Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après les états généraux de la démocratie territoriale, organisés en octobre 2012, nous débattons aujourd’hui d’un rapport d’information qui, j’en suis sincèrement convaincu, s’écarte du « court-termisme » et rend honneur au temps long dans lequel notre institution doit s’inscrire.
Certes, l’horizon de 2020 ou de 2025 peut, somme toute, sembler relativement proche. Mais notre mission commune d’information s’écarte de cet écueil surtout par les propositions qu’elle formule et par la méthode qu’elle emploie. À cet égard, je tiens à rendre hommage à son président, Jean-Pierre Raffarin, et à souligner l’excellent travail de son rapporteur, Yves Krattinger. Permettez-moi également de me réjouir de la qualité des débats que nous avons menés.
Pour ma part, je présenterai quelques préconisations que j’ai formulées au sein de cette mission – j’avais l’honneur d’en être vice-président – et qui ont pu, ici ou là, emporter l’adhésion de nos collègues.
Dans le mouvement majeur et nécessaire d’une République décentralisée, je suis convaincu que notre institution, le Sénat, a un rôle nouveau à jouer, une place originale à occuper. La respiration démocratique du pays est rythmée en grande partie par l’Assemblée nationale, ce qui est symbolisé par le pouvoir dont dispose le Président de la République de dissoudre celle-ci. Quant au Sénat, il enrichit autrement notre bicamérisme, à la fois par sa dominante territoriale et par son inscription dans un temps plus long, celui de la prospective. Ses réflexions se fondent sur les mutations profondes de nos territoires, où s’amplifient les disparités voire les décrochages, et au sein desquels les inégalités se creusent. Ce constat a été utilement rappelé.
Nos travaux ont eu pour point de départ une réalité qui me paraît assez évidente : la France a considérablement changé au cours des dernières années. À cet égard, on distingue bien trois enjeux territoriaux fondamentaux : tout d’abord, le monde rural et la place des services publics ; ensuite, l’organisation du périurbain, liée à diverses problématiques économiques, à l’enjeu de la consommation du foncier et à la pression s’exerçant sur ce quasi hinterland qui se dessine entre le rural et l’urbain ; enfin, la ville, qui fait l’objet de politiques spécifiques, marquées par les facteurs de la concentration urbaine et du développement économique.
Globalement, il faut garantir l’articulation du vivre ensemble, en accordant une attention toute particulière aux zones de frictions.
Dans un tel contexte, il est nécessaire de refonder de nouvelles solidarités territoriales, de nouveaux modes d’organisation des territoires. Au-delà des politiques publiques, sur lesquelles je reviendrai, ce questionnement a conduit à insister sur la place majeure de l’intercommunalité.
Le constat a été établi : nos territoires doivent être plus réactifs. Leur diversité est une force, non une faiblesse, et, pour réussir à susciter cette réactivité, nous devons déterminer les bonnes articulations entre chaque niveau de collectivités.
Telle était la logique de la réforme menée en la matière par le précédent gouvernement, avec le conseiller territorial, initiative que notre collègue Dominique de Legge a rappelée et assumée. Trois blocs avaient alors été définis : le bloc communal et intercommunal, le bloc départemental et régional et le bloc État-Europe.
Ma conception est autre, radicalement, fondamentalement autre. À mon sens, il convient de distinguer au contraire deux blocs, à savoir un bloc de proximité et un bloc de stratégie.
Le bloc de proximité doit s’organiser autour d’un noyau de base. À ce titre, contrairement à ce que Mme Schurch vient d’affirmer, ce rapport ne prélude nullement à la disparition des communes, bien au contraire ! Les communes sont confortées dans leur rôle fondamental, comme cellules de base de la vie démocratique, de l’organisation et de l’architecture territoriales du bloc communal. Ce dernier est enrichi par un espace coopératif, qui est celui de l’intercommunalité et qui se fonde sur un projet partagé, appuyé sur la mise en commun de moyens et de compétences. Enfin, aux côtés de la commune et de l’intercommunalité, le département vient en garant de la solidarité et de la cohésion territoriales. Il adopte une position pragmatique, à travers le chef de filat et la contractualisation, avec l’organisation coopérative locale.
Quant au bloc de stratégie, il comprend la région, interface entre les projets de territoires du bloc de proximité, donc au plus près des territoires, et les politiques publiques impulsées par l’État et l’échelon européen.
Cette distinction entre bloc de stratégie et bloc de proximité doit se retrouver au cœur des articulations territoriales à venir. Elle doit servir de ligne directrice à toute nouvelle organisation, qu’elle soit décentralisée ou déconcentrée.
Je n’y reviendrai pas longuement, mais je veux souligner que l’État me semble, aujourd’hui, jouer un rôle plus important au niveau départemental. Ne serait-il pas préférable de doter l’échelon étatique régional d’un « super-SGAR » pour prévenir les dissensions susceptibles de se faire jour entre les administrations étatiques à l’échelon régional et à l’échelon départemental ?
Dans cette diversité, dans ces nouvelles articulations, le lien doit être assuré par la cohérence des politiques publiques, par l’application du principe de subsidiarité et par la contractualisation, via les projets de territoires. Ce mot d’ordre a déjà été lancé : laissons s’exprimer l’intelligence de nos territoires !
Concernant le nombre de régions, je ne suis pas persuadé que l’on ne doive pas être plus proche de la douzaine ou de la quinzaine. Toutefois, ce débat peut sembler secondaire.
Mes chers collègues, pour conclure, j’insisterai plutôt sur le rôle de notre institution dans la République décentralisée. De fait, dans un bicamérisme rénové, c’est une responsabilité accrue du Sénat qui, à mes yeux, se dessine.
En nous appuyant sur les traditions de la Haute Assemblée – notamment sur la qualité et la courtoisie de ses travaux et de ses débats – nous pouvons rompre totalement avec l’héritage d’un conservatisme institutionnel propre à une Ve République désireuse de stabilité après les remous de la IVe République. Nous pourrions ainsi forger le Sénat de la prospective, autour du consensus républicain, ce qui ne veut pas dire un Sénat apolitique, mais bien plutôt un Sénat fécondant le débat politique, traçant le cadre républicain, anticipant les grands enjeux de notre société pour le législateur et pour le citoyen.
Ce rôle m’apparaît d’autant plus important que je crois également à la nécessité d’un pouvoir réglementaire, au moins au niveau régional.
En outre, ce Sénat devrait représenter la dynamique et l’intelligence territoriales accompagnant la décentralisation.
Enfin, il s’agirait d’un Sénat plus spécialisé, dans sa mission de contrôle de l’action gouvernementale, sur l’application des lois dans le territoire.
Permettez-moi, en conclusion, de vous livrer une confidence : j’ai été agréablement surpris par le résultat des travaux de notre mission. Au début, je n’étais pas persuadé que nous parviendrions à un rapport de cette qualité, qui réaffirme une vision de la décentralisation conforme à notre culture et à notre histoire.
Madame la ministre, je sais que vous êtes particulièrement sensible au rôle du Sénat, et je suis d'ores et déjà persuadé que les conclusions de notre mission commune d’information constituent un creuset de propositions auxquelles les sénateurs seront particulièrement attentifs.