Notre commission est pour la troisième fois saisie d'un projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances certaines mesures de simplification ou de modernisation du droit, ici consacré à la justice et aux affaires intérieures.
En procédant par textes successifs, le Gouvernement se conforme à la nouvelle méthode de simplification et de modernisation du droit à laquelle il s'est engagé : des projets de loi de taille limitée, consacrés à quelques domaines identifiés, qui combinent demandes d'habilitation et mesures directement applicables, et pour lesquels la procédure accélérée est systématiquement engagée. Cette méthode évite l'écueil des textes fourre-tout que notre commission a dénoncé par le passé.
Pour autant, une telle méthode de simplification du droit par ordonnances suscite des réserves légitimes de notre part. À cet égard, je me suis attaché à inscrire mes travaux dans le droit fil des principes que nous avons précédemment retenus.
Ainsi, je vous propose, sans remettre en cause la pertinence que peut avoir parfois la législation déléguée, de veiller à garantir le respect des prérogatives parlementaires en limitant les habilitations au strict nécessaire, privilégiant, à chaque fois, les solutions qui permettront un examen éclairé et public des dispositions envisagées.
Ainsi, certains amendements que je vous soumets suppriment des demandes d'habilitation qui n'ont pas lieu d'être ; d'autres les suppriment à titre conservatoire, dans l'attente de précisions complémentaires ; d'autres encore y substituent des dispositions directement applicables ; enfin, les derniers précisent le champ de l'habilitation de façon à déterminer la solution que le Gouvernement devra retenir.
Je tiens à souligner la qualité du dialogue noué avec le Gouvernement qui s'est montré attentif aux réserves que je lui opposais, et a veillé, autant que possible, à préciser ce qui pouvait l'être. J'ajoute - la situation étant suffisamment rare pour le souligner - que l'étude d'impact est exhaustive, claire et bien construite.
Sur le fond, ce projet de loi de seize articles aborde des sujets divers qui touchent à la fois :
- au droit civil, avec la protection juridique des majeurs et des mineurs, le droit des successions et des régimes matrimoniaux, le droit des obligations, le droit des biens ainsi que celui des procédures civiles d'exécution ;
- à l'organisation de la justice, avec la réforme envisagée du Tribunal des conflits, pour mettre fin à la présidence du garde des sceaux. Le Gouvernement m'a transmis un premier projet, très inspiré des travaux de grande qualité du groupe de travail présidé par M. Jean-Louis Gallet, qui me semble intéressant ;
- à la procédure pénale, avec la demande d'habilitation pour mettre en oeuvre la possibilité de procéder à des communications électroniques ;
- enfin, à des mesures diverses concernant l'administration de l'État et des collectivités territoriales.
À ce stade, je souhaiterais attirer votre attention sur deux questions.
La première a trait à l'article 3 et à la volonté du Gouvernement de réformer le droit civil des obligations et des contrats par voie d'ordonnance. Cette partie du code civil n'a pas bougé depuis 1804, une jurisprudence considérable s'est développée à partir d'elle, ce qui a pour conséquence, aujourd'hui, que, selon la formule du professeur Denis Mazeaud, « le droit des contrats n'est plus dans le code civil ». Ceci nuit à la lisibilité et à la prévisibilité de notre droit. En outre, il convient de moderniser certaines règles et prendre pied, par cette réforme, dans les réflexions en cours au niveau européen.
Je partage ces arguments, mais ils ne disent rien de la façon dont la réforme doit être conduite. Or, une réforme de cette importance ne saurait échapper à l'examen du Parlement. La règle a longtemps été de passer par la loi pour de telles réformes, à l'exception de celles du droit de la filiation et du droit des sûretés - cette dernière ayant été ratifiée par amendement dans un texte sur la Banque de France, ce que le président Hyest avait vigoureusement dénoncé à l'époque.
L'argument selon lequel une telle réforme serait trop technique pour le Parlement n'est pas recevable. Non seulement il est contredit par le travail que nous avons conduit sur le droit des successions en 2005 ou celui des prescriptions en 2008, mais il obère le fait que le présent projet pose de véritables questions politiques. Par exemple, quel équilibre trouver entre l'impératif de justice dans le contrat qui peut justifier une plus grande intervention du juge, ou une modification des termes du contrat, et celui qui s'attache à l'autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu'une partie reste tenue par ces engagements, même s'ils lui deviennent défavorables ? De même, quelle préférence donner à la survie du contrat pour en forcer l'exécution ou à la sortie facilitée du contrat par la sanction pécuniaire de l'inexécution ? Faut-il autoriser la résiliation unilatérale du contrat ? Quels moyens donner à l'exécution des obligations ?
Outre des arguments de principe, des considérations pratiques militent également pour rejeter la demande d'habilitation et privilégier la voie d'un projet de loi. En premier lieu, la perspective d'une ratification n'est pas une garantie suffisante puisqu'il n'est pratiquement pas possible au législateur de remettre en cause les grands équilibres du texte, l'ordonnance étant entrée en vigueur depuis sa publication, ce qui cantonne son examen à un ajustement limité. En second lieu, la voie de l'ordonnance n'est pas forcément plus rapide que celle d'un projet ou d'une proposition de loi, comme l'a montré l'examen en moins d'un an de la réforme du droit des successions. Enfin, le choix du Gouvernement de passer par ordonnance conduit à une incohérence : il exclut du champ de la réforme le droit de la responsabilité civile, qu'il entend soumettre au Parlement. Ce faisant, il se contraint à faire la réforme du droit des contrats, sans aborder celle de la responsabilité contractuelle : le projet est bancal. Cela est d'autant plus dommage que l'avant-projet communiqué par le Gouvernement est solide et pourrait faire l'objet d'une discussion parlementaire dans un avenir proche. Je vous proposerai donc de rejeter la demande d'habilitation sur ce point et d'appeler le Gouvernement à inscrire rapidement à notre ordre du jour la réforme envisagée.
Le second point sur lequel je souhaitais insister se rattache à l'article 11, relatif aux professions autorisées à donner des consultations juridiques et concerne la question de la pratique du démarchage en matière juridique. Celle-ci a fait l'objet d'un examen précipité dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, par un amendement tardif du Gouvernement en première lecture, qui n'a pas permis à notre commission, qui n'était pas saisie au fond du texte, d'en connaître.
Tout vient d'une décision de la Cour de justice de l'union européenne en date du 5 avril 2011, qui a déclaré contraires à la directive « Services » les interdictions absolues de démarchage en matière juridique. La rédaction proposée à l'initiative du Gouvernement est pour le moins maladroite puisqu'elle réserve aux seuls avocats la possibilité de réaliser des sollicitations personnalisées, interdisant ainsi aux autres professionnels du droit de procéder aux mêmes démarchages. Le dispositif adopté dans le projet de loi relatif à la consommation est donc bien constitutif d'une rupture caractérisée d'égalité entre les professions autorisées à pratiquer le droit. Le risque d'inconstitutionnalité est important, comme celui de contrariété avec le droit communautaire. Le dispositif soustrait par ailleurs les avocats à toute répression pénale, même en cas de démarchage abusif, en ne les soumettant plus qu'à leur discipline ordinale et il renvoie à un décret le soin de préciser l'encadrement nécessaire.
Or, il apparaît souhaitable, pour contenir les excès possibles, de n'autoriser que le démarchage par voie écrite, afin de permettre aux personnes sollicitées de se constituer aisément une preuve de la démarche effectuée par le professionnel. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement à l'article 11, destiné, d'une part, à nous ressaisir de la question, d'autre part, à remédier aux défauts que je vous ai présentés et, enfin, à ouvrir un débat public sur ces questions.