien sûr, il projetait d’en mettre en service 50 000. Mais en même temps, il lançait la construction d’un réacteur au plutonium : le réacteur d’Arak.

Alors qu’avions-nous espéré ? Faire plier l’Iran ? Vous vous posez encore la question, semble-t-il. Démanteler le programme d’enrichissement ? Faire partir à l’étranger tout ou partie du stock d’uranium enrichi ? La réalité est autre, force est de le constater.

Quel enseignement faut-il en tirer ? Que l’on n’arrive pas forcément à tout, sinon à rien, par la seule pression des sanctions, par des rafales de résolutions du Conseil de sécurité, ou par la menace d’une option militaire, et on pense encore à Israël.

L’opportunité des négociations a été saisie. La politique reprend ses droits ; c’est important.

Maintenant, il faut que cet accord soit conclu définitivement. Il conviendra de le faire vivre avec vigilance et exigence. Nous avons l’obligation d’avoir confiance.

Une fois cet accord devenu définitif, peut-il changer la donne au Moyen-Orient, monsieur le ministre ?

Israël a qualifié cet accord d’erreur historique, qui rend le monde plus dangereux, selon les termes du Premier ministre Netanyahou.

Cet accord transitoire isole-t-il encore plus Israël, qui campe sur une ligne dure ? Cette position est partagée par l’Arabie saoudite et une grande partie du Congrès américain.

La crainte d’Israël de voir le système des contraintes se défaufiler est-elle légitime ? Israël peut-il maintenir sa menace militaire ? Il n’est pas lié par cet accord et affirme toujours avoir le droit et le devoir de se défendre. Mais nous défendons aussi son existence et sa sécurité sans réserve.

Au demeurant, Israël n’est lié, de fait, par aucun accord : il n’a pas signé le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, alors qu’il est une puissance nucléaire, même si le propos reste toujours très ambigu ; il n’a pas non plus ratifié, on le sait un peu moins, la convention sur l’interdiction des armes chimiques…

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Cent quatre-vingt-neuf pays ont signé cette convention, cinq seulement s’y refusant : l’Angola, l’Égypte, le Sud-Soudan, la Corée du Nord et Israël.

En fait, la menace nucléaire iranienne est une réalité, mais il ne faudrait pas qu’elle serve de prétexte à Israël pour occulter la question palestinienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Le statu quo, l’occupation, la colonisation de la Cisjordanie et l’annexion de Jérusalem-Est sont intenables. L’existence d’Israël ne peut être garantie que par son insertion dans la région.

En conclusion, monsieur le ministre, si la crise nucléaire se dénoue, nous souhaitons que ce dénouement crée une dynamique plus ou moins vertueuse pour chercher des réponses aux autres problèmes clés de la région. L’Iran aurait peut-être maintenant quelques obligations à respecter, de même qu’Israël. Est-il illusoire – Kalliopi Ango Ela a posé la même question – de prévoir un apaisement sécuritaire, sans la création d’une zone exempte d’armes de destruction massive dont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies ont déjà rappelé la nécessité ?

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence de la crise économique et financière en Europe a porté un coup sévère aux ambitions de l’Union européenne sur la scène internationale. Divisés entre partisans de démarches multilatérales et partisans de démarches bilatérales, les États européens n’arrivent pas à lancer une politique européenne ambitieuse de sécurité et de défense commune.

Les forces françaises se déploient actuellement à Bangui en l’absence d’effort européen concerté. Londres s’est en effet opposé au déploiement des « groupements tactiques » européens en Centrafrique. Pourtant, l’Europe a su, par le passé, se mettre d’accord pour mener des actions extérieures communes, puisque l’on compte une trentaine de missions déployées sous l’égide européenne depuis dix ans.

Comprendre les raisons de cette désaffection européenne était tout l’enjeu de la réunion des chefs d’État européens des 19 et 20 décembre dernier à Bruxelles. C’était la première fois, depuis la signature du traité de Lisbonne, que la politique de sécurité et de défense commune était inscrite à l’agenda du Conseil européen !

Il est incontestable que la donne internationale a changé depuis 2008. La crise des dettes souveraines continue d’affecter les budgets de défense nationaux en Europe, ces derniers accusant une baisse de 10 %, de telle sorte qu’ils ne représentent plus que 1, 7 % du PIB de l’Union européenne, contre 4, 4 % aux États-Unis. Aucun programme d’armement commun n’est engagé, au moment où sont livrés les premiers transporteurs A 400M. On estime désormais que les dépenses militaires en Asie sont supérieures à celles qui sont consenties en l’Europe. Ces évolutions stratégiques mondiales font germer l’idée que, bientôt, aucun pays de l’Union ne pourra plus mobiliser la panoplie complète des moyens militaires.

Les Américains basculent leur politique étrangère vers l’Asie et l’océan Pacifique, en rendant plus qu’incertain le recours à la garantie de sécurité américaine pour la zone européenne.

Les discussions de ces derniers mois ont porté sur les outils qui handicapent l’Union dans ce domaine : ravitaillement en vol, transport stratégique, action aéronavale, communication par satellite, auxquels s’ajoutent la cyberdéfense, le drone stratégique commun et la question du renforcement du tissu industriel, sous l’égide de la Commission européenne.

Il est évidemment plus facile de se mettre d’accord sur le développement de moyens communs lorsqu’on partage une vision commune de leur emploi. Or force est de constater que les pays membres de l’Union européenne ne partagent pas la même vision stratégique du contexte international et des risques qui s’y présentent. Les trois puissances qui assurent 75 % de l’effort européen de défense, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, sont dans une position de neutralisation réciproque. Alors que Londres s’oppose à toute duplication de moyens avec l’OTAN et milite pour une « approche globale » de l’Union européenne, Paris affirme, de son côté, avoir une « responsabilité » à promouvoir l’Europe de la défense et se place dans une position plus interventionniste, quand Berlin, tout en développant une industrie de défense fortement exportatrice, ne souhaite pas s’engager sur les terrains d’opération. Par ailleurs, la coopération européenne doit faire face aux concurrences des industries nationales, aux décalages des agendas politiques internes et, par-dessus tout, à la réticence croissante des Européens à engager la force.

La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, avec ses trois mille collaborateurs, a proposé d’élaborer une feuille de route stratégique pour la politique de sécurité et de défense. Malheureusement, le Conseil européen des 19 et 20 décembre n’a pas permis de grandes avancées en matière de financement de missions telles que celle que la France mène en Centrafrique. Il faut noter cependant que le Président de la République a obtenu des résultats significatifs : quatre programmes de coopération devraient être lancés dans l’industrie de l’armement, concernant les drones, les avions ravitailleurs, la technologie satellitaire et la cyberdéfense.

L’Union s’est aussi engagée, et c’est important, sur sa stratégie maritime, destinée notamment à protéger le commerce européen qui passe par la mer à 90 %. Par ailleurs, Catherine Ashton est chargée d’un rapport sur une question clé pour les Français : le financement des interventions de l’Union à l’extérieur. Ce sujet devrait être réexaminé au cours du premier semestre de 2014.

Force est de constater que les Européens ne parviennent pas à dessiner une véritable stratégie européenne et font le choix étonnant du renoncement à une vraie souveraineté militaire, alors que le monde entier se réarme, Chine et Russie en tête. Pourtant, une politique efficace et cohérente de sécurité et de défense n’est pas un luxe, mais une nécessité, pour protéger nos valeurs dans notre voisinage et au-delà.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce 8 janvier, jour anniversaire du décès de François Mitterrand, je voudrais vous parler de l’Afrique, continent qui lui était cher, et plus particulièrement de la République centrafricaine.

Puisque l’Union africaine juge elle-même prématuré « un relais ONU » en Centrafrique, du fait de la réticence tchadienne à limiter sur le terrain sa latitude d’action au sein de la mission internationale de soutien à la Centrafrique, la MISCA – dont l’unité se trouve donc mise à mal –, du fait de l’opposition américaine et du fait de l’impossibilité à mettre en place une opération de maintien de la paix, le sommet panafricain prévu à la fin du mois ne risque-t-il pas de tourner en rond ?

La France, qui a eu raison d’intervenir en Centrafrique, et dont l’action revêt le caractère d’« un enjeu mondial » – pour reprendre le titre d’un éditorial du Monde –, endosse avec courage la responsabilité de la lutte contre Al-Qaïda et ses avatars africains. Il est manifeste que la communauté internationale doit la relayer : d’abord, parce qu’il s’agit des valeurs de liberté, de démocratie et de tolérance religieuse que nous défendons ; ensuite, parce que les volumes financiers engagés ne peuvent, à terme, être supportés par la France uniquement ; enfin, parce que l’Europe doit comprendre qu’une partie de son avenir est en Afrique. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux travaux récents de notre commission, sur le plan stratégique, et à ceux de Bercy, réalisés sous l’égide d’Hubert Védrine, sur le plan économique.

En attendant donc que l’Union africaine soutienne l’idée d’une implication majeure de l’ONU et que Bruxelles mette à jour sa réflexion stratégique, la France fait face.

Elle fait face, d’abord, en redéployant son dispositif militaire le long du Sahel. Le Gouvernement, à cet égard, a raison de l’adapter, en coopérant avec les armées africaines, c’est-à-dire en donnant « un sens africain à notre présence ». Il a raison de l’assouplir, d’est en ouest, en la centrant autour des zones grises du sud libyen, réceptacle des terroristes rescapés de Tripoli et de l’Adrar des Ifoghas. Il a raison de maintenir nos pôles pré-positionnés à Dakar, N’Djamena, Libreville et Djibouti, même en jouant sur leur volumétrie respective. Il a raison d’élargir les voies d’entrée maritimes avec Douala, et Abidjan demain. Il a raison de modifier ses points d’appui autour des couloirs de circulation du massif du Tibesti, du plateau de Manguéni ou de la passe de Salvador. Tous ces jalons sécuritaires composent une trame réactive – Zouar, Faya Largeau, Abéché, N’Djamena au Tchad ; Niamey au Niger ; Ouagadougou au Burkina Faso ; Gao et Tessalit au Mali ; Atar en Mauritanie –, tressant ainsi une couronne défensive et offensive.

La France fait face, ensuite, avec l’opération Sangaris, à Bossangoa et à Bangui, où nos 1 600 soldats, dans un contexte difficile et volatile, remplissent la délicate mission d’interposition et de maintien de l’ordre dans les différents quartiers de la capitale – M’Poko, Meskine, Boy-Rabé, Boeing, la colline des Panthères ou le camp de Roux, qui accueille la présidence – où Séléka à majorité musulmane et milices « anti-balaka » chrétiennes s’entretuent. Notre armée tient, avec sang-froid, le rôle délicat de « gendarme sans ennemi » pour préparer le terrain à la solution politique.

Les semaines qui viennent seront rudes militairement, car le déploiement de l’opération Sangaris sur le territoire de la République centrafricaine se heurte à une géographie et à une géopolitique compliquées, et politiquement, car les élites politiques centrafricaines reproduisent souvent les clivages et intérêts anciens, territoriaux, ethniques et religieux, étouffant le surgissement de personnalités nouvelles, avec lesquelles, monsieur le ministre, vous essayez de bâtir l’avenir. En effet, le plus difficile, malgré le courage des hiérarques religieux – je pense à Mgr Nzapalainga et à l’imam Kobine Layama, président de la conférence islamique de Centrafrique –, est de rompre le cycle infernal de la peur, de la haine et de la violence, et de reconstruire les bases d’un dialogue national. Pour ce faire, la clé reste à Paris aujourd’hui, à Addis-Abeba dans quelques jours, à Bruxelles et à New York demain.

Ne pourrait-on pas, comme le suggérait l’analyste François Heisbourg, travailler à une deuxième étape, c’est-à-dire à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité et à un accord de l’Europe pour une participation financière et militaire à l’intervention, dans la perspective d’élargir les termes du mandat que le Conseil de sécurité précisera le 5 juin 2014 ? Est-ce vraiment impossible ? Notre diplomatie a déjà montré les ressources parfois insoupçonnées de son talent, à l’image de son ministre.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE . – Mme Kalliopi Ango Ela applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Besson

Monsieur le ministre, vous comprendrez que la dernière intervention du groupe socialiste soit consacrée à la Chine.

Je souhaiterais en effet, en ce début de l’année 2014, attirer l’attention de notre Haute Assemblée sur le cinquantenaire de l’établissement de relations diplomatiques entre notre pays et la République populaire de Chine, ainsi que sur la prochaine venue en France du Président de la République Xi Jinping.

Le groupe d’amitié interparlementaire du Sénat France- Chine, qui compte plus de 100 sénatrices et sénateurs, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Besson

… le premier par le nombre, sera, bien sûr, présent lors de la célébration de cet anniversaire.

En outre, de nombreux sénateurs recevront au printemps dans leur circonscription des députés chinois invités par nos collègues de l’Assemblée nationale.

L’arrivée au pouvoir en Chine l’an passé, pour la décennie à venir, d’une nouvelle équipe dirigeante, avec Xi Jinping, Président de la République ainsi que Li Kegiang, Premier ministre, s’avère très prometteuse.

La rencontre du Président François Hollande et de vous-même, monsieur le ministre, avec les nouveaux dirigeants chinois s’est parfaitement bien passée en avril 2013. Il en fut de même le mois dernier avec l’importante délégation dont j’ai eu l’honneur de faire partie, emmenée par notre Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. J’ai pu mesurer l’excellence de la relation franco-chinoise aujourd’hui.

J’ai écrit au nouvel ambassadeur de la République populaire de Chine en France, M. Zhai, qui vient d’être installé, dont vous avez déjà fait la connaissance, monsieur le ministre, pour l’inviter à une rencontre au Sénat.

Comme vous le savez, nous appartenons, Chinois et Français, à des civilisations multimillénaires qui, au cours de leur histoire, se sont, en réalité, peu rencontrées, ce qui rend aujourd’hui notre dialogue si fertile, si séduisant et si passionnant.

Rappelons-nous que la France a été le premier pays en Occident à étudier, au Collège de France et à l’École des langues orientales, « les choses de Chine ». L’aventure coloniale et ses mauvais souvenirs, le séjour dans l’Hexagone d’étudiants ouvriers chinois, futurs dirigeants du parti communiste chinois, comme Deng Xiaoping, l’œuvre de Malraux, l’attention réciproque d’intellectuels des deux pays ont contribué à une meilleure connaissance.

Les fondamentaux sur lesquels repose la relation entre la Chine et la France sont solides. Le peuple français a confiance dans le peuple chinois. Il admire son courage et son intelligence. Il sait que l’amitié profonde et sincère entre la Chine et la France est nécessaire à l’édification d’un monde multipolaire qu’ensemble nous voulons créer.

Les mois qui viennent vont être passionnants pour la relation franco-chinoise et pour nos deux pays qui ont, chacun de leur côté, leurs propres défis à affronter. Vous le savez d’autant plus, monsieur le ministre, que vous exercez cette responsabilité, nous avons besoin de la puissance économique et financière de la Chine, mais la Chine a aussi besoin – et ses dirigeants nous l’ont exprimé – d’une France forte dans une Europe unie. §

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de vous présenter tous mes vœux de bonne année 2014 pour vous-mêmes et tous ceux que vous aimez. Je présente également mes vœux à l’institution sénatoriale.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

(Sourires.) Je suis d’autant plus à votre disposition que j’apprécie l’atmosphère qui règne à la Haute Assemblée. Elle permet de se dire des choses sans nécessairement s’apostropher comme les héros d’Homère, dont on sait, d’ailleurs, que, avant le combat, ils se défiaient avec des termes très durs mais qu’ils ne se combattaient jamais !

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

C’est toujours avec un grand plaisir que je me retrouve devant vous. Pour répondre au souhait du président Carrère, je viendrai au Sénat chaque fois que vous le souhaiterez, soit en commission, soit dans l’hémicycle. Je prendrai toutefois le soin de ne pas vous mobiliser chaque semaine au point d’empêcher du même coup mes autres collègues d’avoir le plaisir de discuter avec vous. §

Je vais passer en revue les principaux thèmes que vous avez abordés et qui se recoupent – c’est très compréhensible. J’espère que l’on m’excusera si mes réponses ne comportent pas toutes les précisions que vous m’avez demandées mais nous aurons l’occasion, j’en suis certain, de satisfaire votre curiosité légitime lors d’autres débats, en séance publique ou en commission.

Je commencerai par faire écho aux propos tenus notamment par le président Carrère et Jean-Pierre Chevènement pour situer la perspective. J’ai eu l’occasion – et je vois avec plaisir que cette analyse chemine dans les esprits des uns et des autres – de définir à plusieurs reprises ce que je pensais être la conjoncture internationale particulière dans laquelle nous nous trouvons.

De très grands mouvements se font à travers la planète. M. Besson vient de nous parler de la Chine. D’autres ont abordé, avec raison, la question générale des pays émergents. Il y a la position tout à fait nouvelle prise par les États-Unis d’Amérique, qui hésitent entre présence et retrait. Il y a l’attitude de la Russie. Et, au-delà de ces positions diverses et toujours très importantes, il y a toute une série de mutations technologiques et le renversement d’un certain nombre de termes de l’échange entre le Nord et le Sud.

Pour résumer les choses, M. Jean-Pierre Chevènement a repris une expression que j’avais utilisée, je préfère qu’il me cite plutôt que je me cite moi-même car lorsque l’on se cite soi-même, il faut se méfier, c’est l’âge qui vient ! §Le monde vit un grand chambardement.

Ce chambardement, comment se traduit-il ? J’ai dit à plusieurs reprises – tiens, je me contredis moi-même ! – que pendant très longtemps le monde a été dans une situation bipolaire. Qu’on le déplore ou qu’on s’en félicite, c’étaient l’URSS et les États-Unis qui, par leur opposition ou leur complicité, subjective ou objective, dictaient, finalement, le cheminement du monde. La France avait – cela variait selon les époques – une position forte, indépendante, et elle avait bien raison de l’avoir. Il n’en demeurait pas moins que les deux régimes en question donnaient le la.

Ensuite, avec la chute du mur de Berlin et avec l’effondrement de l’Union soviétique, s’est ouverte une période où le monde était plutôt unipolaire. Les États-Unis possédaient, en effet, les éléments de la puissance, qu’elle soit économique, technologique, militaire ou puissance culturelle ; cette dernière n’est, d'ailleurs, pas la moins importante.

On dit parfois, c’est une facilité de langage, que nous sommes nombreux à utiliser, à mon sens à tort, que nous sommes entrés dans un monde multipolaire. Je pense que ce n’est pas tout à fait exact. Je considère que nous devons aller vers un monde multipolaire, organisé.

Et nous voyons bien quelle organisation pourrait porter cette nouvelle vision du monde, l’Organisation des Nations unies, avec un Conseil de sécurité qui fonctionnerait davantage, qui serait plus représentatif, avec des organisations régionales, l’Europe, l’Afrique, l’Asie ou les Asies… Et nous souhaitons travailler, c’est, en tout cas, la position constante de la France, qui ne me paraît pas contestée ici, pour ce monde multipolaire organisé.

Pour le moment, nous sommes dans un monde que je qualifierai plutôt de « zéro polaire », non pas qu’il n’y ait pas des puissances qui l’emportent sur d’autres par leur rayonnement, mais il n’y a pas une seule puissance ou un groupe de puissances qui puisse trancher en dernière instance.

Et c’est ce qui explique deux phénomènes. D’une part l’absence regrettable de solution à beaucoup de crises, la paralysie du Conseil de sécurité ; il l’est avec l’affaire dramatique de la Syrie, et il l’a été dans d’autres circonstances. Donc, il n’y a pas des solutions faciles aux crises par le jeu des puissances ou de leurs alliances. D’autre part, en même temps, cela donne à la France, puissance globale, qui a toute la palette des instruments, même si elle ne compte que 65 millions d’habitants, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies – merci au général de Gaulle ! –, une force nucléaire et des capacités de projection, une langue, un rayonnement économique, un appareil diplomatique qui reste, par son extension, le troisième du monde, alors que l’appareil culturel, lui, est le premier, des principes, une voix. Dès lors, dans le tableau des puissances globales – et là, je passe de l’abstrait au concret –, quand je représente la France dans une réunion internationale, qui peut parler, engager son pays, prendre des décisions concrètes et, le cas échéant, risquer des hommes ?

Les États-Unis d’Amérique peuvent le faire mais ils ne veulent plus engager leurs troupes au sol. Ils sont intéressés par l’Asie, par le problème israélo-palestinien, mais il leur est difficile d’aller au-delà. Ils ont subi, c’est vrai, des revers terribles en Irak, des pertes considérables en Afghanistan.

La Grande-Bretagne, qui est un grand pays. Mais lorsque son gouvernement a soumis sa position vis-à-vis de la Syrie à la Chambre des Communes, celle-ci lui a demandé de reprendre sa copie.

Et il y a la France, puissance globale. Quand le Président de la République engage le pays en matière internationale, en matière de défense, eh bien, il engage vraiment le pays, quelles que soient nos contraintes et insuffisances. Vous avez mené sur le budget de la défense un combat très important et positif.

Monsieur Cambon, cher ami, je vous ai connu sous un meilleur jour. Vous avez, certes, rendu hommage à nos soldats et vous avez tout à fait raison. Toutefois, vous avez employé, à propos de nos armées et du budget, un terme tellement excessif que je me suis demandé dans quel état pourraient être les autres armées en Europe si vous aviez raison sur la nôtre, qui est la première ! Oui, bien sûr, vous connaissez la formule : quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console…

En tout cas, avec toutes les imperfections qui sont les nôtres, nous sommes capables de faire ce que les autres ne peuvent pas faire !

Dans la description de la situation actuelle que j’ai entendue, une chose est revenue d’une façon parfois critique. Sans l’avoir prise pour moi, je la trouve assez injuste. Plusieurs d’entre vous ont souhaité connaître nos orientations générales. Je vais vous répondre pour que vous gardiez très précisément cela en tête.

Le Président de la République, qui définit les grands termes de notre diplomatie, et moi, qui dirige le Quai d’Orsay, nous voulons faire quatre choses, quatre pas huit !

Premièrement, la paix et la sécurité. Voilà l’objectif que nous poursuivons, y compris – cela ne peut paraître paradoxal qu’à des esprits superficiels –, en intervenant.

Deuxièmement, la planète. Cela veut dire au moins deux séries de choses : d’une part, l’organisation générale de la planète ; d’autre part, – j’ai d’ailleurs été étonné qu’on n’en parle pas – les enjeux écologiques et environnementaux.

Au cours des deux années à venir, d’ici à décembre 2015, nous allons non seulement parler mais agir très concrètement, nous, la France, en particulier. En effet, la question du dérèglement climatique est absolument fondamentale, existentielle – au sens étymologique de ce terme. Nous avons l’honneur de présider la conférence de Paris « Climat 2015 », qui va décider, je l’espère, des mesures à prendre pour, sans exagérer, sauver la planète.

Troisièmement, l’Europe. Je vais en parler.

Quatrièmement, ce que j’appellerai d’un mot plus général, le redressement, le rayonnement. Vous avez, les uns et les autres, – et je vous en remercie – souligné cette évidence qu’est la diplomatie économique. Évidemment, elle est liée à la politique générale.

Tels sont les quatre objectifs.

Toute notre action doit être rapportée à ces quatre objectifs, l’organisation et l’administration du ministère étant elles-mêmes subordonnées à ces objectifs.

Si notre débat permet en particulier d’éclairer sur ces objectifs, tant mieux, car ils constituent le but que nous essayons d’atteindre, souvent avec succès, mais parfois avec des difficultés. En vous entendant les uns et les autres – c’est le jeu normal du débat parlementaire –, je me disais : quel dommage que la France ne soit pas le seul pays en Europe ! Mais nous sommes 28 États membres, que nous devons tout de même convaincre. Je pense en particulier à la défense européenne.

Ou bien on est contre une défense européenne, et les choses sont simples. Mme Demessine, qui a malheureusement dû partir avant la fin de notre débat, appartient à un parti dont il ne me semble pas qu’il soit un immense défenseur de la défense européenne. Sa position est cohérente. Mais il ne faut alors pas regretter que les Européens ne nous accompagnent pas !

Ou bien on est pour la défense européenne. J’ai entendu M. Cambon – je ne vais pas m’en prendre à lui, d’autant que je l’estime beaucoup ! – regretter, comme moi, que nos partenaires ne nous aident pas davantage. Mon cher ami, je vous ferai remarquer que votre parti appartient au PPE. Quand j’essaie de convaincre mes amis et collègues ministres des affaires étrangères de l’ensemble des pays européens, je me retrouve confronté à une immense majorité qui appartient à cette très estimable formation. Je vous demande d’utiliser votre talent – il est grand !– et votre énergie – elle est puissante ! – pour les convaincre de venir aider nos soldats.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Il ne faut pas qu’il y ait de confusion entre nous.

Après avoir mentionné les quatre objectifs que nous visons, j’aborderai une série de sujets que vous avez, les uns et les autres, évoqués.

S’agissant de l’Afrique, vous avez essentiellement évoqué deux pays : la République centrafricaine et, de façon quelque peu rétrospective, le Mali.

Concernant le Mali, soyons clairs et carrés ! Il y a suffisamment de sujets sur lesquels nous pouvons avoir des divergences pour ne pas en créer d’artificiels. Vous avez soutenu l’intervention au Mali, et vous avez eu raison. L’intervention a été exceptionnelle sur tous les plans, notamment militaire – nos militaires ont été remarquables. Je reviendrai sur ce point dans ma conclusion, mais je ne voudrais pas que l’on se retrouve face à une situation paradoxale, avec, d’un côté, le monde entier qui félicite la France et, de l’autre, des voix qui s’élèvent dans les assemblées de la République française pour faire remarquer que tel ou tel point n’est pas tout à fait satisfaisant.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Effectivement ! Il en a été de même de la participation aux élections législatives. Les choses sont en marche.

Je rappelle que 3, 5 milliards d’euros ont été promis pour le développement, dont 800 millions ont déjà été engagés. Cher ami Peyronnet, la différence est que, aujourd'hui, l’utilisation de ces sommes est transparente. §Ce n’est pas une mince différence, surtout si l’on songe à la Françafrique, évoquée par l’un des orateurs. Il ne faut pas faire de confusion : le partenariat avec l’Afrique ne signifie pas la reconduction de la Françafrique.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Voilà où nous en sommes. Il reste bien sûr toute une série de choses à faire, notamment à développer le dialogue avec le Nord. Mais le Mali a dorénavant des autorités élues.

S’agissant de nos troupes, je vous confirme ce qu’a dit cet après-midi le Président de la République : le nombre de nos soldats sera de 1 600 au mois de février, pour revenir ensuite à un millier. Les engagements sont donc tenus. Il n’y a pas d’engrenage au Mali, pas plus qu’il n’y en aura en RCA.

Il arrive qu’il y ait des situations d’échec. Mais lorsque le résultat est positif, au-delà même de ce que nous pouvions espérer compte tenu de la difficulté de la tâche, il ne faut pas bouder ce résultat ! Certes, tout n’est pas terminé. C’est maintenant aux Maliens de prendre leurs affaires en main, avec notre soutien, mais le résultat est tout de même exceptionnel.

En Centrafrique, c’est une autre affaire. Il ne s’agit pas de lutter contre le terrorisme. Là aussi, le problème est simple. Je comprends les exigences du débat parlementaire, mais il faut se mettre à la place de ceux qui gouvernent. Si un jour, par extraordinaire, je reviens dans l’opposition, comme je l’ai souvent, ou plutôt longtemps, été, je garderai cette idée en tête. Bien sûr, il y a les exigences de la contestation, mais vous imaginez bien que le Président de la République n’arrive pas le matin à son bureau en se demandant ce qu’il va bien pouvoir inventer en RCA pour engager à tort les troupes françaises, faire échouer la transition démocratique et s’exposer aux critiques des sénateurs ! Les choses ne se passent pas ainsi. Nous sommes des gens de bonne volonté, comme chacune et chacun d’entre vous.

En RCA, quel était le problème ? Nous étions face à un pays qui se noie, qui disparaît, qui implose. Quand on nous dit que nous ne sommes pas intervenus assez vite, il faut choisir ses arguments ! Si nous avions agi plus rapidement, cela aurait été fait sans le mandat de l’ONU, et nous aurions été alors critiqués !

C’est le Président de la République française qui, en septembre dernier, dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies a, le premier à ce niveau, sonné l’alarme. Il a alors déclaré : Attention, je vous avais mis en garde l’année dernière au sujet du Mali et, au mois de janvier, ça s’est réalisé. Eh bien, je vous dis cette année, en septembre, attention, la République Centrafricaine. Nous avons commencé d’être écoutés, au point que nous avons pu obtenir – cela n’était pas du tout acquis au départ – le vote à l’unanimité, y compris par les Africains, d’une résolution le 5 décembre dernier, résolution qui permet à la fois aux Africains et à la France d’intervenir.

Et nous sommes intervenus dans les vingt-quatre heures ! Si nous ne l’avions pas fait, alors qu’il y avait eu presque un millier de morts la veille, je puis vous assurer qu’il y aurait eu – il suffit de se remémorer certaines situations similaires – 50 000 ou 100 000 morts.

Bien sûr, il est légitime de contester ; c’est le propre d’une démocratie : toutes les opinions doivent être confrontées. Mais la question n’était pas théorique. Lorsqu’on est sollicité par les Nations unies, notamment par les Africains, lorsqu’on est ami d’un pays africain, que l’on connaît sa situation et qu’il vous demande d’intervenir, passez-vous votre chemin en sifflotant ? Eh bien, non lorsqu’on s’appelle la France !

Voilà la décision que nous avons prise. Cette décision est difficile parce qu’il s’agit d’envoyer des jeunes gens avec les risques que comporte une telle opération – deux d’entre eux, comme vous le savez, y ont perdu la vie. Encore faut-il que cette décision intervienne dans les meilleures conditions, sans se substituer aux Africains. Là est la délicatesse. Il est fini le temps où l’on décidait à Paris, dans un bureau, que ce serait M. X ou Mme Y.

Nous apportons notre soutien, dans plusieurs domaines.

D’abord, un soutien sécuritaire, car, sans sécurité, rien n’est possible. C’est très difficile parce qu’il s’agit de désarmer, et de le faire de manière impartiale. Alors que ce n’était pas le cas par le passé, le conflit est devenu confessionnel et la situation est donc très compliquée. Nous avons procédé à ce désarmement, avec des succès divers, et nous devons continuer à le faire. L’aspect sécuritaire est indispensable. Nous tenons l’aéroport, nous faisons ce qu’il faut pour désarmer et nous protégeons un certain nombre de nos compatriotes et d’autres. Nos hommes sont au nombre de 1 600 ; les Africains, quant à eux, sont aujourd’hui 4 400 et devraient bientôt être 6 000.

Ensuite, il y a l’aspect humanitaire. La situation humanitaire est épouvantable. Cette question relève de l’ONU, mais nous apportons notre aide.

Enfin, il y a la transition démocratique, en deux étapes. D’abord, il faut que, aujourd’hui, l’État recommence à fonctionner. Certes, ce n’est pas nous qui allons lever ou baisser le pouce. Mais, nous le savons, il y a des difficultés avec l’équipe actuelle. Demain, aura lieu à N’Djamena une réunion, qui sera suivie par d’autres. Encore une fois, ce n’est pas nous qui allons décider de ce qui doit être fait, mais nous comprenons bien qu’il y a une difficulté politique. Ceux qui sont en place ou qui seront en place doivent préparer une élection. Cette dernière ne suffira pas à régler les problèmes, mais, dans une démocratie, aucun problème ne peut être durablement réglé sans élection.

Certains d’entre vous se sont interrogés sur le lien entre notre intervention et l’action de l’ONU, sur le fait que nous souhaitions une intervention des Nations unies, alors que, dans le même temps, le Tchad s’y opposait. Je veux être clair : il n’y a absolument aucune contradiction entre la présence des forces africaines, la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, les forces françaises qui les appuient, et la perspective de ce qu’on appelle une opération de maintien de la paix.

Le calendrier n’est pas le même. Si l’on décide une opération de maintien de la paix, elle interviendra dans six mois, car cela prend du temps. Par ailleurs, l’ONU, donc une opération Casques bleus, qui comprendra essentiellement des forces africaines, par conséquent les forces de la MISCA – c’est non pas une contradiction, mais une complémentarité –, pourra faire des choses que ne peut pas faire la MISCA.

Qui va préparer les élections ? Ce n’est pas la MISCA. Qui va s’occuper de l’humanitaire ? Ce n’est pas davantage la MISCA. Je m’en suis expliqué avec le président du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et avec le président Déby. Nos amis africains – en tout cas, certains d’entre eux – se demandaient si cela n’apparaît comme un désaveu de la MISCA. Ce n’est pas du tout le cas ! La MISCA fait son travail. Certes, il faut encore qu’elle monte en régime, qu’elle s’aguerrisse, mais elle fait preuve d’un grand courage. Des améliorations doivent encore être apportées dans les relations avec les commandements des divers contingents. Mais nous tenons absolument à ce qu’elle joue son rôle et que, le moment venu, les Casques bleus, qui seront pour l’essentiel des Africains, prennent le relais.

Voilà où nous en sommes en Centrafrique. Nous ne pouvions pas ne pas intervenir. Je ne vais pas le cacher, nous devons être vigilants. Nous n’avons pas du tout l’intention de nous substituer aux Africains.

Nos actions au Mali puis en RCA ont soulevé beaucoup de problèmes, et notamment deux d’entre eux : quid de l’Europe ? Pourquoi est-ce nous qui sommes intervenus ?

Les crises existent et les pays africains, pour la plupart d’entre eux, n’ont pas les moyens militaires de les régler.

Pourquoi ? Nous en avons discuté lors du sommet de l’Élysée, qui était extrêmement intéressant ; c’était une discussion entre amis, dans une atmosphère vraiment très positive. Nos amis africains nous ont dit qu’il y avait deux grandes raisons, l’une plus facile à dire que l’autre.

La première est que cela coûte beaucoup d’argent et que nombre de ces pays n’ont pas les moyens matériels d’avoir une armée équipée. Ils peuvent avoir les forces, en théorie, mais il faut avoir des chaussures, des équipements, etc.

La seconde raison, qui a été moins citée mais qui peut nous venir à l’esprit, c’est qu’évidemment, qui dit armée dit état-major, qui dit état-major dit chef d’état-major… et dans ces pays où la démocratie n’est pas d’une stabilité absolue, cela pose problème. C’est une solution, mais en même temps un problème.

Si l’on veut éviter que, quand il y a une difficulté, on appelle la France parce que la France est efficace… et qu’on l’aime !, il faut créer une force interafricaine pour répondre aux crises. C’est la proposition qui a été faite par l’Union africaine, proposition que nous soutenons, que nous aiderons, que les Européens aideront, et d’autres peut-être aussi : le Japon, les pays arabes, l’ONU. C’est cela qu’il faut faire. Ils nous ont parlé de 2015. Nous allons essayer de le faire, parce que c’est la seule manière de sortir de la contradiction. Mais aujourd’hui nous ne pouvions pas ne pas intervenir.

L’Europe ! On me dit que nous sommes seuls.

Je répondrai tout d’abord que nous avons abordé très souvent avec mes collègues européens la question du Mali et celle de la République centrafricaine, avant l’intervention. Ne croyez pas que, lorsque le Président de la République a dit qu’il souhaiterait qu’il y ait un peu plus d’Europe, c’était la première fois que nous parlions de cela.

Il n’existe pas de défense européenne. Nous le regrettons, mais c’est un fait.

Je prends un exemple : il existe des unités qui, sur le papier, peuvent réunir 1 500 hommes.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Ce concept, bâti il y a déjà quelque temps, existe bien sur le papier et, pour le semestre actuel, ce sont les Britanniques qui ont le leadership de cette unité. Cela a deux conséquences : d’une part, celui qui a le leadership assure les dépenses et, d’autre part, c’est une mécanique extrêmement européenne.

Nous avons donc demandé aux Britanniques, puisqu’ils avaient le leadership de ces groupes de 1 500 hommes. Sans grande surprise et très courtoisement, ils nous ont répondu que, premièrement, cela coûtait beaucoup d’argent et, deuxièmement, cela était trop européen.

Malgré tout le talent de nos diplomates – auxquels vous avez rendu hommage, et je vous en remercie en leur nom –, même si un élément existe, si celui qui le pilote refuse de l’engager, vous avez beau avoir beaucoup de talent et de conviction, c’est le principe un homme, une voix qui s’applique.

Les autres, tout d’abord – ne soyons pas injustes – ont, pour certains, apporté des moyens logistiques ou des financements, et c’est très bien. Ensuite, pour ce qui est des hommes, beaucoup n’en ont pas qui soient suffisamment équipés, d’autres ont des difficultés avec leur parlement, d’autres encore ne veulent tout simplement pas. On peut le regretter, mais c’est ainsi.

Le Président de la République et moi-même n’avons pas désarmé, si je peux me permettre ce mauvais jeu de mots. Une réunion spéciale des ministres des affaires étrangères se tiendra donc le 20 janvier, avec un rapport introductif de Mme Ashton qui proposera des pistes, à court et moyen termes, pour tout de même apporter un soutien face aux besoins en République centrafricaine. J’espère que cela fonctionnera. Mais, je vous fais cet aveu, je ne peux pas à moi seul arriver à convaincre nos partenaires de la nécessité d’une défense européenne et d’une action européenne. Ce n’est pas faute de leur en avoir parlé. L’un d’entre nous a cité tel diplomate ou tel ministre qui disait qu’il ne faudrait pas après présenter l’addition. Bien évidemment, nous en avons parlé. N’ayons donc pas recours à des arguments qui ne sont pas réels.

Venons-en à la Syrie.

Je vous ai apporté, et je pense que cela vous intéressera, la lettre que je viens de recevoir de M. Ban Ki-moon qui invite la France – en l’occurrence, son ministre des affaires étrangères – à participer à la réunion de Genève. C’est le premier acte concret qui matérialise le souhait que ce que l’on appelle « Genève 2 » ait lieu.

De cette lettre, qui est très bien rédigée, je souhaiterais vous lire deux passages, parce qu’ils situent bien le débat.

M. Ban Ki-moon écrit : « La conférence a pour but d’aider les parties syriennes à mettre fin aux violences […] et à mettre intégralement en œuvre le communiqué de Genève – donc, Genève 1 – en préservant la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie. »

Il ajoute : « Le communiqué de Genève 1 – qui sert de base à Genève 2 – comprend des lignes directrices et principes convenus pour une transition conduite par les Syriens. Il énonce un certain nombre d’étapes essentielles, à commencer par un accord sur une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs, formée sur la base du consentement mutuel ».

Il poursuit : « Comme le dit le communiqué de Genève, les services publics doivent être préservés ou rétablis, y compris les forces armées et les services de sécurité. Toutes les institutions de l’État et tous les services doivent respecter les droits de l’homme et les normes déontologiques et être placés sous une direction qui inspire confiance à la population, ainsi que sous le contrôle de l’autorité transitoire. »

C’est clair et net. L’objet de cette conférence à Genève n’est pas d’avoir une discussion générale sur la Syrie ; c’est, selon les termes du communiqué de Genève 1, repris dans la lettre d’invitation de Genève 2, de former une autorité transitoire dotée des pleins pouvoirs exécutifs.

À la fin de la lettre, M. Ban Ki-moon conclut, en s’adressant à ceux auxquels il a fait parvenir cette lettre : « La confirmation de la participation sera considérée comme une adhésion aux objectifs de la conférence tels qu’ils sont énoncés ci-dessus. »

Il a tout à fait raison de le formuler ainsi, car cela signifie que Genève 2 – qui, je l’espère sans en être sûr, aura lieu, et qui, je l’espère également et j’en suis encore moins sûr, parviendra à des résultats – a un objectif précis, qui est d’arrêter les massacres, et de faire en sorte qu’un gouvernement soit formé – c’est notre idée, l’idée de la France – par, à la fois, des éléments du régime et l’opposition modérée..

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Et c’est cela la réponse à toute une série de questions comme : qu’allons-nous faire en Genève ? Est-ce possible ? Quid de l’Iran ?

Pour ce qui est de l’Iran, nous avons dit à nos amis iraniens qu’ils pouvaient venir à Genève, à condition d’accepter les principes de Genève. Si on vient pour Genève, on ne va pas discuter d’autre chose. Les Iraniens ont répondu, usant de formules ambiguës pour le moment. Mais peut-être vont-ils changer de position ; il reste encore quelques jours. Si leur réponse peut être différente, peut-être la proposition aura-t-elle lieu. Pour le moment, ils disent qu’ils ne veulent pas de « conditions ».

Mais ce qu’ils appellent des conditions n’en sont pas : fixer l’objectif d’une rencontre, ce n’est pas en fixer les conditions. Ils ont dit qu’ils allaient aider. J’espère qu’ils le feront, puisqu’ils sont partie prenante, ne serait-ce que parce qu’ils ont beaucoup de personnes sur le terrain, soit directement, soit par l’intermédiaire du Hezbollah.

Voilà donc quelle est la réponse à l’Iran, puisque Mme Durrieu m’interrogeait sur la position de la France : nous souhaitons que l’Iran soit utile mais, pour être utile, encore faut-il que les Iraniens acceptent l’objectif de la conférence.

Pour ce qui est de la Syrie, la Syrie de M. Bachar El-Assad va se trouver dans une situation paradoxale. Nous verrons bien ce qu’il dit. Mais s’il envoie – ce serait souhaitable – des représentants, l’acceptation de l’invitation, c’est l’acceptation du mandat. Or le mandat précise « gouvernement transitoire doté de tous les pouvoirs exécutifs », c’est-à-dire des pouvoirs de M. Bachar El-Assad.

Quant à l’opposition modérée, celle que nous soutenons, pourquoi la soutenons-nous ? Nous n’allons pas soutenir M. Bachar El-Assad, criminel contre l’humanité. Il ne va pas être l’avenir de son peuple. Nous n’allons pas non plus soutenir les terroristes de Al-Nosra. Nous soutenons donc l’opposition modérée, qui rencontre de grandes difficultés parce qu’elle est attaquée des deux côtés, elle est divisée, mais qui acceptera peut-être de venir si le mandat est celui-là. Mais si on lui demande de venir pour discuter du sexe des anges, elle ne viendra pas.

La situation en Syrie est difficile. La position de la France, je la rappelle, car j’entends dire que nous n’avons pas de position. C’est la position que nous avons prise depuis le début, et qui est juste. On peut simplement regretter qu’elle n’ait pas été suivie par d’autres dès le début. Mais de même que j’ai dit que la France n’était pas l’Europe à elle toute seule, pour le regretter, de même, la France n’est pas le Conseil de sécurité des Nations unies à elle seule.

Nous l’avons dit dès le début. C’était, je crois, l’un de mes premiers actes en tant que ministre des affaires étrangères, en juin ou début juillet de l’année précédente. J’avais alors réuni au Quai d’Orsay l’ensemble de ceux que l’on appelle les « amis de la Syrie », une centaine de ministres des affaires étrangères, et nous avons dit que nous soutenions l’opposition modérée et que nous voulions Genève dans ces conditions. Nous avons même reconnu la coalition.

Que s’est-il passé ensuite ?

C’était une époque où il n’y avait pas de groupes terroristes en Syrie, pas d’Iraniens en Syrie, pas de Hezbollah en Syrie. On dit que nous avons fait une erreur d’analyse. Pas du tout ! C’était une époque où M. Bachar El-Assad était sur le fil. Seulement, il aurait fallu pousser un peu…

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

C’était le début des élections américaines, les divisions que l’on connaît régnaient entre des pays arabes. Moyennant quoi l’affaire a été « gelée », si l’on peut dire, jusqu’au mois de février. Seulement en février, il y avait les Russes, les Iraniens, le Hezbollah, les terroristes, et la situation était tout autre !

Ce n’est pas pour autant qu’il faut changer de position ; la position est juste. Nous n’allons pas nous mettre à dire, comme on dit pour d’autres, que M. Bachar El-Assad, finalement, n’est certes pas un démocrate, mais qu’il est peut-être un rempart… Un rempart contre quoi ? Il existe une alliance objective, tout le monde le voit, entre, d’un côté, l’extrémisme que représente Bachar El-Assad et de l’autre, l’extrémisme terroriste.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

L’argument de M. Bachar El-Assad est de dire aux chrétiens et aux autres : « Évidemment, je suis un dictateur, mais soutenez-moi, parce que, sinon, vous aurez les terroristes. » Et les terroristes disent : « Vous n’aimez pas Bachar El-Assad, n’allez pas au secours de l’opposition modérée, c’est une opposition en peau de lapin. Vous n’êtes pas terroristes, mais soutenez-nous quand même, sinon, vous aurez Bachar. »

Un groupe terroriste a pris le contrôle de puits de pétrole en Syrie. À qui croyez-vous que le pétrole est vendu ? Au régime syrien. Alors, il ne faut pas être aveugle !

Mais évidemment, maintenant, la Syrie est devenue une sorte de kyste qui s’étend, avec les linéaments en Jordanie, au Liban, en Irak.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

On voit ce qui se dessine, et qui est redoutable. Donc, nous travaillons. Ce dimanche, je recevrai les dix autres principaux pays qui soutiennent la coalition. Nous continuons à travailler avec les Russes, nous avons des discussions avec eux. Ils disent, à raison, qu’il ne faut surtout pas le chaos. Je réponds à mon collègue Sergueï Lavrov que le chaos, ce n’est pas demain, c’est aujourd’hui et que, pour éviter que ce mouvement terroriste ne se propage et ne vienne alimenter le Caucase et autre, il faut trouver une solution raisonnable, qui ne sera pas merveilleuse mais permettra tout de même de maintenir l’unité de la Syrie. Sinon, c’est l’explosion, peut-être la partition et en tout cas la poursuite du terrorisme.

Dans l’opinion française, on entend dire : « Qu’est-ce que vous nous ennuyez, l’Afrique, c’est loin ! La Syrie, c’est loin. » Mais non, c’est tout près.

D’abord, quand on est une puissance globale comme la France, on ne peut se détourner. Ce n’est pas un cadeau d’être membre permanent du Conseil de sécurité. Il faut prendre ses responsabilités. De plus, ne serait-ce que du point de vue du terrorisme, qui est quand même un phénomène et un fléau très préoccupants, c’est à côté. Interrogez notre ami M. Valls sur ce que cela représente. La Syrie n’est pas loin. L’Afghanistan était loin, et pourtant… La Syrie, ce n’est vraiment pas loin, et l’Afrique non plus : vous passez la Libye et vous êtes en Méditerranée, puis, de l’autre côté de la Méditerranée, c’est nous ! Il faut donc avoir une vision globale, qui ne veut pas dire interventionniste, mais voilà quelle est la démarche.

L’Iran, j’en ai dit quelques mots. Nous avons été très actifs dans la négociation, qui s’est bien terminée, avec ce pays : d’un côté, les six – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus les Allemands – et, de l’autre, l’Iran. Ce fut difficile, très difficile même. Sans entrer dans les détails, nous sommes arrivés à un accord qui, pour le moment, est un accord intérimaire.

Il faut déjà commencer par appliquer cet accord intérimaire. Les réunions techniques ont eu lieu et à la fin du mois de janvier, je pense – je l’espère, en tout cas – que nous serons en situation de pouvoir appliquer ce qui a été décidé. Des décisions sont à mettre en œuvre des deux côtés : côté iranien, il y a toute une série de choses à ne pas faire, à supprimer, si je puis dire ; de l’autre côté, de notre côté, il y a notamment quelques sanctions à lever.

Nous sommes donc dans une période intérimaire. C’est déjà très bien, car cela crée un climat différent. Le climat, ça compte. Cependant, je veux être lucide : le problème le plus difficile concerne la phase d’après. Une question n’a pas encore été tranchée : nos partenaires iraniens veulent-ils seulement suspendre la production qui leur permettrait de posséder l’arme nucléaire, ou acceptent-ils d’y renoncer ? Ce n’est pas la même chose, et les conséquences ne sont pas les mêmes. Bien entendu, nous souhaitons que nos partenaires iraniens adoptent la seconde position. S’ils adoptaient la première position, de nombreux États, en tout cas les membres du groupe « 5+1 », ne l’accepteraient pas. Cette discussion est devant nous. Néanmoins, il est déjà important d’avoir atteint la première phase, parce que cela crée un climat bien différent de celui qui prévalait depuis plusieurs années.

L’Iran est un grand pays, que nous respectons. J’ai fait ajouter dans le prologue de l’accord, que vous avez sans doute lu, puisqu’il a été publié, des phrases prononcées par le président Rohani ; n’y voyez aucune malice de ma part. Le prologue comporte ainsi la déclaration suivante : en aucune circonstance l’Iran ne se dotera de l’arme nucléaire ni ne la possédera. Nos partenaires iraniens ont signé ce texte ; c’est formidable. Cet ajout a été proposé par la France, puis accepté par les uns et par les autres. Nous devons maintenant nous donner les moyens de vérifier que l’accord est respecté.

L’un ou l’une d’entre vous a demandé si cela avait des incidences sur la situation en Israël et en Palestine. Oui, bien sûr. Il y a des éléments différents, mais aussi un contexte général. On comprend bien, même si les calculs sont si innombrables que l’on ne peut pas avoir de certitude absolue, que, selon qu’on accédera ou non à une solution en Syrie, selon qu’on accédera ou non à une solution en Irak, selon que l’Iran et la Russie feront ceci ou cela, les Palestiniens, les Israéliens et les Américains agiront d’une manière ou d’une autre. Tout cela est à la fois séparé et lié.

En outre, il existe un contexte politique, que l’on ne peut pas celer. Dans certains pays, la dimension électorale est, si j’ose dire, moins déterminante que dans d’autres, où la démocratie passe par les élections ; c’est évidemment ce dernier modèle que nous essayons de promouvoir. Il y a des décisions à prendre. Elles ne sont pas faciles, car elles demandent une grande élévation de pensée. Il ne suffit pas d’aller dans le sens du vent ; paraphrasant Jean Guitton, je dirai que ceux qui s’exposent au vent s’exposent aussi à un destin de feuille morte.

J’en viens à l’Europe. Nous sommes européens. Cette année sera très importante et difficile. Des élections européennes seront organisées ; nous verrons quels en seront les résultats. Le Parlement européen a de plus en plus de poids. La Commission européenne sera renouvelée. De ce fait, sa situation sera ambivalente entre mars-avril et novembre, puisque certains de ses membres seront sur le départ tandis que d’autres n’auront pas encore pris leurs fonctions. Il faudra néanmoins travailler avec cette Commission.

Plusieurs d’entre vous – Gilbert Roger, en particulier – ont abordé la question de la défense européenne. Le sommet qui s’est déroulé au mois de décembre n’a pas apporté de grande surprise ; il a acté un certain nombre de choses intéressantes en matière d’équipements, de matériels. Ce n’est certes pas le grand élan que nous souhaiterions, mais il faudra revenir sur cette question sans naïveté, notamment avec nos partenaires allemands.

Il y a une concordance des calendriers. François Hollande et Angela Merkel sont au pouvoir pour une durée identique : ils ont environ trois ans et demi devant eux. Une rencontre a déjà eu lieu. Des travaux communs sont en cours. J’accueillerai dans quelques jours mon homologue Frank-Walter Steinmeier pour un séminaire de travail. Un premier conseil des ministres franco-allemand se tiendra le 19 février. Nous sommes donc en train de réfléchir à ce que pourraient être nos grands projets communs.

On pense tout de suite à trois séries de sujets. Tout d'abord, les questions économiques et sociales sont déterminantes. Il existe des contradictions, mais peut-être la participation du SPD au Gouvernement favorisera-t-elle une convergence sur les thèmes du sérieux budgétaire et de la croissance économique. Sans croissance, il n’y a pas de sérieux budgétaire, et réciproquement. Il y a également beaucoup de choses à faire dans le champ de l’énergie et de l’environnement ; ces enjeux sont d'ailleurs liés à la problématique de la croissance. Enfin, nous devons avancer dans le domaine de la défense.

Au-delà de ces trois séries de sujets, il faut que nous nous concertions pour déterminer nos positions sur les négociations avec les États-Unis, le Japon ou d’autres partenaires. L’alliance franco-allemande n’est certes pas exclusive, mais, même si elle est ouverte, elle reste déterminante. Nous allons donc continuer à travailler ensemble sur toutes les questions que j’ai évoquées.

Je veux maintenant revenir sur quelques points qui ont été soulevés par différents intervenants. Nathalie Goulet m’a posé des questions pertinentes, et en même temps facétieuses, sur les ambassadeurs. Oui, il existe plusieurs types d’ambassadeurs. Comme vous l’avez souligné, j’en ai trouvé quelques-uns en arrivant. Tout en tenant compte des réalités humaines, j’essaie de procéder aux nominations en fonction des résultats obtenus. Le nombre de ces ambassadeurs a été réduit, dans un souci de performance, mais je ne veux pas être injuste : plusieurs d’entre eux effectuent un réel travail, le plus souvent de manière bénévole.

Des questions m’ont également été posées au sujet de l’Agence française de développement, ou AFD. Un contrat d’objectifs et de moyens sera signé dans quelques jours. Il permettra de mieux connaître les objectifs, les résultats et les indicateurs ; ce sera intéressant pour vous. Je suis ce dossier en lien avec Pascal Canfin. L’AFD évolue dans le sens que vous souhaitez, même si cela prend un peu de temps. En ce qui concerne l’Azerbaïdjan, aucune somme n’a été affectée.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

L’information dont vous avez fait état n’est donc pas exacte.

Cependant, je reconnais volontiers qu’il nous reste beaucoup de travail à accomplir dans le domaine de l’aide au développement. Je serai toujours heureux de recevoir les propositions et les suggestions des sénatrices et des sénateurs.

Je terminerai en évoquant la Russie et la Chine. Mon homologue russe Sergueï Lavrov et moi-même avons échangé des lettres de fond au moment du nouvel an. Nous nous verrons probablement en début de semaine prochaine. Nous ne sommes pas d'accord sur tout avec la Russie, mais on n’a pas besoin d’être d'accord sur tout pour avoir une relation très profonde. Nous avons une relation historique, ainsi qu’une relation géographique évidente. Il y a également un choix politique, en tout cas du côté de la France. La Russie est l’un de nos grands partenaires. Jean-Pierre Chevènement le sait mieux que quiconque, puisque je lui ai demandé d’être mon représentant spécial pour nos relations économiques avec la Russie ; je tiens à vous remercier publiquement, cher ami, du travail remarquable que vous effectuez.

Le champ de nos relations avec la Russie est très vaste : il va du nucléaire au tourisme, en passant par les investissements dans les deux sens ; les investissements français en Russie sont toutefois bien plus importants que les investissements russes en France. Au-delà de l’économie, nos échanges portent sur la stratégie, sur une certaine vision des choses. Je désire avoir une très bonne relation avec nos amis russes ; je pense que nous allons y parvenir. Nous avons des approches divergentes sur certains points – chacun les connaît –, mais cela ne nous empêche pas de travailler ensemble.

La situation de l’Ukraine est complexe ; elle l’est plus qu’on ne le dit parfois. On sait bien où se portent nos regards, mais l’Ukraine ne se réduit pas à un seul bloc : sa réalité est diverse. Contrairement à ce que j’ai entendu, l’Union européenne ne propose pas une adhésion, mais un accord d’association à l’Ukraine. Je pense que le président Viktor Ianoukovitch s’est un peu servi de cette perspective pour obtenir des avantages importants de la part des Russes. Cependant, la situation de l’Ukraine est si difficile que, même si ces avantages lui sont vraiment octroyés – nous verrons –, cela ne suffira pas à résoudre ses problèmes. L’Ukraine est une terre magnifique, un grand pays, mais elle est confrontée à des problèmes considérables.

Nous avons dit que notre proposition restait sur la table, et nous avons ajouté – c’est très important, tant vis-à-vis des Ukrainiens et des Russes que vis-à-vis des Européens – que l’Ukraine n’avait pas à choisir entre l’accord avec l’Union européenne et l’amitié avec la Russie ; il n’y a pas d’opposition entre les deux. Après tout, si le rapprochement entre l’Ukraine et l’Union européenne est favorable à l’Ukraine, il sera également favorable à la Russie, puisque la Russie est très présente en Ukraine. Il faut présenter les choses de manière moins manichéenne qu’on ne le fait parfois.

J’en viens à la Chine en rappelant, comme M. Jean Besson tout à l’heure, que nous entrons dans l’année franco-chinoise, ce dont je suis extrêmement heureux. Nous aurons ainsi la visite du président Xi Jinping à la fin du mois de mars.

Le Président Hollande, pour sa part, a été accueilli de façon tout à fait exceptionnelle en Chine

M. Jean Besson opine.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

, pays avec lequel nous avons mille choses à faire.

M. Jean Besson opine de nouveau.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

À cet égard, si l’on peut dire que nos relations politiques sont excellentes, comme vous avez pu le constater, nos relations économiques, elles, doivent se développer. Elles sont en effet encore trop faibles et déséquilibrées. §Ainsi, pour ne prendre que l’exemple du tourisme, qui est une mine d’or, j’ai été frappé de lire dans un rapport très intéressant que vos collègues de l’Assemblée nationale ont fait à propos de la Chine qu’il y avait plus de touristes français qui s’y rendaient que l’inverse. Quand on voit les différences de population, il y a de quoi s’interroger sur ce constat.

Vous allez me reprocher d’avoir une approche mercantile, mais il est permis de faire des additions, voire des multiplications, quand on fait par ailleurs tellement de divisions…

Il faut savoir que 1, 2 million de touristes chinois viennent en France chaque année, chacun dépensant en moyenne 1 600 euros ; il y a 90 millions de Chinois qui voyagent et il y en aura 300 millions dans quelques années ; si au lieu d’accueillir 1, 2 million de Chinois, nous en recevions 5 millions, nous réduirions de 10 % notre déficit commercial, sans parler de la création d’emplois correspondante sur notre territoire. Vous conviendrez avec moi que si notre avantage comparatif ne paraît pas décisif en matière de pétrole, il semble plus important en matière touristique et patrimoniale par rapport à d’autres pays voisins.

Loin de moi l’idée de réduire nos relations avec la Chine à ce secteur d’activité, car il y a énormément de choses à faire dans tous les domaines. Or je pense que ce pays est tout à fait ouvert à l’approfondissement du dialogue.

J’ai été marqué par l’accueil des autorités chinoises à l’égard des Français. Il y a, comme vous l’avez souligné, le point commun de grande civilisation. Les Chinois ressentent une grande estime pour l’histoire française. Nombre d’entre eux, au temps de la révolution, ont étudié en France. La Chine possède une mémoire longue.

À mon sens, je le répète, nous avons énormément de choses à faire avec cette puissance, qui va devenir à terme la première du monde, d’autant que nous avons beaucoup d’analyses communes, notamment sur l’objectif de multipolarité.

Cette année franco-chinoise va donc être très riche ; beaucoup de choses vont être organisées en France et en Chine, sur le plan culturel, bien sûr, mais aussi sur le plan technologique, sur le plan économique, et je suis sûr que les échanges parlementaires y contribueront.

Il n’y a pas à choisir entre la Chine, l’Inde, la Russie, le Japon ou que sais-je encore. Quand on est une puissance globale comme la France et un des pays qui comptent, il faut avoir des relations, un objectif – j’ai essayé de le montrer – et avancer dans ce sens-là.

Pour terminer, je dirai qu’il ne faut jamais être totalement satisfait de ce que l’on fait, et je comprends les exigences du débat. En même temps, on me permettra d’être parfois un peu surpris par le débat, lorsqu’il existe, sur la politique étrangère. Car enfin, vous lisez comme moi la presse internationale : si des critiques, souvent d’ailleurs injustes, y sont portées sur notre réalité économique, s’agissant de la politique étrangère de la France, cette même presse nous apprend que s’il existe un pays, j’ajouterai en Europe, pour être modeste, qui a une politique internationale, à laquelle beaucoup rendent hommage, c’est la France.

Un tel constat ne doit pas nécessairement conduire les sénateurs à applaudir debout la politique étrangère du Gouvernement, mais essayons de ne pas être trop paradoxaux en y voyant beaucoup plus de difficultés que les observateurs étrangers eux-mêmes. Il s’agit non pas d’un argument d’autorité, mais d’une remarque que je me permets de faire en conclusion, tout en vous remerciant de votre patience. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Nous en avons terminé avec le débat sur la politique étrangère de la France.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Didier Guillaume.