Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Réunion du 7 janvier 2014 à 14h30
Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la république

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin :

Monsieur le président, je vous remercie de présider personnellement cette séance de la Haute Assemblée sur ce qui peut être considéré comme le cœur de notre métier.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en effet, la décentralisation a toujours été un grand projet politique pour nous, sénateurs, mais aussi pour tous ceux qui ont la vision d’une République qui doit rester en phase avec le citoyen, proche de lui.

Il s’agit pour nous de réfléchir non pas au pouvoir des élus, mais avant tout à la place du citoyen et à l’efficacité de la décision publique.

L’œuvre de décentralisation qui s’accomplit depuis de nombreuses années vise à rapprocher la décision du citoyen et à faire en sorte que cette proximité soit source de légitimité.

De ce fait, la décentralisation n’est pas un sujet technique, mais une ambition politique dans la République, visant à ce que les pouvoirs soient au plus près du citoyen, lequel apporte ainsi sa part de responsabilité dans le processus de décision.

Depuis la Révolution, à toutes les étapes majeures de l’histoire de notre République – que l’on se souvienne du programme de Nancy ! –, des efforts ont été accomplis pour que les institutions de la France « vivent » au plus près du citoyen. Je pense aussi à la République moderne de Mendès France et à toutes les grandes orientations qui ont pu être engagées : par le général de Gaulle, qui avait perçu l’importance de la dimension régionale, et par tous les présidents de la Ve République qui ont tous, au travers de leur action, œuvré en faveur de la décentralisation, avec plus ou moins d’enthousiasme, il est vrai, mais tous avec l’exigence que nos institutions restent accrochées au terrain et que la proximité soit une valeur de notre République.

Au cours de ces vingt dernières années, des étapes considérables ont été franchies.

L’acte I de la décentralisation a entraîné un changement fondamental, une transformation radicale de l’organisation des pouvoirs dans notre République. Et tous ceux qui, à l’instar des sénateurs, ont l’expérience de la vie territoriale ont pu mesurer combien les responsabilités avaient évolué sur le terrain. Le rôle du préfet a ainsi considérablement changé : alors qu’il décidait de tout, il est devenu un « metteur ensemble ».

Dans le domaine de l’éducation, la situation a aussi été modifiée dès lors que les collèges étaient placés sous la responsabilité des départements et les lycées sous celle des régions. Avec ces nouvelles responsabilités, ce courage assumé, on a vu ainsi se transformer la vie de nos territoires.

L’acte II de la décentralisation a permis de développer un certain nombre d’initiatives et de prolonger, par exemple, l’action des personnels de l’éducation nationale. Ont été transférés non seulement des compétences, mais aussi les moyens de la décentralisation. Et l’on a continué dans cette direction. D’autres étapes importantes ont été franchies. Ainsi notre Haute Assemblée est-elle désormais saisie en premier lieu de tous les textes qui concernent l’organisation territoriale. Le concept de « chef de file » a été créé et des principes nouveaux, repris et développés, ont été introduits dans la Constitution, comme ceux de subsidiarité, à l’article 72, et de libre administration.

Je salue tous ceux qui ont engagé ces réformes, ces grandes étapes de la Ve République. Je pense en particulier, pour ce qui concerne l’acte I de la décentralisation, à notre ancien collègue Pierre Mauroy, qui nous a quittés l’année dernière, et à tous les responsables qui ont agi en ce sens sous l’autorité du Président Mitterrand. Je pense aussi à ceux qui ont mis en œuvre l’acte II sous l’autorité du Président Chirac.

La grande crise de 2008 a marqué un coup d’arrêt dans ce processus. Tous les pays ont alors engagé des programmes de relance – la France, la Chine, le Brésil, les États-Unis… –, lesquels étaient très centralisés. Au sommet de chaque État, les équipes dirigeantes ont pris en main le concept de relance et centralisé la lutte contre la crise. Les cabines centrales du pouvoir ont partout cherché à rassembler les manettes pour agir et se battre.

En France, nous avons été particulièrement zélés puisque nous avons créé un « grand emprunt » pour les investissements d’avenir, mais de manière assez centralisée si on établit une comparaison avec les actions engagées dans le passé par les voies de la contractualisation. Cette vision centrale s’est imposée partout, en vue d’organiser la nécessaire lutte contre la crise.

Cette crise a également rendu nécessaire la rationalisation budgétaire : il a fallu faire des efforts, couper dans les budgets et rendre l’organisation des pouvoirs la moins coûteuse possible. D’aucuns ont alors commencé à dire que les collectivités territoriales n’étaient peut-être pas assez rigoureuses et qu’il fallait chercher là aussi l’argent dont la République avait globalement besoin. À partir de 2008 est apparue l’idée selon laquelle la décentralisation coûtait cher et qu’il valait mieux centraliser pour lutter contre la crise. Le processus de décentralisation, qui avait avancé régulièrement jusqu’alors, a donc quelque peu reculé.

Dans ce contexte, l’acte III de la décentralisation faisait figure de relance, ainsi que nous l’espérions. Mais nous avons vu que ce n’était pas si simple, en raison des difficultés budgétaires, de celles liées à l’organisation, des conservatismes, des solidarités et de tous les mécanismes qui peuvent jouer dans une République. C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, vous avez été conduite à présenter plusieurs textes, ce qui a donné l’impression d’une segmentation de la vision, d’une fragmentation de la perspective et d’un projet quelque peu dispersé.

Le Sénat a donc estimé nécessaire d’en revenir à une vision globale de la décentralisation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion