Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « ce n’est point à rompre l’unité française que travaillent les décentralisateurs : autre est leur but... Ils ont la prétention d’obtenir que la province, où vivent les quatorze quinzièmes de la population de l’Empire ne soit plus en tout et toujours la très humble tributaire de Paris ; que les citoyens soient quelque chose et que les fonctionnaires cessent d’être tout. »
Il s’agit là d’un extrait d’un « projet de décentralisation » datant de 1865, qui eut quelque retentissement et suscita notamment de nombreux débats sur la décentralisation. Ce projet, qui prônait une décentralisation fondée sur la libre administration des collectivités, prit le nom de programme de Nancy. Nancéien je suis, Lorrain je reste ! Il est toujours bon de rappeler ses origines pour mieux asseoir ses convictions.
Près d’un siècle et demi plus tard, l’actualité de ces remarques fait frémir : « que les citoyens soient quelque chose », quel que soit leur lieu d’habitation, dans nos villes ou nos villages…
Car ce débat relatif à l’égalité des territoires, avant même de concerner l’espace, concerne d’abord les personnes, car il porte sur l’égalité des chances et sur l’égalité des droits économiques et sociaux, consacrée par la Constitution de 1946. Quel que soit son lieu de vie, l’égal accès à un certain nombre de services doit être garanti à chacun.
L’organisation de notre débat, un an après la résolution sénatoriale relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires, trois mois après la résolution adoptée par l’Assemblée nationale pour la promotion d’une politique d’égalité des territoires, montre bien que, quelle que soit l’acuité du sujet, ces résolutions sont malheureusement peu suivies d’effets.
De fait, malgré l’existence d’un ministère de l’égalité des territoires, la fracture territoriale s’aggrave. Je ne vais pas reprendre la litanie des écarts qui se creusent en matière d’accès aux services, qu’il s’agisse de la téléphonie mobile dans de très nombreuses communes, généralement rurales, de l’absence du haut et du très haut débit, comme l’a rappelé Hervé Maurey, ou encore de la question majeure des mobilités, qui touche à la fois aux besoins de nos concitoyens et aux grandes infrastructures routières, ferroviaires et fluviales.
Au-delà des mots, ce sont nos concitoyens qui, dans leur vie personnelle, familiale, professionnelle et dans leurs multiples activités de loisirs, souffrent de ces situations.
Notre débat intervient par ailleurs en préambule de l’examen de deux projets de loi importants : le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, qui sera débattu en janvier, et le deuxième tome de la réforme de la décentralisation, qui traitera de la déconcentration de l’État dans les territoires. Hélas, je doute fort que ce dernier projet, divisé en trois tomes, puisse être le garant de l’équité entre tous les territoires... Du reste, en divisant son projet en trois tomes, le Gouvernement consacre clairement la division entre les territoires.
On peut se demander quelle a été son action pour réduire les inégalités entre nos territoires. Certains sont allés jusqu’à dire, madame la ministre, au mois de novembre, que ce gouvernement n’aimait pas la ruralité ; je dirais plutôt qu’il ne donne que trop peu de preuves d’amour au monde rural.
Comment, en effet, pourriez-vous mener une politique d’égalité des territoires alors que vous ne vous interrogez pas sur l’impact des politiques de droit commun dans les territoires ? L’inflation normative sera-t-elle le fossoyeur de nos villages ? Rappelons-nous que la moitié des communes françaises comptent moins de 400 habitants. Comment peuvent-elles suivre ?
Je prendrai un exemple tiré de l’actualité : la réforme des rythmes scolaires. Dire, comme on peut le lire sur le site du ministère de l’éducation nationale, que cette réforme est égalitaire car elle va permettre à quatre enfants sur cinq, au lieu d’un sur cinq, d’accéder à une activité périscolaire, est un mensonge et témoigne d’une profonde méconnaissance de la France et de ses communes. En effet, de nombreuses communes rurales n’ont pas de locaux pour organiser correctement une activité périscolaire. En outre, les activités périscolaires seront le plus souvent payantes. Certaines communes ne peuvent même pas proposer de cantine aux jeunes enfants !