Intervention de Jeanny Lorgeoux

Réunion du 8 janvier 2014 à 14h30
Débat sur la politique étrangère de la france

Photo de Jeanny LorgeouxJeanny Lorgeoux :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce 8 janvier, jour anniversaire du décès de François Mitterrand, je voudrais vous parler de l’Afrique, continent qui lui était cher, et plus particulièrement de la République centrafricaine.

Puisque l’Union africaine juge elle-même prématuré « un relais ONU » en Centrafrique, du fait de la réticence tchadienne à limiter sur le terrain sa latitude d’action au sein de la mission internationale de soutien à la Centrafrique, la MISCA – dont l’unité se trouve donc mise à mal –, du fait de l’opposition américaine et du fait de l’impossibilité à mettre en place une opération de maintien de la paix, le sommet panafricain prévu à la fin du mois ne risque-t-il pas de tourner en rond ?

La France, qui a eu raison d’intervenir en Centrafrique, et dont l’action revêt le caractère d’« un enjeu mondial » – pour reprendre le titre d’un éditorial du Monde –, endosse avec courage la responsabilité de la lutte contre Al-Qaïda et ses avatars africains. Il est manifeste que la communauté internationale doit la relayer : d’abord, parce qu’il s’agit des valeurs de liberté, de démocratie et de tolérance religieuse que nous défendons ; ensuite, parce que les volumes financiers engagés ne peuvent, à terme, être supportés par la France uniquement ; enfin, parce que l’Europe doit comprendre qu’une partie de son avenir est en Afrique. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux travaux récents de notre commission, sur le plan stratégique, et à ceux de Bercy, réalisés sous l’égide d’Hubert Védrine, sur le plan économique.

En attendant donc que l’Union africaine soutienne l’idée d’une implication majeure de l’ONU et que Bruxelles mette à jour sa réflexion stratégique, la France fait face.

Elle fait face, d’abord, en redéployant son dispositif militaire le long du Sahel. Le Gouvernement, à cet égard, a raison de l’adapter, en coopérant avec les armées africaines, c’est-à-dire en donnant « un sens africain à notre présence ». Il a raison de l’assouplir, d’est en ouest, en la centrant autour des zones grises du sud libyen, réceptacle des terroristes rescapés de Tripoli et de l’Adrar des Ifoghas. Il a raison de maintenir nos pôles pré-positionnés à Dakar, N’Djamena, Libreville et Djibouti, même en jouant sur leur volumétrie respective. Il a raison d’élargir les voies d’entrée maritimes avec Douala, et Abidjan demain. Il a raison de modifier ses points d’appui autour des couloirs de circulation du massif du Tibesti, du plateau de Manguéni ou de la passe de Salvador. Tous ces jalons sécuritaires composent une trame réactive – Zouar, Faya Largeau, Abéché, N’Djamena au Tchad ; Niamey au Niger ; Ouagadougou au Burkina Faso ; Gao et Tessalit au Mali ; Atar en Mauritanie –, tressant ainsi une couronne défensive et offensive.

La France fait face, ensuite, avec l’opération Sangaris, à Bossangoa et à Bangui, où nos 1 600 soldats, dans un contexte difficile et volatile, remplissent la délicate mission d’interposition et de maintien de l’ordre dans les différents quartiers de la capitale – M’Poko, Meskine, Boy-Rabé, Boeing, la colline des Panthères ou le camp de Roux, qui accueille la présidence – où Séléka à majorité musulmane et milices « anti-balaka » chrétiennes s’entretuent. Notre armée tient, avec sang-froid, le rôle délicat de « gendarme sans ennemi » pour préparer le terrain à la solution politique.

Les semaines qui viennent seront rudes militairement, car le déploiement de l’opération Sangaris sur le territoire de la République centrafricaine se heurte à une géographie et à une géopolitique compliquées, et politiquement, car les élites politiques centrafricaines reproduisent souvent les clivages et intérêts anciens, territoriaux, ethniques et religieux, étouffant le surgissement de personnalités nouvelles, avec lesquelles, monsieur le ministre, vous essayez de bâtir l’avenir. En effet, le plus difficile, malgré le courage des hiérarques religieux – je pense à Mgr Nzapalainga et à l’imam Kobine Layama, président de la conférence islamique de Centrafrique –, est de rompre le cycle infernal de la peur, de la haine et de la violence, et de reconstruire les bases d’un dialogue national. Pour ce faire, la clé reste à Paris aujourd’hui, à Addis-Abeba dans quelques jours, à Bruxelles et à New York demain.

Ne pourrait-on pas, comme le suggérait l’analyste François Heisbourg, travailler à une deuxième étape, c’est-à-dire à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité et à un accord de l’Europe pour une participation financière et militaire à l’intervention, dans la perspective d’élargir les termes du mandat que le Conseil de sécurité précisera le 5 juin 2014 ? Est-ce vraiment impossible ? Notre diplomatie a déjà montré les ressources parfois insoupçonnées de son talent, à l’image de son ministre.

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