Intervention de Jean Germain

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 janvier 2014 : 1ère réunion
Ville et cohésion urbaine — Examen du rapport pour avis

Photo de Jean GermainJean Germain, rapporteur pour avis :

Ce projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, que nous examinons en procédure accélérée, propose un nouveau cadre pour l'intervention en faveur des quartiers en difficulté et défavorisés.

Ces dernières années, les lacunes et les échecs de la politique de la ville ont été mis en évidence par de nombreux rapports, en particulier celui de l'Observatoire national de la politique de la ville (ONZUS) et celui de la Cour des comptes de juillet 2012 sur une décennie de réformes de la politique de la ville. Si des résultats sont constatés dans certains secteurs et si la rénovation urbaine a progressé, les inégalités persistent dans ces quartiers, notamment en matière d'emploi, de réussite scolaire ou encore d'accès aux soins.

La nouvelle étape de la politique de la ville a fait l'objet d'une concertation nationale - sous l'appellation « Quartiers, engageons le changement » - entre octobre 2012 et janvier 2013. Le Comité interministériel des villes du 19 février 2013 en a fixé les principaux axes. Ce projet de loi, qui en résulte, a été examiné par l'Assemblée nationale les 22 et 27 novembre derniers. La commission des affaires économiques du Sénat a, quant à elle, adopté son texte le 18 décembre.

Ce projet apporte un nouveau souffle à la politique de la ville, en renouvelant son cadre d'intervention, en définissant des objectifs structurants et des outils adaptés, tout en prévoyant la participation de l'ensemble des acteurs et l'association des habitants.

Il substitue ainsi une nouvelle géographie prioritaire, « recentrée et unique », aux différents zonages accumulés depuis des années, pour plus de ciblage et d'efficacité, mais aussi pour une meilleure lisibilité de l'action publique - et pour mettre un terme au « saupoudrage » tant critiqué depuis longtemps.

De nouveaux contrats de ville remplaceront les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) à compter de 2015 ; ils seront conclus au niveau intercommunal, le plus adéquat pour piloter les actions menées dans le cadre de la politique de la ville. Ils pourront être cosignés par un plus grand nombre d'acteurs.

Enfin, parmi les outils proposés par ce texte, figurent un nouveau programme national de renouvellement urbain (PNRU) pour la période 2014-2024 et le remplacement de la dotation de développement urbain (DDU) par une nouvelle « dotation politique de la ville » (DPV).

Notre commission s'est saisie de neuf articles - 1er, 1er bis A (anciennement 3), 2, 4, 5, 8, 9 et, par coordination, les articles 17 et 18 - tels qu'issus des travaux de la commission des affaires économiques du Sénat.

L'article 1er définit la politique de la ville, en fixe les objectifs, en identifie les acteurs et propose d'en améliorer l'évaluation, avec l'instauration d'un « observatoire national de la politique de la ville » ; du point de vue financier, il réaffirme le principe selon lequel les politiques publiques de droit commun doivent être prioritairement mobilisées, avant les instruments spécifiques de la politique de la ville qui ne doivent ainsi être mis en oeuvre que « lorsque la nature des difficultés le nécessite ».

Déjà affirmé à plusieurs reprises, ce principe n'est qu'insuffisamment appliqué. La mobilisation des crédits de droit commun est pourtant essentielle. Les crédits spécifiques de la politique de la ville ne sauraient répondre seuls aux besoins des quartiers et ne devraient intervenir qu'en complément des crédits de droit commun, ce qui est loin d'être toujours le cas aujourd'hui. À cet effet, onze conventions ont été signées par le ministre délégué à la ville avec d'autres ministres chargés de politiques de droit commun et Pôle emploi, afin de prévoir un ensemble d'actions concrètes à destination des quartiers prioritaires.

Ensuite, l'évaluation des crédits consacrés par l'État à la politique de la ville s'avère particulièrement insuffisante, ce que l'on constate chaque année à la lecture du document de politique transversale annexé au projet de loi de finances ; le ministère délégué à la ville nous a indiqué vouloir améliorer la qualité et la fiabilité de ce document. Ce travail me paraît indispensable et je souhaite qu'il soit réalisé dans les meilleurs délais.

Les collectivités territoriales doivent également participer à la mobilisation des politiques publiques de droit commun, alors que les crédits qu'elles consacrent à la politique de la ville s'avèrent aujourd'hui difficilement identifiables. L'article 8 de ce texte dispose que les EPCI et les communes signataires de contrats de ville devront présenter, chaque année, une annexe à leur budget relative aux moyens mis en oeuvre en faveur de la politique de la ville, quelle que soit leur origine. Sur cet article, pour lever toute ambiguïté, je vous propose un amendement précisant que ce nouveau document de suivi de la politique de la ville n'est pas un budget annexe, mais bien une simple annexe au budget.

La nouvelle géographie prioritaire, prévue à l'article 4, met fin aux divers zonages actuels : les « quartiers prioritaires de la politique de la ville » se substitueront aux zones urbaines sensibles (ZUS), aux zones de revitalisation urbaine (ZRU) et aux quartiers concernés par les CUCS. Outre un seuil minimal d'habitants, ces quartiers seront identifiés par leur « écart de développement économique et social », apprécié par un critère désormais unique : le revenu des habitants, par rapport à la moyenne nationale mais également par rapport au revenu moyen de l'unité urbaine dans laquelle ces quartiers se situent ; 1 300 quartiers prioritaires devraient ainsi être identifiés, contre près de 2 500 quartiers ciblés en CUCS aujourd'hui.

Je me félicite que le texte prévoie une actualisation de la liste des quartiers concernés, ce qui n'a pas été fait pour les zonages actuels.

Je me suis principalement intéressé dans mon rapport à l'impact financier de ce changement de zonage : les crédits spécifiques de la politique de la ville seraient désormais déployés sur les nouveaux quartiers prioritaires et l'essentiel des avantages liés aux ZUS devraient également être transférés vers ces quartiers, même si certaines modalités restent à définir - je pense en particulier à l'avenir de l'abattement de 30 % de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements sociaux en ZUS, qui a été prolongé jusqu'au 31 décembre 2014 par la loi de finances pour 2014.

S'agissant de la péréquation, seule la dotation de solidarité urbaine (DSU) fait intervenir, mais de façon marginale, la géographie prioritaire de la politique de la ville. Ainsi, les communes nouvellement éligibles à la DSU pourraient être concernées par le changement de zonage ; le Gouvernement m'a indiqué qu'il préciserait ce point lors du prochain budget.

L'article 2 du projet de loi prolonge l'actuel PNRU pour deux ans, jusqu'en 2015, et prévoit le lancement d'un nouveau PNRU pour 2014-2024, qui bénéficiera en priorité aux quartiers présentant les « dysfonctionnements urbains les plus importants ». Ce nouveau programme bénéficierait d'un financement de 5 milliards d'euros, pour un investissement total estimé à 20 milliards d'euros, avec la participation des autres investisseurs.

Je me félicite du lancement de ce nouveau programme, mais il nous faudra rester vigilant sur son financement, en gardant à l'esprit ce qui s'est passé pour l'ANRU ces dernières années. Le Gouvernement prévoit de mobiliser le fonds de péréquation prévu à l'article L. 452-1-1 du code de la construction et de l'habitation, la dotation annuelle de 30 millions de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) et, pour la partie la plus importante, la contribution de l'Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL) - Action logement.

Cependant, la contribution d'Action logement devrait diminuer ces prochaines années et être négociée dans le cadre de sa nouvelle convention sur la participation des employeurs à l'effort de construction à compter de 2015, selon le dispositif prévu dans la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), en cours de débat. D'après les informations qui m'ont été fournies, cette contribution pourrait passer d'environ 1,05 milliard d'euros en 2015, à 500 millions annuels après une période de transition entre 2016 et 2018.

S'agissant de la soutenabilité financière de l'ANRU et des décaissements attendus au cours des prochaines années, les éléments qui m'ont été transmis pour les années 2013 à 2015 indiquent que les besoins devraient être couverts, mais que la trésorerie de l'agence devrait être sollicitée : elle passerait de 472 millions d'euros fin 2012 à environ 140 millions d'euros fin 2015. Cette prévision ne tient toutefois pas compte de l'éventuelle affectation du fonds de péréquation. Pour les années suivantes, les décaissements de l'ANRU devraient considérablement se réduire à compter de 2016.

L'étude d'impact explique que cette « compatibilité temporelle » entre l'achèvement du premier PNRU et la montée en charge du nouveau PNRU assurerait la soutenabilité de nouveau programme pour l'ANRU et ses financeurs. J'espère que ces hypothèses se confirmeront et que le nouveau PNRU ne connaîtra pas de difficultés de mise en oeuvre en raison de problèmes de financement. Il est, par ailleurs, indispensable que l'ANRU dispose d'une trésorerie toujours suffisante pour ne pas retarder les opérations.

J'appelle votre attention sur le fait que le financement de l'ANRU pourrait être affecté par celui de la garantie universelle des loyers (GUL) prévue à l'article 8 du projet de loi ALUR. En effet, il est envisagé de solliciter Action logement pour financer en partie ce nouveau dispositif, le Gouvernement souhaitant que les 160 millions d'euros annuels qu'Action logement verse à la garantie des risques locatifs (GRL) soient transférés à la GUL. Mais rien ne garantit que cette solution soit finalement retenue. Pour autant, tout « dérapage » pour le financement de la GUL pourrait entraîner une demande de contribution complémentaire à Action logement.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je considère que le financement de l'ANRU demeure très tendu et qu'il conviendra de rester très vigilant quant aux ressources octroyées, en particulier à compter de 2016.

L'article 2 confie également deux nouvelles compétences à l'ANRU.

L'agence, d'abord, pourrait désormais prendre des participations dans des sociétés exclusivement dédiées au renouvellement urbain des quartiers, pour inciter les autres investisseurs, notamment privés, à s'engager dans certains projets à caractère économique. Cette nouvelle compétence serait exercée uniquement dans le cadre du nouveau programme d'investissement d'avenir (PIA2). L'action « Ville durable et solidaire, excellence environnementale du renouvellement urbain » du programme 414 « Ville et territoires durables » confie à l'ANRU la gestion d'une enveloppe de 250 millions d'euros de fonds propres destinés à la « diversification des fonctions dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville » - l'agence a été choisie pour sa connaissance des quartiers en politique de la ville et son réseau territorial. Le Gouvernement m'a indiqué que la dotation de 5 milliards d'euros du nouveau PNRU ne pourrait pas être utilisée pour financer cette nouvelle compétence et que l'ANRU n'agirait qu'en qualité de gestionnaire de fonds du Trésor, pour le compte de l'État.

Il faudra rester très vigilant, car l'agence doit garder son coeur d'activité : la mise en oeuvre du PNRU - et il ne lui appartient pas, à mon sens, de supporter des risques économiques en tant qu'investisseur, risques dont elle paraît toutefois prémunie du fait qu'elle agirait pour le compte de l'État.

N'oublions pas, enfin, que la Caisse des dépôts et consignations et l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) investissent déjà pour la rénovation urbaine des quartiers.

Deuxième compétence nouvellement confiée à l'ANRU, par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale et à l'initiative du Gouvernement : la possibilité d'« entreprendre des actions concourant à promouvoir l'expertise française à l'international en matière de renouvellement urbain », ce pour quoi elle est déjà sollicitée - une convention a d'ailleurs déjà été signée avec l'agence de rénovation urbaine tunisienne. L'agence pourrait ainsi participer à l'élaboration et la mise en oeuvre d'accords de coopération internationale et réaliser des prestations de services rémunérées, par exemple d'ingénierie urbaine.

Je suis circonspect sur cette seconde compétence, plus encore que sur la première : il ne faudrait pas que cette action internationale se traduise par des coûts supplémentaires pour l'agence, ce qui en impose, me semble-t-il, un usage ponctuel, ciblé et mesuré.

L'article 1er bis A prévoit la mise en place, à compter de 2015, d'une « dotation politique de la ville » (DPV), en remplacement de la dotation de développement urbain (DDU), mise en place en 2009 pour compléter la dotation de solidarité urbaine (DSU), laquelle était critiquée pour son « saupoudrage ». Or, la DDU a été à son tour critiquée en raison de son faible taux d'exécution qui montre que des projets sont subventionnés alors qu'ils ne sont pas assez avancés, de ses conditions de « pré-éligibilité », qui excluent des communes pourtant concernées par la politique de la ville mais qui bénéficient de la dotation de solidarité rurale (DSR), de son coût de gestion et, selon le Gouvernement, de sa faible transparence.

Le présent projet de loi ne définit pas précisément la future DPV. Il en pose le principe - dans la continuité des travaux de la mission « péréquation et politique de la ville » conduite par notre collègue député François Pupponi - et prévoit un rapport au Parlement, déposé avant le 1er septembre 2014, qui servira de base à la création de cette dotation dans la loi de finances pour 2015.

Selon les informations que j'ai recueillies, la future DPV devrait se rapprocher davantage d'un fonds de soutien au bénéfice des territoires les plus en difficulté de la politique de la ville, qui ont structurellement moins de ressources et plus de charges. Elle devrait, surtout, s'inscrire dans le contrat de ville au sein duquel elle serait relativement libre d'emploi : son octroi ne serait plus soumis à des appels à projet, mais répondrait aux objectifs définis par les acteurs locaux et serait encadré par des objectifs nationaux.

Le rapport prévu examinera notamment les critères d'éligibilité et de répartition de cette dotation, ses conditions d'utilisation ainsi que les dispositions spécifiques applicables aux départements et collectivités d'outre-mer.

Aussi cet article 1er bis A, en définissant le contenu du rapport, se contente-t-il d'identifier les principales interrogations à lever en vue de la création de cette nouvelle dotation. Mais elles devront être tranchées et il importe que le Parlement soit étroitement associé à cette réflexion.

Sur le contenu de ce rapport, je vous propose d'adopter un amendement rédactionnel.

Enfin, il convient de noter que le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale prévoyait la suppression de la DDU, sans créer concomitamment la DPV. Je me réjouis que la commission des affaires économiques du Sénat ait maintenu la DDU, afin que sa suppression n'intervienne pas avant la loi de finances pour 2015, en même temps que la création de la DPV.

L'article 8 confie à l'échelon intercommunal le pilotage stratégique des contrats de ville et leur mise en oeuvre de proximité aux communes. Par conséquent, l'exercice de cette compétence est généralisé à chaque catégorie d'EPCI.

Outre ce pilotage intercommunal de la politique de la ville, une réelle solidarité financière au sein des EPCI devra être garantie. En effet, seul un quart des communautés de communes et deux-tiers des communautés d'agglomération ont instauré une dotation de solidarité communautaire (DSC). Deux tiers des communautés de communes et près d'un tiers des communautés d'agglomération concernés par la politique de la ville n'ont pas de DSC.

Dès lors, l'article 9 vise à promouvoir la solidarité interne à ces EPCI. La rédaction initiale rendait obligatoire l'institution d'une DSC pour tous les EPCI signataires d'un contrat de ville ; nos collègues députés ont préféré rendre obligatoire, dans un délai d'un an, la conclusion d'un « pacte financier et fiscal de solidarité » pour réduire les disparités de charges et de recettes entre les communes membres. Ils ont prévu qu'en l'absence d'un tel pacte dans la première année de mise en oeuvre du contrat de ville, serait alors obligatoire une DSC « dont au moins 50 % du montant doit être réparti en fonction de critères de péréquation concourant à la réduction des disparités de potentiels financiers entre les communes ».

Enfin, à l'article 5 consacré aux nouveaux contrats de ville, l'Assemblée nationale a mis en place, à compter de 2016, un « malus » de 5 euros par habitant, sanctionnant les EPCI qui refuseraient de s'engager dans la politique de la ville. Ce « malus » me semble stigmatisant, peu utile et fragile constitutionnellement. Je me réjouis donc que la commission des affaires économiques du Sénat ait supprimé cette disposition.

Je vous propose en conséquence un avis favorable aux articles dont nous nous sommes saisis, sous réserve des deux amendements que je vous présente.

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