Intervention de Chantal Jouanno

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 19 décembre 2013 : 1ère réunion
Prostitution — Audition de M. Jean-Pierre Godefroy et de Mme Chantal Jouanno

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno, co-rapporteur de la mission de la commission des affaires sociales sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées :

Après l'aspect sanitaire, nous avons travaillé sur l'aspect social de la situation des personnes prostituées.

Théoriquement, celles-ci bénéficient des mêmes droits sociaux que les autres citoyens. Il leur est possible de s'affilier à un régime de sécurité sociale et d'accéder ainsi tant à la couverture maladie qu'à l'assurance retraite. Mais, dans les faits, l'accès à ces droits est difficile, d'autant plus quand il s'agit de personnes étrangères en situation irrégulière.

En matière de couverture maladie, les personnes prostituées relèvent, selon leur situation juridique, soit des dispositifs de droit commun, soit des dispositifs complémentaires pour les personnes qui n'ont pu faire valoir leurs droits par la première voie d'accès.

Ainsi, pour les personnes françaises ou étrangères disposant d'un droit de séjour - je parle ici des personnes prostituées dites « traditionnelles » - ces personnes peuvent s'affilier au régime social des indépendants (RSI) ou s'inscrire à la couverture maladie universelle (CMU) et complémentaire (CMU-c).

Les personnes étrangères en situation irrégulière, qui sont la majorité des personnes prostituées, peuvent demander l'aide médicale de l'État (AME) ou l'accès aux soins d'urgence.

Alors qu'elles sont pour la plupart éligibles à ces différents droits, dans la réalité les personnes prostituées accèdent très difficilement à une couverture maladie. Ce constat est partagé par tous les acteurs de terrain. Les raisons en sont diverses.

Tout d'abord, la précarité financière : ces personnes ont d'autres priorités - le logement et l'alimentation - et leur santé passe après.

Ensuite, la barrière de la langue les conduit à ne pas comprendre les démarches à effectuer et cause des erreurs de diagnostic, sans compter qu'elle rend quasiment impossible le suivi psychologique. C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité de développer le recours à la médiation et à l'interprétariat dans les établissements de santé et les services sociaux. Notre visite à l'hôpital Ambroise Paré nous a montré l'importance de cette fonction entre le personnel de l'hôpital et la population prostituée.

Troisième facteur : la complexité des dispositifs et des démarches administratives, qui s'apparentent à un véritable parcours du combattant, en particulier pour les personnes en situation irrégulière. On nous a fait part de délais d'instruction des dossiers parfois très longs et de disparités importantes dans leur traitement selon les caisses primaires d'assurance maladie. Nous avons donc insisté sur la nécessité d'une harmonisation des règles de gestion administratives de l'AME et sur une sensibilisation des personnels à la situation particulière des personnes prostituées qui doivent être considérées comme des victimes, plus particulièrement de la traite.

Quatrième facteur : la méconnaissance des droits et du fonctionnement du système de soins. Une brochure intitulée « vos droits, votre santé » était en cours d'élaboration lors de la préparation de notre rapport pour être diffusée par les associations.

Cet effort d'information et d'orientation doit également être accentué en ce qui concerne les droits à la retraite. Là encore, il faut distinguer les personnes en situation régulière des personnes en situation irrégulière.

Depuis 2004, les personnes prostituées en situation régulière peuvent cotiser auprès de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV), qui accueille l'ensemble des professions non classées, notamment les professions libérales non affiliées au RSI. Malgré nos demandes, il nous a été impossible de connaître le nombre de personnes prostituées qui ont recours à ce dispositif dans la mesure où elles ne se déclarent pas comme telles. Jean-Pierre Godefroy a évoqué tout à l'heure la situation des personnes prostituées vieillissantes qui n'ont pas eu la possibilité de cotiser et qui se trouvent contraintes de poursuivre leur activité pour pouvoir survivre. D'une manière générale, il ressort de nos auditions et de nos visites sur le terrain qu'une toute petite minorité de personnes prostituées a la possibilité de disposer d'une pension de retraite, ce qui explique que des personnes soient obligées d'exercer leur activité à un âge avancé.

Au-delà de ces difficultés, plusieurs facteurs liés à l'environnement dans lequel évoluent les personnes prostituées freinent l'accès aux droits sociaux et aux soins.

Les violences, inhérentes à toutes les formes de prostitution, sont à la fois physiques et psychologiques. Elles émanent principalement des clients, mais aussi des proxénètes, voire des passants et des riverains.

Les conditions d'hébergement, souvent très précaires, accentuent le risque de propagation des infections. La stigmatisation et l'isolement dont elles sont victimes, mis en exergue dans notre rapport, constituent des facteurs de vulnérabilité supplémentaires.

Il est temps que la société et les institutions changent leur regard sur ces personnes afin qu'elles ne soient plus considérées systématiquement comme des présumées coupables.

Enfin, le sentiment de méfiance à l'égard des « institutions », particulièrement manifeste chez les personnes en situation irrégulière, a été renforcé par la mise en oeuvre de la loi pour la sécurité intérieure de 2003. Cette méfiance peut aussi s'exprimer à l'égard d'acteurs supposés leur venir en aide, attitude qui s'explique par la barrière linguistique, les différences culturelles et les histoires personnelles des personnes prostituées. Ainsi, le périple vers la France des personnes prostituées issues de la « filière nigériane » s'est effectué avec la complicité de représentants des États par lesquels le réseau les a fait transiter, quand elles n'ont pas, en outre, été violées par certains de ceux-ci.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion