Intervention de Aline Archimbaud

Réunion du 7 janvier 2014 à 21h30
Débat sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français

Photo de Aline ArchimbaudAline Archimbaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en janvier 2012, nous examinions dans ce même hémicycle une proposition de loi de Richard Tuheiava relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française. L’indemnisation des conséquences de ces essais, en Polynésie comme au Sahara, n’était pas directement notre sujet, mais le groupe écologiste et plusieurs collègues des autres groupes s’étaient déjà émus de l’application très décevante de la loi Morin.

Deux ans plus tard, nous débattons d’un rapport de la commission pour le contrôle de l’application des lois sur le même sujet, dont on ne peut qu’applaudir l’initiative et le travail, particulièrement salutaires pour les parlementaires qui, comme nous, veulent tenter de rendre effective l’indemnisation de ces victimes et applicable la loi votée à ce propos. Il faut d’autant plus saluer le travail des rapporteurs qu’il a permis de déboucher rapidement sur des avancées concrètes, grâce au véhicule législatif qu’a constitué la loi de programmation militaire adoptée en novembre 2013.

Le temps m’empêche de détailler ces avancées, dont plusieurs ont déjà été évoquées par les précédents orateurs, mais je me félicite en particulier de l’obtention de l’indépendance du CIVEN, chargé de l’instruction des dossiers d’indemnisation, qui a été transformé en autorité administrative indépendante. Je me félicite également de l’introduction d’un début de procédure contradictoire pour les requérants.

Selon nous, le principal point de blocage qui demeure aujourd’hui reste le nécessaire équilibre à trouver entre présomption simple et présomption irréfragable. Cela a déjà été rappelé, si, en théorie, la procédure d’indemnisation a été considérablement simplifiée par la loi Morin, qui instaure notamment un interlocuteur unique quel que soit le statut du requérant, cette simplification est loin d’avoir trouvé une concrétisation dans la pratique. À l’ancien parcours du combattant s’est substitué un nouveau, engendré par la notion de « présomption de causalité avec limite ».

Aux termes de la rédaction de la loi, le demandeur n’a pas à prouver qu’il existe un lien entre la pathologie et les essais nucléaires : la présomption de causalité existe à partir du moment où il justifie des conditions de lieu, de période et de maladie. Néanmoins, cette présomption peut être renversée par l’État s’il apparaît que le risque lié aux essais est négligeable. C’est ainsi que la montagne a accouché d’une souris ! Le logiciel, qui n’a pas été conçu pour cela à l’origine, est utilisé pour déterminer si le risque lié aux essais est négligeable ou non ; il conclut presque toujours à un risque négligeable. Ces décisions présentent donc un aspect arbitraire et opaque. C’est à cela qu’il faut remédier !

Nous en connaissons la conséquence : alors qu’un peu moins de 1 000 dossiers de demande d’indemnisation ont été reçus par le CIVEN en trois ans, à mettre en rapport avec les 20 000 qui étaient attendus, ils n’ont de surcroît donné lieu qu’à 12 indemnisations, soit 1, 2 % des dossiers déposés. Pourquoi ne pas permettre un réel examen des dossiers au cas par cas ? Cela serait plus souhaitable et même davantage conforme, nous semble-t-il, à l’esprit de la loi Morin.

Plusieurs rejets de dossiers d’indemnisation ont d’ailleurs été annulés par les tribunaux administratifs à la suite de recours déposés par les victimes en question, aux motifs, précisément, d’une absence d’étude au cas par cas et d’une décision fondée uniquement sur des critères statistiques et non – c’est le sens de l’article 7 du décret d’application du 11 juin 2010 – sur une appréciation des conditions d’exposition. Il est donc urgent de revenir à cette exigence légale.

Plusieurs de nos collègues ont déposé un amendement en ce sens lors de l’examen de la loi de programmation militaire ; ils ont eu la déception de se voir opposer l’article 40, alors même que seulement 266 284 euros ont été consommés sur l’année 2012, sur une ligne budgétaire annuelle de 10 millions d’euros, inscrits en loi de finances initiale. Cela doit nous interpeller sur l’interprétation à avoir de l’article 40 de la Constitution.

Permettre, sans changer le droit, à des bénéficiaires potentiels d’une aide d’y avoir accès, est-ce augmenter une charge publique, déjà prévue dans le budget ? L’État doit-il miser sur le non-recours aux droits pour faire des économies en temps de crise ? Nous ne pouvons raisonner ainsi ! À défaut, nous continuerons à faire des lois pour rien, à travailler des années pour arriver à 12 indemnisations alors que nous connaissons le nombre potentiel de victimes et de personnes exposées. Comme cela a été indiqué, aux 150 000 agents civils et militaires directement mobilisés pour les explosions nucléaires, il faut ajouter les populations civiles, qui, plusieurs intervenants l’ont souligné, manquent d’informations.

Rappelons-le, toutes ces victimes ont déjà eu à subir les essais eux-mêmes, le manque d’informations sur les dangers effectifs, des fuites de radioactivité mal colmatées lors d’essais souterrains, l’immersion à quelques centaines de mètres de l’atoll polynésien de matériel contaminé et le refus pendant longtemps du ministère de la défense de toute expertise extérieure, comme si toute mesure de radioactivité permettait de découvrir les secrets de la bombe française…

Il faut le répéter, l’État est responsable de la situation actuelle. Il doit assumer cette responsabilité jusqu’au bout, et pas seulement en théorie. C’est le sens du débat d’aujourd’hui, qui a d’ailleurs été permis par le travail de la commission.

J’espère que l’ensemble des propositions formulées par les deux rapporteurs et par les intervenants qui se sont exprimés seront entendues. Puissions-nous mettre réellement en place un système rendant justice aux associations de victimes, qui se mobilisent depuis tant d’années. Elles le méritent vraiment !

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