Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, concertation, simplification et adaptation sont les marques de ce projet de loi qui, sur le plan politique, devrait apporter des réponses précises aux opérateurs de terrain ainsi qu’aux élus de proximité. Il présente en outre l’intérêt particulier de tendre à consolider les expériences antérieures, sans contraindre à de nouvelles prises de responsabilités locales, en prévoyant des contenus et un calendrier mieux adaptés, qui seront un gage d’efficacité pour la politique de la ville de type nouveau qu’il inaugure.
Le volet hexagonal a été largement évoqué, à travers le meilleur du texte de la commission. Une singularité émerge cependant : l’état de la politique de la ville dans les outre-mer.
Certes, la mise en œuvre de quarante CUCS, de trente-quatre ZUS, de sept ZFU ou encore de vingt-trois conventions PRU en outre-mer tend à donner à croire que les villes concernées connaissent des problèmes analogues à ceux de tous les quartiers sensibles et relèvent des mêmes réponses. Or la politique de la ville dans nos quartiers se caractérise, comme vous avez pu le constater lors de votre passage en Guyane, monsieur le ministre, par un immense chantier et se heurte à des difficultés accrues.
Ce chantier est celui de la réhabilitation urbaine, toujours nécessaire tant l’habitat précaire est largement répandu : habitat informel – qualifié parfois de spontané – qui se forme très rapidement aux abords comme au centre des villes, quartiers d’habitat précaire qui ont déjà fait l’objet d’une restructuration partielle, quartiers insalubres apparus à proximité des périmètres déjà traités ou encore « quartiers durcis », anciennement en bois ou en tôle, qui ont conservé leur configuration initiale.
La question de la rénovation urbaine, de l’aménagement du territoire se double de celle de l’habitat. Sur un parc de 500 000 logements, plus de 100 000 peuvent être considérés comme indécents ou insalubres.
La lutte contre l’habitat indigne afin d’améliorer les conditions de vie des habitants, telle est actuellement l’action prioritaire de la politique de la ville dans les outre-mer.
Les difficultés ne manquent pas : la première est la capacité de financement limitée des collectivités territoriales. À Mayotte par exemple, les communes ont théoriquement, depuis cette année, une fiscalité propre, mais avec un potentiel fiscal faible et sans cadastre, sa mise en œuvre est hypothétique.
Or la construction de logements et, de manière générale, la régénération urbaine requièrent une participation financière minimale des collectivités locales pour être éligibles aux programmes d’action nécessaires mais laissés à l’état de projets à cause de ces carences financières.
L’exposition aux risques naturels, ensuite, concerne de 30 % à 80 % de la population selon les territoires. Le cyclone Bejisa, à La Réunion, illustre la terrible actualité de cette situation, mais les risques sismiques sont aussi présents, comme aux Antilles, alors que, en Guyane, la très forte humidité entraîne une dégradation accélérée des constructions et que les pluies provoquent régulièrement des glissements de terrain.
Une autre difficulté tient au fait que les besoins spécifiques de développement économique sont difficiles à isoler. Le tissu économique dans les outre-mer est extrêmement fragile, et la situation particulière d’un quartier ou d’une zone sensible est largement diluée dans un contexte économique et social dominé par un taux de chômage supérieur à 20 % aux Antilles et en Guyane, proche de 30 % à La Réunion, tandis qu’il atteint, pour les jeunes, 46 % en Guadeloupe et jusqu’à 60 % à La Réunion. De surcroît, en Guyane, 80 % de la population satisfait aux conditions de ressources pour l’accès au logement locatif social.
Les problèmes de sécurité sont encore plus graves en outre-mer que dans l’Hexagone : les trois départements des Antilles et de la Guyane comptent parmi les cinq départements où les atteintes volontaires à l’intégrité physique sont le plus fréquentes.
Je ne m’étendrai pas sur les problèmes de sécurité sanitaire spécifiques aux outre-mer. La question de l’accès de tous à l’éducation se pose encore de manière aiguë dans des départements à fort développement démographique, en raison soit d’un taux de natalité élevé, soit d’une immigration importante.
Enfin, en dépit de ce que peuvent faire apparaître ces indicateurs installés dans le rouge, l’absence de données fiables sur les populations des outre-mer rend encore plus difficile l’identification précise des quartiers sensibles devant relever prioritairement de la politique de la ville. Si la situation globale est assez bien connue, le pilotage du soutien à ces territoires suppose un outillage statistique efficace, précis et capable de suivre les évolutions rapides.
Les réponses proposées aux singularités ultramarines au travers de ce projet de loi sont modestes mais pragmatiques. À la marge de l’opération de simplification de la politique de la ville en métropole, la politique de la ville dans les outre-mer est marquée par une ambition identique en termes d’objectifs, tout en s’adaptant aux particularismes, aux réalités de chacun de ces territoires.
Vous avez ainsi entendu, monsieur le ministre, que les communes peuvent souvent être, dans les départements d’outre-mer, l’échelon adéquat pour mener la politique de la ville. Les vingt-deux communes du département de Guyane sont regroupées en intercommunalités. Pourtant, dans la communauté des Savanes, la distance entre les centres urbains de Kourou et de Sinnamary – dont les problématiques et les densités sont tout à fait différentes – est de soixante kilomètres, celle entre Kourou et Iracoubo de quatre-vingts kilomètres et celle entre Kourou et Saint-Élie de cinquante kilomètres, répartis par moitiés entre une piste de terre et un grand lac : la réalité géographique du territoire empêche de retenir l’intercommunalité comme échelon pertinent pour la politique de la ville. Le maire de Pamandzi, à Mayotte, a témoigné, lors de la table ronde sur la politique de la ville en outre-mer que vous avez organisée voilà exactement un an, monsieur le ministre, que penser l’intercommunalité est largement prématuré, tant les communes ont encore besoin de se construire.
Mais vous avez laissé ouverte la mise en œuvre de la disposition commune, puisque retenir l’échelon intercommunal reste une option lorsque cela est possible : la communauté d’agglomération du centre de la Martinique, dont fait partie Fort-de-France, compte déjà au nombre de ses compétences la politique de la ville, et il est tout à fait possible qu’il en aille de même pour la communauté d’agglomération du centre littoral de la Guyane, à laquelle appartient Cayenne et qui regroupe la moitié de la population du département.
Ce pragmatisme est bienvenu, tout comme celui qui régit la délimitation des zones sensibles : ce ne sont pas seulement les écarts de revenu entre habitants qui permettent de délimiter les quartiers prioritaires de la politique de la ville ; des critères sociaux, démographiques, économiques ou encore relatifs à l’habitat interviennent aussi.
Cette prise en compte de la singularité des outre-mer permet ainsi de ne pas classer la quasi-totalité du territoire de certains départements en quartiers prioritaires, et surtout de s’adapter à l’absence de données précises sur des populations très précaires et aux évolutions rapides des territoires, ainsi qu’aux nécessités spécifiques à chacun d’eux.
L’actualisation trisannuelle manifeste encore le souci d’adapter la politique de la ville aux vérifications fréquentes du rythme de réalisation des opérations et au développement de ces territoires. Elle ne doit cependant pas remplacer la prospective à long terme qui doit animer une politique de la ville aussi ambitieuse qu’en métropole.
Ainsi, monsieur le ministre, confrontés à une problématique exacerbée du mal-développement, les départements d’outre-mer auront, avec ce texte, la garantie de l’adaptabilité du cadre national aux réalités territoriales, une adaptabilité indispensable pour les DOM, au sein de laquelle l’intelligence locale et la participation des citoyens devraient prendre toute leur place.
Le financement de la politique de la ville dans les outre-mer reste inchangé. C’est une question complexe, qui mêle au programme national de renouvellement urbain, intervenu tardivement dans les outre-mer, la ligne budgétaire unique et des mécanismes de défiscalisation. En prévoyant des dispositifs spécifiques pour les outre-mer, la future dotation budgétaire de péréquation pour la politique de la ville témoigne encore de votre volonté d’adaptation aux différentes réalités de nos territoires.
Je serai cependant vigilant : la future dotation « politique de la ville » ne doit pas permettre la disparité que créent les mécanismes actuels de péréquation, puisqu’ils fondent une différence inacceptable de 30 euros par habitant selon qu’il s’agit d’un quartier sensible de métropole ou d’un territoire d’outre-mer.
Je regrette aussi que la question du foncier n’ait pas été abordée dans le texte. Lorsque la difficulté majeure est celle du logement et que 90 % des territoires ultramarins sont la propriété de l’État, le coût de l’habitat résulte non pas seulement de celui des matières premières, mais aussi de celui du terrain. Il aurait fallu et il faudra trouver les outils pour que l’État libère les parcelles nécessaires au développement urbain.
Enfin, la politique de la ville est un moteur majeur du développement dans les outre-mer, par l’apport de financements. Le développement économique dans le secteur de la construction est primordial. Cela étant, la politique de la ville dans les outre-mer, si proche des politiques de droit commun pour le développement local, ne peut tout changer. En définitive, sa spécificité est de concilier le territoire, l’urbain et l’humain. Elle permet le renforcement du lien social et des solidarités entre voisins, encore présents dans les outre-mer, mais malheureusement si facilement mis à mal.