Séance en hémicycle du 7 janvier 2014 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

L’ordre du jour appelle le débat sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat de contrôle qui s’engage ce soir revêt une double originalité par rapport aux autres débats de ce type organisés depuis plus d’un an sur l’initiative de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

En effet, le rapport de nos deux collègues Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir sur la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dite « loi Morin », est le premier à conclure qu’une loi, à l’épreuve des faits, n’a pas du tout répondu aux attentes du législateur.

Voilà pour l’aspect négatif, mais je retiens surtout l’aspect positif : c’est en effet le premier rapport à déboucher presque immédiatement, à la suite du constat de la non-application d’une loi, sur l’adoption de mesures législatives, soutenues par le Gouvernement, tendant à redresser cette situation anormale.

Nous devons, à ce propos, saluer l’approche constructive de nos deux rapporteurs, qui, au-delà de leurs sensibilités politiques propres, dont la divergence a pu inspirer le scepticisme de certains quant à l’aboutissement de la démarche, ont su établir un diagnostic objectif et convergent.

En nous montrant les limites du dispositif initial, ils ont ouvert la voie au dépôt de deux amendements, présentés par Corinne Bouchoux, sur la toute récente loi de programmation militaire, amendements que le Sénat a adoptés avec l’avis favorable du Gouvernement.

Pour ma part, je vois dans cette démarche une remarquable illustration du lien naturel entre notre fonction de contrôle et notre activité législative proprement dite.

Je tiens également à saluer la contribution de deux autres de nos collègues, qui représentent le Sénat au sein de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires : Marcel-Pierre Cléach, tout d’abord, qui a été le rapporteur au Sénat de la loi Morin ; Michelle Demessine, ensuite, qui a pris le temps d’assister aux réunions du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN, et qui nous a exposé avec force les complications que subissent les victimes et leurs ayants droit.

Pourtant, en votant la loi de 2010, le Parlement avait voulu faire œuvre de justice envers tous ceux qui ont pu subir, à leur insu, des dommages liés aux essais nucléaires français. Cela vaut aussi bien pour les premiers essais en Algérie, dont quatre tirs atmosphériques très polluants dans le Sahara, que pour les campagnes en Polynésie française.

Or, si l’on examine les statistiques, le constat est sans appel : le dispositif de la loi de 2010 n’a pas seulement mal fonctionné, il n’a quasiment pas fonctionné du tout ! Cela nous a encore été confirmé lors de la conférence de presse que nous avons organisée début octobre, à la suite de la publication du rapport.

Un tel blocage n’était plus acceptable, non seulement parce qu’il est injuste, mais aussi parce qu’il jette le discrédit sur la loi et sur la parole publique.

Il était grand temps de réparer cette injustice, d’autant que s’est engagée une véritable course contre la montre, nombre de victimes des essais nucléaires étant déjà décédées sans avoir obtenu réparation. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nos rapporteurs ne nous ont pas proposé d’abroger la loi de 2010 : sa remise en chantier intégrale aurait risqué de retarder à nouveau le processus d’indemnisation.

Pour l’heure, à défaut de pouvoir indemniser les victimes déjà disparues, un des amendements de Corinne Bouchoux permettra à leurs ayants droit de saisir dans les cinq ans le CIVEN, ce qui va dans le sens d’une meilleure reconnaissance du préjudice subi par ces personnes.

Je veux aussi souligner qu’une autre mesure proposée par le Gouvernement a été adoptée à l’Assemblée nationale, visant à étendre à l’ensemble du territoire de la Polynésie française le champ du dispositif.

Reste à s’interroger sur les raisons de ce qu’il faut bien considérer comme la défaillance d’un dispositif législatif…

Pourtant, au départ, le contexte juridique et financier se présentait plutôt bien : les mécanismes mis en place étaient en apparence simples et rapides, le Gouvernement avait publié les décrets d’application dans des délais brefs et, il faut le souligner, les pouvoirs publics ont aussitôt provisionné d’importants crédits, qui n’ont de ce fait pas été consommés. Il arrive bien plus souvent que l’on vote des lois sans que les décrets ou les moyens suivent…

En réalité, comme le rapport le met bien en évidence, le principal facteur de blocage a résidé dans l’instruction des dossiers individuels : contrairement à l’intention du législateur, des complexités et des problèmes d’application pratique ont engendré d’importants contentieux, paralysant plus ou moins le processus.

Au final, un nombre infime de victimes ont été indemnisées, ce qui a fait naître le doute et dissuadé beaucoup de demandeurs potentiels d’introduire de nouveaux dossiers : nous sommes confrontés à un cercle vicieux, ou plutôt, pour reprendre l’expression utilisée par nos rapporteurs, à une sorte d’impasse législative dont on ne peut envisager de sortir que « par le haut ».

Je laisserai les rapporteurs dresser l’inventaire des solutions qu’ils préconisent à cet effet, lesquelles viendraient compléter les premières mesures que le Parlement a votées en décembre et en octobre.

Il me paraît cependant important de souligner deux points en vue d’une meilleure application de la loi de 2010, par le biais d’une amélioration de « l’environnement normatif ».

Le premier concerne la pérennité du financement des indemnisations, qui passe par le maintien à niveau des crédits qui y sont consacrés.

Le rapport préconise de « sanctuariser l’architecture financière » du dispositif. Nous devrons y être attentifs dans la durée, l’application de trop de lois achoppant sur l’insuffisance des moyens budgétaires.

À une époque d’économies « tous azimuts », la sous-consommation des crédits observée jusqu’à présent ne devra pas servir de prétexte pour rogner les dotations à venir. Cette tentation pourrait en effet exister à Bercy : en cette période de disette budgétaire, d’aucuns pourraient se demander pourquoi provisionner des crédits qui n’ont pas été dépensés auparavant…

Mais si l’indemnisation pécuniaire est une exigence, elle n’épuise pas la dette de reconnaissance dont la nation reste redevable envers ces personnes.

Le second point, auquel j’ai été particulièrement sensible lors de la conférence de presse, a donc trait à l’ouverture aux vétérans des essais, sous des conditions déterminées par voie réglementaire, des droits à l’attribution d’une distinction spécifique, comme l’avait suggéré dès 2009 notre collègue Marcel-Pierre Cléach. Cette mesure symbolique redonnerait sa juste place à l’ambition de justice affichée en 2010 et serait perçue comme une authentique marque de reconnaissance pour le préjudice dont ces vétérans ont été victimes à leur insu. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a confié à Corinne Bouchoux et à moi-même, voilà un an, une mission qui s’est conclue par la remise d’un rapport intitulé « L’indemnisation des victimes des essais nucléaires français : une loi qui n’a pas encore atteint ses objectifs ». Ce titre reflète une approche un peu plus positive que ne l’a dit à l’instant M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Corinne Bouchoux et moi avons travaillé dans les meilleures conditions, formant un binôme que d’aucuns ont qualifié d’« improbable ». Le résultat de ce travail a montré, je pense, que nous pouvons œuvrer ici en bonne intelligence sur des sujets qui intéressent l’ensemble de nos concitoyens.

J’exposerai pour ma part les principales dispositions de la loi, avant d’identifier les blocages rencontrés pour son application. Ma collègue Corinne Bouchoux s’attachera à présenter un certain nombre de propositions et à rappeler les avancées que notre travail en commun a déjà permises.

C’est le 13 février 1960 qu’a explosé près de Reggane, dans le Sahara, la première bombe atomique française, dans le cadre de l’opération Gerboise bleue, qui comportait quatre tirs. Au total, la France aura procédé à 210 tirs nucléaires, d’abord atmosphériques, puis souterrains, les premiers dans le Sahara et les suivants, une fois que l’Algérie eut acquis son indépendance, en Polynésie Française.

Il faut le dire, la contribution de celles et de ceux qui ont participé à ce programme nucléaire s’est faite au prix de sacrifices importants, de souffrances avérées. Certains ont même payé cet engagement de leur vie.

En effet, notamment au cours des premières années, les tirs atmosphériques ont provoqué de vrais accidents. Quatre sont survenus dans le Sahara : l’essai Béryl, en 1962, a sans doute produit le plus d’effets ; il a été suivi, entre 1963 et 1965, de trois autres – Améthyste, Rubis et Jade –, qui ont également entraîné des retombées radioactives. Un cinquième accident a été constaté en Polynésie, à l’occasion de l’essai atmosphérique Centaure du 17 juillet 1974.

Malgré toutes les précautions prises à l’époque, les personnels concernés n’ont pas toujours été confinés et certains d’entre eux ont été victimes de retombées radioactives ayant entraîné des maladies et parfois des décès.

Cette situation fait l’objet de débats nourris depuis longtemps, dans les milieux politiques et au sein des associations regroupant les vétérans de ces essais. Assez récemment, plusieurs initiatives ont été prises par l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, visant à ce qu’une loi apporte des réponses satisfaisantes en matière de reconnaissance et d’indemnisation des victimes.

C’est finalement le précédent gouvernement, en la personne d’Hervé Morin, ministre de la défense, qui a pris l’initiative de faire examiner par le Parlement, en 2009, un projet de loi qui est devenu la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Cette loi répondait à trois objectifs.

Le premier était de reconnaître et de réparer le préjudice subi par les personnes ayant été exposées aux radiations.

Le deuxième objectif était de simplifier les procédures. Auparavant, les victimes devaient en effet se tourner vers le tribunal administratif, de façon isolée et sans disposer d’un support juridique adapté.

Le troisième objectif était d’apporter une juste indemnisation au regard du préjudice subi. La loi prévoyait notamment, à cet égard, qu’il n’incombait pas au demandeur d’établir le lien de causalité entre sa maladie et son exposition aux radiations, mais qu’il appartenait aux pouvoirs publics de démontrer l’inexistence d’un tel lien.

Mes chers collègues, vous connaissez l’essentiel du contenu de la loi de 2010. Elle pose trois critères de lieu, de période et de maladie pour l’ouverture du droit à indemnisation.

Les lieux sont bien identifiés : le Sahara, où vivaient à peu près 40 000 sédentaires et où le centre d’expérimentation militaire employait quelque 10 000 personnes ; la Polynésie, où le nombre des agents ayant de près ou de loin travaillé sur les expérimentations peut être estimé à environ 150 000, la population polynésienne concernée s’élevant à quelques dizaines de milliers de personnes.

En Polynésie, les sites sur lesquels des expositions ont pu se produire sont, outre les trois archipels principaux de Mururoa, de Fangataufa et de Hao, les archipels environnant les îles Gambier, pour des périodes plus courtes, ainsi que l’île de Tahiti, qui, en 1974, après l’essai Centaure, a été touchée par des retombées radioactives.

Pour ce qui concerne les doses de radioactivité supportées par les personnes concernées, elles ont été dans la plupart des cas un peu supérieures à 5 millisieverts, ou mSv. Environ 900 personnes ont été exposées à des doses comprises entre 5 et 10 mSv. Pour que ces chiffres paraissent moins abstraits, je précise qu’un Français reçoit, par an, 2, 4 millisieverts en moyenne. On comprend dès lors l’importance d’une exposition à une dose de 5 à 10 mSv en l’espace de quelques heures. Du reste, au Sahara, une centaine de personnes ont pu recevoir une dose supérieure à 50 mSv, ce qui est le maximum annuel admis aux États-Unis pour un travailleur d’une centrale nucléaire. Ces quelques chiffres permettent de situer l’importance des doses dont il est question.

Une liste exhaustive des maladies retenues pour l’ouverture du droit à l’indemnisation a également été fixée, en conformité avec les préconisations du Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants. Elle a été complétée ultérieurement : j’y reviendrai dans un instant.

Par ailleurs, la loi de 2010 a permis la mise en place du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires et de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, chargée de formuler un certain nombre d’avis sur les questions touchant à l’application de la loi.

Enfin, la loi a instauré la présomption de causalité : il n’incombe plus à la personne concernée de prouver l’existence d’un lien entre la maladie contractée et une exposition à des radiations liées aux essais nucléaires ; il appartient aux pouvoirs publics de prouver l’absence d’exposition ou, en tout cas, l’absence de conséquences de celle-ci.

La loi comportait d’autres avancées non négligeables : elle accordait aux ayants droit un délai de cinq ans après sa promulgation, intervenue le 5 janvier 2010, pour formuler des demandes d’indemnisation, et les indemnités reçues étaient réputées non fiscalisables, comme l’avaient demandé les associations de victimes.

Au total, comme le rappelait à l’instant le président Assouline, tout a été mis en place dans des délais très rapides. La loi a été promulguée le 5 janvier 2010. Le premier décret a été signé le 11 juin 2010, le second, qui créait le CIVEN, l’a été le 23 juillet 2010. Cette instance a pu tenir sa première réunion dès le 20 septembre de la même année.

En outre, les associations de victimes s’étaient fortement mobilisées pour informer leurs adhérents du contenu de la loi. Les pouvoirs publics ont multiplié les messages d’information.

Toutefois, bien que ses dispositions aient fait l’objet d’une forte médiatisation, la loi du 5 janvier 2010 n’a pas produit les effets escomptés.

J’étais député à l’époque de son élaboration, et je me souviens que son dispositif avait recueilli un très large consensus : tout le monde était d’accord pour que la France se range du côté des victimes. Pourtant, nous n’avons pas enregistré les résultats attendus.

On estimait alors que, pour une population d’un peu plus de 200 000 personnes concernées, quelque 20 000 dossiers pourraient être déposés et qu’entre 3 000 et 5 000 ouvriraient droit à indemnisation. À la fin du mois d’octobre de l’année dernière, 861 dossiers avaient été déposés, dont seulement 12 avaient donné lieu à indemnisation. Les 10 millions d’euros qui avaient été inscrits dès le départ dans la loi de finances pour permettre cette indemnisation n’ont été consommés que très partiellement : au total, seulement 300 000 euros ont été versés, alors que la classe politique était unanimement favorable à ce qu’une réparation juste soit apportée aux personnes qui avaient été exposées aux radiations dans le cadre des essais nucléaires.

Quelles sont les raisons d’un tel décalage entre les espérances et la réalité ? Nous les avons bien identifiées.

La première d’entre elles est sans doute que le CIVEN n’était pas suffisamment armé pour faire face à l’ensemble des demandes pouvant être formulées. Cela peut paraître paradoxal, puisque les demandes ont été peu nombreuses, mais il faut savoir que, justement, les moyens du CIVEN ont été diminués en proportion. S’y ajoute le fait que le CIVEN était réparti entre deux petites structures implantées l’une à Paris, l’autre à La Rochelle, et que les communications entre elles étaient extrêmement difficiles.

Par ailleurs, et c’est sans doute le point le plus important, au rebours de tous les objectifs assignés à la loi, la présomption de causalité a donné lieu à des contentieux encore plus lourds que ceux qui existaient auparavant.

En effet, sur la base du lieu, de la période et de la maladie qui l’affectait, la personne concernée pouvait demander droit à indemnisation. Cette demande était examinée par le CIVEN, qui manquait de moyens d’expertise médicale et ne disposait peut-être pas de l’expérience nécessaire. À cet égard, je continue de penser que l’on aurait été bien inspiré d’étudier ce qu’avaient fait les Américains, les Australiens et les Britanniques. Toujours est-il que les refus opposés par le CIVEN ont évidemment déclenché des recours devant les tribunaux administratifs, qui ont donc été saisis d’un nombre considérable de contentieux dont ils ne devaient en principe pas avoir à traiter. Certains de ces contentieux sont encore pendants aujourd’hui.

Au total, nous avons constaté que les dispositifs que le législateur, tous groupes politiques confondus, avait souhaité instaurer pour régler un problème douloureux et faire œuvre de justice à l’égard de personnes vivant aujourd’hui tant en France métropolitaine qu’au Sahara ou en Polynésie n’avaient pas bien fonctionné. Nous nous sommes efforcés de trouver des solutions pour remédier à cette situation. Certaines d’entre elles sont déjà mises en œuvre. Nous sommes unanimes, dans cette enceinte, à vouloir faire en sorte que cette loi soit le moyen de reconnaître et d’indemniser les victimes des essais nucléaires, dans des délais aussi brefs que possible. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à Mme Corinne Bouchoux, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Claude Lenoir vient de résumer notre constat de la difficile application de la loi de 2010, dont le bilan est extrêmement faible : 12 dossiers ouvrant droit à indemnisation, pour 861 examinés. Tout ça pour ça !

Pourtant, tout avait bien commencé : de bonnes intentions, une large publicité donnée au dispositif, avec la distribution de dépliants pour inciter d’hypothétiques victimes à se manifester, la mise en place d’un centre médical en Polynésie, un traitement médiatique tout à fait important, qui a permis de mettre ce dossier en lumière comme il le méritait.

Dès lors, que convenait-il de faire ?

Nous n’avons pas choisi d’abroger la loi de 2010, car une telle démarche nous semblait extrêmement périlleuse. Nous avons pris le parti, assez difficile, de faire des propositions.

Fait inédit, depuis que nous avons déposé notre rapport, les choses ont évolué dans le bon sens. Nous voudrions souligner ces avancées, mais aussi mettre en exergue les obstacles qui restent à surmonter.

Tout d’abord, il convient à notre sens de ne pas figer de façon définitive les critères, qui doivent être susceptibles d’évoluer en fonction des progrès de la connaissance, de la recherche historique ou de l’obtention de nouvelles informations. Nous pensons avoir été entendus sur ce point par le ministre.

Par exemple, les zones ont pu être étendues, ainsi que la liste des maladies pouvant donner lieu à indemnisation, même si cela fait encore l’objet de discussions avec les associations de victimes. Enfin, le fait que l’ensemble du territoire de la Polynésie française ait été reconnu comme zone à risque constitue également, selon nous, un progrès de fond.

Il reste des défis à relever concernant le CIVEN, notamment en matière de fonctionnement. Nous avons relevé un certain nombre de problèmes logistiques et de communication entre les deux sites. Compte tenu de toutes les prouesses dont est capable le ministère de la défense, il nous semble possible d’améliorer la situation sur ce dernier plan !

Nous avons aussi souligné – et nous avons été entendus – que la composition du CIVEN devrait peut-être être élargie, notamment en intégrant en son sein des épidémiologistes.

Nous avons déposé des amendements sur le projet de loi de programmation militaire, dont certains ont été adoptés.

Ainsi, la transformation du CIVEN en autorité administrative indépendante a été entérinée, ce qui implique un rôle accru des services du Premier ministre et, peut-être, une plus grande distance constructive à l’égard du ministère de la défense.

Par ailleurs, les compétences et les modes de désignation des membres du CIVEN ont été modifiés et précisés. Je salue le fait que l’intégration d’un épidémiologiste en son sein ait été définitivement entérinée, même si nous avions également demandé que certains des spécialistes désignés pour siéger au CIVEN puissent être choisis sur une liste agréée par les associations de victimes : nous pensons que cela serait de nature à renforcer la confiance entre ces dernières et le CIVEN.

Il nous semble important de souligner que le principe du contradictoire a été utilement renforcé, en permettant au requérant de mieux défendre sa demande, en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant, et en demandant au CIVEN de motiver sa décision.

Enfin, nous saluons le fait que, depuis la remise de notre rapport, le CIVEN se soit vu confier un rôle de veille, au travers de la production d’un rapport annuel d’activité qui l’amènera peut-être à s’interroger davantage sur ses méthodes qu’il ne le fait actuellement.

Parmi les défis à relever figure celui de la conservation de l’architecture financière.

Nous pensons bien que ce n’est pas par hasard que, à l’époque de l’élaboration de la loi, des personnes extrêmement compétentes travaillant dans un ministère familier du raisonnement capacitaire ont fixé à 10 millions d’euros le montant de la ligne budgétaire consacrée à l’indemnisation et que ce chiffre correspondait à une estimation raisonnable, compte tenu du nombre et de l’âge des victimes. Nous estimons donc absolument indispensable de maintenir cette ligne budgétaire de 10 millions d’euros. Nous avons noté avec satisfaction que cela était le cas pour 2014, mais nous aimerions que des garanties soient données pour la suite, de telle sorte que l’amélioration du dispositif s’accompagne des financements nécessaires : à défaut, nous perdrons toute crédibilité et les victimes auront toutes les raisons d’être mécontentes.

Un autre défi consiste à encourager le dépôt des dossiers.

L'une des deux grandes associations de victimes nous a assuré avoir un millier de dossiers sous le coude. Nous aimerions qu’un dialogue constructif s'engage entre cette association et le ministère.

Par ailleurs, nous souhaiterions que soit menée, notamment sur le territoire métropolitain, une nouvelle campagne d'information par l'intermédiaire des médecins de ville et des oncologues, qui pourraient vérifier utilement, lors des entretiens avec les patients, si ceux-ci n’ont pas séjourné en Algérie ou en Polynésie aux époques considérées.

Il existe en outre un volet de nature diplomatique, que nous n’avons pu appréhender dans le rapport, concernant nos relations avec l'Algérie. A-t-on vraiment déployé tous les efforts d’information nécessaires en direction des populations concernées de ce pays ? Nous n’avons pas de certitudes à ce sujet.

Il a été indiqué que quelque 500 000 personnes au total sont susceptibles d’avoir été exposées, dont 150 000 du fait de leur travail sur zone. Ces estimations sont sujettes à caution. Quoi qu'il en soit, il serait important que l'on puisse, par exemple via le signalement de la pension pour les personnels militaires, communiquer à toutes les personnes potentiellement intéressées un document d’information sur le dispositif de la loi de 2010.

Les associations de victimes nous ont souvent demandé une reconnaissance de la participation de leurs membres aux essais nucléaires, à titre civil ou militaire. Nous aurions aimé qu’un geste puisse être fait à cet égard, d’autant qu’il ne s’agirait pas d’une mesure onéreuse.

Le nœud du « risque négligeable » est le dernier point que nous avons abordé dans notre rapport, sans pouvoir aller plus loin car nous n’aurions alors peut-être pas pu maintenir le consensus au sein de la commission. Un logiciel, qui n’avait pas été conçu à cette fin, permet de calculer si le risque auquel a été exposée une personne était ou non significatif. Nous nous sommes demandé si le point de blocage fondamental de l’application de la loi Morin ne résidait pas dans le recours à ce logiciel et à un calcul de probabilité, qui referme toutes les ouvertures permises par le dispositif.

Aujourd'hui, monsieur le ministre, les choses ont évolué et nous constatons un double mouvement : d’une part, tout le monde s'accorde à reconnaître, ce qui nous semble tout à fait positif, que ces essais nucléaires n’ont pas été propres et ont entraîné des accidents, donc des victimes ; d’autre part, le périmètre des zones géographiques concernées et la liste des maladies ont été étendus, ce qui est également positif. Cela étant, un débat scientifique demeure à propos de quelques maladies qui pourraient encore être reconnues comme résultant d'une exposition aux essais nucléaires ; nous n’avons pas voulu nous prononcer sur ce point dans notre rapport.

Une loi aura beau être inspirée par les meilleures intentions du monde, elle restera inopérante dès lors qu’elle ferme d'une main ce qu’elle ouvre d'une autre : telle est la leçon que l’on peut tirer de ce rapport, dont la présentation a donné lieu à une conférence de presse très animée.

Jusqu’à présent, le dispositif de la loi de 2010 n’a pas fonctionné. Monsieur le ministre, nous aimerions que, ce soir, à quelques mois de diverses échéances électorales, vous puissiez montrer clairement à des personnes victimes du devoir qu’elles sont entendues et que leurs problèmes sont pris en compte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a fait, depuis le lancement de notre programme nucléaire, dans les années cinquante, des choix courageux, au nom de l’indépendance et de la souveraineté nationales. Près d’un demi-siècle plus tard, nous mesurons à quel point ces efforts ont porté. Notre pays est aujourd'hui reconnu comme l’une des grandes puissances nucléaires de ce monde, tant sur le plan civil que sur le plan militaire. L’engagement des forces vives de notre pays dans le développement de l’énergie nucléaire nous permet aujourd’hui de tirer notre épingle du jeu de la concurrence internationale et de dissuader, sur le plan militaire, ceux qui pourraient être tentés de menacer l’intégrité de notre territoire.

Ce demi-siècle de succès a un prix : les 210 essais nucléaires réalisés entre 1959 et 1996 dans le Sahara algérien puis en Polynésie française n’ont pas été sans conséquence. Nombre de militaires de carrière, d’appelés du contingent, de travailleurs civils sur les sites militaires et, bien sûr, de personnes autochtones ont été les victimes, à différents degrés, d’irradiation ou de troubles liés à la manipulation de matériels nucléaires.

Le rapport récent de la commission pour le contrôle de l’application des lois du Sénat fait état de 150 000 personnes concernées sur toute la période, tous statuts confondus. On mesure à quel point le nucléaire est indissociable de notre histoire nationale.

À ce titre, il est tout à fait normal, légitime et cohérent qu’un régime approprié d’indemnisation ait été mis en place. Une compensation pécuniaire est le moins que pouvaient attendre ces Français qui ont payé le prix fort de notre indépendance militaire et énergétique.

L’État a donc pris ses responsabilités devant le législateur lorsque le Gouvernement, sur l'initiative d’Hervé Morin, a proposé en 2010 la création d’un régime de responsabilité sans faute visant à assurer la réparation intégrale du préjudice des victimes selon une procédure simplifiée de demande d’indemnisation. C’était là aussi une forme de reconnaissance des souffrances de ceux qui, du fait de leur travail ou de leur présence à proximité des sites, ont développé une maladie radio-induite.

Notre débat de ce soir ne porte pas sur le bien-fondé de l’existence de ce régime, qui a le mérite de répondre à l’une des exigences les plus importantes de ceux qui ont volontairement ou involontairement souffert pour la France. Il porte en réalité sur le périmètre, la mise en œuvre et la portée de l’indemnisation.

La France ne pratique plus d'essais nucléaires depuis 1996. Ce débat n’intervient pas à un moment anodin. Avec une belle unanimité, l’Assemblée nationale a voté en novembre dernier un texte permettant l’extension du champ de l’indemnisation à l’ensemble de la Polynésie française. Les travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ont ainsi mis en évidence que si l’esprit de la loi de 2010 demeurait pertinent, l’application de celle-ci laissait à désirer. Le critère d’évaluation mis en avant est surtout quantitatif. Il est vrai que, à cet égard, la loi de 2010, outre qu’elle exigeait le respect d'un critère temporel de résidence, restreignait le champ géographique de l’indemnisation à certains lieux : je pense notamment aux atolls de Mururoa, de Fangataufa et de Hao, ainsi qu’à l’île de Tahiti.

Cette démarche était tout à fait cohérente et rationnelle pour l’époque, puisqu’elle permettait, pensait-on, d’ouvrir l’indemnisation aux personnes les plus exposées aux conséquences de ces essais nucléaires. En effet, le rapport Bataille de 2001 estimait que les populations locales de Polynésie ayant été associées au programme d’expérimentation depuis 1966 avaient été peu exposées.

Ce rapport sous-estimait un phénomène qui a été mis en évidence en 2006 par une commission d’enquête parlementaire : les essais atmosphériques ont conduit à des retombées radioactives sur de plus larges zones que ce qui était projeté initialement. Dès lors, il était fondamental de prendre Tahiti en compte.

Pour autant, à la suite de la récente déclassification de documents relevant du « secret défense », il est apparu que les retombées radioactives ont été plus importantes que ce dont nous avions connaissance lors de l’adoption de la loi de 2010. En effet, de nombreux membres d’équipages de bâtiments de la marine nationale auraient été exposés.

De plus, à périmètre d’indemnisation constant, le travail du Sénat a permis de mettre en évidence le sous-emploi du dispositif de la loi de 2010, puisque, alors que l’on anticipait à l’époque qu’entre 2 000 et 5 000 dossiers donneraient lieu à indemnisation, seulement 840 demandes ont été formulées, dont 11 ont abouti, 4 d’entre elles émanant de Polynésie. Ainsi, en 2010, à peine 266 000 des 10 millions d’euros inscrits au budget pour financer l’indemnisation auraient été consommés…

Ces éléments sont-ils le symptôme d’un dysfonctionnement du régime mis en place en 2010 ? En réalité, le régime fonctionne ; ce qui pose problème, c’est son ciblage, son périmètre et la politique d’indemnisation.

Dès lors, la première des questions qui se pose est celle de l’équilibre. En effet, un juste équilibre doit être trouvé entre la nécessaire et légitime extension du périmètre de l’indemnisation et la préservation du caractère exceptionnel d’un tel préjudice. On mesure à quel point il serait facile et tentant, pour certains, d’ouvrir en grand les vannes de l’indemnisation pour mieux remettre en cause le bilan de notre demi-siècle nucléaire, même si personne, dans notre débat d'aujourd'hui, ne tombe dans ce travers. Pour nous prémunir contre ce genre de dérive et éviter cet écueil, nous devons, avant toute chose, adopter une démarche conciliant rationalité et empathie pour les victimes.

En deçà de cette précaution, il nous faut nous garder de faire de l’indemnisation un revenu à part entière pour des personnes qui n’auraient pas été exposées à des radiations. L’indemnisation doit répondre aux difficultés supportées par les victimes des retombées des essais nucléaires et par leurs familles. Cela pose d'ailleurs la question des ayants droit des personnes décédées qui étaient éligibles à l’indemnisation. Ce débat reviendra devant le Sénat le moment venu ; je ne m'y arrête pas.

Dans l’immédiat, je tiens à saluer à mon tour, au nom du groupe UDI-UC, le travail tout à fait remarquable accompli par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en particulier par ses rapporteurs. Voilà une dizaine d’années encore, évoquer cette question de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires était presque commettre un sacrilège… Nous pouvons d'ailleurs tous balayer devant notre porte : à l’époque, les éléments disponibles nous amenaient à sous-estimer de bonne foi les retombées des essais nucléaires. Cela doit nous rendre modestes et ouverts à la prise en compte, le cas échéant, de données nouvelles, même si nous disposons désormais d’une vision assez bien consolidée de l'ampleur et du périmètre des dommages. Au nom de mon groupe, je félicite la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, dont le travail s’avère une nouvelle fois d’une grande pertinence.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat, qui s'appuie sur l'excellent rapport de Corinne Bouchoux et de Jean-Claude Lenoir sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, illustre concrètement l'utilité d'un contrôle parlementaire de l'application des lois par le Gouvernement.

En effet, on s’est rapidement aperçu, à l’usage, que le dispositif de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français fonctionnait mal et se heurtait à des difficultés importantes.

À cet égard, ce qui retient le plus l’attention et suscite le mécontentement des associations de vétérans, c’est que, contrairement à ce qui était initialement prévu, très peu de dossiers d’indemnisation ont été déposés et que la plupart d’entre eux sont rejetés. Ainsi, à la fin du mois d’octobre dernier, 861 demandes avaient été reçues, et seulement 12 indemnisations accordées.

Il faut remédier à cette situation, concernant un sujet douloureux puisqu’il s’agit de réparer le préjudice, vécu dans leur corps, dont ont été victimes des hommes qui ont contribué à assurer l’indépendance et la place de la France dans le monde. Au risque d’être grandiloquente, je n’hésiterai pas à dire qu’il y va de la crédibilité du Parlement, de la loi et de la République.

Il faut se souvenir que l’adoption de cette loi, quatorze ans après les derniers essais, constituait l’aboutissement d’un long combat mené par des associations de victimes, puis relayé par des parlementaires de toutes tendances, afin que soit officiellement reconnu par l’État un statut de victime des 210 essais nucléaires pratiqués par notre pays de 1959 à 1996.

Notre groupe s’était à l’époque prononcé contre l’adoption de cette loi, car nous estimions que le ministre de la défense d’alors, M. Hervé Morin, refusait en réalité d’ouvrir un véritable droit à indemnisation. Il s’opposait en effet à la création d’un fonds spécifique et autonome, au sein des instances duquel auraient siégé des membres des associations représentatives, tel qu’il en existe pour l’indemnisation des victimes de l’amiante ou d’autres maladies professionnelles.

C’est la raison principale pour laquelle nous avions pressenti que cette loi, au-delà de ses imperfections et bien qu’elle vise à simplifier les procédures de demande d’indemnisation en évitant aux victimes de recourir à la justice pour obtenir réparation, serait inopérante.

Nous jugions, par ailleurs, qu’il s’agissait d’une indemnisation a minima, révélatrice du souci de l’État de ne pas laisser passer la moindre économie, ainsi que de l’état d’esprit d’un lobby militaro-nucléaire qui a longtemps prétendu que nos essais ne pouvaient qu’être « propres ».

Cette loi a incontestablement créé un mécanisme trop restrictif. À cela s’ajoutaient une délimitation contestable des périmètres irradiés et une liste trop restreinte des maladies radio-induites. Ces insuffisances ont été corrigées depuis par le ministre de la défense, dont je veux ici saluer la capacité d’écoute et l’ouverture.

Ainsi, le combat de l’Association des vétérans des essais nucléaires, l’AVEN, et de l’association des anciens travailleurs et victimes de Moruroa et Fangataufa, Moruroa e Tatou, les nombreuses interventions de parlementaires demandant une évaluation de l’application la loi, qui ont débouché, au Sénat, sur le rapport fondant notre débat, n’ont pas été sans influence sur la juste décision du ministre de commander au Contrôle général des armées, le CGA, et à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, une étude conjointe analysant les procédures et les modalités d’application du dispositif.

Il faut en premier lieu relever que le rapport sénatorial, tout comme ceux de l’Assemblée nationale, d’une part, et du CGA et de l’IGAS, d’autre part, ne préconise pas de remettre en cause un dispositif qui repose essentiellement sur des données scientifiques reconnues par la communauté internationale, ainsi que sur des méthodologies validées par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il vise à améliorer, plutôt qu’à modifier, ce dispositif, afin de donner un second souffle à la loi.

Le rapport de nos collègues Bouchoux et Lenoir a notamment permis de faire avancer la réflexion sur l’élément central de la procédure d’indemnisation que constitue le CIVEN.

L’un des principaux reproches adressés à cette structure décisionnelle portait sur son manque d’indépendance et celui de ses membres à l’égard du ministère de la défense. L’une des préconisations du rapport a trouvé dernièrement une concrétisation, par la transformation législative du CIVEN en autorité administrative indépendante. Cette transformation, qui retire au ministère de la défense son rôle décisionnel en matière d’indemnisation, représente une avancée majeure, à même de lever le soupçon de partialité qui pesait sur les décisions prises par le ministre.

Les études et rapports – en particulier celui du Sénat – produits sur les difficultés d’application de la loi Morin et les faibles effets de celle-ci en matière d’indemnisation des victimes ont conduit le Gouvernement à étendre à tout le territoire de la Polynésie française le périmètre géographique du dispositif d’indemnisation.

Au-delà de la seule réparation d’une injustice discriminante, cette mesure a également un caractère symbolique, en ce qu’elle manifeste à nos compatriotes de Polynésie la reconnaissance de leur contribution à l’efficacité de la politique de dissuasion nucléaire de l’époque.

Je sais enfin que les principales associations représentant les victimes auraient préféré des modifications portant sur l’ensemble de la loi, ainsi que sur d’autres aspects. C’est une voie qu’il ne faut pas exclure si, malgré toutes les améliorations qui ont été apportées et celles qui ne manqueront pas de suivre, dont nous débattons également au sein de la commission de suivi, le dispositif ne répond toujours pas aux attentes légitimes des victimes et si le nombre d’indemnisations demeure d’une faiblesse lui enlevant toute crédibilité.

Un point important, qui focalise l’insatisfaction exprimée par les associations représentant les victimes, a trait à une différence d’interprétation source de contentieux administratifs.

En ce qui concerne la méthodologie de calcul du CIVEN, la réintroduction de la dosimétrie comme critère déterminant pour l’ouverture du droit à indemnisation, alors même qu’elle avait été écartée lors des débats parlementaires, n’a pas respecté l’esprit de la loi, qui avait établi une présomption de causalité excluant le recours à la notion de seuil.

En effet, la méthode employée, qui consiste à calculer la probabilité qu’un cancer soit la conséquence de l’exposition, en fonction notamment des relevés dosimétriques, ne suffit pas, aux yeux des associations de victimes, pour apprécier au cas par cas le dossier du demandeur.

En dernier lieu, dans un même souci d’impartialité du CIVEN, il pourrait être utile d’intégrer au sein de celui-ci un expert médical désigné par les associations de victimes, afin que la procédure d’examen des dossiers soit parfaitement contradictoire, tout en préservant, bien entendu, le secret médical. Je l’avais moi-même proposé à la commission de suivi à l’issue de ma participation, en tant qu’observateur, à une session du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Monsieur le ministre, je souhaiterais donc qu’un point concret sur les améliorations qui pourraient encore être apportées à la loi soit fait lors de la prochaine réunion de la commission de suivi, qui devrait avoir lieu ce mois-ci, comme s’y était engagé le ministre de la défense. Je compte sur vous pour lui transmettre ce message : si nous ne continuons pas à avancer, nous serons tous discrédités. §

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre ans presque jour pour jour après la promulgation de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, nous avons ce soir l’occasion de faire le bilan de son application. Le RDSE, très attaché au devoir de réparation, s’en réjouit.

Comme l’ont indiqué les auteurs du rapport de la commission pour le contrôle de l’application des lois, il s’agit de rechercher les causes du décalage existant entre les attentes très fortes nées de l’adoption du texte et l’insuffisante portée de l’application de celui-ci, eu égard au faible nombre de dossiers de demande d’indemnisation ayant abouti.

Cette loi était très attendue. Comme vous le savez, mes chers collègues, elle établit un droit à réparation au profit des personnes souffrant d’une pathologie radio-induite du fait de leur exposition aux rayonnements ionisants produits à l’occasion des essais nucléaires français effectués entre 1960 et 1996.

Au-delà de la mise en œuvre de la procédure d’indemnisation se trouvant au fondement de la démarche législative, ce texte reconnaît in fine la responsabilité de l’État dans l’insuffisante protection des populations.

Des accidents se sont malheureusement produits au cours des essais. En 1962, l’essai Béryl a donné lieu à l’émission d’un nuage radioactif et, sur les treize tirs réalisés en Polynésie, quatre n’ont pas été totalement confinés.

Longtemps, une chape de plomb a été maintenue sur la réalité des risques que l’on faisait courir aux populations sur zone, ainsi qu’aux militaires chargés des essais. Le prétexte de l’absence de données scientifiques a souvent servi à occulter une réalité sanitaire.

La France avait choisi de tenir son rang en affirmant sa puissance nucléaire. On peut le comprendre. Dans le contexte de la guerre froide, il était difficile de remettre en cause ce choix, d’ailleurs maintenu sous tous les gouvernements, jusqu’au moratoire décidé par le président Mitterrand, en 1992, suivi de l’abandon des essais nucléaires, en 1996, sur décision de son successeur, Jacques Chirac.

Pour autant, ce choix stratégique aurait pu s’accompagner d’une meilleure évaluation des risques en vue de mieux les contenir. Certains témoins se souviennent des hangars agricoles qui servaient, en Polynésie, d’abris antiradiations. Les moyens n’étaient pas à la hauteur des dangers et de nombreuses personnes l’ont payé dans leur chair.

Quatorze ans après l’arrêt des essais nucléaires, la loi du 5 janvier 2010 a ainsi reconnu pleinement les souffrances de toutes les victimes des retombées de ces derniers. Elle répondait enfin aux vœux exprimés pendant des années par les parlementaires et, avant eux, par les associations représentant les victimes.

Les Sahariens, les Polynésiens et les métropolitains, civils et militaires, concernés par les 210 essais nucléaires atmosphériques ou souterrains espéraient beaucoup d’un texte reconnaissant leur préjudice. Certains d’entre eux étaient engagés dans des procédures judiciaires longues, coûteuses et moralement éprouvantes. Une clarification législative était nécessaire pour stopper un contentieux aux résultats aléatoires et donner un cadre précis à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Cependant, force est de constater que la procédure de réparation instituée en faveur des victimes des essais nucléaires n’a pas porté ses fruits de façon satisfaisante.

Je rappellerai que l’étude d’impact jointe au projet de loi avait évalué à 147 500 le nombre des personnes concernées par les essais, sans compter les populations autochtones des zones de retombée des rayonnements ionisants.

Or, comme le mentionne le rapport, à la date du 24 juin 2013, 840 dossiers seulement avaient été déposés, et 11 indemnisations accordées. Nous sommes loin des 2000 à 5000 indemnisations prévues lors des débats de 2009 !

Pourtant, la loi a été appliquée avec célérité dès son adoption. Les décrets d’application ont été publiés rapidement, dans un délai de six mois, conformément à la circulaire du 29 février 2008. La structure principale, le CIVEN, a été installée à la mi-2010. Quant au financement de l’indemnisation des dossiers recevables, les gouvernements successifs se sont employés à maintenir la dotation de 10 millions d’euros inscrite chaque année au sein du programme « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » de la loi de finances.

Le consensus qui régnait sur la nécessité d’adopter une loi d’indemnisation a conduit naturellement à cette promptitude dans sa mise en application.

C’est dans le même esprit constructif que nous devrions nous entendre pour améliorer le rendement du dispositif, dont la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a relevé les limites : le nombre de dossiers déposés est trop faible, les moyens du CIVEN sont insuffisants et la présomption de causalité est source d’un contentieux devant le juge administratif.

La commission a avancé plusieurs préconisations, que nous partageons pour la plupart d’entre elles.

D’une façon générale, le principe qui consiste à conserver la loi initiale, sous réserve d’apports réglementaires, me paraît une bonne chose. Plus de moyens pour le CIVEN, plus de transparence et plus d’information pour favoriser le dépôt des dossiers sont autant de mesures que les pouvoirs publics peuvent rapidement mettre en œuvre. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous preniez très vite des engagements sur toutes les pistes évoquées par la commission.

Le droit à réparation n’a de sens que s’il est effectif. Aujourd’hui, le peu de dossiers déposés et, surtout, le rejet de la plupart d’entre eux envoient un mauvais signal à ceux qui, volontairement ou malgré eux, ont participé à la grandeur de la France. À leur égard, l’État a un devoir de réparation, un devoir de reconnaissance, qui doit être à la hauteur des espoirs suscités par la loi du 5 janvier 2010.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord excuser notre collègue Marcel-Pierre Cléach, qui regrette vivement de ne pouvoir être présent ce soir. Je tiens à lui rendre hommage, car il fut un remarquable rapporteur de la loi Morin, qualifiée par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois de « juste », « rigoureuse » et « équilibrée ». Je tiens également à saluer le travail de nos rapporteurs, Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir, qui ont su aborder sereinement un sujet difficile et sensible, tout en évitant le piège de la politisation.

Mes chers collègues, si bien des problèmes subsistent – j’y reviendrai –, la loi Morin constitue toutefois une avancée inégalée dans l’histoire de notre défense nationale. Aucune loi n’est parfaite, nous le savons bien ici, mais toutes doivent être motivées par la rigueur et la justice. Grâce au contrôle parlementaire, elles peuvent également être évaluées et renforcées. Nous ne siégeons pas au sein d’une simple chambre d’enregistrement de la loi. Dès lors, c’est un honneur pour chacune et chacun d’entre nous de pouvoir la corriger afin qu’elle réponde au plus près aux besoins de nos concitoyens et à la réalité de leur quotidien.

Cela a été dit, entre 1960 et 1998, la France a procédé à 210 essais nucléaires, au Sahara algérien puis en Polynésie française. Au cours de ces essais, des retombées radioactives ont exposé les personnels militaires et civils ainsi que les populations autochtones aux rayons ionisants. Certains d’entre eux ont pu développer des maladies dites « radio-induites », c’est-à-dire des cancers.

Pendant des dizaines d’années, les associations de vétérans atteints par ce type de pathologies se sont battues pour que notre République reconnaisse à ces derniers le statut de victimes et leur octroie un droit à indemnisation. Leur combat de longue haleine, relayé aussi bien par de nombreuses associations que par des élus de tous bords, a porté ses fruits : pas moins de dix-huit propositions de loi, sur l’initiative de députés ou de sénateurs, furent déposées sur le sujet. Toutefois, aucune n’obtint de vote favorable.

Face à cette volonté parlementaire et à la pugnacité des associations, Hervé Morin annonçait, en novembre 2008, qu’il présenterait un projet de loi afin de rendre justice aux vétérans, dont certains ne sont malheureusement plus là aujourd’hui. Une vraie volonté de justice n’a eu de cesse de guider les travaux préparatoires de ce projet de loi. À ce titre, il me paraît important de souligner la méthode ayant présidé à l’élaboration du texte : le ministre avait organisé un grand nombre de réunions de travail très ouvertes, en présence de députés et de sénateurs de toutes tendances, ainsi que de représentants des associations et d’élus de Polynésie française. Je me permets de suggérer qu’il soit plus souvent recouru à cette méthode, qui permet non seulement une véritable « coproduction » législative, fondée sur la consultation, mais aussi d’éviter couacs ou rétropédalages.

Aussi, avec l’adoption de la loi Morin, on peut dire non sans émotion que la France et notre défense nationale avaient rendez-vous avec elles-mêmes. Il était grand temps de mettre fin à un tabou qui hantait les archives du ministère de la défense. Je me réjouis donc que le gouvernement ait eu à l’époque le courage d’assumer les conséquences d’un choix stratégique qui remonte à plus de cinquante ans, celui de la dissuasion nucléaire. Ce choix gaullien, confirmé depuis par tous les présidents de la République, permet aujourd’hui encore à notre pays de jouer un véritable rôle sur la scène internationale et de peser dans le concert des nations, notamment au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Il nous permet enfin de garantir la sécurité de nos concitoyens et celle de nos intérêts vitaux.

Cette loi, quoi qu’on puisse en penser avec le recul, fut empreinte de courage politique. D’autres textes ont eu pour seul objectif d’appliquer le moratoire international sur les essais nucléaires, sans témoigner d’une grande préoccupation quant aux conséquences de ces essais sur les populations.

Le courage politique a été d’assumer le passé. Assumer, c’était reconnaître pour enfin répondre au vide juridique dans lequel se trouvaient les victimes. Trop de demandes d’indemnisation se sont transformées en d’interminables procédures devant un tribunal administratif, qui, dans la majorité des cas, ne pouvait bénéficier ni d’éléments concrets et officiels relatifs aux contaminations radioactives ni d’expertises médicales spécifiques. Les cancers sont malheureusement des maladies terribles et sans signature, dont il est encore très difficile d’identifier l’origine. La poursuite de recherches sur une potentielle prédestination génétique en témoigne.

En outre, dire que les essais nucléaires n’ont eu aucune conséquence serait plus que déraisonnable ; cela constituerait une faute. C’est pour cette raison que le décret d’application de la loi Morin, sorti rapidement, établissait une liste de maladies reposant sur les expertises et les recherches les plus avancées actuellement menées par l’UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants.

L’une des avancées majeures de ce texte tenait au fait qu’il ne se limitait pas aux seuls personnels ayant travaillé sur les sites d’expérimentation ; il visait également les populations vivant à l’époque autour des centres d’essais. Dès lors, victimes militaires et civiles pouvaient déposer une demande d’indemnisation auprès d’un comité spécialement créé par la loi.

Cela atteste d’un autre point fort du texte : la rigueur. Il ne s’agissait pas de mettre en place une indemnisation massive et systématique, ce qui serait revenu à nier la spécificité même des victimes. Le comité d’indemnisation est composé d’experts médicaux nommés par les ministères de la défense et de la santé, sur proposition du Haut Conseil de la santé publique. Cette implication des deux ministères traduit la volonté de parfaite transparence vis-à-vis des victimes.

À ce souci de transparence s’est ajouté celui du respect de la mémoire. Ce texte a en effet pris en compte les ayants droit des victimes malheureusement décédées en leur permettant, dans un délai de cinq ans à compter de la date de promulgation de la loi, de déposer un dossier de demande de réparation.

Il est important de préciser que le ministre et les parlementaires avaient à l’époque souhaité imposer un temps limité au comité d’indemnisation pour mener à bien ces expertises. Un délai de six mois nous semblait déjà important, car les victimes souffrant d’un cancer n’ont pas le temps d’attendre.

C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles – je le dis à ma collègue Michelle Demessine – aucun fonds d’indemnisation ne fut créé. Ce type de structure administrative se caractérise souvent par des lourdeurs et lenteurs qui sont intolérables pour les victimes pour qui chaque jour est précieux. Je ne reviendrai pas sur l’exemple de l’amiante et du fonds de concours. Je crois qu’il s’agit de l’exemple qu’il ne faut plus suivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Il a fallu deux ans et demi pour mettre en place ce fonds !

Enfin, à la volonté de justice, de transparence et de rigueur, s’est ajoutée la volonté d’évaluation. Elle s’est traduite par la mise en place de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, où siègent des représentants d’associations des victimes, quatre parlementaires, des représentants des ministères de la santé et de la défense, le président – ou son représentant – du gouvernement de Polynésie, ainsi que des personnalités scientifiques qualifiées.

Je tiens à saluer cette volonté d’impliquer les associations de victimes jusqu’au terme de la procédure – rappelons qu’elles sont à l’origine du texte –, c’est-à-dire jusqu’au versement de l’indemnisation à la victime, ce qui nous paraissait primordial. L’action d’évaluation de cette commission devrait offrir aux victimes un soutien dans leur démarche. En outre, la création de cette commission était révélatrice de l’esprit ayant présidé à l’élaboration de cette loi, trop longtemps attendue, qui fixait les conditions d’une procédure d’indemnisation juste, en se fondant sur une étude au cas par cas. Il s’agit d’ailleurs d’une préconisation du rapport, car ces pathologies sont spécifiques, tout comme chacune des victimes est unique. Nous devons nous féliciter de cette approche qui préserve le caractère personnel et humain du traitement des dossiers.

J’ai été un peu long – je le regrette – sur cette partie, mais pour pouvoir avancer et améliorer maintenant ce qui doit l’être, il est important de bien comprendre comment les choses se sont mises en place.

Quatre ans après la loi Morin, nous le savons tous, cela a été dit, des dysfonctionnements demeurent. Chiffres à l’appui, nous constatons que les indemnisations se font au compte-gouttes, ce qui est insupportable et permet au sentiment d’injustice de perdurer. En cela, les objectifs de loi n’ont pas été atteints.

Lors de l’élaboration de ce texte, plusieurs intervenants l’ont également rappelé, on estimait que 20 000 personnes pouvaient être concernées et que le nombre de victimes indemnisables serait compris entre 2 000 et 5 000. Nous sommes très loin de ces chiffres : 840 dossiers ont été déposés en 2013, pour 11 indemnisations. Si nous saluons l’indemnisation de ces onze personnes, ces chiffres restent insupportables alors même que des moyens importants et constants ont été mis en place : 10 millions d’euros chaque année depuis 2009.

En réalité, et je rejoins ce que disait le rapporteur Jean-Claude Lenoir, des problèmes structurels et de fonctionnement semblent avoir bloqué l’esprit de la loi Morin. Le CIVEN, manquant de moyens humains et divisé en deux entités géographiques, n’avait pas la capacité de recruter les experts médicaux, spécialistes de l’indemnisation, sans lesquels on ne pouvait agir. Cela prouve bien que la loi n’a pas été un échec, mais, au contraire, qu’elle fut peut-être trop ambitieuse face au manque de moyens humains et de personnels spécialisés constaté, en dépit des budgets affectés.

Par ailleurs, notons que le décret initial faisant état des maladies concernées fut modifié le 30 avril 2012 et que vingt et une pathologies sont désormais reconnues comme possiblement radio-induites.

L’un des principaux problèmes – et nous avons tous été surpris – a été le très faible nombre de dépôts de dossiers d’indemnisation. Madame Bouchoux, vous avez souhaité que les campagnes d’information soient renouvelées à destination des populations locales ; je crois qu’il s’agirait d’une bonne avancée, même si nous savons bien que les associations ont déjà sensibilisé les populations et qu’il existe un centre de suivi médical en Polynésie.

De même, je souligne votre proposition visant à attribuer une reconnaissance – qui ne soit pas d’ordre militaire – aux personnels ayant participé aux essais nucléaires. Ces personnes ont permis à la France d’asseoir sa souveraineté et son autonomie stratégique. Vous avez parlé en commission, madame le rapporteur, de « fierté ». Je pense que vous avez raison et qu’il faut aller dans ce sens.

Enfin, nous devons rappeler que ce déficit d’indemnisation a été quelque peu pris en compte dans cet hémicycle, il y a un mois : la loi de programmation militaire a modifié l’article 4 de la loi Morin, faisant du CIVEN – ce qui était réclamé par beaucoup – une autorité administrative indépendante. Cela permettra de répondre aux craintes de ceux qui considéraient que cet organisme était à la fois juge et partie.

Pour conclure, mes chers collègues, vous voyez bien que ce n’est pas la loi qui est à améliorer, mais sa réalisation concrète et matérielle. Le groupe UMP espère que ces modifications, ainsi que le rapport de nos collègues Bouchoux et Lenoir porteront leurs fruits et que ceux qui demanderont réparation pourront voir leurs demandes légitimes être satisfaites. Il y va de l’honneur de notre République envers ceux qui l’ont servie. En tant que législateurs, nous devons nous assurer que leur dignité ne sera pas bafouée.

Si le précédent gouvernement a su poser les fondations législatives permettant de mettre fin à un tabou historique, nous souhaitons, monsieur le ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez parachève et améliore les conditions d’indemnisation. Je ne doute pas que vous saurez nous proposer de nouveaux ajustements permettant un réel accomplissement des objectifs de la loi Morin.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques-Bernard Magner

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de 1959 à 1996, la France a réalisé 210 essais nucléaires aériens ou souterrains dans le Sahara algérien et sur des atolls de Polynésie. Ces essais ont rendu possible la mise en place durable de notre force de dissuasion nucléaire. Si les progrès technologiques ont ensuite permis que des simulations informatiques remplacent les essais, l’efficience de notre système d’armement nucléaire repose encore actuellement sur les données accumulées lors de ces essais. Dès lors, la reconnaissance et l’indemnisation des personnels civils et militaires qui ont contribué à ces opérations, ainsi que celles des populations qui ont été éventuellement exposées relèvent non seulement de la responsabilité de l’État, mais aussi de la justice et de la solidarité nationale.

Pourtant, cette évidence n’a pas toujours été incontournable. Permettez-moi de rappeler qu’il a fallu, au gré de la mobilisation des associations et des politiques, dix-huit propositions de loi pour parvenir à ce qu’un gouvernement dépose enfin un projet de loi sur le sujet. C’est pourquoi je veux rendre hommage à l’engagement constant et intégral de celle qui n’était pas encore garde des sceaux, Christiane Taubira, ainsi qu’à celui de Jean-Patrick Gille, André Vantomme, Richard Tuheiava, mais aussi à celui de Dominique Voynet et Michelle Demessine. Bien que le groupe socialiste se soit abstenu lors du vote de la loi du 5 janvier 2010, refusant de voter un texte qui comportait trop d’écueils, je salue néanmoins le mérite du ministre du gouvernement Fillon, Hervé Morin, d’avoir présenté ce texte au Parlement, dans un contexte où les résistances étaient encore fortes.

Aujourd’hui, quatre ans après la promulgation de la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les chiffres sont éloquents. Alors que l’étude d’impact prévoyait un potentiel de 20 000 demandes d’indemnisation et de 2 000 à 5 000 dossiers indemnisables, ce sont seulement 840 demandes d’indemnisation qui ont été transmises, dont uniquement 11 ont été satisfaites, soit un taux d’indemnisation de 1, 3 % et, en conséquence, une consommation des crédits extrêmement limitée. Le problème est donc double : trop peu de dossiers déposés et trop peu de dossiers indemnisés.

Parmi les facteurs identifiés comme participant de cette situation, on peut distinguer ceux qui ont récemment reçu des réponses significatives de ceux qui attendent encore un positionnement plus affirmé.

Les amendements à la loi de programmation militaire votée cet automne, réformant en profondeur le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires et validant l’extension du périmètre géographique retenu pour les indemnisations à l’ensemble du territoire de la Polynésie, ont permis des avancées primordiales.

Le CIVEN, objet de nombreuses critiques du fait de la tutelle institutionnelle assurée par le ministère de la défense, au point qu’il était considéré par certains acteurs associatifs comme un élément dissuadant le dépôt des dossiers de demande d’indemnisation, va être transformé en autorité administrative indépendante. Alors que le CIVEN soumettait des avis au ministre de la défense, qui était libre de les suivre ou non, l’autorité administrative indépendante, dont les membres seront désormais nommés par décret du Premier ministre, rendra directement les avis d’indemnisation. En outre, un médecin y siégera en tant que personne qualifiée représentant les associations et le respect du principe d’examen contradictoire sera mis en place, puisque les requérants auront la possibilité de défendre leur dossier devant le CIVEN.

Toutes ces nouvelles modalités, de même que l’extension du périmètre géographique d’indemnisation, qui était jusqu’alors circonscrit aux atolls sur lesquels des essais avaient eu lieu, correspondent à des revendications des associations ou à des préconisations formulées notamment par nos collègues de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir. Manifestement, dans le respect de la loi du 5 janvier 2010, dont la portée symbolique demeure incontestée, des initiatives ambitieuses ont été prises pour tenter de sortir de l’impasse. On ne peut que se féliciter de l’écoute du Gouvernement.

Cependant, d’autres aspects sensibles doivent encore trouver une solution et appellent un point d’étape. J’en aborderai quatre de manière brève.

Tout d’abord, en octobre 2013, lors de la quatrième réunion de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian avait évoqué le lancement d’une étude de faisabilité sur la possibilité d’entreprendre une démarche proactive d’identification des personnes ayant été exposées à des radiations, « afin que celles-ci puissent le cas échéant déposer un dossier au CIVEN ». Nous savons que la tâche est ardue et qu’elle sera nécessairement longue, mais, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que cette étude est lancée ?

Ensuite, sachant le rôle essentiel de l’accès aux informations tant pour le traitement individuel des dossiers que pour l’exigence de transparence, la déclassification de documents relatifs aux essais nucléaires est primordiale. Pour preuve, la décision d’étendre le périmètre géographique d’indemnisation en Polynésie n’a été prise qu’au vu des relevés scientifiques des retombées radioactives, déclassifiés en janvier 2013. Une procédure de consultation visant à permettre aux personnes et associations intéressées d’avoir accès aux documents classifiés a été envisagée. Qu’en est-il exactement de ces sujets ?

En outre, s’il est dorénavant acquis que les décisions du CIVEN devront être motivées, le débat sur la méthodologie statistique utilisée par lui pourrait perdurer. La question est loin d’être sans importance, mais il nous semble qu’elle pourrait être résolue par la réaffirmation constante que la charge de la preuve dépend de la responsabilité de l’État. La loi l’énonce clairement, le lien de causalité entre les conditions de lieu, de période et de maladie, lorsqu’elles sont remplies, est un a priori. Il revient alors à l’État de démontrer, le cas échéant, que cette causalité est « négligeable ».

Enfin, conscient des attentes des personnels exposés en matière de reconnaissance, le ministre de la défense avait envisagé de saisir le grand chancelier en vue de la création d’une distinction honorifique. Qu’en est-il de cette saisine ? À n’en pas douter, la création d’une telle distinction ferait l’unanimité dans cet hémicycle. Reconnaître la dette de la nation aux quelque 150 000 personnels, militaires de carrière ou appelés, travailleurs civils, qu’ils soient experts ou sous-traitants, qui ont potentiellement été exposés lors de la constitution de la dissuasion nucléaire française est un objectif que nous pouvons tous partager.

Monsieur le ministre, si beaucoup a été fait ces dernières semaines pour améliorer le processus d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, plus qu’on ne l’aurait cru possible quelques mois auparavant, il nous faut aller au terme de ce processus. C’est un impératif de justice pour nos concitoyens comme pour les populations locales concernées. C’est bien pour cela que le Président de la République s’y est engagé lors de son voyage en Algérie de décembre 2012, en appelant à ce que la loi soit pleinement appliquée.

Pour conclure, mes chers collègues, permettez-moi une appréciation à propos de notre commission pour le contrôle de l’application des lois. Le débat que nous menons aujourd’hui est l’exemple patent des apports essentiels que cette commission peut fournir, en particulier dans son rôle d’étude et d’évaluation de la réalité de la loi. Le mandat de notre commission, novatrice et parfois discutée, ne saurait être limité à une comptabilité de décrets. Dans le cas présent, la loi du 5 janvier 2010 était totalement applicable six mois après sa promulgation. Pourtant, chacun s’accorde à constater que, pour reprendre les termes de l’excellent rapport de Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir, « la loi ne produit pas ses effets ». L’enjeu n’était donc pas de contrôler le calendrier de publication des décrets, il était de localiser la source du dysfonctionnement, de le comprendre précisément et d’envisager des pistes de correction.

Appréhender le fonctionnement de la loi après sa promulgation, tant dans la matérialisation des règles qu’elle édicte que dans les dispositifs dont elle use, est une ambition démocratique qui reste encore à rationaliser. Or qui mieux que les parlementaires ont la légitimité et la compétence pour se livrer à cette entreprise ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en janvier 2012, nous examinions dans ce même hémicycle une proposition de loi de Richard Tuheiava relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française. L’indemnisation des conséquences de ces essais, en Polynésie comme au Sahara, n’était pas directement notre sujet, mais le groupe écologiste et plusieurs collègues des autres groupes s’étaient déjà émus de l’application très décevante de la loi Morin.

Deux ans plus tard, nous débattons d’un rapport de la commission pour le contrôle de l’application des lois sur le même sujet, dont on ne peut qu’applaudir l’initiative et le travail, particulièrement salutaires pour les parlementaires qui, comme nous, veulent tenter de rendre effective l’indemnisation de ces victimes et applicable la loi votée à ce propos. Il faut d’autant plus saluer le travail des rapporteurs qu’il a permis de déboucher rapidement sur des avancées concrètes, grâce au véhicule législatif qu’a constitué la loi de programmation militaire adoptée en novembre 2013.

Le temps m’empêche de détailler ces avancées, dont plusieurs ont déjà été évoquées par les précédents orateurs, mais je me félicite en particulier de l’obtention de l’indépendance du CIVEN, chargé de l’instruction des dossiers d’indemnisation, qui a été transformé en autorité administrative indépendante. Je me félicite également de l’introduction d’un début de procédure contradictoire pour les requérants.

Selon nous, le principal point de blocage qui demeure aujourd’hui reste le nécessaire équilibre à trouver entre présomption simple et présomption irréfragable. Cela a déjà été rappelé, si, en théorie, la procédure d’indemnisation a été considérablement simplifiée par la loi Morin, qui instaure notamment un interlocuteur unique quel que soit le statut du requérant, cette simplification est loin d’avoir trouvé une concrétisation dans la pratique. À l’ancien parcours du combattant s’est substitué un nouveau, engendré par la notion de « présomption de causalité avec limite ».

Aux termes de la rédaction de la loi, le demandeur n’a pas à prouver qu’il existe un lien entre la pathologie et les essais nucléaires : la présomption de causalité existe à partir du moment où il justifie des conditions de lieu, de période et de maladie. Néanmoins, cette présomption peut être renversée par l’État s’il apparaît que le risque lié aux essais est négligeable. C’est ainsi que la montagne a accouché d’une souris ! Le logiciel, qui n’a pas été conçu pour cela à l’origine, est utilisé pour déterminer si le risque lié aux essais est négligeable ou non ; il conclut presque toujours à un risque négligeable. Ces décisions présentent donc un aspect arbitraire et opaque. C’est à cela qu’il faut remédier !

Nous en connaissons la conséquence : alors qu’un peu moins de 1 000 dossiers de demande d’indemnisation ont été reçus par le CIVEN en trois ans, à mettre en rapport avec les 20 000 qui étaient attendus, ils n’ont de surcroît donné lieu qu’à 12 indemnisations, soit 1, 2 % des dossiers déposés. Pourquoi ne pas permettre un réel examen des dossiers au cas par cas ? Cela serait plus souhaitable et même davantage conforme, nous semble-t-il, à l’esprit de la loi Morin.

Plusieurs rejets de dossiers d’indemnisation ont d’ailleurs été annulés par les tribunaux administratifs à la suite de recours déposés par les victimes en question, aux motifs, précisément, d’une absence d’étude au cas par cas et d’une décision fondée uniquement sur des critères statistiques et non – c’est le sens de l’article 7 du décret d’application du 11 juin 2010 – sur une appréciation des conditions d’exposition. Il est donc urgent de revenir à cette exigence légale.

Plusieurs de nos collègues ont déposé un amendement en ce sens lors de l’examen de la loi de programmation militaire ; ils ont eu la déception de se voir opposer l’article 40, alors même que seulement 266 284 euros ont été consommés sur l’année 2012, sur une ligne budgétaire annuelle de 10 millions d’euros, inscrits en loi de finances initiale. Cela doit nous interpeller sur l’interprétation à avoir de l’article 40 de la Constitution.

Permettre, sans changer le droit, à des bénéficiaires potentiels d’une aide d’y avoir accès, est-ce augmenter une charge publique, déjà prévue dans le budget ? L’État doit-il miser sur le non-recours aux droits pour faire des économies en temps de crise ? Nous ne pouvons raisonner ainsi ! À défaut, nous continuerons à faire des lois pour rien, à travailler des années pour arriver à 12 indemnisations alors que nous connaissons le nombre potentiel de victimes et de personnes exposées. Comme cela a été indiqué, aux 150 000 agents civils et militaires directement mobilisés pour les explosions nucléaires, il faut ajouter les populations civiles, qui, plusieurs intervenants l’ont souligné, manquent d’informations.

Rappelons-le, toutes ces victimes ont déjà eu à subir les essais eux-mêmes, le manque d’informations sur les dangers effectifs, des fuites de radioactivité mal colmatées lors d’essais souterrains, l’immersion à quelques centaines de mètres de l’atoll polynésien de matériel contaminé et le refus pendant longtemps du ministère de la défense de toute expertise extérieure, comme si toute mesure de radioactivité permettait de découvrir les secrets de la bombe française…

Il faut le répéter, l’État est responsable de la situation actuelle. Il doit assumer cette responsabilité jusqu’au bout, et pas seulement en théorie. C’est le sens du débat d’aujourd’hui, qui a d’ailleurs été permis par le travail de la commission.

J’espère que l’ensemble des propositions formulées par les deux rapporteurs et par les intervenants qui se sont exprimés seront entendues. Puissions-nous mettre réellement en place un système rendant justice aux associations de victimes, qui se mobilisent depuis tant d’années. Elles le méritent vraiment !

Applaudissements.

Debut de section - Permalien
Kader Arif

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de ce riche débat, permettez-moi au préalable de souligner la qualité des interventions et de remercier l’ensemble des orateurs. Tous ont rappelé toute l’attention que la nation, à travers ses représentants, porte aux victimes des essais nucléaires et aux enjeux qui s’y rattachent. Au nom du Gouvernement, je m’associe tout naturellement à ces propos.

Je voudrais vous faire part des éléments que je retiens des rapports parlementaires issus de vos travaux ces derniers mois, en particulier ceux qui ont été menés par Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Claude Lenoir.

Je tiens avant tout à souligner – j’y insiste – que la loi n’est remise en cause par aucun des rapports. Toutefois, et nous y avons été très sensibles, de nombreuses pistes d’améliorations ont été proposées, notamment sur la procédure de dépôt des dossiers et sur une nécessaire communication des travaux du CIVEN, qui, à mon sens, devrait être la plus large possible.

Pour répondre à une question qui a été soulevée, j’aimerais dire qu’il n’y a pas de remise en cause du principe selon lequel les « conditions d’exposition » aux rayonnements ionisants doivent être examinées. En d’autres termes, il ne peut y avoir indemnisation s’il n’y a pas vérification du lien de causalité entre la maladie et les rayonnements dus aux essais. C’est à l’administration – la loi de programmation militaire renforce encore les obligations du CIVEN sur ce point – qu’il revient d’apporter les éléments pour démontrer que la maladie n’est pas la conséquence d’une irradiation due aux essais nucléaires. C’est bien en ce sens que les juridictions appliquent pour le moment la loi et devront continuer à le faire.

Je reviendrai tout à l’heure sur les modifications introduites récemment dans le dispositif à l’occasion des travaux menés par la Haute Assemblée sur la LPM, notamment via l’amendement de Mme Corinne Bouchoux. En attendant, je veux prendre un peu de recul pour vous faire part de mon sentiment seize mois après le début de l’application concrète de cette loi.

À mes yeux, la législation actuelle mêle de manière parfois maladroite reconnaissance et indemnisation, victimes et vétérans. Or il est clair que la participation effective aux essais nucléaires n’est pas nécessairement liée au développement d’une pathologie. Il y a donc là une confusion qui devra être levée.

Il faut par ailleurs se féliciter de la décision – c’était l’une de vos questions – du ministre de la défense d’avoir saisi la grande chancellerie en vue de la création d’une distinction spécifique au profit des vétérans ayant participé aux essais.

On constate également, et cela a été rappelé à plusieurs reprises, que le nombre actuel d’indemnisations reste faible, principalement parce que le CIVEN ne reçoit que très peu de dossiers : le chiffre exact est de 880 au 31 décembre 2013, …

Debut de section - Permalien
Kader Arif, ministre délégué

… dont 500 sont recevables et qui ont donné lieu à 13 cas d’indemnisation. À cet égard, on me dit que des centaines de demandes – certains parlent même de milliers – seraient en attente du côté des associations. Ainsi que l’a indiqué à maintes occasions le ministre de la défense, il conviendra que les associations de vétérans mobilisent leurs adhérents pour les inciter à déposer d’éventuels dossiers ; il n’y a aucun interdit sur ce point.

Au-delà de l’impact pour les bénéficiaires potentiels, cette situation, quelle qu’en soit l’origine, est d’autant plus dommageable que le trop faible nombre de dossiers ne permet pas aujourd’hui, au regard du poids de la population totale concernée, de réaliser des statistiques fiables et utilisables par nos services.

Ce constat d’ensemble ainsi que les questions qui ont jalonné le débat et les recommandations des différents rapports que je viens d’évoquer ont conduit Jean-Yves Le Drian à formuler une série de propositions au cours de l’automne.

Sur le pilotage des actions liées aux conséquences des essais nucléaires, il était urgent de parvenir à une meilleure coordination interministérielle. Celle-ci bénéficiera au traitement des dossiers, en métropole comme en outre-mer, permettra d’étudier un dispositif de reconnaissance répondant à toutes les attentes des vétérans, qu’ils soient Polynésiens, Algériens ou Français de métropole, et facilitera la diffusion de l’information, notamment des travaux du CIVEN, auprès des populations concernées. Les pistes proposées en ce sens dans le rapport de la commission sénatoriale dépassent pour certaines la seule compétence du ministre de la défense ; d’ailleurs, Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Claude Lenoir l’ont souligné.

Nous avons retenu des différents rapports parlementaires et des échanges informels que nous avons pu avoir avec les associations l’idée de garantir au CIVEN une réelle indépendance. Si l’on regarde d’autres dispositifs d’indemnisation, on constate que ceux-ci sont souvent confiés à des autorités administratives indépendantes. Cela n’exonère pas les ministères concernés d’exercer leurs responsabilités, mais cela confère aux décisions une autorité plus évidente. Avec la transformation du CIVEN en autorité administrative indépendante rattachée au Premier ministre, inscrite à l’article 53 de la loi de programmation militaire, un pas important a été réalisé en ce sens.

Dans le domaine de la transparence, nous allons travailler de concert avec le ministère des outre-mer, le ministère des affaires étrangères et le ministère de la santé pour proposer lors de la prochaine commission des modalités de diffusion de l’information auprès des populations concernées. L’enjeu est principalement de rendre les travaux du CIVEN plus accessibles. Pour répondre à une question qui a été posée, j’indique qu’il n’y a pas aujourd’hui de bilan annuel du CIVEN, mais, et c’est une avancée, un tel bilan est prévu dans la loi de programmation militaire.

Un autre chantier que nous souhaitions étudier cet automne est la possibilité d’associer des médecins reconnus par les associations aux travaux du CIVEN. Une telle proposition, qui émanait d’ailleurs des associations, avait été écartée au moment du vote de la loi Morin, pour des raisons d’impartialité.

Le CIVEN s’est toujours montré très transparent, dans le respect évidemment du secret médical entourant les dossiers des demandeurs. Il a accueilli des parlementaires, qui ont ainsi pu assister à ses travaux et constater qu’il y avait des études des dossiers au cas par cas. Dès lors que les membres du CIVEN estiment qu’il n’y a pas atteinte au secret professionnel, ni au respect dû à la confidentialité de la démarche des demandeurs, nous étions favorables à ce que les experts souhaités par les associations puissent assister à l’une de ces réunions, comme l’ont fait les parlementaires.

Sur ce point particulier, la Haute Assemblée est allée plus loin au cours de l’examen du projet de loi de programmation militaire. Le CIVEN comptera désormais parmi ses membres un médecin nommé sur avis conforme du Haut Conseil de la santé publique et sur proposition des associations représentatives de victimes des essais nucléaires.

Par ailleurs, même si je ne suis pas un technicien, je peux vous dire que l’utilisation d’un logiciel de calcul de probabilités n’empêche en rien l’examen individuel des dossiers. Des éléments spécifiques à chaque demandeur peuvent être introduits et les études peuvent être réalisées avec beaucoup de précision.

Dans un autre domaine, le ministre de la défense poursuivra les déclassifications de documents liés aux essais nucléaires : environ 200 dossiers sont concernés. Dans le courant du moins d’octobre, de nombreux documents ont déjà été déclassifiés, conformément à l’avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale, et transmis aux demandeurs. Une procédure de consultation est à l’étude pour permettre aux personnes et associations éventuellement intéressées d’y avoir accès.

Enfin, concernant l’indemnisation, une étude sur la possibilité légale mais également pratique de recenser les personnes ayant été exposées à des radiations pourrait être lancée. C’est le souhait des auteurs du rapport, qui recommandent une démarche proactive d’identification des personnels ayant pu être exposés pour les informer de l’existence et des travaux du CIVEN. La question budgétaire a également été abordée, mais dès lors que la loi crée un droit, on ne peut invoquer le manque de crédits pour refuser l’indemnisation. Ce ne sont pas des crédits d’intervention modulables.

Pour conclure, je veux saluer le travail effectué et la proposition du Sénat sur le CIVEN, qui transforme cette commission consultative placée auprès du ministre de la défense, en autorité administrative indépendante. Une telle évolution clarifie le positionnement de l’institution et apporte des garanties aux demandeurs en levant l’ambiguïté qui pouvait jusqu’à présent faire apparaître le ministère de la défense comme étant à la fois juge et partie.

Les débats l’ont confirmé, notre volonté commune est bien d’aboutir à un système juste et transparent. C’est pourquoi des évolutions s’imposaient. J’ai le sentiment que les mesures proposées par le Gouvernement depuis plusieurs mois s’inscrivent pleinement dans une telle démarche et répondent aux objectifs qui sont à la fois les vôtres et les nôtres.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Nous en avons terminé avec le débat sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 8 janvier 2014 :

À quatorze heures trente :

1. Débat sur la politique du Gouvernement en matière d’égalité des territoires.

À dix-sept heures :

2. Débat sur la politique étrangère de la France.

À vingt et une heures trente :

3. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres (35, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Bariza Khiari, fait au nom de la commission de la culture (247, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 248, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures dix.