Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 7 janvier 2014 à 21h30
Débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre ans presque jour pour jour après la promulgation de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, nous avons ce soir l’occasion de faire le bilan de son application. Le RDSE, très attaché au devoir de réparation, s’en réjouit.

Comme l’ont indiqué les auteurs du rapport de la commission pour le contrôle de l’application des lois, il s’agit de rechercher les causes du décalage existant entre les attentes très fortes nées de l’adoption du texte et l’insuffisante portée de l’application de celui-ci, eu égard au faible nombre de dossiers de demande d’indemnisation ayant abouti.

Cette loi était très attendue. Comme vous le savez, mes chers collègues, elle établit un droit à réparation au profit des personnes souffrant d’une pathologie radio-induite du fait de leur exposition aux rayonnements ionisants produits à l’occasion des essais nucléaires français effectués entre 1960 et 1996.

Au-delà de la mise en œuvre de la procédure d’indemnisation se trouvant au fondement de la démarche législative, ce texte reconnaît in fine la responsabilité de l’État dans l’insuffisante protection des populations.

Des accidents se sont malheureusement produits au cours des essais. En 1962, l’essai Béryl a donné lieu à l’émission d’un nuage radioactif et, sur les treize tirs réalisés en Polynésie, quatre n’ont pas été totalement confinés.

Longtemps, une chape de plomb a été maintenue sur la réalité des risques que l’on faisait courir aux populations sur zone, ainsi qu’aux militaires chargés des essais. Le prétexte de l’absence de données scientifiques a souvent servi à occulter une réalité sanitaire.

La France avait choisi de tenir son rang en affirmant sa puissance nucléaire. On peut le comprendre. Dans le contexte de la guerre froide, il était difficile de remettre en cause ce choix, d’ailleurs maintenu sous tous les gouvernements, jusqu’au moratoire décidé par le président Mitterrand, en 1992, suivi de l’abandon des essais nucléaires, en 1996, sur décision de son successeur, Jacques Chirac.

Pour autant, ce choix stratégique aurait pu s’accompagner d’une meilleure évaluation des risques en vue de mieux les contenir. Certains témoins se souviennent des hangars agricoles qui servaient, en Polynésie, d’abris antiradiations. Les moyens n’étaient pas à la hauteur des dangers et de nombreuses personnes l’ont payé dans leur chair.

Quatorze ans après l’arrêt des essais nucléaires, la loi du 5 janvier 2010 a ainsi reconnu pleinement les souffrances de toutes les victimes des retombées de ces derniers. Elle répondait enfin aux vœux exprimés pendant des années par les parlementaires et, avant eux, par les associations représentant les victimes.

Les Sahariens, les Polynésiens et les métropolitains, civils et militaires, concernés par les 210 essais nucléaires atmosphériques ou souterrains espéraient beaucoup d’un texte reconnaissant leur préjudice. Certains d’entre eux étaient engagés dans des procédures judiciaires longues, coûteuses et moralement éprouvantes. Une clarification législative était nécessaire pour stopper un contentieux aux résultats aléatoires et donner un cadre précis à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. Cependant, force est de constater que la procédure de réparation instituée en faveur des victimes des essais nucléaires n’a pas porté ses fruits de façon satisfaisante.

Je rappellerai que l’étude d’impact jointe au projet de loi avait évalué à 147 500 le nombre des personnes concernées par les essais, sans compter les populations autochtones des zones de retombée des rayonnements ionisants.

Or, comme le mentionne le rapport, à la date du 24 juin 2013, 840 dossiers seulement avaient été déposés, et 11 indemnisations accordées. Nous sommes loin des 2000 à 5000 indemnisations prévues lors des débats de 2009 !

Pourtant, la loi a été appliquée avec célérité dès son adoption. Les décrets d’application ont été publiés rapidement, dans un délai de six mois, conformément à la circulaire du 29 février 2008. La structure principale, le CIVEN, a été installée à la mi-2010. Quant au financement de l’indemnisation des dossiers recevables, les gouvernements successifs se sont employés à maintenir la dotation de 10 millions d’euros inscrite chaque année au sein du programme « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » de la loi de finances.

Le consensus qui régnait sur la nécessité d’adopter une loi d’indemnisation a conduit naturellement à cette promptitude dans sa mise en application.

C’est dans le même esprit constructif que nous devrions nous entendre pour améliorer le rendement du dispositif, dont la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois a relevé les limites : le nombre de dossiers déposés est trop faible, les moyens du CIVEN sont insuffisants et la présomption de causalité est source d’un contentieux devant le juge administratif.

La commission a avancé plusieurs préconisations, que nous partageons pour la plupart d’entre elles.

D’une façon générale, le principe qui consiste à conserver la loi initiale, sous réserve d’apports réglementaires, me paraît une bonne chose. Plus de moyens pour le CIVEN, plus de transparence et plus d’information pour favoriser le dépôt des dossiers sont autant de mesures que les pouvoirs publics peuvent rapidement mettre en œuvre. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous preniez très vite des engagements sur toutes les pistes évoquées par la commission.

Le droit à réparation n’a de sens que s’il est effectif. Aujourd’hui, le peu de dossiers déposés et, surtout, le rejet de la plupart d’entre eux envoient un mauvais signal à ceux qui, volontairement ou malgré eux, ont participé à la grandeur de la France. À leur égard, l’État a un devoir de réparation, un devoir de reconnaissance, qui doit être à la hauteur des espoirs suscités par la loi du 5 janvier 2010.

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