Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis de trop nombreuses années, notre pays est traversé par de multiples fractures territoriales qui deviennent autant de fractures sociales intolérables pour notre pacte républicain.
L’exigence d’une réponse puissante face à cette situation s’est traduite par la décision de placer le ministère de la ville au cœur du ministère chargé de l’égalité des territoires, créé depuis maintenant vingt mois, presque jour pour jour, et dirigé par Cécile Duflot et moi-même.
Je me félicite quotidiennement de cette cohérence, qui témoigne de la volonté du Président de la République. Celui-ci a récemment encore rappelé, lors de ses vœux aux corps constitués, que c’est la pleine égalité non seulement entre les citoyens, mais également entre les territoires qui constitue le socle même de l’unité nationale.
L’unité de l’État passe autant par l’égalité des chances que par l’égalité des territoires. C’est précisément cette recherche d’une égalité retrouvée entre des territoires aujourd’hui si fragmentés qui est au cœur du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.
C’est également cette ambition d’une réponse structurelle aux maux dont souffrent nos quartiers populaires qui a animé les discussions entamées au Sénat il y a plusieurs semaines. Je souhaite d’ailleurs remercier dès à présent le rapporteur, Claude Dilain, de la qualité de son travail et de la manière dont il a conduit les débats en commission, qui ont déjà permis d’enrichir le texte sur de nombreux points.
Je sais combien le Sénat est attaché à ce que l’investissement des pouvoirs publics ne délaisse aucune parcelle de notre République, en zone rurale comme en zone urbaine.
La réussite de la concertation nationale « Quartiers, engageons le changement », lancée en octobre 2012, doit d’ailleurs beaucoup à l’implication active de nombreux sénateurs, que je souhaite aujourd’hui remercier : Claude Dilain, à nouveau, comme coprésident du groupe sur la refonte de la géographie prioritaire, mais aussi Jean Germain, Valérie Létard, Laurence Cohen et bien d’autres.
C’est de ces échanges qu’ont pu naître les principes de la réforme. Détaillés lors du comité interministériel des villes du 19 février 2013, ces principes visent à organiser le retour républicain de l’État dans les quartiers. Il nous fallait en effet engager une véritable refondation de la politique de la ville.
Lors du débat organisé dans cet hémicycle le 6 décembre 2012, nous avions longuement débattu de la situation difficile dans laquelle se trouvent les quartiers de la politique de la ville et leurs habitants, confrontés à des inégalités de toute nature et frappés plus durement que d’autres par la crise.
Nous avons collectivement fait le constat que, malgré le travail important réalisé par les élus locaux et un monde associatif trop durement éprouvé ces dix dernières années, la situation de ces quartiers et de leurs habitants s’était profondément détériorée, comme l’a d’ailleurs rappelé récemment, dans son rapport annuel, l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS.
Nous devions agir, non pas en nous laissant aller à la facilité d’un énième plan d’urgence, aussi vite oublié qu’annoncé, mais en travaillant à une action structurelle, globale et concertée susceptible de s’attaquer dans la durée aux inégalités qui frappent aujourd’hui nos quartiers populaires.
Il nous fallait tenir compte de l’inefficacité du saupoudrage des crédits de la politique de la ville, pointée par la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2012, qui démontrait l’illisibilité de l’accumulation des zonages et des dispositifs engagés ces dernières années.
Il nous fallait corriger l’incompréhensible séparation entre les actions sur l’urbain, les dispositifs de cohésion sociale et le développement économique.
Il nous fallait encore remobiliser, au sein d’un contrat global, l’ensemble des politiques publiques qui, à chaque fois que la politique de la ville est intervenue dans un territoire, ont eu tendance à s’en retirer.
Il nous fallait également amplifier les mesures qui ont fait leurs preuves ; je pense bien évidemment aux chantiers du programme national de rénovation urbaine.
Il nous fallait enfin remettre au cœur de cette politique ceux pour qui elle existe : les habitants.
Toute l’ambition du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine est précisément de mobiliser l’ensemble de ces dimensions pour changer, enfin, la réalité de nos quartiers.
Conformément aux préconisations des membres de la concertation nationale, le projet de loi prévoit de recentrer la géographie prioritaire sur les territoires qui répondent à un critère social incontestable, objectif et lisible : le critère de la concentration de pauvreté.
Avec cette nouvelle méthode, partout où, sur le territoire national, il y aura des concentrations spatiales de pauvreté, et donc des difficultés sociales, l’État répondra présent par la levée du droit commun et par les crédits spécifiques de la politique de la ville, qui retrouveront ce qui constituait leur mission initiale : créer des effets de levier. Nous revenons ainsi à l’essence de la politique de la ville, qui est une politique de cohésion et de solidarité au service des territoires urbains les plus paupérisés.
Effective en 2015, cette réforme de la géographie prioritaire permettra de concentrer nos moyens sur les quartiers réellement prioritaires, tout en mobilisant les crédits de droit commun dans les territoires qui resteront en veille active.
Un dispositif spécifique sera mis en place pour les outre-mer, en articulation étroite avec les acteurs locaux. En effet, si ces territoires rencontrent malheureusement des problèmes de développement similaires et présentent des caractéristiques urbaines et sociales communes, leurs situations respectives n’en appellent pas moins des réponses différenciées et adaptées à chaque territoire.
Ce changement de géographie de la politique de la ville ne peut avoir de sens que s’il s’accompagne d’une mobilisation plus importante des moyens dédiés aux quartiers populaires. À cet effet, le comité interministériel des villes du 19 février 2013 a d’ores et déjà organisé la mobilisation de toutes les politiques de l’État. Onze conventions d’objectifs et de moyens ont ainsi été passées avec les ministres pour territorialiser leurs actions et concentrer leurs moyens dans les quartiers.
Les premiers résultats sont là. Je ne prendrai que quatre exemples.
Tout d'abord, 15 000 emplois d’avenir pour les moins de vingt-cinq ans ont été créés dans les quartiers en 2013 ; 18 % des emplois d’avenir ont ainsi été dédiés aux jeunes des zones urbaines sensibles, les ZUS, alors que ces jeunes ne représentent que 12 % de la jeunesse de France. Nous accentuerons cet effort en 2014.
L’année 2013 a également été celle du réinvestissement par l’éducation, avec des créations de postes ciblées sur les écoles des quartiers lors de la dernière rentrée : 40 % des classes ouvertes pour la scolarisation des enfants de deux à trois ans se trouvent dans des quartiers de la politique de la ville.
Je tiens à mentionner aussi le retour de la police au service de la population, avec notamment le déploiement des zones de sécurité prioritaire : les 80 ZSP créées sont toutes, à une exception près, situées dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.
Enfin, entre 2012 et 2014, la péréquation a progressé comme jamais : 180 millions d'euros de plus pour la dotation de solidarité urbaine, la DSU, 50 millions d'euros de plus pour la dotation de développement urbain, la DDU, soit un doublement de cette dotation, et 420 millions d'euros de plus pour le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, afin de donner aux collectivités défavorisées les moyens de conduire des politiques ambitieuses en faveur de leur population.
Cette présence accrue des services publics dans les quartiers en difficulté se concrétisera symboliquement, dans quelques semaines, à Clichy-sous-Bois, monsieur le rapporteur, par l’ouverture d’une antenne de Pôle emploi.
Je rappelle que Pôle Emploi a consacré 400 de ses 2 000 créations de postes en 2013 aux quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Je sais l’importance que les sénateurs attachent à la territorialisation des politiques sectorielles, qui doit permettre de concentrer les moyens de droit commun là où ils sont le plus nécessaires. À cet égard, je salue l’adoption par la commission, sur la proposition de son rapporteur, d’un amendement qui réaffirme d’emblée que la politique de la ville mobilise d’abord les politiques de droit commun avant de mettre en œuvre les instruments qui lui sont propres.
Si nous partageons ces exigences quant à la manière dont les pouvoirs publics entendent utiliser leurs moyens pour garantir l’égalité des territoires, nous savons aussi que l’efficacité de notre action passe par la création d’outils adaptés permettant la mobilisation de tous les acteurs. C’est l’objectif du contrat de ville unique et global prévu par ce projet de loi.
Négocié entre l’État et les collectivités locales, mais également avec l’ensemble des acteurs du territoire, ce contrat sera piloté et mis œuvre par le président de l’intercommunalité et par le maire, dans le respect des compétences de chacun. En effet, ce n’est qu’à l’échelle intercommunale que peuvent s’élaborer des diagnostics cohérents et des politiques de peuplement, de désenclavement ou de développement économique.
Les députés ont souhaité introduire un mécanisme de sanction pour les cas où les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, n’exerceraient pas leur compétence et ne signeraient pas le contrat de ville, mais votre commission a considéré que ce mécanisme était contre-productif et a préféré faire le pari de la confiance. J’entends respecter votre choix, et je ne déposerai donc pas d’amendement sur les dispositions que vous avez adoptées.
S'agissant du rôle du maire, je crois que les débats, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont permis de le placer au cœur de la mise en œuvre des politiques de cohésion sociale sur le territoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est en nous appuyant sur ce contrat unique que nous lancerons le nouveau programme de renouvellement urbain, qui prévoit d’affecter 5 milliards d’euros à l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, sur la période 2014-2024. Ces 5 milliards d'euros permettront de mobiliser près de 20 milliards d’euros d’investissements en faveur des quartiers prioritaires. Dans le même temps, nous mènerons à bien et à terme le premier programme national de rénovation urbaine, ou PNRU1, qui n’est qu’à la moitié de sa réalisation.
Cependant, tous les efforts engagés pour la rénovation des quartiers risqueraient d’être vains si nous ne développions pas simultanément des politiques de peuplement assurant la mixité sociale à l’échelle des agglomérations.
C’est pourquoi je me réjouis que la commission des affaires économiques, sur proposition de son rapporteur, ait adopté un amendement tendant à prévoir des conventions intercommunales relatives aux politiques d’attribution et impliquant tous les acteurs du logement. Nous aurons là un outil de concertation efficace pour produire de la mixité dans les quartiers et organiser harmonieusement le peuplement de nos villes.
Par ailleurs, le nouveau PNRU n’aura pas pour effet de mettre en concurrence les projets. Il visera les territoires présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants, dans l’Hexagone comme dans les outre-mer, en favorisant la mixité de l’habitat, la qualité de la gestion urbaine de proximité, les objectifs de développement durable et de lutte contre l’habitat indigne.
Pour satisfaire l’articulation entre les nécessités sociales et urbaines, ces nouvelles opérations de renouvellement urbain seront des conventions d’application des futurs contrats de ville.
C’est aussi dans le cadre de cet outil contractuel que je souhaite permettre aux citoyens d’être associés et entendus sur les enjeux qui concernent leurs quartiers. Dans un moment où la désespérance sociale s’accompagne trop souvent d’une désespérance politique, il fallait donner une dimension nouvelle à l’intervention citoyenne des habitants des quartiers populaires.
Cette reconnaissance de la participation des habitants aux décisions qui les concernent constitue une réponse au sentiment de défiance envers les institutions dont le CEVIPOF, dans une étude publiée hier dans Le Monde, est venu rappeler l’ampleur.
Je suis en effet convaincu que les relations entre les citoyens et la puissance publique doivent être fondées sur une double confiance : celle des habitants envers leurs élus, mais aussi celle des élus envers les habitants. Voilà pourquoi le nouveau contrat de ville donnera toute sa place aux représentants des habitants, qui participeront à sa conception, au suivi et à l’élaboration des projets.
Sur ce point, j’ai souhaité déposer un amendement au nom du Gouvernement pour renommer « conseils citoyens » les collectifs d’habitants qui participeront à la conception et à la mise en œuvre des contrats de ville.