Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 8 janvier 2014 à 14h30
Débat sur la politique étrangère de la france

Laurent Fabius, ministre :

Voilà où nous en sommes. Il reste bien sûr toute une série de choses à faire, notamment à développer le dialogue avec le Nord. Mais le Mali a dorénavant des autorités élues.

S’agissant de nos troupes, je vous confirme ce qu’a dit cet après-midi le Président de la République : le nombre de nos soldats sera de 1 600 au mois de février, pour revenir ensuite à un millier. Les engagements sont donc tenus. Il n’y a pas d’engrenage au Mali, pas plus qu’il n’y en aura en RCA.

Il arrive qu’il y ait des situations d’échec. Mais lorsque le résultat est positif, au-delà même de ce que nous pouvions espérer compte tenu de la difficulté de la tâche, il ne faut pas bouder ce résultat ! Certes, tout n’est pas terminé. C’est maintenant aux Maliens de prendre leurs affaires en main, avec notre soutien, mais le résultat est tout de même exceptionnel.

En Centrafrique, c’est une autre affaire. Il ne s’agit pas de lutter contre le terrorisme. Là aussi, le problème est simple. Je comprends les exigences du débat parlementaire, mais il faut se mettre à la place de ceux qui gouvernent. Si un jour, par extraordinaire, je reviens dans l’opposition, comme je l’ai souvent, ou plutôt longtemps, été, je garderai cette idée en tête. Bien sûr, il y a les exigences de la contestation, mais vous imaginez bien que le Président de la République n’arrive pas le matin à son bureau en se demandant ce qu’il va bien pouvoir inventer en RCA pour engager à tort les troupes françaises, faire échouer la transition démocratique et s’exposer aux critiques des sénateurs ! Les choses ne se passent pas ainsi. Nous sommes des gens de bonne volonté, comme chacune et chacun d’entre vous.

En RCA, quel était le problème ? Nous étions face à un pays qui se noie, qui disparaît, qui implose. Quand on nous dit que nous ne sommes pas intervenus assez vite, il faut choisir ses arguments ! Si nous avions agi plus rapidement, cela aurait été fait sans le mandat de l’ONU, et nous aurions été alors critiqués !

C’est le Président de la République française qui, en septembre dernier, dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies a, le premier à ce niveau, sonné l’alarme. Il a alors déclaré : Attention, je vous avais mis en garde l’année dernière au sujet du Mali et, au mois de janvier, ça s’est réalisé. Eh bien, je vous dis cette année, en septembre, attention, la République Centrafricaine. Nous avons commencé d’être écoutés, au point que nous avons pu obtenir – cela n’était pas du tout acquis au départ – le vote à l’unanimité, y compris par les Africains, d’une résolution le 5 décembre dernier, résolution qui permet à la fois aux Africains et à la France d’intervenir.

Et nous sommes intervenus dans les vingt-quatre heures ! Si nous ne l’avions pas fait, alors qu’il y avait eu presque un millier de morts la veille, je puis vous assurer qu’il y aurait eu – il suffit de se remémorer certaines situations similaires – 50 000 ou 100 000 morts.

Bien sûr, il est légitime de contester ; c’est le propre d’une démocratie : toutes les opinions doivent être confrontées. Mais la question n’était pas théorique. Lorsqu’on est sollicité par les Nations unies, notamment par les Africains, lorsqu’on est ami d’un pays africain, que l’on connaît sa situation et qu’il vous demande d’intervenir, passez-vous votre chemin en sifflotant ? Eh bien, non lorsqu’on s’appelle la France !

Voilà la décision que nous avons prise. Cette décision est difficile parce qu’il s’agit d’envoyer des jeunes gens avec les risques que comporte une telle opération – deux d’entre eux, comme vous le savez, y ont perdu la vie. Encore faut-il que cette décision intervienne dans les meilleures conditions, sans se substituer aux Africains. Là est la délicatesse. Il est fini le temps où l’on décidait à Paris, dans un bureau, que ce serait M. X ou Mme Y.

Nous apportons notre soutien, dans plusieurs domaines.

D’abord, un soutien sécuritaire, car, sans sécurité, rien n’est possible. C’est très difficile parce qu’il s’agit de désarmer, et de le faire de manière impartiale. Alors que ce n’était pas le cas par le passé, le conflit est devenu confessionnel et la situation est donc très compliquée. Nous avons procédé à ce désarmement, avec des succès divers, et nous devons continuer à le faire. L’aspect sécuritaire est indispensable. Nous tenons l’aéroport, nous faisons ce qu’il faut pour désarmer et nous protégeons un certain nombre de nos compatriotes et d’autres. Nos hommes sont au nombre de 1 600 ; les Africains, quant à eux, sont aujourd’hui 4 400 et devraient bientôt être 6 000.

Ensuite, il y a l’aspect humanitaire. La situation humanitaire est épouvantable. Cette question relève de l’ONU, mais nous apportons notre aide.

Enfin, il y a la transition démocratique, en deux étapes. D’abord, il faut que, aujourd’hui, l’État recommence à fonctionner. Certes, ce n’est pas nous qui allons lever ou baisser le pouce. Mais, nous le savons, il y a des difficultés avec l’équipe actuelle. Demain, aura lieu à N’Djamena une réunion, qui sera suivie par d’autres. Encore une fois, ce n’est pas nous qui allons décider de ce qui doit être fait, mais nous comprenons bien qu’il y a une difficulté politique. Ceux qui sont en place ou qui seront en place doivent préparer une élection. Cette dernière ne suffira pas à régler les problèmes, mais, dans une démocratie, aucun problème ne peut être durablement réglé sans élection.

Certains d’entre vous se sont interrogés sur le lien entre notre intervention et l’action de l’ONU, sur le fait que nous souhaitions une intervention des Nations unies, alors que, dans le même temps, le Tchad s’y opposait. Je veux être clair : il n’y a absolument aucune contradiction entre la présence des forces africaines, la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, les forces françaises qui les appuient, et la perspective de ce qu’on appelle une opération de maintien de la paix.

Le calendrier n’est pas le même. Si l’on décide une opération de maintien de la paix, elle interviendra dans six mois, car cela prend du temps. Par ailleurs, l’ONU, donc une opération Casques bleus, qui comprendra essentiellement des forces africaines, par conséquent les forces de la MISCA – c’est non pas une contradiction, mais une complémentarité –, pourra faire des choses que ne peut pas faire la MISCA.

Qui va préparer les élections ? Ce n’est pas la MISCA. Qui va s’occuper de l’humanitaire ? Ce n’est pas davantage la MISCA. Je m’en suis expliqué avec le président du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et avec le président Déby. Nos amis africains – en tout cas, certains d’entre eux – se demandaient si cela n’apparaît comme un désaveu de la MISCA. Ce n’est pas du tout le cas ! La MISCA fait son travail. Certes, il faut encore qu’elle monte en régime, qu’elle s’aguerrisse, mais elle fait preuve d’un grand courage. Des améliorations doivent encore être apportées dans les relations avec les commandements des divers contingents. Mais nous tenons absolument à ce qu’elle joue son rôle et que, le moment venu, les Casques bleus, qui seront pour l’essentiel des Africains, prennent le relais.

Voilà où nous en sommes en Centrafrique. Nous ne pouvions pas ne pas intervenir. Je ne vais pas le cacher, nous devons être vigilants. Nous n’avons pas du tout l’intention de nous substituer aux Africains.

Nos actions au Mali puis en RCA ont soulevé beaucoup de problèmes, et notamment deux d’entre eux : quid de l’Europe ? Pourquoi est-ce nous qui sommes intervenus ?

Les crises existent et les pays africains, pour la plupart d’entre eux, n’ont pas les moyens militaires de les régler.

Pourquoi ? Nous en avons discuté lors du sommet de l’Élysée, qui était extrêmement intéressant ; c’était une discussion entre amis, dans une atmosphère vraiment très positive. Nos amis africains nous ont dit qu’il y avait deux grandes raisons, l’une plus facile à dire que l’autre.

La première est que cela coûte beaucoup d’argent et que nombre de ces pays n’ont pas les moyens matériels d’avoir une armée équipée. Ils peuvent avoir les forces, en théorie, mais il faut avoir des chaussures, des équipements, etc.

La seconde raison, qui a été moins citée mais qui peut nous venir à l’esprit, c’est qu’évidemment, qui dit armée dit état-major, qui dit état-major dit chef d’état-major… et dans ces pays où la démocratie n’est pas d’une stabilité absolue, cela pose problème. C’est une solution, mais en même temps un problème.

Si l’on veut éviter que, quand il y a une difficulté, on appelle la France parce que la France est efficace… et qu’on l’aime !, il faut créer une force interafricaine pour répondre aux crises. C’est la proposition qui a été faite par l’Union africaine, proposition que nous soutenons, que nous aiderons, que les Européens aideront, et d’autres peut-être aussi : le Japon, les pays arabes, l’ONU. C’est cela qu’il faut faire. Ils nous ont parlé de 2015. Nous allons essayer de le faire, parce que c’est la seule manière de sortir de la contradiction. Mais aujourd’hui nous ne pouvions pas ne pas intervenir.

L’Europe ! On me dit que nous sommes seuls.

Je répondrai tout d’abord que nous avons abordé très souvent avec mes collègues européens la question du Mali et celle de la République centrafricaine, avant l’intervention. Ne croyez pas que, lorsque le Président de la République a dit qu’il souhaiterait qu’il y ait un peu plus d’Europe, c’était la première fois que nous parlions de cela.

Il n’existe pas de défense européenne. Nous le regrettons, mais c’est un fait.

Je prends un exemple : il existe des unités qui, sur le papier, peuvent réunir 1 500 hommes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion