Intervention de David Assouline

Réunion du 7 janvier 2014 à 21h30
Débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat de contrôle qui s’engage ce soir revêt une double originalité par rapport aux autres débats de ce type organisés depuis plus d’un an sur l’initiative de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

En effet, le rapport de nos deux collègues Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir sur la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite « loi Morin », est le premier à conclure qu’une loi, à l’épreuve des faits, n’a pas du tout répondu aux attentes du législateur.

Voilà pour l’aspect négatif, mais je retiens surtout l’aspect positif : c’est en effet le premier rapport à déboucher presque immédiatement, à la suite du constat de la non-application d’une loi, sur l’adoption de mesures législatives, soutenues par le Gouvernement, tendant à redresser cette situation anormale.

Nous devons, à ce propos, saluer l’approche constructive de nos deux rapporteurs, qui, au-delà de leurs sensibilités politiques propres, dont la divergence a pu inspirer le scepticisme de certains quant à l’aboutissement de la démarche, ont su établir un diagnostic objectif et convergent.

En nous montrant les limites du dispositif initial, ils ont ouvert la voie au dépôt de deux amendements, présentés par Corinne Bouchoux, sur la toute récente loi de programmation militaire, amendements que le Sénat a adoptés avec l’avis favorable du Gouvernement.

Pour ma part, je vois dans cette démarche une remarquable illustration du lien naturel entre notre fonction de contrôle et notre activité législative proprement dite.

Je tiens également à saluer la contribution de deux autres de nos collègues, qui représentent le Sénat au sein de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires : Marcel-Pierre Cléach, tout d’abord, qui a été le rapporteur au Sénat de la loi Morin ; Michelle Demessine, ensuite, qui a pris le temps d’assister aux réunions du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN, et qui nous a exposé avec force les complications que subissent les victimes et leurs ayants droit.

Pourtant, en votant la loi de 2010, le Parlement avait voulu faire œuvre de justice envers tous ceux qui ont pu subir, à leur insu, des dommages liés aux essais nucléaires français. Cela vaut aussi bien pour les premiers essais en Algérie, dont quatre tirs atmosphériques très polluants dans le Sahara, que pour les campagnes en Polynésie française.

Or, si l’on examine les statistiques, le constat est sans appel : le dispositif de la loi de 2010 n’a pas seulement mal fonctionné, il n’a quasiment pas fonctionné du tout ! Cela nous a encore été confirmé lors de la conférence de presse que nous avons organisée début octobre, à la suite de la publication du rapport.

Un tel blocage n’était plus acceptable, non seulement parce qu’il est injuste, mais aussi parce qu’il jette le discrédit sur la loi et sur la parole publique.

Il était grand temps de réparer cette injustice, d’autant que s’est engagée une véritable course contre la montre, nombre de victimes des essais nucléaires étant déjà décédées sans avoir obtenu réparation. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nos rapporteurs ne nous ont pas proposé d’abroger la loi de 2010 : sa remise en chantier intégrale aurait risqué de retarder à nouveau le processus d’indemnisation.

Pour l’heure, à défaut de pouvoir indemniser les victimes déjà disparues, un des amendements de Corinne Bouchoux permettra à leurs ayants droit de saisir dans les cinq ans le CIVEN, ce qui va dans le sens d’une meilleure reconnaissance du préjudice subi par ces personnes.

Je veux aussi souligner qu’une autre mesure proposée par le Gouvernement a été adoptée à l’Assemblée nationale, visant à étendre à l’ensemble du territoire de la Polynésie française le champ du dispositif.

Reste à s’interroger sur les raisons de ce qu’il faut bien considérer comme la défaillance d’un dispositif législatif…

Pourtant, au départ, le contexte juridique et financier se présentait plutôt bien : les mécanismes mis en place étaient en apparence simples et rapides, le Gouvernement avait publié les décrets d’application dans des délais brefs et, il faut le souligner, les pouvoirs publics ont aussitôt provisionné d’importants crédits, qui n’ont de ce fait pas été consommés. Il arrive bien plus souvent que l’on vote des lois sans que les décrets ou les moyens suivent…

En réalité, comme le rapport le met bien en évidence, le principal facteur de blocage a résidé dans l’instruction des dossiers individuels : contrairement à l’intention du législateur, des complexités et des problèmes d’application pratique ont engendré d’importants contentieux, paralysant plus ou moins le processus.

Au final, un nombre infime de victimes ont été indemnisées, ce qui a fait naître le doute et dissuadé beaucoup de demandeurs potentiels d’introduire de nouveaux dossiers : nous sommes confrontés à un cercle vicieux, ou plutôt, pour reprendre l’expression utilisée par nos rapporteurs, à une sorte d’impasse législative dont on ne peut envisager de sortir que « par le haut ».

Je laisserai les rapporteurs dresser l’inventaire des solutions qu’ils préconisent à cet effet, lesquelles viendraient compléter les premières mesures que le Parlement a votées en décembre et en octobre.

Il me paraît cependant important de souligner deux points en vue d’une meilleure application de la loi de 2010, par le biais d’une amélioration de « l’environnement normatif ».

Le premier concerne la pérennité du financement des indemnisations, qui passe par le maintien à niveau des crédits qui y sont consacrés.

Le rapport préconise de « sanctuariser l’architecture financière » du dispositif. Nous devrons y être attentifs dans la durée, l’application de trop de lois achoppant sur l’insuffisance des moyens budgétaires.

À une époque d’économies « tous azimuts », la sous-consommation des crédits observée jusqu’à présent ne devra pas servir de prétexte pour rogner les dotations à venir. Cette tentation pourrait en effet exister à Bercy : en cette période de disette budgétaire, d’aucuns pourraient se demander pourquoi provisionner des crédits qui n’ont pas été dépensés auparavant…

Mais si l’indemnisation pécuniaire est une exigence, elle n’épuise pas la dette de reconnaissance dont la nation reste redevable envers ces personnes.

Le second point, auquel j’ai été particulièrement sensible lors de la conférence de presse, a donc trait à l’ouverture aux vétérans des essais, sous des conditions déterminées par voie réglementaire, des droits à l’attribution d’une distinction spécifique, comme l’avait suggéré dès 2009 notre collègue Marcel-Pierre Cléach. Cette mesure symbolique redonnerait sa juste place à l’ambition de justice affichée en 2010 et serait perçue comme une authentique marque de reconnaissance pour le préjudice dont ces vétérans ont été victimes à leur insu. §

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