Intervention de Évelyne Didier

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 14 janvier 2014 : 1ère réunion
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et affectation des dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transports — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier, rapporteure :

Cette courte proposition de loi, déposée le 25 octobre 2011 par notre collègue Mireille Schurch et les membres du groupe CRC, prévoit la nationalisation des sociétés concessionnaires des autoroutes françaises. Ce texte répond à un objectif clair : revenir sur l'erreur - que dis-je, la faute - de 2005, lorsque l'État a cédé ses participations dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Notre proposition vise également à inscrire la politique des transports sur le long terme.

Afin de financer les grands projets d'infrastructures ferroviaires, fluviales, maritimes et routières, et après la réunion du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (Ciadt) du 18 décembre 2003, le gouvernement a créé par décret l'Afitf, en 2004. L'agence devait bénéficier de deux ressources pérennes : la redevance domaniale due par toutes les sociétés d'autoroutes et les dividendes perçus par l'État et par son établissement public Autoroutes de France, au titre de ses participations dans trois groupes de sociétés d'économie mixte (SEM) concessionnaires d'autoroutes : Autoroutes du Sud de la France (ASF), Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (Sanef).

Les crédits consacrés aux infrastructures de transports étaient donc versés à l'Afitf, ce qui assurait la transparence de l'action publique et favorisait le report modal. Les dividendes perçus par l'État au titre de ses participations dans les sociétés d'autoroutes constituaient la principale source de financement. Leur montant, de 332 millions en 2005, était promis à un fort dynamisme - ce n'est en effet qu'une fois les investissements amortis qu'une société concessionnaire dégage des marges.

En juin 2005, à peine plus de six mois après la création de l'Afitf, le Premier ministre Dominique de Villepin a annoncé la cession des participations de l'État dans ces sociétés concessionnaires : la mesure devait leur donner plus de souplesse pour renforcer leur efficacité face à la concurrence et diversifier leur activité. Le produit des cessions a servi à réduire la dette plus qu'à financer les infrastructures de transports : sur les 14,8 milliards issus de la cession, seuls 4 milliards ont été attribués à l'Afitf.

Dans cette affaire, la faute du gouvernement a été triple. Premièrement, l'État s'est privé d'une manne importante pour financer les infrastructures de transports, environ 37 milliards d'ici à 2032, date d'échéance médiane des concessions autoroutières, soit 1 à 2 milliards par an. Les services de Bercy n'ont pas pu - ou pas voulu - nous fournir le chiffre exact, qui dépend, certes, des résultats financiers des entreprises, de leur structure financière et de la politique de distribution retenue par les actionnaires. Mais l'analyse des résultats de ces sociétés montre qu'elles ont enregistré des gains importants. Ainsi, de 2006 à 2012, le résultat net d'ASF a augmenté de 15 %, celui de la Sanef de 8 % et celui d'APRR de 50 %. La décision de 2005 a été d'une incroyable inconséquence. Et le Parlement n'a pas été consulté.

Deuxièmement, la Cour des comptes a relevé en 2008 que l'État avait fait appel à une seule banque conseil pour les trois opérations d'ouverture de capital, se privant ainsi de plusieurs avis. Elle a également dénoncé un taux d'actualisation « excessivement élevé » qui a interdit à l'État de valoriser la durée des concessions et de tirer le bénéfice maximal de la privatisation.

Troisièmement, l'État n'a rien fait pour éviter l'émergence d'une rente tarifaire et pour protéger les intérêts du consommateur après la cession. Le rapport de la Cour des comptes, intitulé Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, formule des critiques sur ce point : alors que la hausse du tarif des péages est en théorie encadrée et limitée, certains contrats entre les sociétés d'autoroutes et l'État ont autorisé des hausses tarifaires dont la justification n'est pas toujours claire et qui sont en général supérieures à l'inflation, alors qu'elles ne devaient pas dépasser 70 % de cette dernière. Pour les véhicules légers, la progression des tarifs a ainsi dépassé 2,2 % par an chez ASF et 1,8 % chez APRR, tandis que l'indice des prix progressait de 1,6 %. Cela ne peut continuer. D'autant que le gouvernement est en train de négocier avec les sociétés autoroutières un plan de relance autoroutier qui pourrait encore allonger la durée des concessions. Nous ne pouvons accepter ce qui s'apparente à du chantage ! Tout ceci démontre une porosité préoccupante entre les lobbies autoroutiers et les gouvernements successifs. À croire que ces derniers ont été constamment très mal conseillés.

C'est pourquoi, à l'article 1er, nous proposons de nationaliser l'ensemble des sociétés concessionnaires d'autoroutes, les trois mentionnées précédemment, mais également les neuf autres. L'article 2 précise que cette nationalisation prend effet un an après la promulgation de la loi. Les charges correspondantes sont compensées par le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés : c'est l'objet de l'article 3.

Les investissements de l'État doivent être résolument tournés vers le long terme, notamment dans le domaine des infrastructures de transports. Avec la suspension de l'écotaxe poids lourds, l'Afitf se trouve dans une situation extrêmement préoccupante. Or, nous attendons, pour nos territoires, la réalisation de projets décidés depuis parfois fort longtemps. Notre proposition de loi aborde cette question de façon novatrice et je suis persuadée que, sur son principe au moins, elle recueillera l'approbation de nombre d'entre vous. La transition énergétique figurant parmi les priorités du gouvernement, nous devons la concrétiser.

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