Séance en hémicycle du 7 janvier 2014 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • décentralisation
  • l’organisation

La séance

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La séance, su spendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention est fondée sur l’article 36 de notre règlement.

Le Président de la République vient de demander au Gouvernement de légiférer plus souvent par ordonnances ou par décret, afin d’accélérer encore le vote des lois et raccourcir, de facto, le débat parlementaire. §

Cette injonction du chef de l’État suscite beaucoup d’interrogations et interpelle tout particulièrement celles et ceux qui estiment que le débat démocratique est un facteur d’efficacité, de qualité, et non pas un frein.

François Hollande entend ainsi utiliser pleinement les dispositions de la Constitution de la Ve République qui ont entraîné un déséquilibre institutionnel au profit de l’exécutif et au détriment du pouvoir législatif.

Même si François Mitterrand, en son temps, avait renoncé aux véhémentes critiques du « coup d’État permanent », il avait maintenu son opposition à la pratique des ordonnances puisque, rappelez-vous, il avait même refusé de signer celles préparées par son Premier ministre, Jacques Chirac, et alors votées par le Parlement.

François Hollande, lui-même dans l’opposition, avait vertement critiqué l’utilisation de cette procédure qui, rappelons-le, court-circuite radicalement le Parlement en retirant de fait le droit d’amendement, puisque le Parlement se dessaisit expressément de son pouvoir législatif au profit du Gouvernement.

Alors, je tiens, en ce début d’année, à le signifier très clairement : un Président de gauche n’a pas été élu pour restreindre les droits du Parlement.

Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

La restauration des droits du Parlement figurait même en bonne place dans les propositions du candidat François Hollande.

Comme, malheureusement, sur d’autres points, un fossé se creuse entre ce qui était promis et ce qui est mis en œuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Depuis le début de la législature, nous avons noté un manque patent de respect du Parlement : multiplication du recours à la procédure accélérée, utilisation abusive et répétée du vote bloqué et même généralisation de la seconde délibération au Sénat, annihilant les débats, parfois de plusieurs jours, comme sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

À cela s’ajoute un ordre du jour pléthorique qui ne permet pas un travail sérieux, ce qui se retrouve d’ailleurs dans les remarques formulées par le président du Conseil Constitutionnel.

Je vous demande donc solennellement, monsieur le président, de rappeler au Gouvernement et à la Présidence de la République, que le pouvoir législatif doit être pleinement respecté dans la démocratie.

Nous nous approchons dangereusement depuis plusieurs années d’une ligne rouge au-delà de laquelle la démocratie parlementaire devient virtuelle.

Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, que j’ai l’honneur de présider, posent cette question simple à M. Hollande : un Parlement respecté est-il un atout pour la démocratie ou une entrave ?

Applaudissements sur les travées du groupe CRC . – Mme Hélène Lipietz applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue. Je transmettrai votre message.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

J’ai reçu une lettre de M. Marc Massion par laquelle il se démettait de son mandat de sénateur de la Seine-Maritime, à compter du mardi 31 décembre 2013, à minuit.

En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par M. Didier Marie, dont le mandat de sénateur de la Seine-Maritime a commencé le mercredi 1er janvier 2014, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

J’ai par ailleurs reçu une lettre de M. Louis-Constant Fleming par laquelle il se démettait de son mandat de sénateur de Saint-Martin, à compter du mardi 31 décembre 2013, à minuit.

À la suite de la cessation du mandat de M. Louis-Constant Fleming, sénateur de Saint-Martin, le siège détenu par ce dernier est devenu vacant et sera pourvu selon les termes de l’article L.O. 322 du code électoral lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, débat organisé à la demande de la mission commune d’information (rapport d’information n° 49).

Madame la ministre, mes chers collègues, même si j’aurai le plaisir de vous présenter mes vœux la semaine prochaine, je souhaite d’ores et déjà à chacune et à chacun d’entre vous une très bonne année.

Nous commençons cette première séance de 2014 par un débat qui nous concerne directement, l’organisation décentralisée de notre République. Nous allons donc débattre de sujets qui sont au cœur des préoccupations du Sénat, et qui sont aussi des questions essentielles pour notre pays.

Nous l’avons à l’esprit, 2013 a été une année parlementaire largement consacrée à l’organisation des collectivités territoriales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Nos travaux se sont d’ailleurs achevés le 19 décembre par l’adoption des conclusions modifiées de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles. Puisqu’ils sont présents parmi nous, je tiens à saluer le rapporteur de ce texte, notre collègue René Vandierendonck, le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, ainsi que Claude Dilain, Jean-Jacques Filleul et Jean Germain, rapporteurs pour avis.

En 2013, nous avons également examiné deux propositions de loi qui ont vocation à faciliter l’action locale : la première, qui est relative à la création du Conseil national d’évaluation des normes, a été adoptée définitivement, et à l’unanimité, le 7 octobre 2013 ; la seconde, qui porte sur les conditions d’exercice des mandats locaux, sera discutée ici même en deuxième lecture le 22 janvier prochain.

Enfin – et j’en viens au débat de cet après-midi –, notre assemblée a approfondi sa réflexion sur l’organisation territoriale de notre pays, grâce aux travaux de la mission commune d’information qu’a présidée – et je tiens à le saluer –Jean-Pierre Raffarin et dont Yves Krattinger a été le rapporteur engagé et efficace.

Ces travaux constituent donc un apport supplémentaire de notre assemblée en matière de décentralisation. La délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation en a été, si je puis dire, le creuset, sur l’initiative de sa présidente, Jacqueline Gourault, qui ne peut être présente cet après-midi et vous prie de l’en excuser, avec le concours actif de nos collègues Edmond Hervé, Claude Belot, Claude Jeannerot et Jean-Claude Peyronnet, qui s’exprimera tout à l’heure.

Mes chers collègues, avec ce débat sur les conclusions de la mission commune d’information, c’est par conséquent une nouvelle étape qui s’ouvre.

C’est donc bien sous de nouveaux auspices que nous commençons la nouvelle année. Je m’en réjouis.

La parole est à M. le président de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.

Applaudissements sur les travées de l'UMP . – M. le rapporteur applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Monsieur le président, je vous remercie de présider personnellement cette séance de la Haute Assemblée sur ce qui peut être considéré comme le cœur de notre métier.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en effet, la décentralisation a toujours été un grand projet politique pour nous, sénateurs, mais aussi pour tous ceux qui ont la vision d’une République qui doit rester en phase avec le citoyen, proche de lui.

Il s’agit pour nous de réfléchir non pas au pouvoir des élus, mais avant tout à la place du citoyen et à l’efficacité de la décision publique.

L’œuvre de décentralisation qui s’accomplit depuis de nombreuses années vise à rapprocher la décision du citoyen et à faire en sorte que cette proximité soit source de légitimité.

De ce fait, la décentralisation n’est pas un sujet technique, mais une ambition politique dans la République, visant à ce que les pouvoirs soient au plus près du citoyen, lequel apporte ainsi sa part de responsabilité dans le processus de décision.

Depuis la Révolution, à toutes les étapes majeures de l’histoire de notre République – que l’on se souvienne du programme de Nancy ! –, des efforts ont été accomplis pour que les institutions de la France « vivent » au plus près du citoyen. Je pense aussi à la République moderne de Mendès France et à toutes les grandes orientations qui ont pu être engagées : par le général de Gaulle, qui avait perçu l’importance de la dimension régionale, et par tous les présidents de la Ve République qui ont tous, au travers de leur action, œuvré en faveur de la décentralisation, avec plus ou moins d’enthousiasme, il est vrai, mais tous avec l’exigence que nos institutions restent accrochées au terrain et que la proximité soit une valeur de notre République.

Au cours de ces vingt dernières années, des étapes considérables ont été franchies.

L’acte I de la décentralisation a entraîné un changement fondamental, une transformation radicale de l’organisation des pouvoirs dans notre République. Et tous ceux qui, à l’instar des sénateurs, ont l’expérience de la vie territoriale ont pu mesurer combien les responsabilités avaient évolué sur le terrain. Le rôle du préfet a ainsi considérablement changé : alors qu’il décidait de tout, il est devenu un « metteur ensemble ».

Dans le domaine de l’éducation, la situation a aussi été modifiée dès lors que les collèges étaient placés sous la responsabilité des départements et les lycées sous celle des régions. Avec ces nouvelles responsabilités, ce courage assumé, on a vu ainsi se transformer la vie de nos territoires.

L’acte II de la décentralisation a permis de développer un certain nombre d’initiatives et de prolonger, par exemple, l’action des personnels de l’éducation nationale. Ont été transférés non seulement des compétences, mais aussi les moyens de la décentralisation. Et l’on a continué dans cette direction. D’autres étapes importantes ont été franchies. Ainsi notre Haute Assemblée est-elle désormais saisie en premier lieu de tous les textes qui concernent l’organisation territoriale. Le concept de « chef de file » a été créé et des principes nouveaux, repris et développés, ont été introduits dans la Constitution, comme ceux de subsidiarité, à l’article 72, et de libre administration.

Je salue tous ceux qui ont engagé ces réformes, ces grandes étapes de la Ve République. Je pense en particulier, pour ce qui concerne l’acte I de la décentralisation, à notre ancien collègue Pierre Mauroy, qui nous a quittés l’année dernière, et à tous les responsables qui ont agi en ce sens sous l’autorité du Président Mitterrand. Je pense aussi à ceux qui ont mis en œuvre l’acte II sous l’autorité du Président Chirac.

La grande crise de 2008 a marqué un coup d’arrêt dans ce processus. Tous les pays ont alors engagé des programmes de relance – la France, la Chine, le Brésil, les États-Unis… –, lesquels étaient très centralisés. Au sommet de chaque État, les équipes dirigeantes ont pris en main le concept de relance et centralisé la lutte contre la crise. Les cabines centrales du pouvoir ont partout cherché à rassembler les manettes pour agir et se battre.

En France, nous avons été particulièrement zélés puisque nous avons créé un « grand emprunt » pour les investissements d’avenir, mais de manière assez centralisée si on établit une comparaison avec les actions engagées dans le passé par les voies de la contractualisation. Cette vision centrale s’est imposée partout, en vue d’organiser la nécessaire lutte contre la crise.

Cette crise a également rendu nécessaire la rationalisation budgétaire : il a fallu faire des efforts, couper dans les budgets et rendre l’organisation des pouvoirs la moins coûteuse possible. D’aucuns ont alors commencé à dire que les collectivités territoriales n’étaient peut-être pas assez rigoureuses et qu’il fallait chercher là aussi l’argent dont la République avait globalement besoin. À partir de 2008 est apparue l’idée selon laquelle la décentralisation coûtait cher et qu’il valait mieux centraliser pour lutter contre la crise. Le processus de décentralisation, qui avait avancé régulièrement jusqu’alors, a donc quelque peu reculé.

Dans ce contexte, l’acte III de la décentralisation faisait figure de relance, ainsi que nous l’espérions. Mais nous avons vu que ce n’était pas si simple, en raison des difficultés budgétaires, de celles liées à l’organisation, des conservatismes, des solidarités et de tous les mécanismes qui peuvent jouer dans une République. C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, vous avez été conduite à présenter plusieurs textes, ce qui a donné l’impression d’une segmentation de la vision, d’une fragmentation de la perspective et d’un projet quelque peu dispersé.

Le Sénat a donc estimé nécessaire d’en revenir à une vision globale de la décentralisation.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique

Très bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Sous l’autorité du président Jean-Claude Gaudin, le groupe UMP a donc proposé à notre Haute Assemblée de mener une mission commune d’information en vue de construire la réflexion du Sénat sur les perspectives de la décentralisation.

Pour autant, nous n’avons pas voulu répondre à toutes les questions posées par les différents textes qui nous sont soumis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous avons voulu, au contraire, réfléchir à une perspective à l’horizon 2020-2025, et nous détacher de l’immédiateté pour construire une pensée, une réflexion.

Je tiens à remercier Yves Krattinger, rapporteur de cette mission, ainsi que tous les membres de celle-ci, dont plusieurs sont présents aujourd’hui. Ils ont tous accepté de mettre de côté le débat polémique pour tenter ensemble, non de traiter les problèmes immédiats contenus dans les textes qui nous sont soumis, mais de faire un travail collectif et de dégager des perspectives d’avenir à partir de leur pratique de la décentralisation. Ont participé à ce travail des présidents de conseil général, des responsables de collectivités territoriales, le président Larcher, c’est-à-dire nombre d’hommes d’expérience autour de la même table. Nous avons voulu parler et travailler ensemble, nous avons mené des auditions, nous sommes allés sur le terrain, nous avons veillé à enrichir notre travail d’avis extérieurs.

Nous avons souhaité, surtout, faire sortir du cœur du Sénat les idées d’hommes d’expérience élus au Sénat.

Nous avons finalement pu dégager des consensus et, quelquefois, mener des débats différents de ceux auxquels nous a habitués la vie politique. Car étaient en cause ici les sensibilités territoriales et les expériences du terrain, qui varient selon que nous sommes urbains ou ruraux, que nous avons une vision départementale ou régionale.

Nous avons ainsi constaté qu’il y avait d’autres arbitrages que ceux de la vie politique classique. Dans ce contexte, la mission d’information a voulu mener une démarche de sagesse afin de proposer une réflexion stratégique, fondée sur le principe de base suivant : notre République a besoin, à la fois, d’unité et de diversité.

Il faut, évidemment, reconnaître la diversité de la République. Ainsi, pourquoi vouloir traiter systématiquement le dossier du travail du dimanche de la même façon dans tous les territoires ? Nous avons une grande diversité ; tenons-en compte !

Pour autant, en tant que républicains, nous voulons une République rassemblée et unique. Il nous faut donc choisir l’unité, tout en acceptant la diversité. La question est difficile ! Cela signifie, comme le disait le rapporteur, que nous ne voulons pas d’une France « en dentelle », qui connaîtrait une règle par territoire. Nous voulons, certes, une règle « pour le territoire », mais à condition que celle-ci s’applique de manière nuancée, sensible, en fonction des caractéristiques spécifiques du terrain.

Nous voulons que la diversité française soit non pas niée, mais reconnue. En aucun cas nous ne remettons en cause les valeurs de la République ! Naturellement, il est difficile de concilier ces deux impératifs d’unité et de diversité, mais c’est notre devoir. C’est ce que nous avons fait en souscrivant au « triptyque » que le rapporteur nous a proposé : responsabilité, efficacité et réactivité. En effet, il nous arrive très souvent de devoir traiter des sujets dans l’urgence. C’est alors la réactivité qui fait la qualité de la réponse : plus la décision est rapide et proche, plus elle est efficace.

Forte de ces objectifs, notre mission a formulé une dizaine de propositions, que le rapporteur développera. Je souhaite pour ma part, mes chers collègues, insister sur trois idées qui me paraissent fondamentales.

Tout d’abord, il nous faut rassurer de façon claire tous ceux qui se battent pour nos concitoyens au niveau communal.

Très souvent, au cours de réunions, des maires nous interpellent, car ils craignent la suppression de l’échelon communal. Or nous réalisons combien nous avons besoin de cet espace premier de la République et de ces militants de la première ligne qui incarnent la République aux yeux de nos concitoyens.

Certes, j’ai beaucoup de respect pour les présidents de conseil général

Marques de satisfaction sur plusieurs travées de l’UMP.

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

En revanche, les maires, qu’ils gèrent une très grande ville, aussi puissante que Marseille, par exemple, ou une plus petite commune, incarnent la République.

Eux seuls permettent à nos concitoyens de rester en contact avec la République ! C’est un point fondamental de notre approche.

On entend dire, çà et là, qu’il faut supprimer un certain nombre de communes. Il est vrai que certaines sont microscopiques ; ce sont des cas dont on peut discuter. Mais, d’une façon générale, une commune qui compte plusieurs centaines d’habitants doit pouvoir exister !

Pour avoir assumé quelques responsabilités dans notre République, je ne suis pas certain que les services rendus par celle-ci soient aussi bon marché que ceux qui sont fournis par les élus locaux. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Il suffit de constater combien on a besoin de ces élus en certaines circonstances ! On leur confie même des responsabilités quand une circulaire est difficile…

J’y insiste, on a bien besoin, en toutes circonstances, d’élus qui assument les responsabilités ! Cela signifie aussi qu’il faut jouer la carte de l’intercommunalité et ne pas laisser les petites communes isolées.

Oui à la commune, mais oui, aussi, à une intercommunalité

Mme Catherine Troendlé opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

… et j’accepte bien volontiers le principe « un homme, une voix ».

L’idée fondamentale que nous défendons est que la communauté de communes est non pas une hiérarchie avec à son sommet un « super maire » qui impose sa règle aux autres, mais une collégialité, une coopérative au sein de laquelle les uns et les autres discutent ensemble, et rendent une décision collective.

Chers amis, notre Haute Assemblée doit rassurer le pays sur ce point : notre volonté est de faire en sorte que l’intercommunalité existe, mais que le principe en soit collégial.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Telle est la première idée structurante du rapport.

Seconde idée structurante : notre pays a besoin d’équilibre. Comme toute la société, les territoires sont soumis à des tensions, qui créent des inégalités. Dans ce contexte, il est nécessaire que nous disposions d’espaces où s’instaure une solidarité entre territoires différents.

Et on voit bien que, dans une société qui est de plus en plus urbaine, dans une société où la « pensée urbaine » devient de plus en plus dominante, il faut porter une attention forte, puissante, généreuse à la ruralité et considérer cette dernière dans le mouvement global de la société. Sinon, les inégalités, les distorsions ne feront que s’aggraver.

Or, mes chers collègues, dans quel espace est-on attentif à la ruralité, dans quel espace veille-t-on d'abord aux équilibres ? Dans l’espace départemental !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Défendre la ruralité aujourd'hui et, au-delà, défendre l’équilibre, c’est défendre un espace dans lequel l’équilibre a du sens.

Pour des raisons diverses et multiples, je pense aux scrutins électoraux

Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

En tout état de cause, il est clair que, tant que les régions seront élues à la proportionnelle telle qu’elle existe aujourd'hui, ce sont les zones urbaines qui feront la vie régionale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

De ce point de vue, l’espace départemental est le plus approprié, y compris avec le nouveau scrutin, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

… même si l’on peut discuter des découpages. C’est en faisant en sorte que le rural et l’urbain disposent d’une représentation équilibrée au sein d’un même espace politique – le département – que l’on pourra être le plus attentif possible à l’égalité des chances territoriale.

Par conséquent, nous disons à tous ceux qui, dans un souci de simplification, déclarent qu’il serait facile et profitable de supprimer le département : faites attention car, en croyant supprimer une structure, vous supprimez une force d’équilibre et, par là même, vous créerez le déséquilibre. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Au demeurant, mes chers collègues, cette observation concerne tous les partis politiques…

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe Ump

Absolument !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

… y compris le mien, dont beaucoup de membres défendront la suppression de l’échelon départemental.

Pour ma part, je considère que la République a besoin d’équilibre et que le département est cette force d’équilibre.

Bien sûr, les collectivités territoriales doivent faire des économies :…

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Nous les avons proposées ; cela a été refusé !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

… le contraire ne serait pas compréhensible, alors que l’État chasse la dépense publique, fait des efforts et que des efforts encore plus importants nous sont annoncés.

Bien conscients qu’il faut participer à cet effort national, nous proposons des économies.

L’une d’entre elles, pour nous très importante, consiste à supprimer tous les doublons de la décentralisation.

Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Dieu sait s’il y en a ! On ajoute des politiques touristiques à des politiques touristiques, des politiques artisanales à des politiques artisanales, des compétences à des compétences…

Sur ce point, notre idée est toute simple.

Madame la ministre, pourquoi y a-t-il autant de doublons ?

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Parce que le Sénat l’a voulu !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Parce que, quelquefois, les départements jouent à la région, et les régions aux départements !

Marques d’approbation

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Il ne fallait pas rétablir la clause de compétence générale !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Ressemblant de plus en plus à une somme de cantons, la région vient rivaliser avec le département sur le terrain de ce dernier. Certes, il peut aussi arriver que le département rivalise avec la région mais, des deux collectivités, il n’y a que la région qui puisse s’imposer sur les terres de l’autre !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Par conséquent, pour éviter les doublons, il ne suffit pas de répartir les compétences : une collectivité trouvera toujours les moyens de sortir de la compétence qui lui a été confiée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Pour éviter les doublons, il faut donner aux départements et aux régions des espaces qui ne sont ni équivalents ni comparables.

M. Éric Doligé opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

C’est pourquoi nous défendons l’idée de grandes régions.

Au fond, bien des régions françaises, que ce soit la Bourgogne, la Franche-Comté, la Champagne-Ardenne, ou encore la belle et grande Poitou-Charentes

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

… et sont en train de développer des politiques qui concurrencent celles du département.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Ce n’est pas une question de taille ! C’est une question de politique !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Donnons-leur la taille de plusieurs régions, donnons-leur une taille européenne ! Elles pourront alors s’occuper des grandes infrastructures de communication dont on a besoin, comme le TGV. Que les régions s’occupent des universités, de recherche, d’innovation ! Qu’elles deviennent partenaires de la Banque publique d’investissement, pour faire du haut de bilan avec nos PME ! Qu’elles définissent la stratégie économique, la stratégie d’avenir ! En somme, qu’elles se chargent de la puissance, et qu’elles laissent la proximité au département. En effet, ces deux dimensions doivent être séparées.

Telle est la vision que nous avons défendue dans le rapport issu de notre travail commun, même si chacun pourra y apporter des nuances.

Madame la ministre, il y a, au fond, dans l’action publique, deux fonctions très importantes : la proximité et la puissance. Il faut l’une et l’autre : sans puissance, on manque d’efficacité mais, sans proximité, on manque d’efficacité démocratique. La proximité revient au département, via la cohésion, sociale et territoriale. La puissance revient à la région. Pour cela, ces deux collectivités exercent des métiers différents, avec des structures différentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

J’aborderai quelques autres idées, que le rapporteur développera dans son intervention.

J’aime bien la proposition de notre rapport sur le Grand Paris. Au fond, cette proposition peut recevoir une application un peu plus large : il s’agit de faire gérer le département par l’éventuelle grande métropole qu’il comporte, afin de dégager une forme de cohérence. À titre personnel, je suis plutôt favorable à une telle idée.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Moi aussi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Si une responsabilité peut être assumée par un seul acteur, je suis pour une telle simplification ! À cet égard, ce qu’a dit Philippe Dallier, dans le cadre des travaux de notre mission commune, sur le Grand Paris m’a paru très juste.

Nous avons engagé une réflexion sur le non-cumul des mandats. Madame la ministre, au sein de notre groupe, nous ne sommes pas fanatiques de cette proposition ! Au reste, j’ai cru comprendre que cette dernière suscitait aussi quelques réserves chez nos collègues socialistes…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

En tout cas, s’il advenait un jour que les parlementaires n’aient qu’un mandat, il faudrait tout de même prévoir leur place dans la décentralisation. Sinon, le préfet pourra-t-il distribuer la dotation d’équipement des territoires ruraux, votée par les parlementaires, sans l’avis de ces derniers ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Une réflexion devra être menée à ce sujet. En effet, mettre les parlementaires en dehors des processus de décentralisation marginalisera la représentation nationale, ce qui n’est évidemment pas bon pour notre République…

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateur s du groupe Ump

Exactement !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Notre rapport comporte aussi des propositions très constructives, comme l’instruction unique, sujet dont Yves Krattinger parlera avec plus de compétence que moi.

Dans ce souci d’unité et de diversité, l’idée d’avoir des lois-cadres territoriales dans lesquelles on laisse une place au pouvoir réglementaire local est très importante.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Nous sommes d’accord !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Cela permettrait d’adapter à la territorialité l’application d’un certain nombre de textes.

Des évolutions de ce type sont tout à fait possibles. En effet, il n’est pas nécessaire que l’on applique partout la même réglementation, que le Limousin soit systématiquement traité comme Rhône-Alpes ou que l’alignement, soit sur le plus fort, soit sur le plus fragile, débouche sur une assimilation. Cette capacité d’avoir un pouvoir d’application réglementaire différencié pourrait être très utile.

Pour terminer, madame la ministre, je sais d’expérience que tous les gouvernements apprécient que notre Haute Assemblée, pleine de compétence et de sagesse, puisse suivre leurs orientations politiques et, au fond, marche derrière eux. Avec cette mission, monsieur le président, madame la ministre, c’est le Sénat qui a souhaité marcher devant le Gouvernement ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d'abord remercier Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information, pour l’excellence de la relation qu’il a bien voulu entretenir avec votre rapporteur pendant toute la durée de nos travaux et à l’occasion de nos déplacements.

Je salue les membres de la mission pour la qualité et le caractère très apaisé de nos échanges, en dehors des joutes politiques traditionnelles.

Je veux dire aussi que le rapport d’information issu de nos travaux, Des territoires responsables pour une République efficace, s’inscrit dans la réflexion entretenue par le Sénat sur la décentralisation et sur l’évolution de l’action publique en réponse aux attentes de nos concitoyens et visant à la satisfaction de besoins qui évoluent en permanence aujourd'hui.

Les modes de vie de nos concitoyens changent, la France change, le monde change. Mais la France institutionnelle a-t-elle assez changé ? Force est de constater que la physionomie des pouvoirs publics et les pratiques de l’administration n’ont pas su s’adapter suffisamment et assez vite aux évolutions technologiques et sociétales.

Nous agissons toujours sous la contrainte et n’anticipons pas souvent. Nos organisations apparaissent confuses, lourdes, lentes, inertes et peu réactives.

Notre organisation politique et administrative est construite sur le modèle d’une France presque immobile, où la population vivrait, travaillerait et voterait au même endroit et où les territoires seraient égaux entre eux. Ce n’est plus vrai, et depuis longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Quand on imagine une organisation territoriale optimale, la tentation est évidemment forte, sur le papier, de préparer la copie comme si l’on partait de zéro, comme s’il n’y avait rien eu auparavant. Au reste, tous ceux qui envisagent de supprimer tel ou tel élément du dispositif ne font rien d’autre ! Or, depuis quarante ans qu’ils en parlent, ils n’ont toujours rien supprimé…

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe socialiste

Bravo !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Imaginons que nous sommes en 2015, que la révolution vient de se produire et qu’il nous appartient de construire les communes, les départements et les régions du XIXe siècle. Bien évidemment, rien ne serait découpé comme aujourd'hui, ou si peu ! Les approches ne seraient pas celles de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle.

En effet, la ruralité a changé, les villes ont extrêmement changé, la relation ville-campagne a changé, les déplacements sont facilités – ils n’ont rien à voir avec ceux d’autrefois –, les échanges sont infiniment plus nombreux et énormément de nouveaux services se sont développés. Les territoires ont changé : certains se sont densifiés, d’autres se sont dépeuplés. Les modes de vie ne sont plus du tout les mêmes.

Si l’on décidait aujourd’hui d’une organisation politique et administrative pour la France, on le ferait bien évidemment en tenant compte des modes de vie d’aujourd'hui, des besoins d’aujourd'hui, des déplacements d’aujourd'hui, de la répartition de la population d’aujourd'hui ainsi que des avancées technologiques d’aujourd’hui.

Mais, demain, après-demain, cette organisation vieillirait elle aussi §et deviendrait progressivement obsolète par rapport à de nouvelles réalités qui, à leur tour, verraient le jour.

Parmi les universitaires, les spécialistes de comptabilité publique ou de droit public que nous avons rencontrés, pas un seul de nos interlocuteurs ne nous a recommandé de procéder par un redécoupage et une réorganisation générale. Tous nous en ont même dissuadés, en soulignant que le temps que nous consacrerions à cet effort serait perdu et que l’on ne pourrait aboutir qu’à un échec parce que vouloir tout bousculer, c’est engager des conflits avec tout le monde et, finalement, ne rien faire.

En revanche, chacun d’eux nous a recommandé de « faire mieux fonctionner le système existant », de le rendre plus performant, de chercher à définir clairement les responsabilités et de trouver les moyens de l’efficacité et de la réactivité.

Je citerai deux universitaires, Laurent Davezies et Hervé Le Bras, que nous avons auditionnés – la phrase est courte, mais elle est importante – : « Nous avons besoin d’une représentation dynamique des territoires : ce ne sont plus des territoires où les gens habitent, mais où ils circulent. » Tout est là !

J’imagine d'ailleurs, personnellement, que l’ouragan des évolutions technologiques actuelles, avec l'envahissement du numérique, est susceptible de submerger rapidement notre organisation actuelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Déjà, 85 % des écrans et des claviers numériques sont entre les mains de ceux que j’appellerai « les citoyens de la planète terre ». Ce chiffre sera très largement dépassé dès les prochaines années. La maîtrise des données, jusqu’à présent réservée aux organisations étatiques, aux institutions publiques, est en passe de leur échapper, de nous échapper.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Le pouvoir se trouvera dorénavant de plus en plus entre les mains des citoyens et de moins en moins du côté des organisations. Face à ces évolutions extrêmement rapides, nous devons dans l’urgence inventer un nouveau logiciel territorial qui soit à la fois efficace, responsable et réactif.

Cette nouvelle mobilité et ces nouveaux modes de fonctionnement des populations exigent de construire une nouvelle relation avec le service public de proximité qui doit s’adapter très vite, et non l’inverse. Nous devons le repenser dans une approche nouvelle de la proximité, intégrant massivement les nouvelles technologies qui permettront à l’État de se moderniser et de construire, voire d'inventer, une nouvelle relation entre le citoyen et le service public.

Il est désormais très urgent de définir autrement l’accessibilité à l’État.

Cette nouvelle mobilité a également une incidence sur le développement des territoires, leur attractivité économique et la vie sociale. Sous cet angle, ils sont très loin d’avoir les mêmes atouts. Nous devons regarder en face ces inégalités de fait et accepter que l’action publique soit adaptée aux spécificités locales, par exemple en matière de pouvoir fiscal et d’administration. Depuis trop longtemps déjà, l’absence d’une réelle action corrective aggrave durablement la fracture territoriale et engendre ce que nous pouvons appeler un « sous-prolétariat territorial ».

La décentralisation doit remédier aux deux maux dont souffre aujourd’hui la République : le manque d’efficacité réelle de l’action publique et la très grande confusion des rôles entre l’État et les collectivités.

Elle doit être un outil de simplification en supprimant rapidement les trop nombreux doublons.

Elle doit aussi permettre de clarifier les missions de chaque échelon territorial. C'est un travail dont découleront naturellement les compétences à chaque niveau de collectivité.

À la région revient la mission d’imaginer, d’écrire et de préparer l’avenir du territoire, des entreprises et des hommes qui y résident. Elle doit être renforcée pour être capable de maîtriser la mondialisation, dans laquelle la France doit entrer au pas de course !

Au département reviennent la cohésion sociale et les solidarités territoriales. Son rôle doit être réaffirmé. Il est un niveau irremplaçable, tout particulièrement dans la ruralité.

À la commune et à l’intercommunalité reviennent le maintien et le renforcement du lien social, ainsi que l’organisation des services publics de proximité immédiate.

L’État doit retrouver et clarifier son rôle de stratège et se recentrer rapidement sur un nombre limité de missions régaliennes. Pour cela, il doit, après trente ans d’inertie et de résistance, accepter enfin de se désengager par la décentralisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission commune d’information. Les travaux de la mission ont permis de mettre en lumière une représentation territoriale de l’État – ce sont les propos que nous avons entendus – « étouffante », consistant principalement à contrôler, parfois abusivement, et qui n’assure plus l’accompagnement et le conseil des collectivités territoriales

M. Alain Gournac opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Ainsi, la mission a pu constater que les élus rencontrés étaient favorables à un désengagement de l’État d’un certain nombre de missions dont ils estiment qu’elles ne devraient pas relever de sa compétence puisque, d’une part, il ne dispose plus des moyens suffisants pour les assumer pleinement et que, d’autre part, ces missions leur ont déjà été confiées. Voilà ce que disent les élus !

La plupart de nos interlocuteurs regrettent que la France soit pratiquement le seul, parmi les pays de l’Union européenne, qui ait conservé des services déconcentrés dans les compétences transférées aux collectivités.

Enfin, la République, dont l’organisation est décentralisée, doit reconnaître la diversité des territoires, qui explique l’expression de besoins différents et donc, en réponse, une action publique adaptée aux spécificités de chacun, sans que cette différenciation conduise à remettre en cause son unité.

Je suis donc favorable, dans la conduite de l’action publique, à une spécificité territoriale, qui ajuste la mise en œuvre des lois à la réalité du contexte local.

En revanche, j’exprime ma très grande réserve devant la reconnaissance de la spécificité territoriale par le biais de modes de gouvernance systématiquement particuliers, et je me méfie de la création de « collectivités ad hominem » qui deviendront facilement demain des bastions oublieux de la nécessaire solidarité interterritoriale qui est indispensable au maintien de l’unité républicaine.

Nous devons être très prudents devant ce qui conduirait inévitablement à l’émergence d’une « France en dentelle », qui ne peut qu’amplifier les tensions internes à notre pays.

Responsabilité des territoires, efficacité et réactivité de l’action publique, diversité, mais aussi unité dans la République, tels sont les défis auxquels doit répondre la décentralisation et qui seront détaillés dans les dix axes de propositions que je vais maintenant essayer d'évoquer.

Le premier axe consiste à garantir la présence de l’État selon des modalités renouvelées. Il faut en finir avec les nombreux doublons de services entre l’État et les collectivités territoriales qui paralysent l’action publique et la rendent incompréhensible pour nos concitoyens. Nous sommes nombreux dans cette assemblée – et au-delà – à le constater tous les jours, dans l’exercice de nos diverses fonctions de président, de maire ou de responsables d’EPCI : l’inefficacité d’une telle situation ainsi que le gaspillage d’énergie et d’argent public qu’elle engendre sont aujourd'hui réprouvés par tous.

Pour en finir avec des politiques qui deviennent concurrentes et pour sortir d'un cumul des services au niveau local qui crée une véritable confusion, j’en appelle à un choc de subsidiarité et je propose, comme première étape, la création d’un service unique contractualisé entre l’État et la collectivité pour chacune des compétences transférées où l’État a conservé des services déconcentrés parallèles et, de fait, concurrents de ceux des collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Cela favoriserait l’instauration d’une relation de confiance et de responsabilisation entre l’État et les collectivités territoriales.

Seraient mis en place, par exemple, des services uniques nés de la fusion de services de l’État et du département en matière social, pour l’équipement rural, le sport ou le patrimoine. Ce n’est pas la peine, à chaque fois, d'avoir deux services !

À terme, ces services auraient vocation à passer sous l’autorité du responsable de la collectivité.

Concernant les effectifs, les membres de votre mission d’information ne sont majoritairement pas favorables à une réduction du nombre des personnels sans réflexion préalable sur les missions de chacun.

La politique du chiffre, caricaturée par la révision générale des politiques publiques, la RGPP, ne fait pas une stratégie politique et se révèle particulièrement déstabilisante si elle ne s'accompagne pas d’un souci permanent de cohérence globale.

Nous contemplons aujourd’hui des territoires entiers qui, victimes de l’application stricte d’une comptabilité des effectifs à la baisse, sont vidés d’une trop grande part de leurs services publics.

Ce guichet unique État-collectivité doit donc s’inscrire dans une véritable stratégie d’ensemble en rendant obligatoire, préalablement à sa création, l’élaboration conjointe, par le préfet et par le président du conseil général, d’un schéma d’accessibilité des territoires aux services publics.

Le deuxième axe renvoie au renforcement des régions qui a été évoqué tout à l'heure par le président Raffarin. Votre mission milite en faveur de la constitution de régions plus grandes et plus fortes, investies d’une réelle vocation d’aménagement du territoire, capables de rivaliser à l’échelle européenne et mondiale. Pour cela, elles doivent être totalement investies de compétences stratégiques telles que la formation professionnelle, le développement économique et la politique de l’emploi, leur permettant ainsi de préparer réellement l’avenir des hommes, des entreprises et du territoire dans lequel ils sont installés.

Une première étape pourrait consister à construire huit à dix pôles interrégionaux intégrant obligatoirement quelques compétences très stratégiques. Par exemple, le schéma des dorsales très haut débit. C'est nécessaire ! C'est le monde de demain, et même celui d'aujourd'hui… Je mentionnerai aussi le schéma interrégional d’accessibilité multimodale – aéronautique, ferroviaire et autoroutière –, le schéma interrégional d'infrastructures ferroviaires – les voies ferrées conduisent souvent d'une région à l'autre –, le schéma interrégional des formations supérieures, le schéma interrégional de couverture hospitalière et sanitaire, la stratégie d'accompagnement des entreprises et de formation continue des salariés et, enfin, la stratégie d’accompagnement des demandeurs d’emploi.

Le troisième axe est consacré au département. Beaucoup ont appelé ou appellent encore à sa suppression au profit des régions. C’est oublier que ces deux collectivités territoriales ne sont que très peu concurrentes. En fait, elles sont même assez largement complémentaires. On l'a dit : à l'une revient la solidarité, à l'autre, la stratégie.

Les éléments recueillis par la mission d’information lui permettent – tout en précisant que la pertinence du département n’est pas aussi puissante dans les milieux urbains denses que dans les territoires ruraux – de souligner qu’il est à la fois un espace privilégié d’évolution des services publics et un fédérateur des intercommunalités, permettant ainsi une véritable coordination entre les différents acteurs du territoire. Pour en faciliter les modalités, votre mission reprend l’idée de créer une conférence départementale des exécutifs regroupant les membres du conseil général et les responsables des EPCI – ce qui a déjà été proposé dans un rapport sénatorial de 2009 sur la réorganisation territoriale.

Une telle conférence fonctionne déjà régulièrement et très bien dans un certain nombre de départements.

Les communautés ont besoin d’appuis et de conseils juridiques, administratifs et techniques. Elles pourront, avec l’augmentation du nombre de leurs compétences, mutualiser entre elles et avec le département certains services et certaines missions. Ce mouvement est déjà engagé dans de nombreux territoires.

Le quatrième axe porte sur les intercommunalités, qui ont également été évoquées. Je suis toujours aussi convaincu que l’intercommunalité est un vrai projet pour l’avenir de nos territoires, tant urbains que ruraux. C’est un remarquable outil de coopération et de solidarité entre les communes et, dans la pratique, un facteur efficace de plus d’égalité pour les habitants.

La confrontation des idées et la mutualisation des moyens font de l’intercommunalité le lieu de faisabilité des projets. Elle a permis de rehausser nettement le niveau des services publics et au public dans un très grand nombre d’espaces ruraux, et d'élaborer et de mettre en œuvre de véritables projets de territoire.

L’intercommunalité est à coup sûr – au moins en milieu rural – la vraie révolution des vingt dernières années. C'est cela qui est vraiment nouveau dans le panorama… Il est donc important de continuer à tirer l’intercommunalité vers le haut ou, si vous préférez, de la pousser en avant. Mais cela ne signifie pas qu’il faille gommer la commune, qui conserva toujours la mission d’assurer le maintien et le renforcement du lien social. L’intercommunalité ne saurait devenir un niveau supplémentaire de collectivité territoriale, rajoutant de fait une couche au « millefeuille » qui, vous l'avez dit, est déjà bien fourni.

Les EPCI à fiscalité propre ont été conçus comme des coopératives de communes. Oui, l’intercommunalité est aujourd’hui un outil au service à la fois de l’action communale et de nos concitoyens, fondé sur une organisation collégiale – j’en suis bien d'accord, monsieur le président Raffarin – et qui répond à une logique de subsidiarité. Ce qui peut être fait au niveau communal doit l'être.

Ce sont ces principes qu’il faut à la fois approfondir – je vois bien qu’avec des étendues plus vastes, certaines questions se posent – et préserver dans le débat communautaire.

Je ne reviens pas sur ce qui a été dit sur la région-capitale et sa gouvernance, qui constituent le cinquième axe. Les statuts particuliers de Paris et de sa région justifient bien sûr une gouvernance spécifique qui doit répondre à des enjeux propres à l'Île-de-France. Il s'agit d'une région complexe, qui concentre dans le même ensemble des problématiques propres aux territoires ruraux et d'autres très urbaines.

Je dirai simplement qu’il faut tendre vers l'idée d'une collectivité qui regrouperait, à terme, la zone dense, et qui assumerait la plupart des compétences. Déjà, en 2008, notre collègue Philippe Dallier nous interpellait sur le sujet et proposait la fusion des quatre départements de la petite couronne.

Provincial, je ne saurais dire quelle alchimie doit être mise en œuvre en région parisienne. Quoi qu’il en soit, il faut une structure qui avance vers plus d’intégration et de solidarité infra-territoriale en Île-de-France.

Dans le même temps, la zone la plus riche de France ne doit pas s’exonérer de la solidarité avec les autres territoires de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

L’Île-de-France est la plus riche, la plus puissante, la plus connue de nos régions, mais elle doit rester dans la République. Je ne doute que nous saurons nous rassembler sur ce point.

Le sixième axe appelle à redéfinir la place des parlementaires dans la décentralisation, dans le contexte issu d’une loi sur le non-cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale.

Les parlementaires sont à la fois investis de la légitimité populaire et connaisseurs d’un territoire. Il faudra bien un jour réfléchir au rôle qu’ils joueront demain et en débattre. Si le processus va à son terme, les membres de la représentation nationale pourraient être des médiateurs entre l’État et les collectivités locales, ou au moins participer à la médiation. En tout cas, les parlementaires auront un rôle nouveau à jouer, plus souvent d’ailleurs un rôle de contrôle de l’action du Gouvernement.

L’exercice de ce rôle de conseil et de cohérence nécessiterait pour le Parlement de se doter d’un pôle d’expertise de très haut niveau indépendant de l’administration centrale.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Il pourrait être constitué avec le concours d’universités et de centres de recherche existants. Il faut par exemple donner aux deux assemblées la capacité d’utiliser les données financières et fiscales qui leur sont fournies par les services administratifs, lesquels ne réalisent pas toujours les analyses dont nous aurions pourtant besoin. Je citerai, à ce titre, l’évaluation des conséquences de la suppression de la taxe professionnelle, dont les simulations ne portaient que sur le court terme alors que le débat nécessitait à l’évidence une vision à beaucoup plus long terme, et ce, d'ailleurs, dans l’objectif de faciliter l’adoption du projet de loi par le Parlement.

Il est évident que le Parlement ne doit pas s’en remettre exclusivement aux services de l’État pour obtenir des informations fiables.

Le septième axe exprime la nécessité de refonder la théorie des finances locales. La mission alerte sur l’urgence de remédier au système actuel, marqué par une incommensurable complexité et générateur d’inégalités. L’enchevêtrement de multiples dotations, compensations, garanties et mécanismes de péréquation le rend très difficilement compréhensible par les élus et parfaitement illisible par nos concitoyens. Ce n’est pas acceptable. Dans le contexte actuel de tensions budgétaires, ce manque de lisibilité est un facteur d’anxiété qui entraîne un rejet croissant de l’ensemble de la question des finances publiques.

Il résulte de ce capharnaüm budgétaire digne des Shadoks deux conséquences importantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

La première concerne les collectivités territoriales, qui perdent progressivement des capacités de décision dans le domaine des finances locales. Or, comment insuffler du dynamisme à un territoire sans cet outil ? Comment lancer des projets d’avenir si les collectivités ne sont pas dotées d’une certaine autonomie fiscale ? Plus de lisibilité et de simplicité permettront aux élus locaux de prendre des décisions pour leur territoire et de justifier leur action auprès de leurs concitoyens.

Néanmoins, votre mission reconnaît qu’une autonomie fiscale plus large ne constitue pas forcément une voie d’avenir pour les territoires les plus pauvres. Ainsi, il convient de prélever une part suffisante de recettes fiscales dans les territoires où est créée la plus grande richesse et d’accompagner cette démarche d’une véritable solidarité financière entre collectivités, grâce à des dispositifs de péréquation justes, fondés sur la richesse relative.

Un système modernisé des finances locales reposerait sur ce principe simple de prélèvement de la richesse là où elle est créée et d’un partage des recettes ainsi procurées grâce à une péréquation horizontale renforcée progressivement. C’est nécessaire pour permettre à toutes les collectivités d’assurer leur mission.

Le huitième axe s’attache à la nécessaire simplification du système juridico-financier de l’intercommunalité. Lors des auditions menées par la mission, la généralisation des statuts particuliers des structures territoriales a été mise en évidence. Aujourd’hui, il existe dix formules juridico-financières différentes d’EPCI à fiscalité propre, dix ! Comment voulez-vous que l’action publique soit comprise et acceptée par nos concitoyens avec une telle complexité ? Dans cette période de crise de confiance, c’est grave.

Il faut y remédier en procédant à une harmonisation progressive des structures tout en prenant en compte la très grande diversité des intercommunalités en France. Il est souhaitable d’aller vers l’unification des régimes juridico-financiers des EPCI.

L’exercice est difficile, mais il est nécessaire. La mission propose de ramener de dix à une les formules fiscales de l’intercommunalité avant 2020. Il faut commencer par unifier le régime des communautés de communes, qui ont le choix entre quatre régimes fiscaux différents. C’est un préalable à l’harmonisation de l’ensemble des régimes des EPCI.

Une vision moderne de la décentralisation passera par une unification du système actuel tout en cherchant à concilier unité et diversité.

Le neuvième axe affiche l’ambition d’instaurer un pouvoir réglementaire local. Il a été fort bien décrit par le président de la mission, Jean-Pierre Raffarin, je n’y reviens pas.

Enfin, le dixième et dernier axe du rapport de la mission porte sur l’instruction unique et la recherche d’une action publique locale efficace et moderne. Tous les interlocuteurs de la mission l’ont dit, il faut en finir avec la multiplication des instructions parallèles justifiées par les financements croisés et les services doublonnés qui alourdissent, complexifient, ralentissent et parfois même empêchent l’action publique locale. C’est un cancer pour la maison France, et un cancer qui prolifère !

Pour en revenir au premier axe, la clarification des compétences est l’outil qui permettra d’aboutir à une action publique locale efficace et pertinente. À cet égard, il est apparu à la mission que l’instruction unique est le moyen incontournable pour parvenir à une décentralisation responsable, efficace et réactive.

Votre mission estime que, pour chacune des principales politiques publiques décentralisées, il est nécessaire et urgent d’instituer un dispositif d’instruction unique au niveau de l’une des collectivités territoriales, celle qui est principalement en charge de la compétence concernée. Celle-ci serait alors chef de file et recevrait la mission d’agence de financement, au nom des autres et sous convention.

Elle serait l’interlocuteur unique du porteur de projet tout au long du processus, ce qui favorisera la coopération et la coproduction. L’instruction unique peut aussi se décliner en guichet interrégional ou interdépartemental dans des domaines plus importants. Nous en arrivons à cette nécessité si nous voulons clarifier la situation aux yeux de tous nos interlocuteurs.

Dix axes de réforme, dix axes de réflexion sur l’avenir de la décentralisation en France. Avec ce rapport, nous avons cherché avant tout à éclairer le débat, avec une vision et des considérations détachées de l’agenda politique.

Ce que nous pouvons retirer de ces travaux et des auditions menées sur plusieurs mois est le constat d’une France en pleine mutation économique, sociale et culturelle, qui cherche à entrer de plain-pied dans la modernité et dans la mondialisation tout en conservant ses traditions et ses acquis.

L’organisation administrative de notre pays est le résultat de plusieurs siècles d’histoire. Aujourd’hui et dans les années qui viennent, nous devons en écrire une autre page pour adapter notre système à une société davantage connectée et plus mobile, dont les besoins ont considérablement évolué. Il s’agit ni plus ni moins de garantir à nos concitoyens l’accessibilité aux services publics et aux services au public au XXIe siècle.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP . – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. le vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat consacré aux conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, à laquelle j’ai participé autant qu’il m’a été possible.

Je remercie le président Jean-Pierre Raffarin et le rapporteur Yves Krattinger de l’excellent document qui fixe des perspectives à long terme, et dont je partage l’essentiel des conclusions.

J’interviens aujourd’hui au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation dont la présidente, Jacqueline Gourault, dont chacun connaît la remarquable compétence, est provisoirement empêchée. La délégation, sous sa bienveillante mais efficace présidence, a bien travaillé. Elle a produit quelque vingt-cinq rapports d’information souvent innovants depuis sa création.

Je constate que les conclusions de la mission commune d’information Krattinger-Raffarin, ou Raffarin-Krattinger, prolongent sur beaucoup de points celles du rapport Krattinger-Gourault de 2009 – ce n’est pas trop étonnant eu égard à la communauté des rédacteurs ; il vaut mieux se répéter que se contredire, mon cher Yves Krattinger – intitulé « Faire confiance à l’intelligence territoriale ». Pour autant, ce n’est pas le seul et, au fil des vingt-cinq rapports, on peut facilement repérer certaines lignes de force qui font l’objet d’un large consensus parmi nous.

Les premières concernent les collectivités territoriales entre elles.

Depuis que le transfert de compétences est à peu près achevé, c’est la question de la clarification de ces compétences qui prévaut. Beaucoup reste à faire dans ce domaine, même si je ne suis pas un adversaire farouche des financements croisés, au demeurant reconnus de fait par le rétablissement de la clause de compétence générale.

Bien d’autres propositions ont été faites par les différents rapporteurs de la délégation que je ne pourrai toutes citer ici.

Parmi les plus pertinentes : l’adoption d’un dispositif de compétences obligatoires – pas exclusives – partageables par accord entre les collectivités territoriales ; le rappel du respect du principe fondamental de non-tutelle d’une collectivité sur une autre et la mise en œuvre dynamique de la notion de chef de file ; la réactualisation d’une procédure de constat de carence en cas d’inertie de la collectivité habilitée à exercer une compétence à titre obligatoire ; la gestion coordonnée des compétences partagées ou concurrentes au sein de conférences territoriales, aspect qui a été largement développé ; l’octroi aux conférences territoriales de la mission d’élaborer des schémas de mise en œuvre des compétences, sous la présidence de la collectivité chef de file concernée.

Le rapport de la mission commune d’information propose d’ailleurs d’étendre cette innovation aux intercommunalités, rappelant qu’une conférence des exécutifs chargée d’organiser la coordination locale et de favoriser le dialogue entre les représentants de l’État et les élus locaux faciliterait la nécessaire coordination au niveau départemental des intercommunalités.

Ces pistes n’ont pour le moment pas toutes été retenues. La décentralisation avance pas à pas, en se cherchant et en expérimentant, et c’est ainsi qu’elle se consolide.

Aussi la délégation propose-t-elle le choix du pragmatisme plutôt que celui du prophétisme. C’est notre position concernant les structures territoriales. La délégation n’a, je vous le rappelle, jamais cherché à redessiner la carte, défendant plutôt l’armature traditionnelle de la décentralisation ainsi que la continuité et le respect des collectivités existantes, sauf à ce que le besoin d’innover se manifeste et suscite le consensus local.

Le chemin de la rationalisation des découpages territoriaux doit passer essentiellement par l’intercommunalité. Elle doit, pour reprendre les termes du rapport de la mission, « être généralisée pour optimiser l’action publique, en étant maintenue dans une organisation collégiale et une logique de subsidiarité. » Nous sommes largement d’accord avec cette vision.

Face à la diversité qu’on pourrait dire « provinciale », la délégation a régulièrement préconisé le pragmatisme et la souplesse.

En d’autres termes, la délégation a très tôt préconisé de mettre des outils à la disposition des collectivités, et de laisser à celles-ci le soin de se saisir de ceux qui correspondent à leurs besoins et à leur ressenti.

C’est également ce que recommande le chapitre III de la première partie du rapport de la mission. Sans entrer dans le détail, il convient de ne pas aller trop loin afin d’éviter ce que la mission a élégamment qualifié « une France en dentelle ».

C’est en quelque sorte le principe d’égalité des usagers devant le service public qu’il nous faut appliquer aux territoires : être égaux oui, mais prendre en compte nos spécificités locales et ajuster l’application territoriale de l’action publique en conséquence.

La deuxième série de questions concerne les relations entre l’État et les collectivités territoriales. Je serai d’autant plus bref que vous avez largement développé cet aspect et que je suis tout à fait d’accord avec ce que vous avez dit.

Toutefois, à ce stade, l’État régulateur est un programme dont le contenu concret, pour l’essentiel, reste à déterminer. Ce contenu relationnel de la décentralisation est de plus en plus sensible et central

Mme la ministre opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Qui fait quoi ? Qui paie quoi ? Telles sont les questions qu’il faut sans cesse poser à frais nouveaux et sur lesquelles la délégation a mis l’accent dans ses travaux récents, car elles touchent à l’avenir de la décentralisation.

Le rapport de la mission d’information les évoque aussi de façon pertinente. Il contient un développement très intéressant sur la reconnaissance d’une liberté d’adaptation aux collectivités territoriales dans l’application de normes nationales.

La question du pouvoir normatif des collectivités comme contrepoids à l’inflation des normes étatiques va en effet se poser de façon aiguë dans les prochaines années. Peut-être faut-il défricher préalablement ce terrain en mobilisant mieux que nous ne l’avons fait jusqu’à présent l’outil des expérimentations, prévu à l’article 72 de la Constitution.

J’évoquerai un dernier point. La question de l’organisation des relations, au plan national, entre l’État et les collectivités se pose de façon urgente. Le Sénat a récemment rejeté l’idée de la création d’un Haut Conseil des territoires. À cet égard, rappelons que la délégation avait, dans un rapport de février 2011, mis en évidence la nécessité de construire le cadre d’un dialogue efficace entre l’État stratège et les collectivités territoriales. Quelle traduction institutionnelle forte donner à cette mission ? Telle est la question.

Cela est d’autant plus prégnant que les assemblées parlementaires seront bientôt privées de l’intime connaissance des problématiques territoriales que leur assure la détention de fonctions exécutives locales d’un grand nombre de leurs membres.

À l’occasion des réunions de travail de la mission, nous avons abordé cette question – reprise par M. le rapporteur et par M. le président – de la place des parlementaires dans la décentralisation. Le constat est partagé par tous : la question du non-cumul du mandat de parlementaire avec celui d’un exécutif local nous oblige à repenser la place et le rôle des parlementaires.

Le rapport de la mission conclut qu’il est indispensable – monsieur le rapporteur Krattinger, vous y avez fait allusion – de doter le Parlement de moyens d’expertise propres en matière de collectivités territoriales. Je crois cependant qu’il faut aller plus loin.

C’est pourquoi j’ai proposé à la délégation de réfléchir au rôle local des parlementaires, après le vote et la mise en œuvre de la loi sur le non-cumul. Le rapport issu de cette réflexion a été adopté à l’unanimité par la délégation et pourrait donner lieu au dépôt d’une proposition de loi.

Permettez-moi d’insister sur ce point qui me semble important et me tient à cœur. Quelle est la situation actuelle ? Les parlementaires qui disposent d’un mandat local électif – c’est-à-dire 80 % d’entre eux – sont membres, à ce titre, soit après avoir été désignés par leur assemblée, soit de droit en tant que président d’exécutif, d’un grand nombre de commissions et organismes compétents dans les domaines les plus variés, touchant tous à la vie quotidienne de leur circonscription et de leurs électeurs : éducation, santé, sécurité, action sociale, transports, logement, loisirs, urbanisme, droit des sols, et j’en oublie beaucoup…

C’est cette participation à la gouvernance locale et non le mandat national qui, seule, établit le lien entre les élus nationaux et leur territoire d’élection. Ce lien n’est en effet constitué que de façon très fugace par le mode d’élection, même s’il est actuellement principalement majoritaire.

J’ai voté le texte que vous avez présenté, madame la ministre, et je suis pourtant sensible aux arguments qui ont été ou sont encore avancés par un certain nombre d’opposants. Les nouvelles règles de non-cumul, qui englobent la totalité des exécutifs locaux, vont littéralement couper les parlementaires de toute la vie locale. Certes, en tant que simples conseillers – municipaux, départementaux ou régionaux –, ils pourront être délégués par leur assemblée auprès de tout syndicat, conseil d’administration ou organisme.

Toutefois, il est évident – étant vous-même président d’exécutif local, vous ne l’ignorez pas – que les exécutifs locaux se réserveront toujours l’essentiel des représentations. Il s’agit d’un mouvement naturel qui se justifiera d’autant plus que les parlementaires, n’exerçant plus de fonction exécutive, auront perdu la technicité qu’ils pouvaient posséder auparavant. §

Les parlementaires vont donc se retrouver en quelque sorte « hors-sol », …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. … rattachés pour la forme à un territoire, en l’absence de toute compétence à exercer sinon la satisfaction de couper des rubans et de déposer des chrysanthèmes.

Marques d’approbation

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Pour pallier ces inconvénients, que je considère comme fâcheux, j’ai proposé de rattacher les parlementaires à leur territoire d’élection en jouant sur un autre registre que celui du mandant local.

Députés et sénateurs sont les représentants de la nation. À ce titre, ils élaborent la loi et contrôlent son application, ainsi que l’action du Gouvernement. Cette double mission d’élaboration et de contrôle à l’échelle nationale doit pouvoir être prolongée à l’échelon local. Les parlementaires devraient en effet pouvoir veiller à l’application des lois dans leur circonscription d’élection, aux côtés des représentants de l’État.

Je propose ainsi de leur ouvrir, de droit, l’ensemble des commissions « régaliennes » présidées par le préfet – voire par le directeur de l’ARS ou le recteur –, ouvertes à d’autres participants que les seuls fonctionnaires. Il n’est en effet pas question ici d’entrer dans les commissions techniques.

La création d’une conférence départementale et d’une conférence régionale des parlementaires permettrait aux députés et sénateurs d’être répartis dans ces commissions en fonction de leurs centres d’intérêt et selon des règles établies par décret.

Vous ne manquerez pas de noter que la mise en œuvre de cette proposition lierait les parlementaires à leur territoire et leur permettrait de suivre de près, s’ils le souhaitent, toutes les questions et problématiques d’intérêt local – d’une manière différente de celle d’un représentant du pouvoir local – qui intéressent les citoyens et les élus qu’ils représentent, ainsi que la façon dont les lois qu’ils ont votées sont appliquées sur le terrain.

Nous avons donc l’occasion, madame la ministre, de connaître dès à présent la position du Gouvernement sur cette question. Vos remarques pourraient nous permettre d’amender dès à présent cette proposition de loi, avant même son dépôt.

Je vous remercie par avance de l’intérêt que vous voudrez bien lui porter.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC . – M. Yvon Collin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Merci de vos vœux, monsieur le président, exprimés en début de séance. Veuillez accepter tous les miens, pour vous-même et vos proches. J’adresse également mes vœux à Mmes et MM. les sénateurs, ainsi qu’à leurs collaborateurs.

Au cours de l’année 2014, je passerai sans doute quelques heures – en tout cas, je l’espère – en cette assemblée, où je me rends toujours avec beaucoup de plaisir.

Je tiens à saluer l’état d’esprit qui a présidé au travail de cette mission. Au-delà des débats partisans, M. le Premier ministre Raffarin et M. le rapporteur Krattinger, ainsi que M. Peyronnet pour la délégation, ont tenu à rappeler que la réflexion de fond qui guidait nos travaux en la matière s’inscrivait dans une perspective historique.

M. le Premier ministre Raffarin a insisté sur le rôle joué par Pierre Mendès France et le général de Gaulle. On oublie trop souvent que la régionalisation – mot quelque peu abandonné, mais qui revient petit à petit dans notre vocabulaire – a été d’abord conçue par le général de Gaulle.

Quelle réflexion mener après un premier texte dont le Sénat s’est saisi à bras-le-corps ? Je peux le dire à cette tribune aujourd’hui, la Haute Assemblée a fondamentalement changé la physionomie du projet de loi sur les métropoles, en particulier de Paris Métropole. Grâce à son travail sérieux et affiné, nous sommes parvenus à élaborer, à partir d’un texte de prime abord complexe, une loi ayant permis de répondre à beaucoup de questions.

Vous avez tenu à tout de suite orienter le débat, notamment, vers le plan de relance et la recentralisation. Je partage d’autant plus cette approche que, face aux grandes difficultés liées à une crise économique que l’on sentait venir, à la masse des innovations technologiques que nous connaissons et à la concurrence en matière de détermination des leviers d’innovation – à laquelle M. Krattinger faisait référence en évoquant la mondialisation –, l’État a choisi un certain nombre de pôles de compétitivité et a demandé aux collectivités territoriales de répondre sur le short déterminé au niveau central.

Cette recentralisation, de fait plus que de droit, a été un moment important de notre histoire commune. Elle a contribué à réécrire, à un instant où nous en avions besoin, une page de l’histoire industrielle du pays. Aujourd’hui, vous l’avez dit sans le dire, monsieur le président de la mission commune d’information, cette page pourrait en très grande partie être remplie par les régions.

En tout cas, je suis ravie que vous proposiez de réfléchir à ces questions avec 2020 ou 2025 pour horizon. C’est ainsi, me semble-t-il, qu’il faut travailler, tout en gardant à l’esprit, cela a été rappelé par vous-même, monsieur Raffarin, puis par M. Krattinger et par M. Peyronnet, que le maire est le représentant de la République sur le territoire. Lors de nos débats sur le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale, j’ai souligné – peut-être l’ai-je mal fait ? – que, si nous avions décidé de garder l’échelon communal, c’est qu’il est celui de la représentation de la République. Nous avions évoqué ce point lors de nos discussions sur les réquisitions et le logement ; on oublie trop souvent que le maire seul, car il est premier magistrat de la commune, a le droit de porter atteinte à la propriété privée. Les présidents d’agglomération qui ne sont pas maires, eux, ne le peuvent pas.

L’histoire du maire et de la commune mériterait peut-être, à la suite des travaux de la mission commune d’information, d’être réécrite et répétée aux enfants de France, qui ne la connaissent plus, et qui ne savent pas pourquoi le maire représente la République sur le territoire.

Monsieur le président de la mission commune d’information, vous avez beaucoup insisté sur le fait que l’intercommunalité était le champ collégial ou coopératif de maintien des communes. Je partage cette vision, même si elle fait naître beaucoup de questions. Faudra-t-il, par exemple, envisager la mise en place d’un scrutin direct ?

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe Ump

Non !

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Ce point, je le rappelle, a été rejeté à la quasi-unanimité du Sénat. Par ailleurs, les compétences peuvent-elles toujours être exercées par le biais de la coopération ?

Ces questions restent posées, même si les exclamations que je viens d’entendre semblent indiquer que la majorité des membres du Sénat est opposée à ce qu’on y apporte une réponse positive.

Vous avez également insisté, monsieur le président de la mission commune d’information, sur le besoin de solidarité. Vous avez eu raison de souligner que toutes les familles politiques partagent cette préoccupation. Nos départements ont un rôle essentiel à jouer en matière de proximité et de solidarité. Il m’importe, avant l’examen des deuxième et troisième volets de la réforme de la décentralisation rassemblés, ce que j’espère, de réfléchir au contenu d’une compétence : la compétence de solidarité territoriale.

En la matière, l’état d’esprit évolue. Le vôtre, monsieur le président de la mission commune d’information, s’inscrit dans l’histoire. Il rejoint d’ailleurs, c’est le produit non pas du hasard mais du travail et de l’analyse, celui du Président de la République et du Premier ministre, qui s’interrogent notamment sur le rôle des régions, sur les doublons ou le partage des compétences. Au-delà des réponses apportées à cet égard par la mission commune d’information, j’aimerais donc pouvoir travailler sur le champ de cette compétence de solidarité territoriale, qui pourrait être exercée par les départements.

La mission commune d’information, suivant en cela la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, propose la conclusion d’un « schéma d’accessibilité des territoires aux services publics ». En effet, l’État et les départements pourraient élaborer de tels schémas, facilitant l’accès aux services publics. Mais si nous pouvions également définir les contours de la compétence de solidarité territoriale, nous pourrions peut-être, dans le même état d’esprit, faire évoluer la clause de compétence générale, qui pourrait s’effacer derrière une clause de solidarité territoriale pour les départements, et une clause de stratégie économique, par exemple, pour les régions.

Je verse cet élément supplémentaire au débat que vous avez ouvert avec plaisir. Je vous propose donc que nous y réfléchissions ensemble, à l’occasion d’une réunion à laquelle pourraient participer les membres de la mission commune d’information et autres volontaires, ou bien, si le président du Sénat nous y autorise, lors d’un débat en ces lieux. Réfléchir en vase clos – d’un côté le Sénat, qui profite, c’est vrai, de la multiplicité des intelligences, et de l’autre le ministère – nous ferait avancer à une vitesse qui ne nous permettrait pas de trouver la meilleure solution.

À ce point de mon propos, je tiens à vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, l’engagement pris par le Président de la République devant le président du Sénat : pour cette loi, une large place sera accordée au travail parlementaire.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Je ne cherche pas à donner de leçons – je ne fais que tirer les conséquences des propos que je viens d’entendre ! –, mais il faut que vous vous saisissiez des travaux menés par la mission commune d’information pour enrichir, par le biais d’amendements, par exemple, un texte existant ou à refonder. En effet, rien n’est aujourd’hui gravé dans le marbre. Le président du Sénat le rappelle souvent, en matière de collectivités territoriales, le Sénat a un rôle majeur à jouer.

Vous avez également évoqué les doublons, monsieur le président de la mission commune d’information, et les difficultés éprouvées par les citoyens et les acteurs économiques à comprendre notre organisation territoriale. Je me souviens du débat sur le tourisme que nous avons eu dans cet hémicycle.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Peut-on encore, au XXIe siècle, voir coexister les comités départementaux du tourisme, les comités régionaux du tourisme, Atout France, les services économiques des départements, les services économiques des régions, et les compétences exercées à l’échelle nationale ? Le tourisme offre pourtant de grandes potentialités économiques pour notre pays. Nous le savons tous, avec 80 millions de visiteurs, la France n’enregistre que 50 milliards d’euros de valeur ajoutée. Avec 50 millions de visiteurs, l’Espagne, elle, crée 80 milliards d’euros de valeur ajoutée ! C’est un vrai problème : cette masse très importante de touristes crée moins de valeur ajoutée qu’ailleurs. Nous avons pourtant des atouts extraordinaires, qui devraient nous permettre d’être la première puissance touristique du monde. Cette question, que vous avez posée, monsieur le président de la mission commune d’information, méritera donc d’être abordée de nouveau dans nos débats futurs.

Par ailleurs, j’ai apprécié le lien que vous avez fait entre « proximité » et « puissance ». À propos de cette dernière, je remarque que les uns et les autres ont insisté sur la taille des régions. Puisque j’ai décidé de m’éloigner du discours que j’avais préparé afin de mieux répondre à vos propos – il me semble que c’est l’esprit de notre débat d’aujourd’hui ! –, je dois avouer que le rejet, y compris et surtout par des sénateurs, de notre proposition visant à ce que la consultation des populations de deux régions voulant fusionner ne soit ni automatique ni inscrite dans le droit m’a beaucoup surprise. Qu’appelez-vous de vos vœux : un mouvement volontaire ou imposé ? Redécouper les régions de France n’est pas un travail aisé. §Le simple redécoupage des cantons non plus, d’ailleurs, on l’a bien vu ! Cependant, je mets de côté ce sujet délicat…

En tout état de cause, je me demande si la loi ne pourrait pas prévoir de manière plus satisfaisante la possibilité pour les régions d’agrandir leur périmètre ou de fusionner. Nous avons tous en tête l’exemple d’une région que je ne nommerai pas mais qui a deux appellations différentes avec « haut » et « bas ». §Je pose la même question que vous : cela tient-il encore la route ? Je suggère que vous fassiez des propositions sur ce sujet.

En revanche, je tiens à le dire devant vous, je ne suis pas certaine que les grandes régions soient toujours les plus efficaces. Certes, cela a été souligné, grande région signifie notamment stratégie, recherche industrielle, enseignement supérieur, carte des hôpitaux. Cependant, même si, dans une telle région, les déplacements physiques sont aisés, il est nécessaire de garder à l’esprit qu’il faut parfois des proximités différentes, d’une autre nature, à même de faire comprendre pourquoi, dans un centre de recherches, par exemple, un transfert de technologie ne se fait pas alors qu’il pourrait se faire. Je me souviens avoir lu – M. Davezies y a également fait référence dans son audition – que certains Länder allemands extrêmement dynamiques sont de petite superficie. Comme l’a souligné Yves Krattinger, ce qui compte, ce n’est donc pas nécessairement la taille des régions, c’est bien plutôt leur puissance, leur capacité à agir, dépendant, notamment, de leurs ressources. S’il ne me revient pas de clore ce débat, je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’avoir initié.

Vous avez également, monsieur le président de la mission commune d’information, beaucoup insisté sur la diversité et l’unité de la République. Le Gouvernement et moi-même partageons à 100 % vos propos sur l’unité de la République. J’adhère également à vos réflexions sur la nécessaire capacité d’adaptation de la loi. Avant les congés de fin d’année, le Premier ministre a posé la question de la diversité de la norme, en se demandant si le droit devait s’appliquer de la même façon sur tout le territoire. Bien sûr que non ! Certaines zones de densification urbaine n’appliqueront pas les lois d’urbanisme de la même façon que les zones où le foncier agricole doit être protégé. Les trois pouvoirs – adaptation, pouvoir normatif, pouvoir réglementaire – ne sont pas de même nature. S’il revient à la loi de le préciser au cas par cas, il nous incombe d’ouvrir la porte à de telles solutions.

J’ajoute toutefois qu’une de nos collectivités au statut particulier, la Corse, dispose d’ores et déjà de ce pouvoir. Pourtant, l’État n’a répondu favorablement à aucune des quarante demandes d’adaptation qu’elle a formulées. Je mettrai à votre disposition l’étude que nous menons actuellement, à la demande de l’Assemblée de Corse, visant à identifier les raisons de ces refus. Elle devrait vous permettre d’avancer sur ce sujet.

Il a aussi été fait mention du changement des modes de vie, de l’adaptation afférente. J’ai apprécié que les conférences territoriales de l’action publique aient été choisies pour l’organisation du guichet unique. J’ai eu beaucoup de mal à faire passer cette idée – sans doute m’étais-je mal exprimée ! –, mais c’est bien ainsi que nous les avions conçues. J’ai trouvé dans le rapport de la mission commune d’information une excellente définition de ce que pouvait être ce portail, ou cette entrée, unique, étant entendu que le guichet unique n’aura jamais d’existence physique. Nous devons y travailler ensemble.

Je retiens également cette expression terrible : le « sous-prolétariat territorial ». J’ai déjà eu l’occasion de le dire au cours des débats, chaque enfant de France n’a pas droit à l’égalité des possibles.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Cela tient aussi au lieu de naissance.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Les services publics sont le patrimoine de ceux qui n’ont rien ; naître dans un endroit qui en est éloigné est donc source de fortes inégalités.

Au-delà de votre proposition de schéma départemental d’accès aux services publics, que je reprends avec enthousiasme, nous avons, me semble-t-il, une grande réflexion à mener, pour que chaque enfant de France ait droit à l’égalité des possibles. Cela pourra sans doute commencer par nos discussions sur l’égalité territoriale, la proximité, la compétence de solidarité territoriale que j’ai évoquée voilà quelques instants.

Vous avez raison de souligner, monsieur le président de la mission commune d’information, qu’il faudra accompagner la décentralisation – voie sur laquelle l’État s’est engagé – d’une véritable déconcentration, très différente – Yves Krattinger l’a relevé après vous, monsieur le Premier ministre Raffarin – de ce qu’elle est aujourd’hui. Les services de l’État, en effet, sont restés tels quels, et la décentralisation a, jusqu’à présent, insuffisamment été prise en compte.

Voilà quelques années, il était question d’État prédateur et d’État partenaire, d’État normatif et d’État aidant. Selon moi, l’État aidant, l’État protecteur est une nécessité absolue. Il faudra sans doute mieux réfléchir à la présence des services de l’État sur le territoire.

Je profite d’ailleurs de l’occasion qui m’est donnée de saluer ces derniers. Sans eux et, surtout, sans les services des collectivités territoriales, …

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

… nous n’aurions pas pu faire face aux inondations que nous subissons actuellement en Bretagne.

L’égalité des territoires comme l’adaptation aux grands défis économiques sont des sujets importants. Vous avez parlé des dorsales du numérique, de l’intermodal. Nous pouvons parfaitement entendre ces propos, non sans ajouter, cependant, qu’il est nécessaire et urgent de réformer les finances locales. J’ai demandé au Premier ministre de pouvoir « démonter » la dotation globale de fonctionnement, afin de la redéfinir avec un critère d’égalité territoriale et de solidarité. Si l’on peut faire différemment pour la dotation globale de fonctionnement – il n’y a pas longtemps, Claude Dilain appelait de ses vœux une telle évolution –, concomitamment, il faudra maintenir de la solidarité. Je rappelle que l’Île-de-France accueillait 17 % des bases de la taxe professionnelle, alors qu’elle concentre 33 % des bases de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE. Les questions de péréquation et de solidarité se posent donc.

Vous avez raison, monsieur Krattinger, la région d’Île-de-France et la métropole du Grand Paris seront appelées à faire preuve de solidarité, par le biais de la péréquation. À l’heure actuelle, je ne vois pas d’autres moyens, même si l’agence des finances locales que vous appelez de vos vœux peut être une réponse. Mais je ne l’ai pas suffisamment étudiée pour vous en dire plus.

Pour terminer, je voudrais répondre à une question que Philippe Dallier avait posée à propos du Grand Paris. Lors de nos débats à l’Assemblée nationale, il a été décidé que l’État prendrait en charge une étude portant sur les conséquences de la suppression des départements et présentant tous les scénarios possibles.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Nous ne voulons pas annoncer d’abord la suppression des départements, puis en examiner ensuite les conséquences !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Bien sûr ! Il faut une étude d’impact !

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Conformément à nos engagements, les parlementaires et les élus franciliens disposeront d’un document évaluant les effets d’une telle mesure. C’est sur cette base qu’ils seront invités à y réfléchir.

En conclusion, je remercie le Sénat de son initiative, qui nous permettra d’aborder le deuxième volet de l’acte III de la décentralisation, et peut-être de réécrire en grande partie le texte. Je me félicite de l’excellente qualité des débats, reflet de la non moins excellente qualité des conclusions de la mission commune d’information. §

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes meilleurs vœux, pour une année pleine d’écoute et d’inventivité.

Pendant six mois, nous nous sommes penchés – je parle de ceux qui n’étaient pas retenus dans l’hémicycle – sur l’organisation de la République décentralisée à moyen terme, c'est-à-dire pour la période 2020-2025.

Certes, cet essai de prospective était une excellente idée. Mais notre réflexion a été de courte vue : le temps politique et législatif s’écoule plus lentement que le temps civil. Ainsi, le moyen terme, c'est-à-dire six ans ou sept ans, est en réalité le court terme législatif ; notre dernière loi sur l’organisation territoriale de la France porte déjà sur cette période.

En effet, la loi sur l’affirmation des métropoles envisage de revoir le mode d’élection des conseillers métropolitains, avec notamment l’élection au suffrage direct du président à l’horizon 2020 !

Ainsi, borner notre réflexion à 2020-2025, c’est en réalité nous interroger sur l’évolution des lois que nous sommes en train de voter. Cela fait donc, en quelque sorte, double emploi avec l’acte III de la décentralisation.

C’est pourquoi le rapport, malgré toutes ses qualités, pèche par manque d’ambition. Nous savons ce que nous avons, nous savons ce que nous sommes en train de voter, mais nous ne savons pas nous en extraire pour imaginer l’organisation de la France de demain. Tout au plus, nous en sommes restés à la France de ce soir, au mieux de cette nuit !

Attachés à notre travail quotidien, nous n’avons peut-être pas été capables de nous détacher de nos modes de pensée actuels, si liés au passé.

J’en veux pour preuve la querelle des fondamentaux, celle des départements. La suppression des départements, que les Verts portent dans leur programme depuis leur origine, découlerait, selon le rapport, d’une analyse « dogmatique et infondée », l’« enracinement historique » des conseils généraux fondant leur « légitimité ».

À dogmatique, dogmatique et demi ! Depuis quand l’ancienneté est-il un gage de légitimité ? Sauf à dire que le neuf est toujours moins bon que l’ancien, que l’inventivité doit céder le pas au conservatisme, bref que l’imagination n’a pas sa place dans une analyse prospective…

Pourtant, dans cet hémicycle, après avoir reproché aux écologistes de n’avoir aucune vision territoriale – je vous invite à prendre connaissance de notre vision en lisant la première page de mon site Internet –, certains ont finalement trouvé bon de prôner publiquement la disparition des départements lorsque la métropole les dépouillait de leur utilité. Ainsi, la loi adoptée, en laissant subsister les départements de petite couronne, n’aurait pas été assez loin.

Nous devons évoluer et n’avoir aucun tabou, dans une analyse prospective. Nous devons oser toucher à l’organisation centralisée napoléonienne, où les départements étaient un simple rouage de l’administration centralisée de la France. La France ne peut-elle pas aller de l’avant et se réinventer à travers elle-même, parfois en supprimant ou en modifiant des institutions devenues superfétatoires ?

Faut-il que nous restions arc-boutés sur une institution sous prétexte qu’il y a soixante-dix-huit conseillers départementaux, dont trente-cinq présidents de conseil départemental, parmi nous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Tout ce qui est excessif est insignifiant !

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

La France a besoin d’une organisation cohérente, efficace, à la hauteur des enjeux de notre siècle. Aurons-nous le courage de faire confiance à l’« intelligence des territoires », en les rendant responsables ?

Saurons-nous donner aux régions le rôle de pilotage et de planification stratégique, dont nous avons grand besoin dans le concert européen et mondial, surtout face aux métropoles, qui, elles, ont été conçues dès leur création pour avoir un rôle international ?

Est-il possible de sortir d’une vision jacobine de l’État qui voit tout, sait tout et prévoit tout ?

Exclamations et marques d’ironie sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Est-il possible de permettre une adaptation encadrée des normes au niveau local, afin de laisser une marge de liberté aux collectivités tout en respectant la nécessaire solidarité et la nécessaire cohésion territoriale ? Une telle marge de manœuvre, pourtant affirmée par la Constitution, nous permettrait de mettre en œuvre un fédéralisme différencié.

Saurons-nous garder le sens révolutionnaire du mot « décentralisation » ? Il semble qu’il nous échappe, à l’heure où nous opérons une forme de recentralisation, à travers la création des métropoles au détriment des intercommunalités, que nous avons pourtant eu tant de mal à faire émerger.

Il faut aussi avoir le courage de nos propres inquiétudes et faire face au désamour de nos concitoyens pour notre rôle. Il nous faut oublier nos intérêts personnels et retrouver l’intelligence des territoires tant louée.

Mais il faut surtout réconcilier les citoyens avec le jeu politique ; ils doivent occuper une place centrale dans les mécanismes de prise de décision locale. Nos concitoyens le réclament ; il y va de la survie de nos institutions.

Combien de temps nos électeurs vont-ils encore tolérer de n’être que des pions appelés à voter tous les deux ans ou trois ans ou, pire, d’être exclus pour sept ans de l’élection des présidents de métropole ?

Contrairement à ce que semble penser notre rapporteur, ce n’est pas de « médiation démocratique » que nos concitoyens ont besoin ! C’est d’un renouveau démocratique ! C’est à une refondation de notre démocratie que nous devons nous astreindre ! Élus de la République, nous devons repenser notre rôle. Je parle de notre rôle non pas de demain – c’est déjà, hélas ! trop tard – mais d’après-demain.

Il faut redonner du sens à la citoyenneté, qui va au-delà de l’élection. Nous avons déjà 600 000 élus en France, dont 90 % de bénévoles comme conseillers municipaux dans les petites communes. Nous avons 16 millions de bénévoles dans les associations. Sommes-nous assez obtus pour penser que tous ces citoyens sont incapables de s’occuper de la res publica ? Ils s’en occupent déjà ! Et c’est à nous de leur donner les moyens d’en faire plus pour leur territoire.

En ancrant dans la loi les outils déjà à l’œuvre – agenda 21, budgets participatifs, référendums locaux, concertations, pétitions… –, nous pourrions réconcilier les citoyens avec la sphère politique. Car ces outils, en rendant les citoyens responsables, rendent la République plus libre, plus égale et plus fraternelle, donc plus efficace.

Il s’agit ici du sens de l’Histoire, mes chers collègues ! À nous d’en faire dès aujourd'hui la réalité d’après-demain ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trente ans après l’acte I de la décentralisation et dix ans après l’acte II, qui donne souvent un sentiment d’inachevé, il était temps de repenser les fondements politiques et financiers d’un modèle devenu à bien des égards illisible. C’est l’objet et le mérite de la mission conduite par nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger.

Pour ma part, je me limiterai à trois réflexions qui me semblent conditionner un nouvel élan à la décentralisation.

Ma première réflexion sera de rappeler que la décentralisation ne peut pas consister à confier aux collectivités territoriales ce que l’État n’a plus les moyens ou la volonté de faire. Aussi suis-je intimement convaincu qu’il ne peut pas y avoir de décentralisation réussie sans une réflexion préalable sur le rôle et les missions de l’État. §La décentralisation ne doit en aucun cas devenir ce système commode par lequel l’État se défausse de tâches plus ou moins assumées.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Elle doit au contraire être l’occasion de désigner, de repenser et de redéfinir les compétences des uns et des autres.

Décentralisation et réforme de l’État sont donc intimement liées.

Trop souvent par le passé, et aujourd’hui encore, on constate, pour les déplorer, des transferts de fait par désengagement implicite de l’État. On peut penser à l’ingénierie publique locale, à la police ou, plus récemment, aux rythmes scolaires.

Par ailleurs, il y a urgence à préciser ce que l’on met sous le mot « décentralisation ». S’agit-il d’un transfert de compétences ou de gestion ? On le voit bien avec l’action sociale dans les départements, où, de fait, ce service intervient dans un cadre législatif et réglementaire défini au plan national et appliqué uniformément sur l’ensemble du territoire. Il s’agit bien plus d’un transfert de gestion que d’un transfert de compétences proprement dit, ce qui supposerait une possibilité d’adaptation.

Le sujet n’est pas anodin. Il soulève plusieurs questions. Pour le compte de qui les collectivités locales agissent-elles ? À qui rendent-elles des comptes ? Et quel niveau de contrôle de l’État sur les compétences transférées ? Nous l’avons vu, l’État est encore très présent…

De telles ambiguïtés et confusions sont sources de malentendus. Il convient d’y mettre un terme. Il ne peut pas y avoir deux actions publiques, l’une nationale, l’autre locale, qui s’ignoreraient, se combattraient ou se concurrenceraient.

Je plaide donc pour que les textes annoncés sur la décentralisation répondent à ces questions et, surtout, ne fassent pas une nouvelle fois l’impasse sur la nécessaire réforme de l’État.

Ma deuxième réflexion porte sur la question de l’organisation territoriale et sur ce qu’il est convenu d’appeler « le millefeuille ».

Y a-t-il un nombre excessif d’échelons territoriaux entre la commune, l’intercommunalité, le département et la région ?

Il faut choisir : soit l’on se prononce pour la suppression de l’un d’eux, mais encore faut-il avoir le courage de dire lequel, soit l’on reconnaît à tous une légitimité et une raison d’agir, mais ils ne peuvent dans ce cas pas être compétents dans tous les domaines et il faut accepter d’identifier clairement les missions. C’est cette dernière option que le précédent gouvernement avait retenue.

Je déplore que le gouvernement actuel ait rétabli la clause de compétence générale sans en tirer les conséquences quant au nombre d’échelons.

Autant le couple entre commune et intercommunalité a un sens et un contenu, autant il me semble difficile de parler d’un couple entre département et région.

Sur le premier couple, je rejoins totalement les conclusions de la mission, qui réaffirme l’intercommunalité comme un lieu de coopération, et non comme une structure hiérarchique ou un lieu de tutelle sur les communes.

Quelle contradiction à demander plus de décentralisation, plus de liberté, plus de possibilité de s’organiser en tenant compte de la diversité des territoires tout en voulant en même temps régler les relations entre les communes et l’intercommunalité par une loi s’appliquant de manière uniforme et obligatoire !

Les départements et les régions apparaissent trop souvent plus en concurrence qu’en complémentarité.

Je crains que le redécoupage de la carte cantonale sur un critère essentiellement démographique au détriment d’une approche territoriale ne modifie très sensiblement la perception et l’action du département, créant un déséquilibre entre milieu rural et milieu urbain.

Et je ne parle même pas de l’émergence des métropoles, qui ont vocation à reprendre une partie des missions des départements.

Madame la ministre, j’aimerais vous interroger sur l’Ille-et-Vilaine, que vous connaissez bien même si ce n’est pas votre terre d’élection. Que va devenir le conseil général – le département compte 1 million d’habitants – avec une métropole de 600 000 personnes ?

Chacun s’accorde à reconnaître que la région n’a pas répondu aux espoirs mis en elle et que sa transformation en collectivité de plein exercice n’a pas fondamentalement changé les choses. C'est la raison pour laquelle je rejoins totalement l’idée, développée par la mission, d’en réduire sensiblement le nombre.

Et je me demande si les départements ne devraient pas petit à petit évoluer dans leur composition en rassemblant l’ensemble des exécutifs des EPCI, leur redonnant ainsi une mission de cohésion territoriale et sociale.

Je consacrerai ma troisième réflexion aux notions d’autonomie financière et d’autonomie fiscale, qui ne sauraient être confondues. Dans tous les États ayant une forte tradition d’organisation décentralisée, on constate que celle-ci ne s’accompagne pas d’une grande liberté ou autonomie fiscale.

La décentralisation est moins en premier lieu affaire d’autonomie fiscale que d’autonomie financière, car les richesses ne se trouvent pas sur les territoires ayant le plus de charges. Il n’y a pas adéquation entre les richesses d’un territoire et les dépenses mises à sa charge. Plus nous irons vers une République décentralisée, plus l’État devra travailler à la répartition des richesses, et mettre en place des dispositifs de péréquation et de dotation, par définition antinomiques avec l’autonomie fiscale.

Trop souvent l’État croit jouer son rôle de garant de l’unité nationale en réglementant. Or, selon moi, il devrait davantage se préoccuper de réguler et de veiller à assurer l’équité entre les territoires, notamment sur le plan financier, de façon à les doter des moyens nécessaires à la réalisation de leurs missions.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

En conclusion, l’organisation territoriale ne doit pas être une simple question administrative ou une option technique de circonstance. C’est un choix politique, qui doit être assumé comme tel.

La diversité historique, géographique et culturelle de nos territoires est une richesse qu’il convient de valoriser. L’unité de notre nation, qui s’est construite sur une histoire et sur des valeurs partagées, est aussi sa force. La recherche d’un point d’équilibre entre unité et diversité doit être le fil conducteur de notre organisation territoriale, ainsi que de ses évolutions.

En ce qui me concerne, je privilégierai toujours la réaffirmation du rôle de l’État quand le lien social et territorial est en cause, car il y va de notre vivre ensemble et donc de notre unité. J’en appelle à la mobilisation des acteurs locaux dès que l’expression de la diversité du territoire devient gage d’efficacité et de responsabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

« La République est forte par son État, mais aussi par ses territoires ». Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comment concrétiser cette affirmation du Président Hollande, que nous approuvons tous, ici, au sein de la chambre des territoires ?

Trente ans après les premières lois de décentralisation, qui ont changé la France, comme vous l’avez rappelé, madame le ministre, il est nécessaire de renforcer la capacité des collectivités à développer leur territoire. Comme vous, j’ai la conviction que le futur de notre pays se confond avec celui des territoires. Je crois aussi qu’une impulsion doit émaner du terrain, des acteurs de la démocratie locale, avec un indispensable objectif de clarté, d’efficacité et de subsidiarité.

Le Sénat possède, par essence, une longue tradition de réflexion sur les collectivités. Un des constats de la mission commune d’information est particulièrement alarmant, je veux parler du risque d’apparition d’un « sous-prolétariat territorial », notamment dans les zones rurales. Un tel phénomène serait inconcevable et inadmissible au sein de la République. Comme nous tous ici, je considère que l’égalité des chances entre les territoires est un impératif républicain et un élément essentiel pour utiliser au mieux le potentiel économique de notre pays.

L’État est le garant de l’unité et de la solidarité nationales, mais chaque territoire a ses besoins et ses contraintes ; c’est l’échelon local qui peut le mieux les définir. La décentralisation à la française a presque toujours été mise en œuvre par une déconcentration, l’État transférant des compétences à la charge des élus locaux, tel un ministère déconcentrant ses services. La sédimentation de l’histoire a, hélas ! construit une décentralisation par superposition et non par subsidiarité.

Il en résulte un labyrinthe administratif complexe, aux itinéraires mal identifiés et parfois manquant de cohérence, non seulement pour le citoyen, mais aussi pour les élus.

Nos concitoyens remettent en cause la bonne utilisation de leurs impôts, qu’ils jugent trop lourds, pour financer les services publics - trop de doublons, de compétences concurrentes nuisent à l’efficacité de l’action publique. Ils ne comprennent pas comment, en dix ans, l’effectif des agents locaux a augmenté de façon très déraisonnable, de près de 40 %.

La corrélation est évidente entre les 400 000 normes, qui constituent un frein dramatique à la fluidité de l’économie, et le nombre de fonctionnaires qui en surveillent l’application. Diminuons les normes de façon draconienne, et la dépense publique diminuera mécaniquement.

La commune est la structure première de la démocratie et de la proximité. Les 550 000 élus locaux forment un maillage territorial incomparable qu’aucune administration ne saurait remplacer. L’intercommunalité est l’échelon pertinent pour la réalisation de projets, dont la nouvelle phase d’intensification a débuté le 1er janvier. Elle est aussi l’outil adapté à la consolidation de bassins de vie cohérents et dynamiques.

Cette mutualisation réussie a été opérée grâce à l’attribution aux intercommunalités de compétences choisies par les communes, qui, elles, possèdent la compétence générale. La répartition claire entre compétence générale et compétence d’attribution est un principe qui fonctionne, il permet de savoir qui fait quoi. Le rétablissement de la clause générale de compétence au profit des départements et des régions sera plus source de confusion que d’efficacité. La notion de « chef de filat » ne suffira pas à rendre l’organisation claire.

Issues de l’expérience des élus, les propositions de la mission commune d’information ont mûri à l’écoute de personnalités extérieures au monde politique.

La comparaison avec nos partenaires européens est enrichissante. Ainsi, l’Allemagne fédérale compte moins de structures, moins de fonctionnaires, et une dépense publique moindre ; pourtant, elle offre une efficacité des services publics au moins égale à celle de la France, sinon meilleure, et ce en partie grâce à un Bundesrat composé exclusivement d’élus locaux ! La loi sur le non-cumul des mandats sera préjudiciable à cette démarche de meilleure organisation.

Eh oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

C’est donc à nous qu’il appartient d’inventer la décentralisation à la française, avec un esprit neuf et créatif. Soyons pragmatiques et non idéologues, soyons courageux et novateurs ! Osons redéfinir les lignes et les compétences de nos territoires pour clarifier et dynamiser notre espace national.

Dans son rapport, M. Krattinger propose de diminuer le nombre de régions et de leur donner les compétences stratégiques pour ouvrir nos territoires sur le monde, par souci d’efficacité. C’est indispensable. Un consensus se dessine autour de cette idée.

Une région forte, avec une compétence économique stratégique, corrélée à une compétence en matière d’enseignement tant secondaire que supérieur et de formation professionnelle, une région organisée autour d’infrastructures performantes pourrait devenir un acteur international, au minimum à l’échelon européen.

La mission commune d’information considère le département comme la cellule adaptée aux zones rurales pour la solidarité. Je suis, sur ce point, en désaccord avec son président, Jean-Pierre Raffarin, car les élus de communautés de communes constatent que la solidarité est devenue une compétence majeure du bloc communal : l’aide à domicile, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, les maisons de retraite, les crèches, ainsi que leurs salariés, sont de leur ressort.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

En outre, les départements n’ont très souvent plus les moyens de jouer le rôle de péréquateur en subventionnant les petites communes. Ainsi privés de leur vocation économique et sociale, les départements voient leur existence se justifier de moins en moins. L’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, pourrait être modulée par l’État en fonction du niveau de richesse des territoires, ce serait une véritable solidarité nationale par péréquation.

Le rapport formule une idée nouvelle qui favoriserait la subsidiarité, celle de lois-cadres territoriales donnant aux collectivités un véritable pouvoir décentralisé d’adaptation de la législation, par voie réglementaire.

Il est évident que l’on ne peut administrer de la même façon une métropole, a fortiori une ville capitale de taille mondiale, et une zone rurale, une zone de montagne ou un espace périurbain. L’hétérogénéité du coût de la vie et du niveau des rémunérations constitue une rupture de l’égalité nationale. Peut-on imaginer un SMIC différent dans la région parisienne et dans les zones rurales ? Cela ajouterait, additionné aux avantages des zones de revitalisation rurale, à l’attractivité de la ruralité.

Enfin, l’autonomie des collectivités territoriales doit se traduire avant tout par une autonomie financière. La complexité des finances locales, des financements croisés, de la péréquation verticale et horizontale, de la définition du potentiel financier et du potentiel fiscal engendre l’incompréhension chez les citoyens et la perplexité chez les élus.

Une révision des finances locales est donc une priorité absolue. C’est ce que préconise le rapport en prévoyant, par exemple, de ramener de dix à une les formules fiscales de l’intercommunalité avant 2020. Ce serait une révolution salutaire. La future réforme fiscale du Gouvernement ne peut faire abstraction d’une refondation de l’impôt local.

Le groupe UDI-UC propose une idée simple et efficace : le triptyque « une collectivité, une compétence, un impôt ». Le citoyen connaîtrait ainsi la destination de ses impôts et le principe « moins de dépenses pour plus d’efficacité » pourrait enfin devenir une réalité. Cette cohérence des structures, des compétences et du financement assurerait une politique locale lisible, soutenable et autonome. Elle recevrait à la fois plus d’adhésion de la part des citoyens et plus de confiance de la part des investisseurs pour développer l’action économique de la collectivité.

Enfin, la présence à Bruxelles de représentants au fait des problématiques de nos territoires favoriserait une meilleure intégration européenne de nos régions.

Madame la ministre, prenez en compte les travaux du Sénat. Redonnez l’envie aux Français de faire prospérer leurs territoires. C’est par la clarté, la cohérence et l’efficacité de son organisation décentralisée que notre République pourra exploiter son potentiel, et de nouveau occuper pleinement sa place, en Europe et dans le monde.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions . – M. Claude Dilain applaudit également.

M. Thierry Foucaud remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Mireille Schurch

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, durant ces dernières années, d’intenses discussions ont eu lieu autour de l’organisation territoriale de notre pays.

Intelligence, confiance, égalité, efficacité, mais aussi rationalité et compétitivité ont été les maîtres mots des différents débats qui se sont tenus dans cet hémicycle.

La répartition des compétences, les échelons territoriaux pertinents, les moyens de l’action publique, sont autant de questions encore sans réponse aboutie aujourd’hui.

Notre débat est marqué par un contexte d’incertitude. En effet, nous avons assisté à la production de très nombreux textes législatifs ayant une incidence directe sur nos collectivités territoriales : réforme de 2010, métropolisation, nouvelle programmation des fonds structurels européens, contractualisation État-régions pour la période 2014-2020. Par ailleurs, nous sommes dans l’attente des deux autres volets législatifs de la réforme voulue par le Président de la République.

Bref, la réflexion sur notre organisation territoriale à l’horizon 2020-2025 s’inscrit, vous en conviendrez, dans un contexte extrêmement mouvant.

Si nous souscrivons à certains éléments de l’état des lieux esquissé et à certaines des préoccupations relevées par la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, nous ne partageons pas l’essentiel de ses préconisations.

Qu’il me soit permis d’abord de dire un mot de la méthode. Les états généraux de la démocratie territoriale, qui se sont déroulés ici même, au Sénat, ont permis aux élus d’exprimer leurs attentes et leurs inquiétudes. Nous devons les écouter.

Les élus ont clairement affirmé la nécessité de rétablir la compétence générale des régions et des départements. Ils ont mis l’accent sur leur attachement à la commune ainsi que sur l’importance de mettre en place un véritable statut de l’élu. Surtout, ils ont exprimé le besoin d’évaluer les normes et d’effectuer une pause dans les réformes.

L’objet de notre mission est si fondamental qu’il eût justement été opportun de réfléchir à une nouvelle méthodologie. Quatre réunions d’auditions, quatre discussions et trois déplacements ne nous semblent absolument pas suffisants pour un tel chantier. Puisque cette mission commune d’information avait pour objectif de se pencher sur l’avenir, nous aurions pu prendre plus de temps et réfléchir au moyen de rendre la parole non seulement aux élus mais aussi aux citoyens, aux fonctionnaires territoriaux, aux entrepreneurs, aux commerçants et artisans, aux agents des services publics, bref, aux premiers concernés.

À cet égard, cela aurait pu être l’occasion d’élaborer un questionnaire, qui aurait ensuite été soumis au débat public. Les questions se bousculent, et on a mesuré leur grand nombre depuis le début de cette après-midi : y a-t-il réellement trop de communes ? Y a-t-il trop d’échelons, trop de doublons ? Faut-il supprimer les départements ? Qu’attendez-vous de vos élus ? Quels doivent être les services publics et à quelle échelle ? Pensez-vous que notre organisation territoriale soit trop complexe ?

Cette méthode nous aurait permis de sortir de l’« entre soi » qui nous est si souvent reproché, et sans doute de nous bousculer dans nos points de vue.

C’est que, malgré la complexité du sujet, on observe, sur l’ensemble du territoire, un foisonnement d’initiatives populaires et de réflexions d’une très grande richesse. Mme la ministre vient de nous livrer quelques-unes de ses réflexions - clause de solidarité, compétence en matière de tourisme. Monsieur le rapporteur, j’ai l’impression que notre mission vient tout juste de commencer !

Sur le fond, il nous semble que ce rapport prélude à un éclatement des solidarités territoriales, et à ce que son auteur qualifie lui-même d’« émergence d’un sous-prolétariat territorial ». Voilà une expression que je reprends volontiers également.

En effet, après la territorialisation de l’action publique, qui porte en germe cette fracture territoriale, cette mission commune d’information propose d’aller plus loin encore vers « la différentiation des territoires », permettant la mise en place d’un véritable pouvoir décentralisé d’adaptation de la législation et mettant ainsi à mal, à nos yeux, l’égalité des citoyens devant la loi, au risque de renforcer les inégalités territoriales.

Le « choc des territoires » – pour reprendre la terminologie du rapport – fondé sur la mise en concurrence de ces derniers, serait destructeur des solidarités nationales et d’un aménagement harmonieux et équilibré du territoire, au seul profit des zones denses qui « aspireraient » l’essentiel des capacités de développement. Sur ce point, nous devons être extrêmement attentifs et vigilants.

Nous ne souscrivons pas à l’objectif de réduction du nombre de régions. J’ai du reste le sentiment que Mme la ministre n’y adhère pas non plus ! Nous ne souscrivons pas davantage à une possible disparition des départements dans les zones urbaines, ou à la perspective d’une fusion rapide des départements de la petite couronne d’Île-de-France. Au demeurant, ces projets de modifications ne tiennent jamais compte de l’avis des populations concernées. L’exemple alsacien devrait pourtant nous inspirer !

Si nous nous associons à la mission d’information pour réaffirmer la place des communes, nous nous interrogeons sur leur véritable avenir. En effet, le rapport ne mentionne plus qu’un « bloc communal » pour la mise en œuvre des politiques publiques de proximité. Il situe ce « bloc communal » comme premier échelon de la démocratie locale, en lieu et place des communes. Or nous n’avons pas défini ce terme de « bloc communal » que pourtant nous ne cessons d’employer ! Est-ce une manière d’acter diplomatiquement la fin des communes ? Je pose la question. Ce nouveau vocable est flou. Il peut se révéler dangereux pour tous ceux et toutes celles qui, comme les sénateurs du groupe auquel j’appartiens, sont profondément attachés à la commune.

Nous n’avons cessé en effet de le rappeler, que ce soit lors de débats relatifs à la politique de la ville, à la politique du logement – avec l’obligation du PLU intercommunal – ou au mode d’élection de ceux que l’on nomme non plus les « délégués » mais les « conseillers communautaires » : les communes constituent le pivot de l’organisation territoriale, le cœur battant de notre République. Il serait impensable de se priver de cet atout unique en Europe, en leur retirant leurs compétences.

L’avenir de notre pays ne peut reposer sur quelques métropoles que l’on compterait sur les doigts d’une ou de deux mains. L’équilibre est à rechercher entre les territoires, urbains, rurbains et ruraux. C’est cette démarche qu’entreprennent aujourd’hui plus d’une trentaine de départements avec le concept de « nouvelles ruralités », sur l’initiative du président du conseil général de l’Allier.

Enfin, le traitement des questions financières et fiscales, auxquelles l’ensemble des collectivités territoriales sont confrontées, mériterait d’être approfondi par notre mission commune d’information. De fait, à l’heure actuelle, les collectivités territoriales sont étranglées financièrement. Si elle est la bienvenue, une simplification de la fiscalité des EPCI ne sera pas la solution à tous les problèmes !

Pour notre part, nous considérons que la décentralisation doit être organisée selon le principe de proximité, permettant d’optimiser les décisions publiques dans le sens d’une plus grande satisfaction de l’intérêt général.

Nous faisons le choix du développement des coopérations et non de la mise en concurrence des territoires.

L’autonomie des collectivités territoriales devrait être assurée par l’actualisation du principe de libre administration et par une réforme de la fiscalité locale, avec participation des actifs matériels et financiers des entreprises.

Nous saluons la qualité du rapport, mais nous ne jugeons pas que ses conclusions satisfassent à ces objectifs. Cette mission commune d’information aurait dû être un premier pas vers une réflexion rénovée, permettant de rapprocher les citoyens de leurs élus, en leur donnant la parole. Il s’agit, à cet égard, d’une occasion manquée. C’est une autre raison pour laquelle nous n’avons pas voté les conclusions de ce rapport.

Une véritable décentralisation démocratique et républicaine doit être fondée sur la souveraineté populaire, le contrôle citoyen, l’égalité de traitement, la coopération entre les collectivités et la solidarité entre les territoires et les populations. Ce n’est qu’au prix du respect de ces conditions qu’une réforme territoriale pourra être pérenne !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC – MM. Edmond Hervé et Claude Dilain, ainsi que Mme Hélène Lipietz applaudissent également .

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après les états généraux de la démocratie territoriale, organisés en octobre 2012, nous débattons aujourd’hui d’un rapport d’information qui, j’en suis sincèrement convaincu, s’écarte du « court-termisme » et rend honneur au temps long dans lequel notre institution doit s’inscrire.

Certes, l’horizon de 2020 ou de 2025 peut, somme toute, sembler relativement proche. Mais notre mission commune d’information s’écarte de cet écueil surtout par les propositions qu’elle formule et par la méthode qu’elle emploie. À cet égard, je tiens à rendre hommage à son président, Jean-Pierre Raffarin, et à souligner l’excellent travail de son rapporteur, Yves Krattinger. Permettez-moi également de me réjouir de la qualité des débats que nous avons menés.

Pour ma part, je présenterai quelques préconisations que j’ai formulées au sein de cette mission – j’avais l’honneur d’en être vice-président – et qui ont pu, ici ou là, emporter l’adhésion de nos collègues.

Dans le mouvement majeur et nécessaire d’une République décentralisée, je suis convaincu que notre institution, le Sénat, a un rôle nouveau à jouer, une place originale à occuper. La respiration démocratique du pays est rythmée en grande partie par l’Assemblée nationale, ce qui est symbolisé par le pouvoir dont dispose le Président de la République de dissoudre celle-ci. Quant au Sénat, il enrichit autrement notre bicamérisme, à la fois par sa dominante territoriale et par son inscription dans un temps plus long, celui de la prospective. Ses réflexions se fondent sur les mutations profondes de nos territoires, où s’amplifient les disparités voire les décrochages, et au sein desquels les inégalités se creusent. Ce constat a été utilement rappelé.

Nos travaux ont eu pour point de départ une réalité qui me paraît assez évidente : la France a considérablement changé au cours des dernières années. À cet égard, on distingue bien trois enjeux territoriaux fondamentaux : tout d’abord, le monde rural et la place des services publics ; ensuite, l’organisation du périurbain, liée à diverses problématiques économiques, à l’enjeu de la consommation du foncier et à la pression s’exerçant sur ce quasi hinterland qui se dessine entre le rural et l’urbain ; enfin, la ville, qui fait l’objet de politiques spécifiques, marquées par les facteurs de la concentration urbaine et du développement économique.

Globalement, il faut garantir l’articulation du vivre ensemble, en accordant une attention toute particulière aux zones de frictions.

Dans un tel contexte, il est nécessaire de refonder de nouvelles solidarités territoriales, de nouveaux modes d’organisation des territoires. Au-delà des politiques publiques, sur lesquelles je reviendrai, ce questionnement a conduit à insister sur la place majeure de l’intercommunalité.

Le constat a été établi : nos territoires doivent être plus réactifs. Leur diversité est une force, non une faiblesse, et, pour réussir à susciter cette réactivité, nous devons déterminer les bonnes articulations entre chaque niveau de collectivités.

Telle était la logique de la réforme menée en la matière par le précédent gouvernement, avec le conseiller territorial, initiative que notre collègue Dominique de Legge a rappelée et assumée. Trois blocs avaient alors été définis : le bloc communal et intercommunal, le bloc départemental et régional et le bloc État-Europe.

Ma conception est autre, radicalement, fondamentalement autre. À mon sens, il convient de distinguer au contraire deux blocs, à savoir un bloc de proximité et un bloc de stratégie.

Le bloc de proximité doit s’organiser autour d’un noyau de base. À ce titre, contrairement à ce que Mme Schurch vient d’affirmer, ce rapport ne prélude nullement à la disparition des communes, bien au contraire ! Les communes sont confortées dans leur rôle fondamental, comme cellules de base de la vie démocratique, de l’organisation et de l’architecture territoriales du bloc communal. Ce dernier est enrichi par un espace coopératif, qui est celui de l’intercommunalité et qui se fonde sur un projet partagé, appuyé sur la mise en commun de moyens et de compétences. Enfin, aux côtés de la commune et de l’intercommunalité, le département vient en garant de la solidarité et de la cohésion territoriales. Il adopte une position pragmatique, à travers le chef de filat et la contractualisation, avec l’organisation coopérative locale.

Quant au bloc de stratégie, il comprend la région, interface entre les projets de territoires du bloc de proximité, donc au plus près des territoires, et les politiques publiques impulsées par l’État et l’échelon européen.

Cette distinction entre bloc de stratégie et bloc de proximité doit se retrouver au cœur des articulations territoriales à venir. Elle doit servir de ligne directrice à toute nouvelle organisation, qu’elle soit décentralisée ou déconcentrée.

Je n’y reviendrai pas longuement, mais je veux souligner que l’État me semble, aujourd’hui, jouer un rôle plus important au niveau départemental. Ne serait-il pas préférable de doter l’échelon étatique régional d’un « super-SGAR » pour prévenir les dissensions susceptibles de se faire jour entre les administrations étatiques à l’échelon régional et à l’échelon départemental ?

Dans cette diversité, dans ces nouvelles articulations, le lien doit être assuré par la cohérence des politiques publiques, par l’application du principe de subsidiarité et par la contractualisation, via les projets de territoires. Ce mot d’ordre a déjà été lancé : laissons s’exprimer l’intelligence de nos territoires !

Concernant le nombre de régions, je ne suis pas persuadé que l’on ne doive pas être plus proche de la douzaine ou de la quinzaine. Toutefois, ce débat peut sembler secondaire.

Mes chers collègues, pour conclure, j’insisterai plutôt sur le rôle de notre institution dans la République décentralisée. De fait, dans un bicamérisme rénové, c’est une responsabilité accrue du Sénat qui, à mes yeux, se dessine.

En nous appuyant sur les traditions de la Haute Assemblée – notamment sur la qualité et la courtoisie de ses travaux et de ses débats – nous pouvons rompre totalement avec l’héritage d’un conservatisme institutionnel propre à une Ve République désireuse de stabilité après les remous de la IVe République. Nous pourrions ainsi forger le Sénat de la prospective, autour du consensus républicain, ce qui ne veut pas dire un Sénat apolitique, mais bien plutôt un Sénat fécondant le débat politique, traçant le cadre républicain, anticipant les grands enjeux de notre société pour le législateur et pour le citoyen.

Ce rôle m’apparaît d’autant plus important que je crois également à la nécessité d’un pouvoir réglementaire, au moins au niveau régional.

En outre, ce Sénat devrait représenter la dynamique et l’intelligence territoriales accompagnant la décentralisation.

Enfin, il s’agirait d’un Sénat plus spécialisé, dans sa mission de contrôle de l’action gouvernementale, sur l’application des lois dans le territoire.

Permettez-moi, en conclusion, de vous livrer une confidence : j’ai été agréablement surpris par le résultat des travaux de notre mission. Au début, je n’étais pas persuadé que nous parviendrions à un rapport de cette qualité, qui réaffirme une vision de la décentralisation conforme à notre culture et à notre histoire.

Madame la ministre, je sais que vous êtes particulièrement sensible au rôle du Sénat, et je suis d'ores et déjà persuadé que les conclusions de notre mission commune d’information constituent un creuset de propositions auxquelles les sénateurs seront particulièrement attentifs.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, existe-t-il lieu plus pertinent que cet hémicycle pour débattre de l’avenir de l’organisation décentralisée de notre république ? Je ne le pense pas.

En effet, les sénateurs, qui, aux termes de la Constitution, assurent la représentation des collectivités, peuvent, en la matière, se prévaloir d’une expertise et même d’une expérience hors du commun. En serait-il de même si, un jour, notre assemblée ne comptait plus dans ses rangs ni maire ni président de collectivité ? J’en doute fortement ! §Il est encore temps de ne pas mal faire !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Les enjeux territoriaux sont pourtant toujours au cœur de nos travaux. En témoigne le débat qui se tiendra demain, ici même, à l’initiative du groupe RDSE et de son président, Jacques Mézard, sur la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires. Il faut souligner, en tout cas, la qualité des travaux de la délégation sénatoriale aux collectivités et à la décentralisation, présidée par Jacqueline Gouraud.

Depuis la loi du 28 mars 2003, il est inscrit à l’article 1er de notre Constitution que l’organisation de notre République est décentralisée. Cela rappelle sans doute quelque chose au président Raffarin…

Longtemps attendue et espérée, la grande réforme que devait être l’acte III de la décentralisation a cédé la place à divers textes. Pour le dire autrement, l’acte III se joue en plusieurs scènes.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Des textes touchant à l’organisation des collectivités ont cependant déjà été adoptés, depuis juin 2012. Je pense notamment à la loi relative à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux, avec la fâcheuse introduction de l’élection par binômes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Plus récemment, l’année 2013 s’est achevée par le vote du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Enfin, à la fin du mois, nous débattrons, en seconde lecture, des projets de lois interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec les mandats de parlementaires.

Je le répète, madame la ministre, il est encore temps de ne pas mal faire !

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Je n’ai pas la main !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

La mission commune d’information créée en avril dernier, à l’initiative de nos collègues du groupe UMP, ambitionnait de s’affranchir des calculs politiciens en privilégiant une approche constructive et transpartisane. On peut, certes, s’interroger sur l’opportunité d’engager un tel travail prospectif, à l’horizon 2020, alors que nous examinions, concomitamment, plusieurs textes d’importance touchant aux mêmes sujets.

Les griefs les plus récurrents à l’évocation de l’administration de nos territoires sont la lourdeur et le manque de lisibilité des processus de décision. La mission commune d’information nous propose donc dans son rapport d’adapter cette architecture aux défis de notre temps, tout comme elle ambitionne de rénover le cadre institutionnel et de l’appliquer à des territoires différents. Je tiens à rendre hommage au travail d’animation et de médiation réalisé par le président Jean-Pierre Raffarin et le rapporteur Yves Krattinger.

Dans le temps qui m’est imparti, il me sera impossible d’aborder l’ensemble des pistes que vous tracez, mes chers collègues. Vous me permettrez de ne pas m’attarder sur l’indispensable réforme de la gouvernance des grandes métropoles, ni sur les perspectives que vous tracez pour l’intercommunalité. Je me suis exprimé sur ces points en des temps anciens, quand j’en avais la charge au sein du Gouvernement.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Je m’en souviens !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Je reviendrai plutôt sur le premier axe de réflexion du rapport, qui s’attache à la présence de l’État et des services publics dans les territoires. Il s’agit, aux yeux de nos concitoyens, de la manifestation essentielle, et la plus visible, de la puissance publique. Ces dernières années, malheureusement, cette présence s’est réduite, singulièrement dans les zones les plus sensibles et les plus fragiles : les zones rurales.

Ce désengagement a alimenté le sentiment d’abandon ressenti par des populations et des territoires entiers. Il est bien réel ! Pourtant, face à ce mouvement, des initiatives sont nées. Dans mon département, le Tarn-et-Garonne, nous avons travaillé dès 2008, avec l’association des maires et la préfecture, pour créer les conditions de l’élaboration d’un schéma départemental de présence postale, permettant le maintien de la plupart des agences et privilégiant le dialogue et la concertation.

Sur le plan institutionnel, le rapport préconise une diminution du nombre de régions – entre huit ou dix -, avec la perspective de leur conférer une taille européenne. Nous aurions dû faire cela autrement, plutôt que de les couper en deux à leur création pour satisfaire tel ou tel baron ! Cette direction est la bonne.

Ce rapport réaffirme également la place centrale du département, notamment dans les zones rurales, comme lieu de la solidarité et de la proximité. Voilà bien la reconnaissance de la réalité des choses, depuis que la République, dans les conditions que nous savons, a créé cette collectivité !

Je mesure le caractère explosif de ces propositions, qui vont à l’encontre de l’argument à la mode – la sagesse de cette assemblée invite pourtant à se méfier des modes – trop souvent entendu, y compris ici tout à l'heure, qui voudrait que le département soit une structure « périmée, parce qu’ancienne », ainsi que vous le mentionnez dans le rapport. Vous ajoutez « l’enracinement historique du département lui confère sa légitimité. » C’est ce à quoi je faisais allusion à l’instant en parlant des conditions de la création des départements, décidée pour, d’une certaine manière, sauvegarder la République.

Ainsi qu’il a été dit à plusieurs reprises lors des auditions, nos concitoyens sont attachés à leurs départements, comme à leurs 36 000 communes et à leurs maires.

Vous proposez la création de grandes régions, plus adaptées au grand jeu européen et disposant de réelles missions d’aménagement du territoire, de développement économique. Cela va dans le bon sens : à la région, la stratégie, au département, la proximité et l’efficacité. Ainsi, nos concitoyens gagneront en lisibilité et en compréhension des processus, et nous ferons preuve d’une meilleure efficacité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Dans son sixième axe de propositions, le rapport s’attache à la question du rôle des parlementaires dans la décentralisation. Nous le voyons, notamment lors de l’examen des projets de loi de finances, nous sommes confrontés à des difficultés dans l’accès aux données, ou à la transmission de données tronquées de la part de certaines directions.

M. Raffarin le sait mieux que quiconque : si même le Premier ministre se trouve parfois face au « mur de Bercy », que dire alors des parlementaires que nous sommes ? Je souscris donc pleinement à l’idée de doter le Parlement de moyens d’expertises propres. Là encore, le Sénat, « grand conseil des communes de France », a un rôle particulier à jouer.

Les relations financières entre l’État et les collectivités sont trop souvent complexes et empreintes d’une méfiance réciproque, et cela ne va pas en s’arrangeant. L’autonomie financière des collectivités est pourtant inscrite à l’article 72-2 de la Constitution.

Lors de ses vœux aux Français, donc tout récemment, le Président de la République a rappelé son engagement en faveur de la maîtrise de la dépense publique, notamment en ce qui concerne les compétences des collectivités, qui devront être clarifiées. Oui, mais, dans son rapport, la mission commune d’information pointe le manque de lisibilité et le caractère inégalitaire des finances locales, ce qui accroît les fractures entre collectivités. Au sein de l’Assemblée des départements de France, cher Bruno Sido, nous cherchons une solution équilibrée, depuis tant d’années !

Et que dire des transferts de compétences ? En 2010, nos collègues Éric Doligé et Claude Jeannerot pointaient déjà dans leur rapport des perspectives inquiétantes pour les finances locales, liées à l’évolution prévisible des charges résultant de ces transferts de personnels de l’État vers les collectivités, sans compensation. Disons-le fortement mais d’une manière positive, madame la ministre, il n’y aura de véritable décentralisation que lorsque l’on accordera aux collectivités locales une véritable autonomie financière et fiscale.

Enfin, je conclurai mon propos en rendant hommage aux 550 000 élus locaux, qui accomplissent une tâche remarquable. Ce sont eux qui assurent un rôle de premier plan dans le développement des territoires, le fonctionnement des services publics et le maintien du lien social. Ce sont eux qui furent, par exemple, en première ligne lors des récentes inondations en Bretagne.

Il faut donc nouer de véritables pactes de confiance entre l’État et les collectivités, car ce sont elles qui font vivre la démocratie au plus près de nos concitoyens. Je sais, madame la ministre, que vous-même, comme l’ensemble du Gouvernement, en êtes convaincue.

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UMP et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le Premier ministre Raffarin, président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le titre du rapport, Des territoires responsables pour une République efficace, est sobre, concis et clair. Il fixe un cap et donne la feuille de route pour atteindre l’objectif. Cette méthode de travail pleine de bon sens sert, à l’évidence, l’intérêt de nos collectivités locales, et bien au-delà.

Puisque nous sommes le 7 janvier et que la période est aux vœux, permettez-moi de souhaiter de tout cœur que notre pays suive en 2014 un chemin de responsabilité et poursuive une ambition : l’efficacité de l’action publique. Les chefs d’entreprises parleraient plutôt de retour sur investissement de l’impôt des Français.

Le consentement des citoyens à l’impôt, loin de n’être qu’un principe inscrit en lettres d’or dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit redevenir un élément clef du pacte républicain : faire des efforts, oui, mais pour des résultats tangibles !

L’effort, voilà précisément ce à quoi nous invite ce rapport d’information, au travers de dix propositions.

Si elles devenaient réalités, elles permettraient enfin de régler les questions de la relation coûteuse de l’État aux collectivités territoriales et du rôle respectif des différents acteurs locaux. L’effort s’entend ici au plan intellectuel autant que financier. Je dis « enfin », car le diagnostic est connu de tous, et depuis des lustres !

En toute franchise, lorsque je relis les discours que nous prononçons tous sur ce thème, je ressens la désagréable impression que nous passons notre temps à dresser les mêmes constats, ce qui n’enlève rien à leur pertinence, d’ailleurs, mais que tout ou presque s’arrête là. Nous sommes lucides, mais velléitaires.

Permettez-moi de prendre quelques exemples.

Les doublons administratifs entre l’État et les collectivités existent depuis 1982.

Il en va de même de la question de l’accessibilité et de la qualité du service public en milieu rural : voilà des décennies que chacun connaît le problème de la désertification !

Nous évoquons depuis longtemps la nécessité de traiter à part les métropoles de rang européen ou mondial, comme Paris et ses environs, ainsi que le problème posé par la taille de la plupart des régions françaises, insuffisante pour leur permettre de jouer dans la même cour que leurs homologues européennes.

De même, l’application du principe de subsidiarité, qui entend permettre de décider vraiment au plus près des réalités de terrain, fait l’objet de discours répétés.

Rassurez-vous, j’arrête là cette énumération !

La mission commune d’information, au contraire, a tourné ses travaux vers l’action. C’était pour moi un plaisir d’en faire partie.

Au nom des quarante et un départements de la droite, du centre et des indépendants, j’évoquerai trois sujets : l’avenir du département, sa complémentarité avec la région et la nécessaire réforme de l’État.

Les départements sont, bien sûr, les enfants de la Révolution et des Lumières. Ils ne datent pas d’hier, à l’heure de la société du « 2.0 » où la course permanente à la nouveauté marginalise tout ce qui semble un peu ancien, madame Lipietz !

Bien sûr, ils ne sont pas « à la mode », comme les régions, véritables échelons de base de l’intervention de l’Union européenne communs à presque tous les États européens.

Bien sûr, la cascade de structures publiques qui étouffe, par son coût, l’économie réelle et décourage l’initiative des entrepreneurs, par son manque de réactivité, doit être réformée pour correspondre à sa raison d’être : servir.

Mais les départements sont-ils le problème, comme la Commission pour la libération de la croissance française, présidée par M. Attali, s’en faisait l’écho ? Elle n’est d’ailleurs pas seule à tomber dans le déni de réalité : les auteurs d’un rapport de l’OCDE ont commis, voilà quelques mois, la même erreur. À l’issue de la conversation que j’ai eue avec eux, ces rapporteurs ont cependant pris conscience du rôle indispensable des départements en milieu rural, et je les remercie publiquement aujourd’hui de leur capacité à remettre en cause leurs propres analyses. C’est un comportement suffisamment humble et professionnel pour être salué.

Dans le monde urbain, il va de soi que les métropoles ont vocation à redéfinir les rôles et missions de chacun.

Le milieu rural, voilà le point clé pour comprendre l’avenir du département. Loin d’être le problème, il représente une solution d’avenir hors des villes. Qui se chargerait des solidarités ? Qui pourrait entretenir le réseau routier ? Qui investirait pour l’accès de tous à l’internet haut débit sur tout le territoire ?

À cet égard, plutôt que de faire un long discours, je citerai un seul paragraphe de l’excellent rapport d’information de notre collègue : « Premier échelon de la décentralisation par ses compétences de proximité, le département possède une forte capacité fonctionnelle comme instance de cohésion sociale [...], comme niveau irremplaçable d’expression des besoins spécifiques de la ruralité [...]. Le conseil général est l’interlocuteur naturel des maires, qui estiment que le département présente un intérêt majeur pour les territoires. »

Tout est dit, ou presque. Quelqu’un pourrait-il m’expliquer par quel raisonnement étrange certains concluent que la réforme territoriale passe par la suppression du département ?

Pourquoi les départements sont-ils une chance pour le monde rural ? Pour éviter le basculement vers un « sous-prolétariat territorial » – j’en conviens, l’expression est forte ! – de vastes étendues qui, sans eux, seraient abandonnées à elles-mêmes, souvent en pleine reconversion industrielle. Ce risque concerne 20 % du territoire national, si j’en crois le rapport d’information, partout où « les zones rurales échappent à l’influence des métropoles et des agglomérations ».

Pour autant, préservation ne signifie pas immobilisme : si le département reste un échelon très pertinent, la clarification du « qui fait quoi ? » avec la région ne peut plus attendre.

Le groupe de la droite, du centre et des indépendants de l’Assemblée des départements de France le demandait hier au gouvernement de François Fillon, comme il le fait aujourd’hui à celui de Jean-Marc Ayrault – nous sommes constants dans les demandes que nous adressons à l’exécutif.

Quel est le rôle du département ? La proximité et la cohésion d’un territoire. J’ai coutume de dire que c’est du « cousu main ».

Quelle est la vocation de la région ? La stratégie sur le plan économique, comme cela a été souligné, et des grands investissements, qui hissent la compétitivité de pans entiers de notre pays.

Le constat est clair : les régions françaises doivent regarder vers l’Europe et non plus vers les cantons, même remodelés, madame la ministre ! Qu’elles cessent de faire du développement local et de concurrencer les conseils généraux pour se consacrer à la formation professionnelle, l’économie et l’emploi, autant de sujets qui supposent une vision stratégique à l’échelle de territoires disposant de la taille critique pour agir.

Voilà deux ans déjà, le groupe des départements de la droite, du centre et des indépendants demandait que « le périmètre des régions françaises soit revu et que leur nombre passe de vingt-deux à une dizaine pour redonner du sens et de la perspective à la gouvernance des territoires ». Je suis ravi que la mission commune d’information partage aussi cette réflexion et préconise le passage à huit ou dix régions.

Du point de vue des départements, l’autre grand chantier à conduire tambour battant, c’est la réforme de l’État. Assez de mots, de l’action !

Je note que la mission commune d’information place en priorité n° 1 le recentrage nécessaire. En juillet 2013, la Cour des comptes dénonçait une nouvelle fois les nombreux doublons entre l’État et les collectivités. Nous avons plus que jamais, au regard des efforts financiers demandés aux Français, le devoir d’en finir avec le gaspillage et l’inefficacité. Si vous trouvez ces termes trop durs, ce sont ceux du rapport d’information, que je fais miens : ils disent les choses, tout simplement.

Que l’État supprime les services qui font doublons avec ceux des collectivités !

Que l’État nous conseille, oui ! Que l’État nous contrôle, oui, bien sûr, mais qu’il nous laisse agir pleinement et cesse de se mêler de tout ! À trente-deux ans, nos collectivités sont plus que majeures ; elles doivent donc assumer devant les électeurs leurs choix et leurs actes.

En cas d’acte illégal, les préfets sont là pour mettre en garde et, si besoin, déférer le contrevenant devant les tribunaux administratifs. Tout citoyen peut également saisir dans les deux mois les juridictions pour obtenir l’annulation de nos décisions ou délibérations qui ne seraient pas conformes au droit.

Autrement dit, c’est de l’État comme pouvoir juridictionnel dont les collectivités ont besoin afin d’assurer un véritable contrôle de leur action et pas de directions départementales qui peinent à trouver leur rôle.

Depuis 1982, la décentralisation est souvent perçue comme un moyen pour le pouvoir central de se défausser sur les collectivités. Derrière les transferts de compétences et de personnels sans avoir les moyens nécessaires pour agir, se cache en réalité un autre transfert : celui de l’impopularité consécutive à l’augmentation de la pression fiscale…

Pour conclure, je souhaite, au risque d’en surprendre certains, que le changement soit pour maintenant !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Assez de discussions, place à l’action et au concret : mettons sans tarder en œuvre les dix propositions de ce rapport d’information !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout le monde sait l’importance que j’accorde aux rapports d’information du Sénat, qui m’ont souvent été très utiles – je connais d’ailleurs quasiment par cœur le rapport d’information intitulé Faire confiance à l’intelligence territoriale.

Pouvait-on récidiver en publiant un rapport de même qualité, sans esprit hémiplégique ? §Vous avez remarquablement montré, mes chers collègues, que cela était possible. À cet égard, je veux, à mon tour, vous adresser mes félicitations.

Mais quelle surprise : jamais un document de cette nature n’a eu un tel impact ! À Rennes, quelques semaines après la publication de ce rapport, le Premier ministre, en présence de Mme la ministre, que je salue, a explicitement indiqué que le deuxième projet de loi relatif aux régions et aux départements porté par Marylise Lebranchu serait l’occasion de procéder à un approfondissement de la décentralisation et qu’il serait inscrit en avril prochain à l’ordre du jour des travaux du Parlement. De nouvelles compétences devront être transférées aux régions au-delà de celles qui sont déjà prévues dans votre texte, madame la ministre, c'est-à-dire le développement économique, l’innovation, la formation professionnelle, l’apprentissage, l’orientation, dont le rôle est déterminant pour la compétitivité, la croissance et l’emploi, et nous devons encore le renforcer.

En d’annoncer, en matière d’aménagement du territoire, que les fameux SRADDT, les schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, pourraient avoir une portée prescriptive. Vous l’avez vu, mes chers collègues, dans le cadre de l’examen du projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, Mme Duflot s’est bien gardée d’aborder cette question, au prétexte que nous serait présenté un texte sur la décentralisation.

Toutefois se pose un véritable problème. En effet, 20 % du territoire national est couvert par un SCOT, un schéma de cohérence territoriale. Or la préservation de l’espace rural, la cohérence de l’urbanisme commercial et de la gestion de l’eau, la trame verte et bleue et bien d’autres politiques encore ne peuvent se concevoir qu’à cette échelle, avec une opposabilité minimale dans un champ précis. C’est pourquoi il convient d’encourager cette orientation.

Maos alors, que va-t-il donc rester au département ? C’est la question que se posent certains, surtout ici, dans une assemblée où les départementalistes sont nombreux. Eh bien, il lui reste l’essentiel ! Dans une compétence partagée, si, en matière d’aménagement du territoire, le chef de filat est la région, le département a justement un rôle éminent à jouer, comme l’a évoqué notre collègue Bruno Sido, pour assurer ce que le rapporteur appelle la « fédération des intercommunalités », notamment rurales, ainsi que la mutualisation de moyens. Ce n’est pas le tout de mieux couvrir l’intercommunalité et le territoire ! Lorsque les territoires ont atteint la taille critique d’une intercommunalité, à la bonne échelle – je le constate dans mon territoire, et vous devez le voir vous aussi, mes chers collègues, dans les vôtres ! –, ils cimentent leur affectio societatis autour d’un projet.

Tout va bien quand il s’agit de se payer un bureau d’études et d’avoir un projet de développement, mais se pose derrière le problème de la phase opérationnelle : avec quels outils d’aménagement procéder et avec quels crédits publics d’accompagnement ?

Il existe des disparités, des inégalités très profondes devant l’aménagement du territoire, qui tiennent à l’ingénierie territoriale. En la matière, les départements ont, me semble-t-il, un véritable rôle à jouer. La solidarité territoriale réside dans la mutualisation et l’équité dans la répartition des moyens d’ingénierie territoriale. Cela me paraît être un point important du débat.

Je tenais à insister particulièrement sur le fait que ces orientations vont dans le bon sens.

De même, le pouvoir réglementaire d’adaptation des régions, auquel je crois depuis longtemps, est quelque chose d’on ne peut plus normal. Ce n’est pas un miroir aux alouettes. Dans le même ordre d’idées, prenons conscience – cela devient de plus en plus crucial – qu’on ne fait pas de la décentralisation sans améliorer la déconcentration.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Absolument !

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Je parle ici en présence d’un ancien sous-préfet à la ville…

Dans quelques jours aura lieu ici un débat sur la nouvelle politique de la ville. Savez-vous, mes chers collègues, qu’un préfet de département n’a aucune responsabilité directe dans les décisions d’investissement du ministère de la justice ou, mieux encore, du ministère de l’éducation nationale, ni dans leur programmation opérationnelle ? Il faut faire progresser la déconcentration pour faire avancer la décentralisation. Mais je suis confiant sur ce point, car le Président de la République a découvert ce matin, à onze heures, qu’un nombre trop important d’indicateurs remontaient dans les ministères !

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Il y en a 6 000 !

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

En effet ! C’est trop, a-t-il dit, et je suis assez d’accord avec lui.

Pour ma part, je souhaite que l’on déconcentre davantage, pour donner aux préfets de véritables marges de manœuvre, qui conditionnent celles que l’on reconnaît aux élus.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Très bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 17 avril dernier, a été créée, au Sénat, la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, à la demande du président du groupe UMP, Jean-Claude Gaudin. Cette initiative intervenait après l’adoption, à l’unanimité au Sénat, de la proposition de résolution relative au respect des droits et libertés des collectivités territoriales.

En tant que membre de cette mission, je profite du temps que m’est imparti pour saluer l’excellent travail réalisé par nos collègues Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information, et Yves Krattinger, rapporteur, qui ont su dresser sereinement un inventaire structuré des dysfonctionnements de nos modes institutionnels et, par là même, mettre en évidence un certain nombre de difficultés concernant l’organisation décentralisée de la République.

Néanmoins, en matière de décentralisation, d’importantes questions restent à trancher.

En effet, si chacun reconnaît aujourd’hui qu’il est indispensable de réformer notre organisation territoriale, il est nécessaire d’admettre également que la prochaine réforme devra passer par le règlement d’un certain nombre de questions.

La répartition des compétences est la première d’entre elles. En effet, cette question connaît des aléas importants depuis le changement de majorité. Le rétablissement de la clause générale de compétence et la création de chefs de filat ont pour objet de créer de véritables confusions, sans apporter de réponses pertinentes à l’éclatement croissant des compétences.

Afin de régler la question de la répartition des compétences, la mission commune d’information propose tout à la fois d’inverser notre réflexion pour déterminer les missions d’une collectivité avant de lui attribuer des compétences particulières et d’instaurer une « instruction unique » pour la mise en œuvre des politiques publiques.

La deuxième question concerne la cohabitation entre les régions et les départements.

En effet, le gouvernement de M. Ayrault s’est empressé de revenir sur la réforme des conseillers territoriaux, que le précédent gouvernement avait entreprise en 2010, sans prévoir une nouvelle articulation de ces deux niveaux de collectivités territoriales.

Nombreux sont pourtant les élus, de toutes sensibilités, qui reconnaissent aujourd’hui les avantages que le conseiller territorial aurait pu comporter ; charnière entre les politiques départementales et régionales, il aurait amélioré la lisibilité de notre organisation territoriale pour les élus locaux et sa transparence pour nos concitoyens.

Tout le monde admet que les départements ne jouent pas le même rôle partout en France ; en particulier, leur rôle est différent là où existent des pôles urbains très denses.

Quant aux régions, il est temps de débrider les dernières réticences pour leur offrir une assise et un rôle plus étendus, afin de pouvoir enfin entrer dans une concurrence positive avec nos voisins européens.

La troisième question porte sur le développement d’une intercommunalité qui préserverait la commune.

Dans ce domaine, d’énormes efforts ont été accomplis par tous les élus pour parachever la couverture du territoire. Cette rationalisation permet à nos concitoyens de bénéficier d’équipements et de services auxquels, dans certaines zones rurales, ils n’avaient plus accès.

Reste que la commune est l’échelon de base de notre démocratie locale ; il convient de ne pas le perdre de vue.

J’ajoute que la décentralisation ne doit pas aboutir à une opposition entre les pouvoirs publics locaux et nationaux. Elle ne peut pas se traduire par un désengagement progressif de l’État au niveau local. Aussi est-il important que les moyens nécessaires, humains et financiers, soient prévus et mis à la disposition des collectivités territoriales lorsqu’une compétence leur est transférée par l’État ; en disant cela, je pense tout particulièrement à la réforme des rythmes scolaires.

En outre, l’État doit pouvoir s’associer aux collectivités territoriales qui rencontrent les plus grandes difficultés en leur fournissant un appui technique et juridique susceptible de rendre leur autonomie effective.

En conclusion, puisque décentralisation et déconcentration vont de pair, le groupe UMP du Sénat propose, afin d’accroître les chances de bonne gestion et de diminuer les risques de contentieux, et sur le fondement des travaux de la mission commune d’information présidée par notre collègue Jean-Pierre Raffarin, de renforcer la place des parlementaires dans la décentralisation et de garantir la présence de l’État selon des modalités renouvelées.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à féliciter à mon tour le président de la mission commune d’information, Jean-Pierre Raffarin, et son rapporteur, Yves Krattinger, pour la qualité du travail qu’ils ont accompli et pour les conclusions qu’ils ont présentées ; de fait, ils sont parvenus à formuler des propositions qui peuvent faire consensus.

Comme le Président de la République l’a rappelé, une République « est forte par son État, mais aussi par ses territoires ».

Cependant, les mutations économiques, le chômage, la précarité et la suppression de nombreux services publics ont profondément modifié les territoires et creusé les inégalités. Dans les territoires ruraux comme dans les quartiers relevant de la politique de la ville, le sentiment de décrochage menace les fondements de notre pacte républicain.

Dans ce contexte, un approfondissement de la décentralisation est nécessaire. Pour retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi, il nous faut encourager la créativité et la vitalité des acteurs locaux : entreprises, citoyens et collectivités. Aussi bien, nous avons aujourd’hui besoin, selon moi, non pas d’une nouvelle répartition mécanique et uniforme des compétences, mais d’un renforcement des responsabilités de chacun des acteurs et d’une dynamique de coopération.

L’unité de la République n’est pas renforcée par l’uniformité, bien au contraire. Il importe de tenir compte des spécificités des territoires, de favoriser l’innovation et de s’appuyer sur l’intelligence collective. L’enjeu est de construire un modèle de développement plus équilibré, respectueux de la diversité des territoires et porteur d’une plus grande solidarité.

En particulier, la nouvelle gouvernance territoriale doit reconnaître le fait urbain, autour duquel se structurent aujourd’hui de larges pans de notre économie, en donnant aux métropoles et aux agglomérations les moyens de se développer ; dans le même temps, il convient d’éviter que ce mouvement n’accentue les clivages entre des espaces urbains toujours plus riches et des zones périphériques ou rurales en voie de relégation.

Comme la mission commune d’information le signale dans son rapport, la République décentralisée souffre aujourd’hui de deux maux : le manque d’efficacité réelle de l’action publique et la confusion des rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales.

Le Président de la République a parlé, à juste titre, de la nécessité d’un « choc de simplification ». Les élus et les citoyens attendent de la décentralisation une plus grande efficacité, alors que les entreprises sont souvent asphyxiées par les normes.

Par ailleurs, la mission commune d’information a clairement identifié certaines difficultés ; je pense en particulier au « doublonnage » entre les services de l’État et des collectivités territoriales et à la multiplication des guichets, des subventions et des aides fiscales. Certaines entreprises finissent par renoncer, du fait de la complexité des dispositifs !

En définitive, le millefeuille tant décrié correspond moins à l’empilement des circonscriptions qu’à celui des décisions. Encore faudrait-il donc, avant de s’attacher aux conséquences de la décentralisation - le transfert de compétences -, d’en définir d’abord les principes - la répartition des missions.

Les élus veulent une différenciation accrue de l’organisation territoriale, pour que les spécificités de chaque territoire soient prises en compte. Il n’existe plus, pour l’ensemble du territoire, un modèle de décentralisation uniforme. En effet, la situation des territoires au sein de l’ensemble national étant très différente, elle appelle une diversité de réponses.

On ne peut pas considérer de la même façon l’Île-de-France et les zones rurales. Le cœur de l’agglomération parisienne a besoin d’un statut particulier, compte tenu de son caractère exceptionnel, mais il faut se garder de multiplier les statuts ad hominem, afin de ne pas remettre en cause le socle républicain.

L’amélioration de l’efficacité de l’action publique suppose en corollaire un approfondissement de la décentralisation, qui doit être considéré non pas simplement comme un facteur de liberté, mais comme un principe de responsabilisation des territoires.

Parce qu’une décentralisation renforcée doit permettre de répondre aux besoins des citoyens et des entreprises par des politiques pragmatiques et appropriées, il est nécessaire de renforcer les régions en clarifiant leurs compétences et en recentrant leurs missions sur la stratégie.

Aujourd’hui, les régions ont tendance à assurer des compétences de proximité qui devraient relever d’autres niveaux de collectivités, comme les communes ou les intercommunalités. Les régions doivent s’en dégager pour mieux asseoir leurs missions stratégiques de long terme. Il faut à tout prix éviter toute « cantonalisation » des régions, ce qui suppose de leur donner plus de cohérence et de force en matière économique, en en faisant l’échelon essentiel d’exercice de certaines compétences.

Quant aux départements, la mission commune d’information a souligné, dans ses conclusions, qu’ils jouent un rôle indispensable en milieu rural. Fort de son atout de proximité, le département doit en effet renforcer la lutte contre les difficultés engendrées par la crise économique actuelle ; dans les zones rurales, dont certaines sont menacées d’exclusion, il est bien souvent la seule structure capable de mener cette action.

En revanche, la pertinence du département n’est pas aussi grande dans les zones urbaines denses. Pour ma part, je suis favorable, comme M. Dallier, à la suppression des départements de la petite couronne parisienne ; l’ensemble de leurs compétences pourraient être transférées à la gouvernance de la métropole du Grand Paris, à l’instar de ce qui est prévu pour la métropole de Lyon.

Mais le temps s’écoule et, mes chers collègues, je me rends compte à cet instant de mon propos que je vais être obligé de conclure, sans quoi je me ferai rappeler à l’ordre par M. le président…

Aussi, m’excusant encore du côté abrupt de ma conclusion, je me contenterai de souligner que, à mon avis, un consensus est possible sur la suppression des départements de la petite couronne francilienne ; en supprimant un échelon, on rendrait l’action métropolitaine plus efficace, tandis que la région d’Île-de-France continuerait de jouer un rôle très important pour le développement économique.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste . – M. le rapporteur de la mission commune d’information applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer également le travail de notre mission commune d’information et l’excellent état d’esprit dans lequel elle a œuvré.

Le mérite en revient aussi bien à son président, Jean-Pierre Raffarin, qui est, avec le groupe UMP, à l’initiative de sa création, qu’à son rapporteur, Yves Krattinger ; tous deux ont su dépasser les clivages politiques pour tenter d’éclairer la voie d’une nouvelle étape de la décentralisation.

Dans cette perspective, il y a, et c’est heureux, des sujets qui nous rassemblent.

Tout d’abord, chacun reconnaît qu’il ne peut plus y avoir un modèle unique d’organisation de nos territoires ; leur diversité justifie des modèles différents. Du reste, nous avons déjà inscrit ce principe dans la loi, notamment avec le premier des trois projets de loi sur la modernisation de l’action publique territoriale, qui traitait essentiellement des métropoles.

Vouloir organiser l’Île-de-France comme le Limousin ou la Champagne-Ardenne n’avait décidément plus de sens. L’organisation uniforme de la petite et de la grande couronnes parisiennes n’en avait pas davantage.

Nous sommes enfin sortis de cette logique. C’est assurément la voie à suivre, et je ne peux que me réjouir que le rapport ait intégré, pour une prochaine étape, ma proposition d’absorption des quatre départements de Paris et de la petite couronne par la métropole du Grand Paris.

Madame la ministre, j’ai été heureux de vous entendre nous annoncer que vous aviez mis des moyens à disposition pour évaluer cette solution, qui pourrait être l’acte II de cette révolution métropolitaine à Paris.

Notre rapporteur, cependant, a émis des réserves sur la diversification des modèles ; je le comprends, car on peut craindre que ce mouvement n’accentue les écarts entre les territoires.

C’est pourquoi cette évolution doit être accompagnée d’une solidarité, et pas seulement financière, solidarité dont l’État doit être le garant et qui, à mon sens, doit être pensée par le haut, c’est-à-dire par l’échelon régional.

Les vingt-deux régions actuelles sont trop petites, donc trop nombreuses. Je ne rappellerai pas les mauvaises raisons qui expliquent cette situation, chacun les connaît. Le fait est que cette carte, largement inadaptée aux défis du temps, doit être redessinée ; à cet égard, l’objectif, retenu par le rapport, d’une petite dizaine de régions me semble tout à fait pertinent.

Une fois les nouvelles régions définies, c’est à l’intérieur de chacune d’elles que la répartition des rôles et des moyens devra être opérée, en fonction de la nature du territoire.

La question du rôle des départements se présente immédiatement à l’esprit, mais encore faut-il la poser de la bonne manière. Prôner leur suppression pure et simple ou défendre leur maintien systématique, ce ne sont pas, me semble-t-il, de bonnes façons d’aborder le sujet – un sujet sensible, surtout au Sénat.

L’approche alsacienne, même si elle a connu un sort funeste, ce que je regrette, démontre à l’évidence que la collectivité territoriale unique peut également être une réponse. En revanche, dans les territoires peu denses en population, l’échelon départemental peut rester tout à fait pertinent.

Sur ce problème délicat, notre rapporteur ne s’est pas aventuré très loin, et je le comprends. Il faudra bien pourtant trancher ce débat si longtemps repoussé ; à cet égard, je déplore que l’on ait fait marche arrière en supprimant le conseiller territorial, dont je persiste à penser qu’il correspondait à une bonne approche.

Pour redéfinir le rôle des régions et des départements, il faudra se reposer la question du financement des politiques sociales : revenu de solidarité active, allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap. De fait, cette question est au cœur du sujet.

Je pense depuis longtemps que nous avons probablement commis une erreur en écrivant l’acte II de la décentralisation. Avoir transféré aux départements le soin de financer ces allocations dont le montant est fixé par l’État ne pouvait que nous conduire là où nous sommes aujourd’hui, cherchant à inventer, année après année, de nouveaux mécanismes de péréquation, qui ne sont, au bout du compte, que cataplasmes sur une jambe de bois !

Que certains départements soient conduits à s’endetter, à augmenter la pression fiscale, ou les deux, et à réduire leurs investissements pour financer ce qui relève de la solidarité nationale, cela n’est pas conforme au principe de l’égalité républicaine et contribue à creuser la fracture territoriale.

M. René-Paul Savary applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Si l’État doit assurément rester le garant de la solidarité nationale, cette question du financement des politiques sociales doit alors être reposée, tout comme nous devons sérieusement réfléchir avant d’amorcer un mouvement qui conduirait à transférer tout ou partie du pouvoir réglementaire aux territoires.

Le rapport évoque cette question, sans entrer véritablement dans le détail des choses et en prenant de multiples précautions – et c’est heureux ! Malgré tout, je suis plus que réservé sur le sujet, car je crains que les effets négatifs ne soient bien supérieurs aux bénéfices attendus.

Notre République est certes décentralisée et il faut aller au bout de cette logique, mais elle doit rester une et indivisible. La France, ni par son histoire ni par sa géographie, n’a vocation à devenir un État fédéral ; alors, méfions-nous des fausses bonnes idées.

Notre objectif premier est bien de repenser le rôle de l’État et des collectivités territoriales, en recherchant une plus grande lisibilité pour nos concitoyens, une meilleure efficacité de la dépense publique et une plus forte équité entre nos territoires. Tenons-nous-en à cela, ce sera déjà beaucoup !

C’est d’autant plus urgent que les économies budgétaires que l’État doit trouver, dans les années à venir, ne seront supportables que dans le cadre d’une forte optimisation des moyens qui, là aussi, peut se faire, doit se faire de manière différenciée, en fonction de la nature des territoires. C’est ce que le rapport appelle un « choc de subsidiarité », propos auquel je souscris pleinement.

Le rapport pointe aussi la complexité et la faiblesse de nos mécanismes de péréquation financière, fruit de l’empilement de dispositifs aux critères différents et aux effets parfois contradictoires.

Jugeant la DGF, la dotation globale de fonctionnement, trop difficile à réformer, nous avons fait preuve d’une imagination débordante : DSU, dotation de solidarité urbaine, DSR, dotation de solidarité rurale, FSRIF, Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, FPIC, Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales, mécanismes de péréquation assis sur les droits de mutation, et j’en passe, il ne s’est pas écoulé une année sans que nous cherchions à revenir sur les erreurs commises l’année précédente !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Les collectivités territoriales ont besoin de lisibilité pour planifier leurs investissements. C’est tout le contraire qui se produit en ce moment et je crains, madame la ministre, mes chers collègues, que ce ne soit d’abord l’investissement qui en pâtisse. Or, si les collectivités locales investissent moins, les conséquences sur l’économie seront très lourdes.

Mais mon temps de parole s’écoule et il me faut accélérer !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je veux profiter de l’occasion, madame la ministre, pour attirer votre attention sur le fait que de nombreux maires sont en train de découvrir l’ampleur de la baisse de la dotation globale de fonctionnement pour 2014, qui préfigure celle de 2015.

Nous avons choisi de proportionner cette baisse de la DGF aux recettes réelles de fonctionnement des collectivités locales en 2012. Clairement, ce sont les villes moyennes et grandes qui supportent le choc : pour ma ville de 22 000 habitants, la baisse sera de 5, 7 % en 2014, et davantage encore en 2015. Cela représente 750 000 euros en deux ans, soit 10 % du produit de la taxe d’habitation. C’est autant que la totalité de la péréquation financière qui va m’être demandée.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Heureusement que la gauche est arrivée !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je pense, madame la ministre, qu’il va falloir retravailler le sujet, car les conséquences sur l’autofinancement des collectivités locales seront très importantes.

Je termine, en rappelant qu’en 2009 la commission dite « Balladur » avait choisi d’intituler son rapport Il est temps de décider. C’était il y a bientôt cinq ans… Alors, oui, mes chers collègues, il est plus que temps de décider. Ce rapport est une nouvelle pierre utile à notre réflexion. Il faut maintenant aller de l’avant, résolument.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Mais nous y allons !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

M. Philippe Dallier. Le Gouvernement a la main, madame la ministre. Je sais bien que c’est compliqué, que les critiques seront nombreuses et le consensus quasiment impossible, mais je vous invite à faire preuve d’audace, car le pays et nos collectivités locales ont besoin d’audace.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

J’ai déjà commencé !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les président et rapporteur de la mission commune d’information, chers collègues, comme le président Bel a pu le dire lui-même à plusieurs reprises, le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales, est au cœur du dialogue entre l’État et les collectivités locales et, dans ce cadre, il doit jouer pleinement son rôle.

C’est cette volonté qui nous a conduits à organiser les états généraux de la démocratie territoriale en 2012, pour associer l’ensemble des élus et des territoires aux réflexions en cours sur l’avenir de la décentralisation.

C’est cette même volonté qui nous a guidés lors des récents débats sur la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Notre assemblée a eu le souci de la clarté et de la cohérence, malgré les débats et les positions parfois différentes entre certains de ses membres.

C’est cette volonté, encore et toujours, qui a conduit au lancement de cette mission commune et, à mon tour, je salue le bon climat et l’état d’esprit qui ont présidé à des travaux de grande qualité, menés sous l’égide du président Raffarin et du rapporteur Krattinger.

Il s’agissait de construire des réponses précises pour les collectivités, leurs compétences, leurs missions, leur fonctionnement, leurs moyens ou encore leurs rapports avec l’État. Nous entendions, au-delà des exigences calendaires et de toute préoccupation électorale ou partisane, être force de proposition sur le long terme.

Il s’agissait également de tenir compte des évolutions en cours et d’accompagner la construction d’un nouvel élan pour la décentralisation et la mise en œuvre de nouveaux leviers d’action pour les élus.

À ce titre, j’aimerais revenir sur les travaux de la mission portant sur notre place et notre rôle dans la décentralisation en tant que parlementaires. Cette question du rôle et du statut de l’élu, local comme national, n’est pas nouvelle. Elle suscite intérêt et débat depuis de nombreuses années, mais il est important de réfléchir à de tels sujets en démocratie.

La question du non-cumul d’un mandat parlementaire avec l’exercice d’un exécutif local est plus que jamais d’actualité. Cela deviendra, cela a été dit, une réalité à la fin de ce mois, après le vote de notre assemblée et de l’Assemblée nationale. C’est un projet de loi que, pour ma part, je soutiens. Cette réforme, très attendue, s’inscrit dans le sens d’une rénovation profonde de la vie politique et de la modernisation de notre démocratie. Tout le monde profitera de cette avancée majeure qui permettra la parité, le renouvellement et une plus grande diversité des profils des élus, locaux et nationaux.

Mais une telle avancée ne suffira pas à elle seule. Elle doit nous amener à repenser la place des parlementaires sur les territoires et à préciser leurs relations avec les collectivités locales et avec l’État ainsi que ses représentants locaux.

Il s’agirait tout d’abord de les associer aux actions décidées par les différents niveaux de collectivités afin de jouer un rôle de facilitateurs, associant leur connaissance des spécificités du territoire sur lequel ils sont élus à leur légitimité nationale. Cette médiation, rendue nécessaire notamment face au développement des financements croisés, garantirait une meilleure cohérence et une plus grande fluidité de l’action locale.

Il s’agirait ensuite de les associer plus étroitement aux services de l’État, en département et en région, dans le cadre de la distribution des crédits d’État, comme la DETR, la dotation d’équipement des territoires ruraux.

Il s’agirait enfin d’avancer vers la création d’un pôle parlementaire d’expertise, indépendant de l’administration centrale, nécessaire à la réalisation de ces nouvelles missions de médiation et de conseil. Ce pôle d’expertise pourrait notamment être constitué par des accords passés avec des universités et des centres de recherche spécialisés.

Bien sûr, avec ces quelques pistes, je ne prétends pas être exhaustive. Elles n’ont pas, non plus, vocation à être délivrées « clé en main ». Il faudra poursuivre la réflexion et les échanges sur ces sujets avec deux exigences différentes, mais complémentaires : retisser les liens et la confiance entre les élus et les citoyens et donner aux parlementaires les moyens et les leviers leur permettant de mener à bien leurs missions.

C’est à ce prix que nous pourrons jouer tout le rôle pour lequel nous avons été élus, du local au national, ancrés dans nos territoires et utiles au Parlement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Carle applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà une mission, un rapport, un débat qui se situent dans l’excellence de la continuité des états généraux de la démocratie territoriale.

Permettez-moi trois observations.

Premièrement, l’unité de la République et la diversité sont un couple légitime et nécessaire, mais il faut que nous donnions l’exemple : combien de lois votons-nous ? Et regardons aussi le caractère impératif de ces lois que nous votons ! Vous avez suggéré de recourir à des lois-cadres. J’y suis favorable, car je suis favorable à des lois de confiance. Cessons de rédiger ces lois qui ne sont que des chapelets d’amendements !

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

Quant au pouvoir réglementaire des régions, il est important d’éviter les faux débats : le pouvoir réglementaire des régions existe, …

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Bien sûr !

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

… même s’il nous faut lui donner une certaine consistance.

Deuxièmement, vous avez repris à juste titre le thème de la mutation des territoires et de la société, inscrivant la notion de mobilité. Il faut que vous y ajoutiez la notion de temps - mais vous l’avez fait au travers du concept de proximité -, dans le sens du temps nécessaire pour accéder à un service, car le temps est l’un des plus grands facteurs d’inégalité qui puisse exister, non seulement entre les territoires, mais aussi entre les citoyens.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Absolument !

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

La mutation n’est pas un état, c’est un processus dynamique. Il n’y a pas de territoire fonctionnel unique, défini une fois pour toutes. C’est la raison pour laquelle je crois profondément, par expérience et par philosophie, aux notions de projet, de contrat, de rencontre.

Je ne suis pas un fanatique de cette nouvelle carte régionale qui fait l’objet de l’une de vos propositions. Le plus sûr moyen d’échouer est d’imposer cette carte régionale nouvelle par la loi.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Nous sommes d’accord !

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

Vous avez cité les dix ; il est des chiffres bibliques. Dix est effectivement le chiffre, vous le savez bien, qui a été cité dans Pour une République moderne de Pierre Mendès France : dix régions avec une ville millionnaire.

Je pense pour ma part que, lorsque l’on parle de coopération entre les régions, il est essentiel d’entrer dans un champ pratique de coopération, que ce soit en matière de formation professionnelle, de culture, de transports ou autres. Pour cela, il n’est pas besoin de modifier de manière substantielle les frontières et je ne suis pas sûr, monsieur Raffarin, que, comme vous disiez, à l’horizon 2020-2025, vous ayez reconsidéré cette carte régionale.

Puis, à propos de la coopération intercommunale, cher Yves Krattinger, je reprendrai vos excellentes formules. Vous parlez d’une vraie révolution ; vous dites que « ce n’est pas la loi qui a créé l’intercommunalité, c’est le besoin. » et vous précisez que « l’intercommunalité est la grande révolution de ces dernières décennies. » J’en conviens, mais il manque aujourd’hui la transversalité entre les différentes autorités pour parvenir à un accord. À ce point du débat, je pense, madame la ministre, que, dans cette démarche de transversalité, le préfet a toute sa place.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

M. Edmond Hervé. Les lois de décentralisation de 1982-1983 n’ont nullement consacré la destitution du préfet. Je suis favorable à ce que les préfets ne soient pas cantonnés dans un simple rôle d’autorités de police. Les préfets ont à l’évidence un rôle de développement, d’animation à jouer. Nous avons la chance, en France, d’avoir un corps préfectoral d’une exceptionnelle qualité.

M. Jacky Le Menn approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

Concernant les départements, je suis d’accord avec tout ce que vous écrivez. J’ajouterai toutefois un point : un département ou une région sans grande métropole sont un département ou une région condamnés.

Dans son excellente étude, M. Davezies, que vous avez auditionné, s’est penché sur six métropoles – Lille, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Rennes – et constate, chiffres à l’appui, qu’elles reversent bien plus à la Nation qu’elles ne consomment. C’est cela, la solidarité, et c’est aussi cela, le changement !

Quant aux redondances, si j’apprécie les structures qui ont été mises en place au niveau national, tout particulièrement quand un ancien collègue les préside

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

Enfin, troisièmement, on peut lire dans votre rapport, cher Yves Krattinger, la chose suivante : la « mission reconnaît qu’une autonomie fiscale plus large ne constitue pas forcément une voie d’avenir, notamment pour les territoires les plus pauvres ».

Je m’étonne, monsieur le président de la mission commune d’information, que vous ayez laissé courir cette plume, car j’ai souvenance que vous aviez participé, en 2000, à la rédaction d’un excellent rapport sénatorial en deux tomes, le rapport Mercier, dans lequel vous évoquiez, pour illustrer la notion d’autonomie fiscale, la situation du président de la région Poitou-Charentes, c'est-à-dire la vôtre.

Vous référant au passé, quand vous disposiez de ressources propres à hauteur de 60 % et de dotations, pour 40 %, vous regrettiez alors d’en être réduit à 40 % de ressources propres. Mais voyez comment les choses ont évolué, monsieur Raffarin : aujourd’hui, je ne suis pas sûr que les ressources propres de votre région représentent plus de 10 % de son budget.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Ce n’est plus ce que c’était !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

Je vous rejoins sur un point, cher Yves Krattinger, celui de l’autonomie fiscale, notamment pour les territoires les plus pauvres, qui en sont dépourvus. Ainsi l’autonomie fiscale et l’autonomie financière, qu’il convient de ne pas confondre, mais qui sont complémentaires, demeurent essentielles. Cependant, l’état des finances nationales étant ce qu’il est, elles ne peuvent exister, nous le savons, qu’en se conjuguant avec la péréquation et la solidarité au niveau local.

Je voudrais, à votre intention, cher collègue et ami Marc Daunis, apporter une précision. Vous avez en effet opposé très justement, et de manière très pédagogique, le bloc de stratégie, à savoir la région, et le bloc de proximité, les intercommunalités. Pourtant, lorsque vous examinez le cas des grandes métropoles, vous constatez qu’elles sont à la fois blocs de proximité et blocs de stratégie. Il ne peut y avoir, dans une région, une grande politique stratégique de développement de croissance si aucune relation n’existe entre la région et la métropole.

Pour terminer, monsieur le Premier ministre, cher Jean-Pierre Raffarin, je tiens à appuyer de manière très forte votre propos initial. N’y voyez en aucune manière, madame la ministre, une agression.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Jamais !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Edmond Hervé

M. Edmond Hervé. Je souhaite que les rapports du Sénat soient pleinement utilisés par le législateur, y compris par celui qui, constitutionnellement, est à l’origine des projets de loi. C’est l’exemple même de la coopération entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Montesquieu n’a jamais pensé que la séparation des pouvoirs interdisait la coopération !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure trente par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. Le président ou le rapporteur de la mission commune d’information ou le Gouvernement, s’ils sont sollicités, pourront répondre.

La parole est à M. René-Paul Savary.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est fort intéressant. Je souscris aux propositions formulées par la mission commune d’information.

Ayant eu la chance d’avoir été pendant dix-huit ans conseiller général et conseiller régional, j’ai pu faire le lien entre les deux assemblées et comprendre leur nécessaire complémentarité.

Lorsque j’ai commencé à siéger, en 1986, les régions se constituaient en EPR, ou établissements publics régionaux, et il existait une vraie différence et une vraie complémentarité entre les deux assemblées.

Le département possédait déjà des compétences en matière de solidarité, les dépenses de fonctionnement représentant environ 70 % de son budget, tandis que la région jouait un rôle d’intervention, 80 % de son budget étant consacré à l’intervention, contre 20 % seulement au fonctionnement, avec un effectif de 200 personnes seulement dans la région Champagne-Ardenne, par exemple.

La volonté du législateur était clairement de donner un rôle stratégique aux régions, en complémentarité des départements. Il nous faut renouer avec une telle formule. On le voit bien au travers des différentes dispositions prises récemment – les métropoles, les modifications des modes de scrutin – ou qui le seront demain – je pense au non-cumul –, la complémentarité entre le rural et l’urbain, telle qu’elle avait été conçue au départ, ne se retrouvera plus.

Mes questions, madame la ministre, sont relativement précises et concernent les éventuels transferts de compétences que vous comptez nous proposer.

Premièrement, allez-vous prendre en compte la valeur ajoutée du transfert de compétence ? En effet, au fil des années, certaines compétences ont été transférées aux collectivités sans réelle valeur ajoutée. Par exemple, où est la valeur ajoutée du département dans le RSA ? Si le département a un rôle majeur à jouer, c’est bien dans l’insertion, et non pas dans l’attribution d’une allocation de solidarité dont les modalités sont décidées au niveau national.

Deuxièmement, quels moyens réels comptez-vous transférer aux collectivités dans le cadre des nouvelles mesures de décentralisation ? Quelles normes avez-vous l’intention de simplifier, dans le but de les voir complètement prises en compte par les collectivités destinataires ? Le Gouvernement a-t-il la volonté de ne pas transférer de charges supplémentaires aux collectivités territoriales, compte tenu de leurs contraintes budgétaires ?

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Concernant la distinction entre, d’une part, le département et le fonctionnement et, d’autre part, la région et l’investissement, j’en parlais à l’instant en aparté avec M. Raffarin. Il est vrai que, à un moment donné, les régions sont passées du statut de collectivités de mission à celui de collectivités de gestion. M. Edmond Hervé nous proposait tout à l’heure, avec raison, de prendre en compte le rapport de la mission. Sans doute convient-il aujourd'hui, avant l’examen du deuxième projet de loi relatif à la décentralisation, de se poser des questions sur un certain nombre de transferts.

J’en viens au RSA. Nous avons été obligés de créer deux fonds en 2014, pour rétablir une forme de solidarité entre les départements en ce qui concerne le reste à charge. Les critères retenus ont été validés par le Conseil constitutionnel, qui les a considérés justes.

Toutefois, nous avons pris conscience d’un phénomène encore plus important : 40 % des personnes ayant droit au RSA ou à d’autres aides publiques n’y ont pas recours, en raison de la complexité des procédures, le Président de la République l’évoquait ce matin. Or ces procédures ont été déterminées par l’État, alors que c’est au conseil général de les mettre en œuvre. Nous devons en effet travailler très rapidement sur cette dissonance.

S’agissant des normes, 220 sont aujourd'hui à l’étude, avec le souci de ne mettre personne en difficulté par une suppression mal avisée. C’est la CCEN, la Commission consultative d’évaluation des normes, qui sera ensuite maîtresse du jeu.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Je commencerai par formuler une observation plutôt qu’une question. Chacun, ici, est intervenu pour dire qu’il ne fallait pas remettre en cause l’organisation actuelle, insistant sur le rôle fondamental de la commune et du maire, au cœur de notre modèle républicain.

Or, au même moment, le PLU intercommunal devient une compétence obligatoire. En cette période de vœux, je rencontre les maires de mon secteur : tous sont inquiets à ce sujet, qui est abordé à chacune de nos réunions. Alors que nous venons de constituer la grande communauté du pays d’Auray, constituée de vingt-quatre communes, la plupart des maires auraient souhaité que le PLUI demeure une compétence optionnelle, bien qu’ils soient tous favorables à l’organisation intercommunale, pour mettre en œuvre un développement solidaire et durable. Personne n’a vraiment compris pourquoi cette compétence était devenue obligatoire. Qui plus est, la minorité de blocage, obtenue au Sénat, semblerait avoir disparu à l’Assemblée nationale…

Mais la vraie question est celle de la solidarité, que nombre d’orateurs ont évoquée et qui doit, selon moi, se conjuguer à tous les niveaux. Vous avez parlé, madame la ministre, d’une compétence départementale. Dans les communes, on prend en compte un barème établi à partir de la richesse des familles, qui intègre le quotient familial. Quant à la région, il lui faut exercer une compétence de solidarité entre les différents départements. Au niveau national, le rôle de l’État devra également être précisé. Sinon, notre pays souffrira d’un développement très inégalitaire.

Je suis quelque peu effrayé par la volonté de réduire le rôle de l’État, alors que nous considérions tous, jusqu’à présent, que celui-ci jouait un rôle essentiel dans le développement égalitaire et solidaire des territoires.

Les maires évoquent également la baisse des dotations. Mais c’est une autre question, qui suscite toutefois des difficultés dans différents secteurs.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Sur le PLUI, la démarche proposée par la ministre en charge, c’est d’avoir, en milieu rural, une minorité de blocage. Ce point sera discuté la semaine prochaine à l’Assemblée nationale. Je ne peux pas prévoir – heureusement ! –, ce que le Parlement décidera in fine.

Je souhaite cependant m’exprimer sur ce sujet. Le vrai défi à relever, pour la France, c’est celui de l’indépendance alimentaire. En effet, à partir de 2030, nous deviendrons dépendants, parce que nous n’aurons plus assez d’espaces agricoles. Les mètres carrés précieux ne sont plus les mètres carrés industriels, portuaires ou aéroportuaires : ce sont les mètres carrés agricoles. Il nous faudra faire un effort surhumain de densification en milieu rural si nous voulons que la France, en 2030, ait encore une indépendance alimentaire.

Ce sujet d’avenir concerne bien évidemment le Sénat. Or le PLUI s’intègre tout à fait dans la réflexion commune qui doit être menée à cet égard.

J’ai parlé de solidarité territoriale. Peut-on, à partir du rapport tel qu’il est présenté aujourd'hui, travailler à une compétence « solidarité territoriale » du département ? Car je sens bien une demande de simplification et d’efficacité, même si elle n’est pas formulée ainsi. Cela permettrait aux communes les plus petites, les moins dotées, ou aux communautés de communes à faibles moyens de solliciter le département au titre de la solidarité territoriale, même si le département ne détient pas la compétence, dans le cas où l’on remettrait en cause, conformément à ce que je peux entendre un peu partout, la clause de compétence générale. C’est une vraie question, qu’il faut se poser, aussi bien à court, moyen ou long terme.

Quant à la solidarité envers les citoyens, elle n’est garantie que par l’État, même si elle est exercée par une collectivité territoriale. L’État est le seul garant, le seul protecteur. Si un citoyen ou un groupe de citoyens estime qu’une compétence n’est pas exercée alors qu’elle est de droit, l’État peut être appelé en tant que garant.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Mme la ministre s’interroge : comment donner un contenu à la compétence de solidarité territoriale ? Je réponds qu’elle en a un, mais il est différent dans chacun des territoires de notre pays.

Je serais assez tenté par l’expérimentation en ce domaine. On peut imaginer que 7 %, 8 % ou 10 % des départements mettent en place un dispositif de coopération entre le préfet, le conseil général et les intercommunalités. Ils pourront ensuite se rencontrer à Paris ou ailleurs pour échanger et essayer de donner un contenu plus précis, plus étoffé, plus lisible, aussi, à leur action.

Ensuite, une fois cette expérimentation faite, que l’on se dirige vers un transfert effectif de compétences. En revanche, partir à l’aveugle ne me paraît pas la meilleure façon de procéder.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Madame la ministre, monsieur le président de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quelle est la situation, aujourd’hui, des départements ? Ils gèrent bien l’aide sociale, ils s’occupent bien des réseaux routiers…

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

… et ils assurent une présence sur le terrain.

On compte quatre grands types d’assemblée dans notre pays : les conseils généraux et l’Assemblée nationale, les conseils régionaux et le Sénat. Les premiers représentent la population et les seconds représentent les territoires. Qu’on le veuille ou non, un équilibre s’est formé. Aussi, dès lors que les choses marchent bien, pourquoi faut-il provoquer des bouleversements dont on ne sait pas vers quoi ils nous mènent ?

En revanche, il existe aujourd’hui un problème de financements croisés : est-il utile de constituer six ou sept dossiers pour obtenir 50 000 euros de subventions, et ce alors même que les frais de constitution de ces dossiers sont généralement plus élevés que la subvention elle-même ?

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

S’agissant de votre première question, monsieur le sénateur, il ne me semble pas que les auteurs du rapport se soient déclarés, en la matière, partisans d’une terrifiante révolution…

Concernant votre seconde question, je veux vous dire que les conférences territoriales de l’action publique ont été créées à la suite de trois rapports sénatoriaux, dont celui de Jacqueline Gourault et d’Edmond Hervé.

En son temps, la conférence nationale des exécutifs avait décidé de faire en sorte de supprimer les doublons. Par exemple, en matière de développement économique, la région est chargée de la stratégie, de la recherche et développement, des transferts de technologie, des aides directes aux entreprises ; en revanche, en matière d’immobilier d’entreprises, c’est soit le département, soit la communauté d’agglomération qui a la compétence.

Pour ma part, je fais confiance aux élus pour mettre fin à ces doublons. Mais je crois aussi à la diversité des territoires et je ne vois pas comment rédiger une loi qui empêche les élus locaux de décider, selon les situations, qui fait quoi entre la région, un département, une métropole ou les structures intercommunales.

J’ai souvent entendu dire qu’il serait impossible de s’entendre au sein des conférences territoriales de l’action publique. Je connais pour ma part six conférences territoriales régionales et elles fonctionnent bien. Yves Krattinger me citait d’ailleurs le cas de la conférence des exécutifs de son département. À chaque fois qu’on réunit des élus, cela donne de bons résultats, pour la raison simple que les élus sont des gens sérieux, et je leur fais confiance.

Je le répète, les conférences territoriales de l’action publique, créées à la suite de propositions du Sénat, permettront de mettre fin aux doublons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand reconnaissait avec lucidité ceci : « L’immobilité politique est impossible ; force est d’avancer avec l’intelligence humaine. Respectons la majesté du temps ; contemplons avec vénération les siècles écoulés [...] ; toutefois, n’essayons pas de rétrograder vers eux, car ils n’ont plus rien de notre nature réelle, et, si nous prétendions les saisir, ils s’évanouiraient. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la mission commune d’information. Il fallait un peu de romantisme !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Si l’on veut aujourd’hui relever le défi de la compétitivité qui s’impose à nous, le Président de la République l’a rappelé, nous ne pouvons plus, mes chers collègues, gouverner la France avec l’organisation du siècle dernier.

Nous devons engager une double rupture : celle de notre organisation politique et administrative et celle de la méthode. Il nous faut passer d’une démocratie descendante à une démocratie ascendante.

Le général de Gaulle l’avait très bien compris, qui disait : « Plus je plonge dans la France, plus je constate que beaucoup de choses reposent sur la conscience et le dévouement des maires ». Il ajoutait à leur adresse : « Vous êtes les éléments de solidité de la France. »

Mes chers collègues, la compétitivité de notre pays prendra corps lorsque nous ferons confiance à cette France d’en bas chère à Jean-Pierre Raffarin. Pour ce faire, l’État doit engager une véritable révolution culturelle : passer de la culture de la circulaire à celle du contrat.

Les rythmes scolaires en sont le plus bel exemple. En effet, s’il y a consensus sur l’objectif, la mise en place ne peut être décrétée depuis la rue de Grenelle, car les rythmes biologiques des enfants et des enseignants ne peuvent être déconnectés des rythmes économiques, voire climatiques, des diverses régions. Seules la contractualisation et l’expérimentation au niveau local seront efficientes.

Madame la ministre, ma question est simple : quelles mesures comptez-vous prendre pour valoriser la diversité de nos territoires et la compétitivité de la France au moment où nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger proposent des pistes de réflexion particulièrement intéressantes ?

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Mme Marylise Lebranchu, ministre. La question est simple, mais encore faut-il que vous m’accordiez quelques heures pour expliquer ce que pourrait être cette évolution…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

En tant que membre du Gouvernement, je compte prendre en compte le rapport de la mission commune d’information et, à partir de celui-ci et des textes qui sont déjà en vigueur, j’entends faire évoluer les choses et proposer sans doute des simplifications, en particulier dans l’échelle des responsabilités et des prises de décisions.

Mais j’entends ce que vous dites, ce qu’ont dit deux des orateurs qui sont intervenus tout à l’heure, comme j’entends ce qu’a dit ce matin le Président de la République, qui, constatant que les services déconcentrés de l’État font remonter 6 000 indicateurs vers les ministères, se demandait ce que l’on faisait de ces chiffres, sinon des statistiques.

La déconcentration sera donc inscrite au programme du Gouvernement.

Je profite de votre question pour aborder le rôle des préfets, après Edmond Hervé.

Dans un premier temps leur a été confié le pilotage des budgets opérationnels de programme, les BOP. Il me semble qu’on ne peut pas s’arrêter là. À partir de l’expérimentation qu’Yves Krattinger appelle de ses vœux, il y a un travail à faire sur la déconcentration et sur le rôle des préfets, qui ne doit pas se limiter à un simple contrôle a posteriori.

Cela rejoint la question qu’a posée Jean-Claude Peyronnet à propos du rôle des parlementaires. Je n’ai pas de réponse bordée sur le plan juridique à vous faire, monsieur le sénateur, mais ce qui existe au niveau national, c’est-à-dire la mission de contrôle des parlementaires sur l’action du Gouvernement, pourrait se décliner en une mission de contrôle des parlementaires sur l’exécution par les préfets des décisions de l’État. En tout cas, c’est la voie vers laquelle nous nous orientons.

Voilà ce qu’il est possible de faire pour conjuguer décentralisation, déconcentration et simplification. Cela demandera beaucoup de travail et nécessitera d’amples discussions avec nos fonctionnaires.

Puisque je dispose d’un peu plus de temps

Sourires.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

J’ai entendu plusieurs intervenants se plaindre du fait que l’État « étouffait » un peu les élus et les acteurs locaux par des contrôles sans raison d’être. Jean-Pierre Raffarin a parlé de l’initiative qui pouvait être étouffée par tous ces a priori. C’est là un vrai sujet, celui de l’État régulateur, mais aussi celui de l’État accompagnateur des collectivités, et il demande réflexion. Peut-être faudra-t-il envisager un décret de préfiguration s’agissant des départements et de la compétence de solidarité territoriale, comme semblent en être d’accord M. Raffarin et M. Krattinger. Une proposition écrite leur sera faite à ce sujet.

Il faut aller jusqu’au bout de la démarche et veiller à ce que l’État soit partout présent pour exercer sa mission de contrôle de la réalité des choses – je pense, par exemple, à l’industrie agroalimentaire, aux produits de santé, des sujets qui ont fait l’actualité récente – et, à cet égard, une vraie évolution doit intervenir.

Je peux vous dire que, ce matin, devant les préfets, les directeurs d’administration centrale et l’ensemble des corps constitués réunis, le Président de la République a manifesté une attention particulière pour cette réforme de l’État qui doit être entamée.

Aussi, et bien que le propos soit inimaginable de la part d’un ministre, vous me permettrez, mesdames, messieurs les sénateurs, de me souhaiter bon courage !

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi, dans les différentes interventions, il a été question à plusieurs reprises des régions. Je reviendrai bien évidemment sur les propositions qui sont faites à cet égard, mais cela montre en tout cas la nécessité de travailler à l’articulation entre les différentes collectivités. C’est là un des enjeux des deux textes à venir – mais, madame la ministre, vous avez laissé entendre qu’il n’y aurait peut-être plus qu’un seul projet de loi.

Ma collègue Mireille Schurch l’a rappelé, loin d’opposer les collectivités entre elles, nous devons leur permettre de mieux travailler au service des femmes et des hommes de nos différents territoires. Dans le cadre de la modernisation de l’action publique, il a beaucoup été question de l’intelligence territoriale. Il faut lui donner corps, et les élus en sont capables.

Je ne pense pas que, pour donner plus de visibilité aux régions, comme le réclament à la fois les auteurs du rapport et les acteurs de terrain, il faille nécessairement réduire leur nombre et accroître leur taille. Finalement, quel que soit le nombre des régions, quelle que soit la taille des unes et des autres, se posera nécessairement la question de l’interrégionalité, de la périphérie.

Si je prends l’exemple de la région Rhône-Alpes, même si on lui adjoint la région Auvergne, la question du transport quotidien de voyageurs vers la région Bourgogne se posera toujours ; si on lui adjoint la région PACA, se posera toujours la question des trajets quotidiens vers la région Auvergne.

Nous avons besoin, effectivement, de créer ces espaces interrégionaux qui existent déjà à l’échelle des massifs – citons, par exemple, la coopération entre les six régions du Massif central.

Madame la ministre, vous nous avez dit être prête à rendre possible l’expérimentation ; le cas échéant, quelle place sera donnée à la consultation des populations concernées ? Plus concrètement, comment redonner leur place à des régions sans les opposer aux autres collectivités, sans non plus briser l’unité de la République ? Vous l’avez rappelé, notre objectif est surtout de réduire les inégalités territoriales, et non d’en créer d’autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Je tiens à rassurer notre collègue : nous ne voulons pas redessiner la carte administrative, nous ne voulons pas redécouper les régions. L’idée, c’est d’éviter que plusieurs acteurs ne soient en compétition et, ce faisant, ne créent des doublons, source de dépenses. Pour cela, il faut que les acteurs ne se ressemblent pas trop. Ils doivent donc avoir des natures différentes. Et nous pensons que la dimension est un élément de cette différenciation, tant il est vrai que, lorsque vous avez la charge d’espaces plus vastes où la densité de population est différente, vous ne pouvez pas manifester le même intérêt, la même préoccupation pour la population vivant dans un canton rural.

Telle est l’approche de rationalisation que nous proposons.

J’entendais tout à l’heure notre collègue Edmond Hervé dire des territoires sans métropole qu’ils étaient condamnés. Autant je souscris en grande partie à son propos, autant, là, je me pose la question : la région Poitou-Charentes est-elle condamnée, qui ne compte aucune métropole régionale ? Cela peut se discuter, mais il est clair que Bordeaux ou Nantes ont une influence sur leur territoire régional. En tout cas, nous avons besoin de structures interrégionales.

Ainsi, je remarque qu’EDF, la SNCF ou un certain nombre de structures avec lesquelles nous travaillons aujourd’hui fonctionnent ainsi. Un conseil régional, pour réaliser son schéma des transports, travaille avec une direction interrégionale de la SNCF dont le siège se trouve dans une métropole de proximité extérieure à la région.

Il ne s’agit pas, ma chère collègue, de prendre des ciseaux et de refaire avec les régions ce que d’autres font avec les cantons !

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

C’est pourtant ce que vous vouliez faire voilà peu !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Notre idée, c’est simplement de trouver le moyen de la puissance. Par exemple, si vous voulez un jour créer ce qui ressemblerait à une Banque publique d’investissement interrégionale ou régionale qui puisse faire du haut de bilan, qui puisse soutenir par des financements directs des PME sur des structures stratégiques, il est nécessaire de disposer d’un staff, d’une équipe qui seront probablement mieux structurés à un niveau interrégional.

Notre approche est donc très pragmatique. Nous proposons que des expérimentations soient conduites. À cet égard, je partage l’idée exprimée par Yves Krattinger : la création de pôles interrégionaux pourrait préfigurer une action interrégionale pour l’exercice d’un certain nombre de compétences, afin d’assurer à celle-ci une puissance suffisante, sans pour autant toucher aux identités régionales, qui sont une réalité importante. Je mesure bien que tout cela est complexe.

Cette démarche empirique, expérimentale, consistant à instituer des pôles interrégionaux représente le moyen de progresser vers la nécessaire mise en place d’une action à l’échelon interrégional tout en évitant la concurrence entre région et départements.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Nous touchons ici au fond du sujet. En fait, il existe deux types d’inégalités majeures entre territoires : des inégalités de richesse, qui peuvent toujours en théorie être compensées par la péréquation, …

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

… même si pour l’heure on n’y parvient guère, faute d’accord entre les politiques, et des inégalités en termes de disponibilité de la matière grise. Les secondes sont peut-être encore plus importantes que les premières aujourd'hui, à l’ère de l’économie de la connaissance.

La principale difficulté, pour les collectivités des territoires ruraux, est de trouver des cadres de très bon niveau pour mettre en œuvre les politiques publiques. L’État lui-même n’affecte plus ses fonctionnaires comme il le faisait il y a cinquante ou cent ans. Quand une région ne peut pas s’appuyer sur une métropole – fût-elle située hors de son territoire, un peu comme Bordeaux ou Nantes pour Poitou-Charentes –, elle se trouve très gravement handicapée. En raison de l’insuffisance des structures d’enseignement et de recherche, les entreprises qui y sont historiquement installées peinent à garder leurs cadres et celles qui n’y sont pas présentes n’y viendront jamais !

Telle est la réalité que nous vivons et qui fonde la grande inégalité entre les territoires. Nous devons essayer de trouver des réponses à cette problématique, car aujourd'hui les écarts ne se réduisent plus, ils se creusent.

L’État peut créer les conditions de l’égalité, en instaurant des péréquations et en affectant des moyens humains. À cet égard, les préfets ne suffisent pas, quelles que soient leurs qualités – celui de mon département est excellent ! –, car c’est d’équipes de cadres dont nous avons besoin, en particulier dans des domaines tels que ceux des nouvelles technologies ou du numérique, qui requièrent une ingénierie de très haut niveau. Ces équipes pourraient mener leur action au sein des pôles interrégionaux que j’ai évoqués. Un spécialiste isolé ne pourra assurer le développement des services numériques dans un territoire ; c’est impossible !

J’ai rédigé en 2009 un rapport intitulé « Faire confiance à l’intelligence territoriale ». Dans les faits, nous en sommes loin ! Après avoir donné les moyens d’une certaine égalité matérielle et humaine, on veut contrôler tout ce que font les territoires et on tue ainsi l’innovation territoriale. Sur ce point, je suis en profonde rupture avec certains propos que j’ai pu entendre. La confiance doit aller jusqu’à autoriser les territoires à innover. Pour moi, la loi doit fixer les objectifs à atteindre en termes d’égalité, l’État doit donner les moyens de l’égalité, mais il appartient ensuite aux territoires d’inventer le chemin pour la réaliser. En effet, tracer ce chemin depuis Paris ne peut que mener à l’échec !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Tant que l’on ne fera pas confiance aux territoires, on restera enlisé dans la situation actuelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

Je fais mien, bien entendu, le credo en nos communes que l’on a pu entendre sur toutes les travées. Pour ma part, je voudrais évoquer la situation des territoires ruraux, des petites communes, dont j’ai pu observer toute l’évolution jusqu’à aujourd'hui, étant désormais président d’une intercommunalité après avoir été élu maire pour la première fois voilà quarante-neuf ans.

Conformément à la loi, les petites communes ont déjà délégué à l’échelon intercommunal les compétences en matière d’économie, d’environnement, en particulier tout ce qui concerne la gestion des déchets et les services publics d’assainissement non collectif. Les écoles de musique, les voies vertes, cyclables ou de randonnée relèvent également de l’intercommunalité. Il en ira bientôt de même pour l’entretien des cours d’eau, tandis que les préfets nous incitent à supprimer les syndicats intercommunaux à vocation sociale pour confier aux communautés de communes les compétences en matière scolaire, de crèches, de centres de loisirs sans hébergement ou de gestion des établissements accueillant des personnes âgées. Dans le même esprit, l’agence de l’eau a indiqué que, d’ici à deux ans, l’assainissement devrait relever de l’intercommunalité pour les petites communes, et la loi Duflot organise l’urbanisme à ce même échelon.

Je souscris pleinement à cette évolution, mais aujourd'hui, à la veille des élections municipales, les maires se demandent ce qu’il va leur rester à faire. Cela étant, ils ne critiquent pas l’intercommunalité ; ils savent qu’elle est indispensable et acceptent les transferts de compétences, quand ils ne les demandent pas eux-mêmes. Comment ces petites communes de 50, de 100 ou de 200 habitants, qui se refusent cependant à fusionner, pourraient-elles s’intégrer insensiblement au sein de l’intercommunalité, au fil de son approfondissement ? L’idée est assez nouvelle, mais ce n’est pas par le biais d’une décision du Gouvernement, quel qu’il soit, que l’on réussira à diminuer le nombre de communes en supprimant les plus petites d’entre elles. Imposer les fusions ne marchera pas non plus : comment pourrait-on inciter les petites communes à s’associer dans l’intercommunalité pour créer la commune de demain ? Cela est-il possible ?

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Rappelez-vous les débats que nous avons eus dans cet hémicycle, par exemple lorsque l’on a essayé de rendre obligatoire le plan local d’urbanisme pour les intercommunalités ou d’organiser la prévention des inondations à l’échelon intercommunal. Une peur s’est alors exprimée : que va-t-il rester à la commune ?

Les communes qui ont des ressources vivront avec leur intercommunalité, laquelle permet à chacun d’accéder à des services qu’il n’aurait peut-être pas été possible de créer autrement, s’agissant par exemple de la petite enfance. Cela étant, je reste persuadée que c’est l’intercommunalité qui peut sauver les communes n’offrant plus aucun service à leur population, faute de moyens, et où seul le coût extrêmement faible du foncier est susceptible d’attirer de nouveaux habitants. Certaines très petites communes sont exsangues et ont du mal à se donner des élus : faut-il leur imposer de fusionner ? Pour ma part, je reste sur la position que j’ai toujours défendue : je leur fais confiance pour décider de fusionner si cela est nécessaire. Pour des raisons historiques et culturelles, dans un pays comme la France, la loi ne saurait, à mon sens, les y contraindre.

En revanche, je pense qu’il convient de favoriser les fusions de communes. Je ne sais pas encore comment, car à l’heure où les dotations de l’État diminuent, il est difficilement envisageable de surdoter les communes qui fusionneront. Nous devrons cependant y réfléchir au cours de cette année. Nous sommes en train d’essayer de prendre en compte, dans la dotation globale de fonctionnement, ce que j’appelle les « mètres carrés précieux », à savoir les terres agricoles, les zones humides, les zones de protection des captages, le zonage NDs, le zonage Natura 2000, etc. Il y aura un peu plus de ressources, mais il faut étudier comment aider les communes à s’associer au sein d’entités viables. De ce point de vue, la mise en place des schémas départementaux de coopération intercommunale que la précédente majorité a eu le courage de promouvoir a déjà constitué un grand pas dans la bonne direction.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Je ne puis en dire davantage aujourd’hui, mais je cherche les moyens d’encourager les fusions ; je n’ai pas mandat pour aller au-delà.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

M. Bailly met le doigt sur ce qui constituera le problème majeur des prochaines années. J’ai tenu dix-sept réunions dans mon département, portant sur les contrats que le conseil général est en passe de signer avec les communautés de communes. Les petites communes connaissent un vrai stress.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

C’est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

C’est la première fois que je le constate avec autant d’acuité. Les transferts de compétences aux intercommunalités sont de plus en plus importants, y compris dans le domaine scolaire, qui est pourtant au cœur de la vie communale : comme me le disent les maires, si l’on transfère la compétence scolaire, à quoi bon conserver la commune ?

De plus, ces transferts de compétences s’accompagnent de transferts financiers, par le biais de dotations de compensation au profit de la communauté de communes. Les petites communes de mon département qui n’ont pas de ressources forestières n’ont plus de budget ! Il y a là un vrai problème. Comme Gérard Bailly, je pense que certaines seraient prêtes à se fondre dans une entité plus globale, sans être pour autant forcément disposées à fusionner avec la commune pauvre d’à côté ni même avec celle qui a la chance d’être plus riche parce que son territoire compte 800 hectares de bois, ce qui constitue une forme d’injustice, la rendant peu sympathique aux yeux de ses voisines…

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Krattinger

Gérard Bailly a donc mis le doigt sur une question à laquelle nous devrons très rapidement apporter une réponse.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Je souhaite saluer le travail de nos collègues Raffarin et Krattinger, qui forment un excellent binôme, même s’il n’est pas paritaire…

La grande qualité de leur rapport tient à deux raisons.

En premier lieu, ils ont su écarter deux poncifs rebattus à gauche comme à droite depuis tant d’années, sans qu’aucune preuve ne vienne jamais les fonder : l’organisation territoriale de la France serait un millefeuilles – on retrouve pourtant trois niveaux de collectivités dans les sept autres plus grand pays européens – et les collectivités territoriales gaspilleraient l’argent public, alors que la part de leurs dépenses dans le PIB s’élève à 9 % ou à 10 %, pour une moyenne européenne s’établissant à 10 % ou à 11 %. La France se situe donc dans la norme.

En second lieu, nos collègues ont bien perçu la nouvelle géographie économique et démographique française. Christophe Guilluy propose d’excellentes analyses de cette nouvelle « fracture française », qui n’est pas seulement géographique, mais aussi politique. Il montre l’existence d’une France de la périphérie souvent abandonnée, qui ne profite pas de la mondialisation, contrairement aux grandes métropoles.

Je souscris complètement aux préconisations du rapport, qui souligne bien l’importance de la diversité. On ne peut pas faire la décentralisation en suivant les règles de la géométrie euclidienne : l’uniformité, le jardin à la française, cela ne marche pas ! Il faut donc faire vivre la diversité. Je suis évidemment favorable à la constitution de grandes régions, aux départements, tout en m’interrogeant sur la nécessité de maintenir un département sur le territoire des grandes métropoles.

Il faut également promouvoir la proximité, parce que c’est le creuset du lien social. La démocratie nationale n’est qu’une projection de la démocratie locale.

En matière de péréquation, la situation est très difficile. Instaurer la règle suivante, peut-être en l’inscrivant dans la Constitution, permettrait de l’améliorer fortement : celui qui décide doit payer. Songeons à ce qui se passe en ce moment avec la réforme des rythmes scolaires…

Madame la ministre, en présentant ses vœux pour la nouvelle année, le Président de la République a prononcé la phrase suivante, qui m’a interpellé et dont je voudrais que vous fassiez l’exégèse : « Une nouvelle loi de décentralisation accordera plus de responsabilités aux élus et elle simplifiera l’organisation territoriale de notre pays, qui est devenue illisible et coûteuse. » Est-ce là l’annonce d’un autre texte que les projets de loi déjà prévus ?

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Monsieur Retailleau, il n’est pas toujours possible d’appliquer le principe « celui qui décide paie ». Prenons le cas des communautés de communes rurales qui demandent des subventions pour mettre en œuvre une délibération : il faut intégrer le critère de la rentabilité. Pour autant, je sais que ce n’est pas à cela que vous pensiez.

Ce matin, le Président de la République a très clairement indiqué que nous avons décidé de rétablir la clause de compétence générale, tout en évitant les doublons.

M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Tels sont les termes du débat. Comme je l’ai souligné tout à l’heure, le Président de la République laisse la porte ouverte à l’adoption d’amendements parlementaires sur le texte dont vous serez prochainement saisis. Cela étant, le Gouvernement est lui-même tout à fait conscient de la très forte montée d’une crainte que le rétablissement de la clause de compétence générale n’entraîne l’apparition de nouveaux doublons.

À mon sens, il convient de réduire le nombre de schémas : leur empilement actuel est inutile. En revanche, il en faut un à l’échelon régional, …

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

… tel un schéma régional d’aménagement du territoire qui serait à terme opposable aux SCOT et aux PLU et prendrait en compte les CHU, les universités, les gares, les aéroports, les principaux nœuds intermodaux.

Il n’est pas souhaitable de multiplier les schémas. Par conséquent, sur la demande du Président de la République, je vous proposerai une simplification, en instaurant un schéma prescriptif, qui devra respecter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Nous allons examiner cette question de près, mais il y a peut-être là une réponse de nature à apaiser les craintes quant à l’apparition de doublons.

Par ailleurs, il me semble dommage que les expérimentations soient limitées à cinq ans dans tous les cas. C’est pourquoi nous avons choisi de recourir à la délégation de compétence. Cela justifierait peut-être une légère révision constitutionnelle, mais le Président de la République souhaite que l’on trouve d’autres solutions. Je vais donc m’allier à vous pour les définir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Peyronnet

Je voudrais évoquer deux questions : le rôle du préfet et celui des parlementaires.

Le rôle du préfet, lorsque la décentralisation a été mise en place, a été clairement défini, notamment par Gaston Defferre : le préfet est le seul représentant de l’État dans le département. Toutefois, c’est de moins en moins vrai, et cela est regrettable, car la décentralisation ne s’est jamais opposée à l’État déconcentré.

Les préfets, qui n’ont jamais eu, et c’est logique, le contrôle de la magistrature, ni celui de l’éducation, ont perdu complètement celui du secteur de la santé, à la suite de la création des agences régionales de santé, les ARS. Si l’on ajoute à cela les missions dévolues au gouverneur de la Banque de France, au directeur des services fiscaux, etc., on constate que, en réalité, les préfets ont de moins en moins de pouvoirs et de moyens. Il faut donc leur confier un rôle nouveau de coordination, d’animation, de médiation. C’est dans cette direction qu’il convient d’aller.

Quant au rôle des parlementaires, MM. Raffarin et Krattinger et Mme Meunier ont formulé des suggestions. Pour ma part, j’ai rédigé une proposition de loi sur ce sujet, issue d’un vote unanime de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Les parlementaires, qu’ils soient députés ou sénateurs, sont les élus d’un territoire. S’ils n’ont plus aucune attache avec ce dernier, ce qui se produira inévitablement, si l’on ne fait rien, lorsque l’interdiction du cumul des mandats sera instaurée, plus rien ne s’opposera à ce qu’ils soient un jour désignés par le biais d’un scrutin à la proportionnelle sur liste nationale. Avec la fin du cumul des mandats et la disparition des délégations, les parlementaires seront en apesanteur totale : leur action territoriale se bornera à l’inauguration des chrysanthèmes !

Il faut rapidement trouver une solution, sauf à connaître de très gros déboires. Les parlementaires risquent de perdre leur compétence, leur technicité, leur connaissance des réalités du terrain. Leur lien avec le territoire tiendra à la seule élection, or ce lien est extrêmement fugace.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Le parlementaire étant par essence un législateur, il ne peut détenir un pouvoir exécutif. Je suis d’ailleurs de ceux et celles qui se posent la question de la séparation de l’exécutif et du délibératif dans les régions.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Un parlementaire ne saurait exécuter au nom de l’État une mission, quelle qu’elle soit. En revanche, il nous faut réfléchir à partir de la fonction des parlementaires telle qu’elle existe, c’est-à-dire, en particulier, le contrôle de l’action gouvernementale, qui inclut celui de l’exécution des décisions par les préfets, puisque ces derniers sont les représentants de l’État, donc du Premier ministre, dans les départements. En outre, depuis que les budgets opérationnels de programme leur ont été confiés, les préfets remplissent une mission supplémentaire, dont l’exécution doit elle aussi être contrôlée.

Le rôle de médiation auquel vous faites référence, monsieur le sénateur, peut recouvrir le contrôle de l’action du préfet, mais il n’y a pas de codécision possible.

Cela étant, un département compte plusieurs parlementaires, sénateurs et députés. Nous allons devoir bien réfléchir à la question que vous avez soulevée : pour l’heure, je n’ai pas de réponse en droit. Une solution n’est pas hors d’atteinte, à condition de respecter la séparation des pouvoirs, conformément aux enseignements de Montesquieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Quel excellent rapport ! J’avais déjà apprécié le précédent rapport d’information sur l’intelligence territoriale et les tentatives de Jean-Pierre Raffarin pour élaborer une loi qui définisse mieux la répartition des compétences entre les diverses collectivités.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Il a réussi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Cependant, les limites de cet exercice étaient apparues assez rapidement.

Pour certains, comme la commune, le département, c’est dépassé ! Quant aux territoires ruraux, avec le nouveau découpage cantonal, ils seront sous-représentés dans les assemblées territoriales, alors qu’ils étaient auparavant surreprésentés. En tout cas, c’est ce que ressentent les élus locaux des zones rurales.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Je ne suis pas d’accord !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Vous n’êtes peut-être pas d’accord, mais je pourrais vous montrer ce qu’il en est pour le département de Seine-et-Marne : on assiste à l’écrasement total des territoires ruraux !

En ce qui concerne les départements, monsieur Krattinger, qu’est-ce qui a fait leur force à partir de l’entrée en vigueur des lois de 1982 et de 1983 ? Ils avaient des moyens permettant d’aménager les territoires ruraux, par le biais d’une péréquation au profit des collectivités les moins riches. Toutes les politiques très intelligentes et peu onéreuses menées par les départements ont donné un coup de fouet formidable aux territoires ruraux. Si les départements n’ont plus ces moyens, que vont-ils devenir ? Aujourd’hui, avec l’augmentation des dépenses sociales, non compensées complètement, les nouvelles charges d’entretien de la voirie qui leur incombent, quelle capacité d’initiative les départements conserveront-ils ? Je me le demande… Alors que les régions et les intercommunalités ont encore de la marge, la situation des départements est beaucoup plus délicate.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Monsieur Hyest, le découpage cantonal ne peut déroger au principe suivant : en France, c’est la population, et non la géographie, qui détermine la représentation.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

La répartition entre parlementaires représentant les zones urbaines et parlementaires ruraux reflète ce principe, parce que les circonscriptions sont délimitées en fonction du chiffre de la population, et non du territoire. Par exemple, pour l’élection des députés, les circonscriptions peuvent compter de 20 à 206 communes.

Tant que le système de représentation sera fondé sur le principe « un homme, une voix », nous n’échapperons pas à la difficulté que vous avez relevée. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé ces dernières années. Par conséquent, je ne puis aller au-delà sur cette question.

En revanche, concernant la solidarité, nous nous sommes demandé, lors de nos débats sur le texte à venir, s’il était possible de concevoir, pour les communautés de communes rurales qui ont le moins de moyens, des formes d’exercice mutualisé des compétences avec les départements, au travers, par exemple, de sociétés publiques locales ou d’agences d’urbanisme travaillant au côté du conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, le CAUE, afin de constituer des pôles d’ingénierie.

En effet, M. Krattinger a parfaitement raison de souligner que ce qui manque parfois à un territoire pour faire émerger des projets, ce sont des cadres de catégorie A.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu, ministre

Je me souviens d’ailleurs d’une expérimentation qui avait été menée au travers de contrats infrarégionaux : le montant de l’enveloppe d’ingénierie attribuée était inversement proportionnel à l’effectif de cadres A de la collectivité considérée.

Nous devons parvenir à instituer de telles mutualisations. C’est pourquoi j’ai du mal à comprendre certains propos selon lesquels le nombre de fonctionnaires serait excessif : nous avons besoin de cadres A pour mener nos politiques dans nos départements et nos intercommunalités.

Une critique récurrente, qui finit par être lassante, veut que les intercommunalités, et plus encore les régions, se soient montrées laxistes en matière de recrutement et qu’il y ait eu gabegie. Or, la Cour des comptes a mis en lumière une évolution modérée en termes de créations de postes, et même un tassement à l’heure actuelle. L’attribution de nouvelles compétences ou la croissance de la population ont amené certaines collectivités à recruter, mais il n’y a pas eu d’inflation des effectifs.

Par ailleurs, le niveau des dépenses par habitant de certaines régions de France a été parfois aussi été dénoncé. Or, s’il dépasse 250 euros pour le Limousin, contre environ 50 euros pour les Pays de la Loire, c’est parce que cette région doit pallier le manque de cadres A au sein des autres collectivités territoriales en renforçant sa propre capacité d’ingénierie.

La solidarité est donc une question essentielle. La création de pôles interrégionaux peut constituer une réponse, mais d’autres solutions doivent être envisagées, d’ici à quelques semaines, pour remédier à cette flagrante inégalité territoriale en matière d’ingénierie.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Je souhaite remercier l’ensemble des intervenants pour la qualité de ce débat et saluer l’implication du rapporteur de la mission, Yves Krattinger, qui nous a fait profiter de sa grande expérience.

Madame la ministre, au Sénat, on sait respecter les règles du jeu, ce qui permet d’avoir un débat apaisé. J’aurais pu vous faire part du mécontentement que m’inspire le découpage cantonal de mon département, la Vienne, mais j’attendrai pour cela une autre occasion, car il s’agit aujourd’hui de réfléchir à l’avenir de notre pays et aux moyens d’améliorer l’efficacité de l’action publique. Comme mes collègues, je suis capable de faire abstraction de mes griefs quand l’importance du sujet abordé le commande.

Sur de tels thèmes, le Sénat dispose d’une expérience qu’il est prêt à partager avec le Gouvernement. Vous continuerez à trouver en nous des opposants parfois vifs sur bien des points, mais aussi des partenaires loyaux pour réfléchir à l’avenir de notre pays.

Applaudissements sur les travées de l'UMP . – M. le rapporteur de la mission commune d’information applaudit également.

Debut de section - Permalien
Marylise Lebranchu

Je tiens à saluer à mon tour la grande qualité du rapport et du débat. Toute contribution est très bonne à prendre !

Monsieur Raffarin, je suis moi aussi marrie du nouveau découpage de mon département. Il n’est pas si simple de changer les habitudes et de se plier à la règle de la représentation fondée sur la population.

Je m’engage, comme me l’a demandé le Premier ministre et conformément aux propos tenus ce matin par le Président de la République, à prendre en compte les conclusions de ce rapport et les échanges que nous avons eus dans l’élaboration des prochains projets de loi, à faire preuve d’ouverture aux amendements parlementaires et même à présenter au nom du Gouvernement, le cas échéant, des amendements qui auront été inspirés par vos travaux.

Je souhaite que nous réussissions à écrire ensemble, d’ici à quelques semaines, une nouvelle page de la décentralisation, de manière que le Gouvernement puisse continuer à travailler sur la déconcentration dans les meilleures conditions.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

communes.

Il a été transmis à la commission

Acte est donné du dépôt de ce

Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.