Madame la présidente, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par M. Jean-Claude Gaudin et les membres du groupe UMP qui est soumise à notre examen offre une solution souple et pragmatique pour sortir de l'ornière la réforme des rythmes scolaires.
Nous pouvons nous accorder sur la nécessité d'une réorganisation globale et concertée du temps scolaire. Cela ne nous oblige en rien à accepter n'importe quelle réforme, aussi bien intentionnée soit-elle. En l'espèce, la réforme promue par le ministre de l'éducation nationale pèche sur de nombreux points :
- l'absence de dispositif d'évaluation et de perspective concrète d'amélioration des résultats des élèves ;
- une méthode autoritaire fondée sur le règlement, la circulaire et des injonctions de l'administration aux élus ;
- des modalités pratiques de mise en oeuvre confuses et changeantes ;
- un manque d'information et de soutien aussi bien pour les maires que pour les familles ;
- un financement inadéquat.
C'est un cas d'école qui illustre parfaitement le mode de fonctionnement pyramidal et rigide du ministère de l'éducation nationale.
Le décret du 26 janvier 2013 impose un cadre unique qui s'applique de façon uniforme sur tout le territoire. Cependant, le texte est interprété de façon très diverse par les directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN) qui ne suivent pas toujours l'évolution des déclarations du Gouvernement. Sur le terrain, il n'est pas rare de voir certains DASEN ou inspecteurs de circonscription retenir des interprétations très restrictives des textes ou imposer des obligations supplémentaires, par exemple en termes de transmission anticipée des projets éducatifs.
Les maires n'appréhendent que très difficilement leurs marges de manoeuvre en ce qui concerne les possibilités de dérogation, le recours au samedi matin ou l'écriture des projets éducatifs territoriaux. Certains DASEN poussent à l'adoption d'un modèle d'organisation unique dans tout leur département.
De plus, les possibilités de recrutement d'animateurs, l'évolution du taux d'encadrement des activités périscolaires ou encore les contributions des caisses d'allocations familiales demeurent incertaines. Des réponses ambiguës voire contradictoires leur ont été adressées au fil du temps et selon les interlocuteurs. Le défaut d'articulation entre les services sociaux et l'éducation nationale n'a pas contribué à clarifier la situation.
C'est pourquoi peu de maires se sont engagés dès 2013. Pour l'année scolaire 2013-2014, 3 991 communes sur 23 000 environ disposant d'une école sont passées aux nouveaux rythmes. Cela représente 1,3 million d'élèves, soit 22,2 % de l'effectif total du secteur public. Seules 35 des 150 communes les plus importantes ont choisi d'appliquer la réforme dès 2013.
L'organisation des temps scolaires relève du caractère propre des établissements privés. 6 % seulement sont passés aux nouveaux rythmes cette année.
Les réticences de la plupart des maires à l'égard de la réforme ne viennent pas de leur prétendue indifférence au bien-être des élèves. Elles sonnent plutôt comme une protestation contre le refus du ministère de les traiter comme des partenaires éducatifs responsables et autonomes. Surtout, elles reflètent d'importantes difficultés matérielles et financières qui attendent une réponse.
D'après l'enquête réalisée à l'automne 2013 par l'Association des maires de France (AMF), 77 % des communes passées aux nouveaux rythmes s'inquiètent du financement de la réforme. C'est une des faiblesses structurelles essentielles de la réforme. Son financement est à la fois insuffisant, incertain et éphémère.
La loi de refondation de l'école de la République a institué un fonds d'amorçage en faveur des communes mettant en oeuvre la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2013.
Trois questions au moins se posent sur les aides d'amorçage : le mode de calcul de leur montant, le bouclage de leur financement jusqu'en 2015, leur pérennisation à long terme.
Le montant des aides n'a fait l'objet d'aucune estimation préalable du coût prévisionnel des activités périscolaires complémentaires. Il n'a fait l'objet d'aucune enquête d'intention auprès des maires. Il ne tient pas compte du coût du transport scolaire. Le montant des aides a été calculé par répartition d'une enveloppe globale fixée à l'avance et ne reposant sur aucune justification. C'est pourquoi les aides sont forfaitaires et ne constituent pas une compensation des surcoûts supportés par les communes.
Dès lors, il n'est pas surprenant de constater dans de nombreuses communes des coûts de mise en oeuvre dépassant largement le montant maximal des aides octroyées par le fonds d'amorçage et par les caisses d'allocations familiales (CAF). D'après l'AMF, le surcoût dû à l'organisation des trois heures périscolaires est supérieur à 200 euros par élève pour 25 % des communes. Encore s'agit-il de communes volontaires pour passer à la semaine de 4 jours et demi dès 2013. Les communes qui construisent leur projet d'organisation pour 2014 sont confrontées à des estimations encore plus défavorables.
Malgré un sous-dimensionnement du fonds qui ne permet pas une compensation adéquate pour les communes, le financement de la réforme demeure incertain. Pour 2014, 102,7 millions d'euros ont été inscrits dans la loi de finances, dont 62 millions d'euros proviennent de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Cette contribution exceptionnelle de la CNAF, qui n'avait été aucunement prévue à l'origine, s'ajoute aux aides qu'elle verse directement aux communes pour soutenir l'accueil périscolaire. Il ne s'agit en rien d'un financement pérenne du fonds d'amorçage qui a vocation à être supporté par l'État.
Pour 2015, le financement est entièrement ouvert. Il faudra trouver 286 millions d'euros pour cette seule année, alors même que le budget de l'éducation nationale qui absorbe déjà de nombreuses créations de postes d'enseignants ne pourra y suffire.
Si la réforme est maintenue en l'état, ce problème de financement deviendra d'autant plus pressant que les aides seront définitivement pérennisées au-delà 2015. C'est ce que demande légitimement l'AMF, puisque les coûts de la réforme ne sont pas transitoires mais représentent au contraire des charges permanentes.
Sans pérennisation des aides, les communes devront donc trouver des ressources nouvelles après 2015 pour maintenir la qualité des activités périscolaires. Elles seront alors confrontées à un dilemme : soit demander une contribution financière aux parents, soit augmenter la fiscalité locale.
Devant ce mélange d'impréparation et d'autoritarisme et considérant les difficultés matérielles d'organisation et l'absence d'un financement suffisant et crédible, il est temps de sortir de l'ornière en faisant confiance aux élus de terrain et en leur donnant la liberté d'organiser le temps scolaire.
Pour apporter rapidement une réponse souple aux difficultés des communes, il faut remettre à plat la réforme dans son principe. Il est temps de passer de la contrainte au libre choix, de la circulaire au contrat, de l'injonction au dialogue, du cloisonnement au partenariat.
La proposition de loi renforce les pouvoirs du maire, qui sont aujourd'hui purement dérogatoires aux décisions d'organisation de la journée et de la semaine scolaire prises par le DASEN. À cette fin, elle complète l'article L. 521-3 du code de l'éducation pour donner aux maires la liberté d'organiser le temps scolaire des écoles maternelles et élémentaires publiques.
Des limites au pouvoir du maire sont posées afin de garantir le respect des programmes scolaires et du calendrier scolaire annuel fixé par le ministre de l'éducation nationale. Ces garde-fous sont nécessaires pour maintenir un cadre pédagogique commun à toutes les écoles.
La proposition de loi prévoit également une consultation préalable des conseils d'écoles, des professeurs des écoles, des représentants des parents d'élèves, du DASEN et des inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) concernés. Il s'agit ainsi d'impulser un changement de méthode : il faut privilégier les coopérations horizontales entre tous les acteurs et l'adaptation la plus fine aux circonstances locales.
Enfin, la proposition de loi pose le principe d'une compensation intégrale par l'État des charges imposées aux communes par toute modification des rythmes scolaires par voie réglementaire.
On pourrait objecter que cette initiative parlementaire intervient trop tôt et qu'il vaut mieux attendre les conclusions et les recommandations de la mission commune d'information du Sénat sur ce sujet. Je pense au contraire que la proposition de loi est déposée juste à temps pour trouver une issue au blocage de la réforme.
Même si elle n'a pas achevé ses travaux, la mission a commencé à travailler dès le mois de novembre. Les auditions se sont succédé à un rythme rapide : l'association des maires de France (AMF), la direction générale de l'enseignement scolaire, la direction des affaires financières, les inspections générales, le pédopsychiatre Marcel Rufo, la présidente du comité de suivi de la réforme, la CNAF, l'Union nationale des associations familiales, les représentants des parents d'élèves et plusieurs syndicats d'enseignants ont d'ores et déjà été auditionnés.
Je veux saluer ici la présidente Mme Catherine Troendle et la rapporteure Mme Françoise Cartron pour leur travail sérieux et mené dans la plus grande transparence. Grâce à leur efficacité et à leur diligence, nous disposons d'ores et déjà d'une excellente vision des difficultés qui se posent dans l'organisation matérielle et le financement de la réforme.
Il n'est pas possible de tarder davantage en raison des contraintes cumulées des calendriers du Parlement, de l'école et des collectivités. Compte tenu des délais de la procédure parlementaire et des élections municipales à venir, si nous voulons faire oeuvre utile pour la rentrée 2014, nous devons débattre maintenant.
C'est pourquoi je suis favorable à l'adoption de la présente proposition de loi.