Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 20 janvier 2014 à 16h00
Géolocalisation — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Nous sommes ici dans le cadre judiciaire, en présence soit d’une enquête préliminaire – donc menée par le procureur, qui dispose d'ailleurs de quinze jours supplémentaires pour les enquêtes préliminaires prolongées –, soit d’une instruction. Dans ce cas, il paraît normal que les forces de police et de gendarmerie emploient les moyens techniques qui sont à leur disposition, moyens dont usent et abusent celles et ceux qui sont recherchés ou mis en examen. Comme nous le savons, les truands utilisent aujourd'hui ce genre de moyens.

Ce texte ne peut donc absolument pas être comparé à l’article 20 de la loi de programmation militaire, qui a fait l’objet de grands débats. Au demeurant, cet article représente un progrès, et cela grâce au Sénat, en particulier grâce à Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, par rapport à l’article 13 auquel il s’est substitué. D’une certaine manière, ce fameux article 20 est plus « liberticide » que le texte qui nous occupe puisqu’il concerne des services de renseignement, intérieur et extérieur, dont on peut penser qu’ils sont utiles mais sur lesquels on est en droit de nourrir quelques interrogations, et qui usent de ces moyens pour combattre le terrorisme, les grands trafics de drogue, etc.

Nous sommes donc ici dans le cadre judiciaire. Dans ce cadre-là, on peut recourir à ces techniques pour rechercher soit des personnes suspectées, mises en examen, soit des personnes disparues, mineures ou majeures protégées, et cela dans l’intérêt de la société et de la justice.

Pourquoi un tel texte ? J’avoue que je suis, pour ma part, quelque peu dubitatif. Toutefois, si on nous le présente, c’est qu’il doit être nécessaire.

Actuellement, l’article 41 du code de procédure pénale, en ce qui concerne le parquet, et l’article 81 du même code, en ce qui concerne le juge d’instruction, prévoient un certain nombre de dispositions générales.

Faudra-t-il donc une loi supplémentaire chaque fois qu’un nouveau moyen d’investigation se présentera ? Je vous invite à relire les articles du code de procédure pénale que je viens de citer : ils permettent au parquet, dans le cadre de l’enquête préliminaire, et au juge d’instruction de procéder à tous les actes d’investigation nécessaires à la manifestation de la vérité, y compris donc celui-là.

Il reste que deux personnes mises en examen ont déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rendu une décision modérée, je peux l’affirmer pour suivre attentivement sa jurisprudence en tant que membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Elle indique que le procédé de géolocalisation ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la convention européenne, à condition que la mesure soit subordonnée au respect de certaines conditions, qu’elle soit limitée à des circonstances particulières, qu’elle ne soit employée que lorsque d’autres techniques ne sont plus opérantes. Mais elle s’arrête là !

Cela a conduit deux personnes mises en examen en France à saisir la Cour de cassation, laquelle a rendu, le 22 octobre 2013, deux arrêts semblables. Or la Cour de cassation est allée, dans ces deux arrêts, beaucoup plus loin que la CEDH.

J’entends ici ou là des magistrats de tous grades et de tous horizons bêler qu’il faut garantir l’unité de la magistrature. Très bien ! Je suis moi-même très partagé sur ce point, mais disons que je suis favorable à l’unité de la magistrature. Il est bien évident que tous les magistrats, qui passent par la même école et suivent le même recrutement, sont égaux. Qu’ils soient magistrats du siège ou magistrats du parquet, ce sont des magistrats !

Malheureusement, pour des raisons qui m’échappent – mais, pour dire le vrai, je ne les subodore que trop ! –, la chambre criminelle de la Cour de cassation n’a pas suivi les réquisitions du ministère public. Elle a même cru bon d’en rajouter par rapport à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, au point d’écrire en toutes lettres : « Les membres du parquet ne sont pas des juges. » Ce faisant, elle a joué sur l’ambiguïté des termes et les traductions des arrêts de la CEDH. Celle-ci n’évoque jamais que les « magistrats et, pour elle, les magistrats sont des juges.

En France, les magistrats du parquet bénéficient d’un statut spécifique, et nous y tenons. Nous avons tenté de faire adopter un projet de loi constitutionnelle visant à garantir davantage encore leur indépendance par rapport au pouvoir politique ; nous allons peut-être y revenir. Même s’il est possible de passer du parquet au siège et du siège au parquet, la Cour de cassation a jugé que les membres du parquet n’étaient pas des juges, invalidant par là même le recours à la géolocalisation.

Ces deux arrêts ont provoqué, je dois le dire, une espèce de sidération parmi les membres du parquet que j’ai rencontrés au cours des audiences solennelles auxquelles j’ai été invité – pas à Paris, car c’est réservé à des personnes plus haut placées que moi, mais en province !

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