Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 7 janvier 2014 à 21h30
Débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français

Photo de Jacques GautierJacques Gautier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord excuser notre collègue Marcel-Pierre Cléach, qui regrette vivement de ne pouvoir être présent ce soir. Je tiens à lui rendre hommage, car il fut un remarquable rapporteur de la loi Morin, qualifiée par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois de « juste », « rigoureuse » et « équilibrée ». Je tiens également à saluer le travail de nos rapporteurs, Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir, qui ont su aborder sereinement un sujet difficile et sensible, tout en évitant le piège de la politisation.

Mes chers collègues, si bien des problèmes subsistent – j’y reviendrai –, la loi Morin constitue toutefois une avancée inégalée dans l’histoire de notre défense nationale. Aucune loi n’est parfaite, nous le savons bien ici, mais toutes doivent être motivées par la rigueur et la justice. Grâce au contrôle parlementaire, elles peuvent également être évaluées et renforcées. Nous ne siégeons pas au sein d’une simple chambre d’enregistrement de la loi. Dès lors, c’est un honneur pour chacune et chacun d’entre nous de pouvoir la corriger afin qu’elle réponde au plus près aux besoins de nos concitoyens et à la réalité de leur quotidien.

Cela a été dit, entre 1960 et 1998, la France a procédé à 210 essais nucléaires, au Sahara algérien puis en Polynésie française. Au cours de ces essais, des retombées radioactives ont exposé les personnels militaires et civils ainsi que les populations autochtones aux rayons ionisants. Certains d’entre eux ont pu développer des maladies dites « radio-induites », c’est-à-dire des cancers.

Pendant des dizaines d’années, les associations de vétérans atteints par ce type de pathologies se sont battues pour que notre République reconnaisse à ces derniers le statut de victimes et leur octroie un droit à indemnisation. Leur combat de longue haleine, relayé aussi bien par de nombreuses associations que par des élus de tous bords, a porté ses fruits : pas moins de dix-huit propositions de loi, sur l’initiative de députés ou de sénateurs, furent déposées sur le sujet. Toutefois, aucune n’obtint de vote favorable.

Face à cette volonté parlementaire et à la pugnacité des associations, Hervé Morin annonçait, en novembre 2008, qu’il présenterait un projet de loi afin de rendre justice aux vétérans, dont certains ne sont malheureusement plus là aujourd’hui. Une vraie volonté de justice n’a eu de cesse de guider les travaux préparatoires de ce projet de loi. À ce titre, il me paraît important de souligner la méthode ayant présidé à l’élaboration du texte : le ministre avait organisé un grand nombre de réunions de travail très ouvertes, en présence de députés et de sénateurs de toutes tendances, ainsi que de représentants des associations et d’élus de Polynésie française. Je me permets de suggérer qu’il soit plus souvent recouru à cette méthode, qui permet non seulement une véritable « coproduction » législative, fondée sur la consultation, mais aussi d’éviter couacs ou rétropédalages.

Aussi, avec l’adoption de la loi Morin, on peut dire non sans émotion que la France et notre défense nationale avaient rendez-vous avec elles-mêmes. Il était grand temps de mettre fin à un tabou qui hantait les archives du ministère de la défense. Je me réjouis donc que le gouvernement ait eu à l’époque le courage d’assumer les conséquences d’un choix stratégique qui remonte à plus de cinquante ans, celui de la dissuasion nucléaire. Ce choix gaullien, confirmé depuis par tous les présidents de la République, permet aujourd’hui encore à notre pays de jouer un véritable rôle sur la scène internationale et de peser dans le concert des nations, notamment au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Il nous permet enfin de garantir la sécurité de nos concitoyens et celle de nos intérêts vitaux.

Cette loi, quoi qu’on puisse en penser avec le recul, fut empreinte de courage politique. D’autres textes ont eu pour seul objectif d’appliquer le moratoire international sur les essais nucléaires, sans témoigner d’une grande préoccupation quant aux conséquences de ces essais sur les populations.

Le courage politique a été d’assumer le passé. Assumer, c’était reconnaître pour enfin répondre au vide juridique dans lequel se trouvaient les victimes. Trop de demandes d’indemnisation se sont transformées en d’interminables procédures devant un tribunal administratif, qui, dans la majorité des cas, ne pouvait bénéficier ni d’éléments concrets et officiels relatifs aux contaminations radioactives ni d’expertises médicales spécifiques. Les cancers sont malheureusement des maladies terribles et sans signature, dont il est encore très difficile d’identifier l’origine. La poursuite de recherches sur une potentielle prédestination génétique en témoigne.

En outre, dire que les essais nucléaires n’ont eu aucune conséquence serait plus que déraisonnable ; cela constituerait une faute. C’est pour cette raison que le décret d’application de la loi Morin, sorti rapidement, établissait une liste de maladies reposant sur les expertises et les recherches les plus avancées actuellement menées par l’UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants.

L’une des avancées majeures de ce texte tenait au fait qu’il ne se limitait pas aux seuls personnels ayant travaillé sur les sites d’expérimentation ; il visait également les populations vivant à l’époque autour des centres d’essais. Dès lors, victimes militaires et civiles pouvaient déposer une demande d’indemnisation auprès d’un comité spécialement créé par la loi.

Cela atteste d’un autre point fort du texte : la rigueur. Il ne s’agissait pas de mettre en place une indemnisation massive et systématique, ce qui serait revenu à nier la spécificité même des victimes. Le comité d’indemnisation est composé d’experts médicaux nommés par les ministères de la défense et de la santé, sur proposition du Haut Conseil de la santé publique. Cette implication des deux ministères traduit la volonté de parfaite transparence vis-à-vis des victimes.

À ce souci de transparence s’est ajouté celui du respect de la mémoire. Ce texte a en effet pris en compte les ayants droit des victimes malheureusement décédées en leur permettant, dans un délai de cinq ans à compter de la date de promulgation de la loi, de déposer un dossier de demande de réparation.

Il est important de préciser que le ministre et les parlementaires avaient à l’époque souhaité imposer un temps limité au comité d’indemnisation pour mener à bien ces expertises. Un délai de six mois nous semblait déjà important, car les victimes souffrant d’un cancer n’ont pas le temps d’attendre.

C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles – je le dis à ma collègue Michelle Demessine – aucun fonds d’indemnisation ne fut créé. Ce type de structure administrative se caractérise souvent par des lourdeurs et lenteurs qui sont intolérables pour les victimes pour qui chaque jour est précieux. Je ne reviendrai pas sur l’exemple de l’amiante et du fonds de concours. Je crois qu’il s’agit de l’exemple qu’il ne faut plus suivre.

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