Le « dissensus » entre les deux chambres est patent au regard du texte qu’a voté la commission des lois du Sénat et qui sera, je n’en doute pas, adopté de nouveau par le Sénat ce soir.
Soyons clairs, il est impossible d’interpréter le quatrième alinéa de l’article 46 sans faire référence au quatrième alinéa de l’article 24 : on constate que l’intention du constituant était clairement affirmée lorsqu’il a ajouté ce quatrième alinéa à l’article 46 de la Constitution. Il est évident que la rédaction de cet article visait à donner au Sénat un moyen de défense contre l’Assemblée nationale.
Une telle interprétation est corroborée tant par les déclarations faites en son temps par René Cassin que par le contenu du courrier adressé par le garde des sceaux Michel Debré au président du Conseil de la République Gaston Monnerville. Il lui indiquait que, parmi les dispositions qui rétablissaient l’autorité du Sénat dans la Ve République, figurait celle qui exige l’accord du Sénat pour les lois organiques le concernant.
Revenir sur ce principe, en fabriquant des textes prétendument applicables aux deux assemblées, c’est permettre inéluctablement à l’Assemblée nationale et au Gouvernement de supprimer toute disposition spécifique relative au Sénat et d’en faire une copie, un ersatz soumis, ce qui est d’ailleurs revendiqué publiquement par nombre de députés relayant un discours partisan bien connu.
Je souligne aussi que l’article 25 de la Constitution n’impose nullement un régime d’incompatibilités identique pour l’Assemblée nationale et le Sénat.
Notre excellent collègue Philippe Bas l’a justement rappelé, le projet de loi organique dont nous débattons modifie les règles relatives aux sénateurs par application d’une disposition organique relative au Sénat – l’article L.O. 297 du code électoral – et, pour modifier la partie de cette disposition organique relative au Sénat, il devrait être adopté en termes identiques par les deux assemblées.
Bien sûr, le moment où la nature de la loi organique relative au Sénat de certaines dispositions d’un projet de loi organique se décide, c’est lorsque la commission mixte paritaire est passée.
Ces derniers mois, nombre de constitutionnalistes, se rendant compte du danger que représente ce projet de loi pour l’équilibre de nos institutions – Pierre Avril, Olivier Beaud, Laurent Bouvet, Patrick Weil, Jean-Philippe Derosier et d’autres –, ont lancé des avertissements ; certains ont même écrit au Président de la République.
Mes chers collègues, le courage, c’est de ne pas transiger sur ses convictions : le texte du Gouvernement est contraire aux nôtres sur les institutions de la République, sur le bicamérisme, menaçant quant à l’existence de notre sensibilité politique profondément ancrée depuis l’origine dans le Sénat de la République, au sein duquel elle a mené tous les combats de la République, avec vous et, aujourd’hui, contre vous.
Monsieur le ministre, Gaston Monnerville répondant au Président de Gaulle en 1962, ici même, lui lançait : « Non, monsieur le Président de la République, vous n’avez pas le droit, vous le prenez ! »
Monsieur le ministre, nous ne sommes, vous et moi, ni l’un ni l’autre, encore que, pour vous, l’ambition respectable est présente et je vous souhaite de tout cœur de réussir. Mais la même phrase peut vous être adressée. Méditez-la !
C’est au nom de tout cela que, pour le Sénat et la République, mes chers collègues, je vous demande de tenir bon !