Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence de la crise économique et financière en Europe a porté un coup sévère aux ambitions de l’Union européenne sur la scène internationale. Divisés entre partisans de démarches multilatérales et partisans de démarches bilatérales, les États européens n’arrivent pas à lancer une politique européenne ambitieuse de sécurité et de défense commune.
Les forces françaises se déploient actuellement à Bangui en l’absence d’effort européen concerté. Londres s’est en effet opposé au déploiement des « groupements tactiques » européens en Centrafrique. Pourtant, l’Europe a su, par le passé, se mettre d’accord pour mener des actions extérieures communes, puisque l’on compte une trentaine de missions déployées sous l’égide européenne depuis dix ans.
Comprendre les raisons de cette désaffection européenne était tout l’enjeu de la réunion des chefs d’État européens des 19 et 20 décembre dernier à Bruxelles. C’était la première fois, depuis la signature du traité de Lisbonne, que la politique de sécurité et de défense commune était inscrite à l’agenda du Conseil européen !
Il est incontestable que la donne internationale a changé depuis 2008. La crise des dettes souveraines continue d’affecter les budgets de défense nationaux en Europe, ces derniers accusant une baisse de 10 %, de telle sorte qu’ils ne représentent plus que 1, 7 % du PIB de l’Union européenne, contre 4, 4 % aux États-Unis. Aucun programme d’armement commun n’est engagé, au moment où sont livrés les premiers transporteurs A 400M. On estime désormais que les dépenses militaires en Asie sont supérieures à celles qui sont consenties en l’Europe. Ces évolutions stratégiques mondiales font germer l’idée que, bientôt, aucun pays de l’Union ne pourra plus mobiliser la panoplie complète des moyens militaires.
Les Américains basculent leur politique étrangère vers l’Asie et l’océan Pacifique, en rendant plus qu’incertain le recours à la garantie de sécurité américaine pour la zone européenne.
Les discussions de ces derniers mois ont porté sur les outils qui handicapent l’Union dans ce domaine : ravitaillement en vol, transport stratégique, action aéronavale, communication par satellite, auxquels s’ajoutent la cyberdéfense, le drone stratégique commun et la question du renforcement du tissu industriel, sous l’égide de la Commission européenne.
Il est évidemment plus facile de se mettre d’accord sur le développement de moyens communs lorsqu’on partage une vision commune de leur emploi. Or force est de constater que les pays membres de l’Union européenne ne partagent pas la même vision stratégique du contexte international et des risques qui s’y présentent. Les trois puissances qui assurent 75 % de l’effort européen de défense, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, sont dans une position de neutralisation réciproque. Alors que Londres s’oppose à toute duplication de moyens avec l’OTAN et milite pour une « approche globale » de l’Union européenne, Paris affirme, de son côté, avoir une « responsabilité » à promouvoir l’Europe de la défense et se place dans une position plus interventionniste, quand Berlin, tout en développant une industrie de défense fortement exportatrice, ne souhaite pas s’engager sur les terrains d’opération. Par ailleurs, la coopération européenne doit faire face aux concurrences des industries nationales, aux décalages des agendas politiques internes et, par-dessus tout, à la réticence croissante des Européens à engager la force.
La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, avec ses trois mille collaborateurs, a proposé d’élaborer une feuille de route stratégique pour la politique de sécurité et de défense. Malheureusement, le Conseil européen des 19 et 20 décembre n’a pas permis de grandes avancées en matière de financement de missions telles que celle que la France mène en Centrafrique. Il faut noter cependant que le Président de la République a obtenu des résultats significatifs : quatre programmes de coopération devraient être lancés dans l’industrie de l’armement, concernant les drones, les avions ravitailleurs, la technologie satellitaire et la cyberdéfense.
L’Union s’est aussi engagée, et c’est important, sur sa stratégie maritime, destinée notamment à protéger le commerce européen qui passe par la mer à 90 %. Par ailleurs, Catherine Ashton est chargée d’un rapport sur une question clé pour les Français : le financement des interventions de l’Union à l’extérieur. Ce sujet devrait être réexaminé au cours du premier semestre de 2014.
Force est de constater que les Européens ne parviennent pas à dessiner une véritable stratégie européenne et font le choix étonnant du renoncement à une vraie souveraineté militaire, alors que le monde entier se réarme, Chine et Russie en tête. Pourtant, une politique efficace et cohérente de sécurité et de défense n’est pas un luxe, mais une nécessité, pour protéger nos valeurs dans notre voisinage et au-delà.