Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 15 janvier 2014 à 14h30
Ville et cohésion urbaine — Article 10 A

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Cet amendement ne remet aucunement en question le droit administratif et les prérogatives des maires en matière de préemption. Je tiens à le redire ici à ceux d’entre vous, chers collègues, qui, faute d’avoir eu le temps de le lire attentivement, ont pu y voir une agression contre le pouvoir du maire dans ce domaine.

Il s’agit seulement, en l’espèce, d’améliorer le droit pénal pour rendre plus effectives les dispositions de lutte contre les discriminations.

En effet, il n’est pas acceptable que le droit de préemption soit utilisé à des fins discriminatoires, notamment pour des motifs ethniques ou raciaux. De telles pratiques existent, et il est de la responsabilité du législateur d’y mettre un terme.

Messieurs, mesdames les maires, soyez rassurés, si cet amendement est adopté, vous pourrez continuer à exercer votre droit de préemption, à condition, bien sûr, que cela corresponde à un projet. Je tiens à mettre les choses point pour lever les incompréhensions que mon amendement a pu susciter.

Je prendrai l’exemple d’un couple d’origine maghrébine qui avait conclu un compromis de vente en vue de l’acquisition d’un bien immobilier. Le maire de la commune a exercé sur ce bien son droit de préemption. Le couple a alors porté plainte contre le maire, arguant que celui-ci aurait fait obstacle à la vente en exerçant abusivement son droit de préemption au seul motif qu’il ne souhaitait pas que des personnes d’origine maghrébine deviennent propriétaires du bien.

La cour d’appel de Grenoble a estimé qu’en raison de la consonance du nom des acheteurs, laissant supposer leur origine étrangère ou leur appartenance à l’islam, le maire avait commis une discrimination en refusant aux époux le droit d’acquérir la propriété d’un immeuble et de fixer librement le lieu de leur résidence.

Toutefois, la Cour de cassation a cassé cette décision, considérant que l’article 432-7 du code pénal, qui punit le délit de discrimination commis par des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public, ne pouvait s’appliquer à l’exercice du droit de préemption. Elle l’a fait également dans d'autres cas de préemption abusive.

La conclusion de la Cour, qui reconnaît que la volonté du maire d’évincer d’une vente de terrain des acquéreurs pour des raisons discriminatoires avait été démontrée, se base sur un principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

Nous considérons, au contraire, que l’intention du législateur était, à l’époque, de donner un champ d’application étendu à la répression des actes de discrimination manifeste commis par des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public. La référence à l’article 225-1 du code pénal en témoigne.

C’est précisément pour remédier au vide juridique ainsi mis en évidence par la Cour de cassation que le présent amendement tend à compléter l’article 432-7 du code pénal par un alinéa pénalisant de manière explicite l’exercice abusif du droit de préemption pour des motifs discriminatoires.

Par conséquent, c’est non le droit de préemption qui est ici remis en cause, mais son utilisation à des fins discriminatoires.

Un tel amendement avait déjà été présenté à l'occasion de l'examen en première lecture du projet de loi ALUR, pour l’accès au logement et pour un urbanisme rénové. Défendu par M. Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois, il avait été accepté par Mme Duflot, mais la commission des affaires économiques avait émis un avis défavorable et avait été suivie par le Sénat.

Nous avons réécrit cet amendement en suivant les indications de la Chancellerie.

Je vous invite à réfléchir, mes chers collègues, sur ce qui constitue l'une des dernières discriminations qui demeurent non punies par la loi. C’est ce que nous ont expliqué plusieurs juristes dans le cadre des travaux de la mission commune d’information que M. Lecerf et moi-même avons conduits. Nous devons absolument mettre un terme à cette situation.

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