Monsieur le ministre, cher Laurent Fabius, permettez-moi tout d’abord de me féliciter de la tenue du présent débat, tout en souhaitant, vous le comprendrez, qu’un échange de ce type soit organisé – il faut trouver les modalités pour ce faire – de manière un peu plus régulière. Je n’ai pas d’idées précises quant à la régularité, mais on pourrait prévoir qu’il ait lieu en tant que de besoin, deux ou trois fois tous les deux ans. Il ne faut pas non plus multiplier les débats de cette nature, car cela risquerait de les affadir.
Cela étant, en programmant ce débat de fond, notre objectif est de permettre à l’ensemble des sénateurs et des formations politiques d’exprimer leurs analyses et leur perception de la politique étrangère de la France. Cet échange est particulièrement important dans un monde globalisé, un monde en transition, en adaptation, qui, après la bipolarité de la guerre froide, puis une quasi-unipolarité de l’hyperpuissance américaine, passe à une autre forme d’organisation, que nous ne discernons pas encore et que nous peinons même à deviner.
Aujourd’hui, le monde n’a pas de pôles. Mais est-il pour autant apolaire ?
Comme vous le souligniez vous-même, monsieur le ministre, lors de la XXIe conférence des ambassadeurs, à l’heure actuelle, « constitué d’acteurs nombreux, de taille et de nature diverse (étatiques et non étatiques), [le monde] se déploie en effet sans que l’un de ces acteurs ou une régulation par plusieurs d’entre eux assure une gouvernance mondiale efficace et incontestée. » C’est dire si nos clés de lecture ne sont pas évidentes. J’espère que notre débat de cet après-midi contribuera à nous éclairer sur les positions et la place de notre pays dans le concert des nations.
Dans ce monde en devenir, voici l’ambition que fixe le Président de la République à notre pays : « la France veut être un pont entre les continents et éviter ce que certains ont appelé le choc des civilisations. Elle se veut – nous en sommes d’accord – une ″puissance repère″, c’est-à-dire une nation, qui s’exprime au-delà de ses seuls intérêts. »
Lorsque la commission des affaires étrangères se rend chaque année en mission à l’ONU, ses membres appréhendent bien ce rôle de repère que joue notre pays, en réussissant à conjuguer nos intérêts nationaux et collectifs avec les valeurs universelles auxquelles l’action de la France est associée.
En effet, notre influence dépasse notre poids démographique, économique ou militaire. L’enjeu des années à venir est de savoir si cette capacité d’influence pourra être maintenue, alors même que le grand rééquilibrage au profit des nouvelles puissances, que souligne Hubert Védrine, se poursuivra inéluctablement.
Démographiquement parlant, dans dix ans, nous ne « pèserons » plus, si j’ose dire, que 0, 85 % de la population mondiale. D’un point de vue économique, nous passerons vraisemblablement de la cinquième à la septième place. Or, nous en sommes bien conscients, sans redressement économique et financier, il n’y a pas de rayonnement international, pas plus qu’il n’y a, comme nous l’avons souvent souligné au sein de la commission, d’indépendance nationale. C’est ce qui justifie pleinement, selon moi, l’accent mis par le ministère des affaires étrangères sur la diplomatie économique.
Pour maintenir cette capacité d’influence, nous avons également besoin de moyens d’action, qui sont ceux que nous confèrent nos capacités militaires.
Nous avons récemment voté la loi relative à la programmation militaire – je vous en remercie d’ailleurs chaleureusement, mes chers collègues –, dont la lettre nous assure un outil de défense fiable, tout en faisant participer la défense au redressement des finances publiques. Un sacré challenge !
Mes chers amis, la tentation reste forte de faire de la défense une variable d’ajustement budgétaire. L’arbitrage du Président de la République pour préserver le budget de la défense a pourtant été rendu de manière extrêmement claire. Nous nous appuierons sur lui pour veiller à la bonne mise en œuvre de cette loi relative à la programmation militaire au cours des années à venir. Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur notre vigilance.