Interdire le cumul d’un mandat national avec une fonction exécutive locale, c’est, nous dit-on, aller dans le sens de l’histoire, celui de la démocratie radieuse, par la mobilisation des parlementaires sur leur tâche de législateur. C’est, en un mot, « vivifier la vie politique »… Ça, c’est la version pour enfants !
D’abord, si l’activité réelle des parlementaires était une préoccupation pour le Gouvernement, pourquoi, lors de la discussion de la loi sur la transparence de la vie publique, celui-ci s’est-il opposé à la publication régulière de cette activité par leurs assemblées, alors que la publication du patrimoine des parlementaires a été instaurée ? Ce qu’ils font est-il moins important que ce qu’ils possèdent ?
Ajoutons que ni les études connues ni l’observation ne permettent d’établir une corrélation entre l’activité d’un parlementaire et l’exercice de mandats locaux dès lors que leur nombre est limité.
Après la version pour enfants, voici celle pour adultes, nettement moins édifiante.
Outre une opération de communication laissant croire qu’on lave plus blanc, sans rien laver, ce texte vise d’abord à substituer des « parachutistes » aux « cumulards », en remplaçant des parlementaires élus grâce à leur assise locale personnelle par des parlementaires entièrement dépendants des partis auxquels ils appartiennent, dépendants de « firmes », pour reprendre une expression employée par certains, dont le caractère non démocratique du fonctionnement est un secret de polichinelle. Ne doutons pas que les rejoindront demain les mandataires de l’oligarchie de l’argent et des médias, comme l’Italie de Berlusconi nous en a donné l’avant-goût.
Il y a plus d’un siècle, Robert Michels, dans un texte célèbre, diagnostiquait déjà « la maladie oligarchique des partis démocratiques », avant de succomber lui-même à l’appel du chef. Sous la Ve République finissante, ces partis sont organisés en oligarchies tempérées par la lutte des clans qui les composent. L’élaboration de ce projet de loi est selon moi un épisode de cette lutte des clans pour le pouvoir.
Si l’on voulait vraiment soigner la maladie de langueur dont souffre notre système politique, on s’attacherait à rapprocher les citoyens de ceux qui les représentent plutôt que de les en éloigner. L’exemple des élections européennes, où les cumulards sont nettement moins nombreux parmi les candidats labélisés que les recalés du suffrage universel, est particulièrement édifiant, et nous n’avons encore pas tout vu. Est-ce donc le modèle pour demain ?
Si l’on voulait vraiment soigner la maladie de langueur dont souffre notre démocratie, on s’occuperait plutôt d’établir une véritable séparation des pouvoirs. Plutôt que d’augmenter la dépendance des parlementaires à l’égard de tous autres que leurs électeurs, on s’emploierait à la réduire.
La pratique constante des institutions, l’inversion du calendrier électoral voulue par Jacques Chirac et Lionel Jospin ont progressivement transformé notre « parlementarisme rationalisé » en un régime où Gouvernement et Parlement sont devenus de simples exécutants des volontés de l’Élysée, où se concentre le pouvoir. Dès lors, toute résistance aux vœux de l’exécutif est une atteinte au sens de l’histoire, sens de l’histoire dont le Président de le République désigne désormais la ligne d’horizon.
Les parlementaires consacreront plus de temps à faire la loi, nous dit-on. Mais que signifie aujourd’hui « faire la loi » ? À quelques exceptions près – et c’est précisément ces exceptions que l’on entend faire cesser –, il s’agit, pour la majorité, d’enregistrer, et, pour l’opposition, de faire passer de temps à autre un sous-amendement que le Gouvernement consent à accepter après trois heures de discussion, quand par extraordinaire il n’a pas été déclaré irrecevable !
Et parce que c’est au Sénat que les manifestations d’indépendance sont les plus nombreuses, c’est lui qui pâtira le plus de cette nouvelle « modernisation ».
Il y a bicamérisme parce qu’une des chambres, le Sénat, « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Aux termes du projet de loi, seront exclus du pouvoir de représentation des collectivités celles et ceux qui en connaissent le mieux les problèmes et le fonctionnement ! Toutes les arguties juridiques que l’on voudra avancer ne changeront rien à ce fait.
Le Sénat y perdra une part essentielle de son rôle, que l’on confiera – car le projet n’a été que temporairement abandonné – à un Haut Conseil des territoires consultatif, nettement plus conciliant. Plutôt que d’exécuter proprement le Sénat par voie référendaire, comme ce fut tenté dans le passé, on le videra donc de sa spécificité et de sa substance ; s’agissant des collectivités territoriales en particulier, il sera relégué au rôle de chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs, par un Haut Conseil des territoires disposant d’un pouvoir d’initiative.
À cela, à l’évidence, le prochain article est une réponse. C’est pourquoi nous le voterons !