Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 21 janvier 2014 à 14h30
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la Haute Assemblée est aujourd’hui amenée à examiner la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre, avec les membres du groupe socialiste, afin d’apporter plusieurs modifications à la loi du 30 octobre 2007, qui a institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Je tiens à souligner que l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de la discussion de cette proposition de loi est une nouvelle marque de l’attention particulière que notre assemblée accorde à la situation des personnes privées de liberté et, en particulier, de notre attachement à l’existence d’une autorité de contrôle indépendante chargée de veiller au respect des droits fondamentaux de ces personnes.

Dès avril 2001, le Sénat avait d’ailleurs adopté une proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Hyest visant notamment à instaurer un contrôle général des prisons.

La loi du 30 octobre 2007 a également été l’occasion de nous conformer au Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 18 décembre 2002, ratifié par la France le 28 juillet 2008.

Aux termes de la loi du 30 octobre 2007, voulue plus large que ce que prévoient les engagements internationaux de la France, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour mission de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux », mission que l’actuel et premier titulaire de la fonction, M. Jean-Marie Delarue, a incarnée excellemment.

Le législateur a choisi d’étendre la compétence de ce dernier, au-delà des établissements pénitentiaires, à tous les lieux susceptibles d’accueillir des personnes privées de liberté par décision d’une autorité publique – locaux de garde à vue, zones d’attente et centres de rétention administrative, dépôts des palais de justice –, ainsi qu’aux établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement.

Le Contrôleur général a su pleinement se saisir de toutes les prérogatives dont il a été investi par la loi. Depuis 2008, il a su démontrer son efficacité à travers un bilan remarquable, avec plus de 800 établissements visités, conformément à l’engagement pris par lui au début de son mandat d’effectuer 150 visites par an. D’ici à l’été 2014, la quasi-totalité des établissements pénitentiaires aura été visitée.

Il faut également souligner que, malgré des moyens budgétaires modestes, le contrôle s’est exercé à plusieurs reprises dans des départements et collectivités d’outre-mer, où certains établissements fonctionnent dans des conditions fortement dégradées.

S’agissant des saisines, M. Jean-Marie Delarue a pris la décision, dans le silence de la loi, de répondre à tout courrier qui lui était adressé et, le cas échéant, d’envisager les suites à leur donner en effectuant des enquêtes et en confiant à des collaborateurs le soin d’aller vérifier sur place la réalité des faits. Ces saisines représentent depuis 2012 environ 4 000 courriers par an.

Enfin, le Contrôleur général a pleinement fait usage de la faculté de publier des avis ou des recommandations sur des problématiques particulières. Par la publicité donnée à ses prises de position, il a contribué à porter dans le débat public des questions qui n’étaient quasiment jamais évoquées auparavant.

En outre, son expertise nous a souvent été utile, à nous législateur, lorsque nous avons eu à nous prononcer sur des sujets importants, comme la réforme de la garde à vue, par exemple.

Je tiens ici à rendre véritablement hommage à M. Jean-Marie Delarue, dont l’action a permis d’asseoir la légitimité de l’institution, car il a su allier une intransigeance sur les principes avec un souci permanent du dialogue, de l’écoute des responsables et des personnels exerçant dans les lieux de privation de liberté et une exigence de rigueur imposée à ses équipes.

Lors de l’examen de la loi du 30 octobre 2007, notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur au nom de la commission des lois, avait estimé que la première personnalité appelée à exercer les fonctions de Contrôleur général « devrait réunir la compétence et l’expérience nécessaires pour bénéficier d’un crédit incontestable auprès de l’opinion publique tout en suscitant la confiance des administrations et des personnels responsables des lieux soumis à son contrôle ».

Nous nous accorderons, j’en suis sûre, à reconnaître que M. Jean-Marie Delarue a su parfaitement répondre à cette exigence, en donnant toute sa portée à la loi de 2007 et en mettant en place, dans le silence du texte, des pratiques conformes à une conception exigeante et ambitieuse de sa mission.

Avec l’achèvement du mandat de M. Jean-Marie Delarue, qui arrivera à son terme en juin prochain et n’est pas renouvelable, se pose la question des perspectives d’avenir pour cette institution.

En 2011, lors de l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, le Sénat s’était opposé à l’absorption par ce dernier du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de ce texte, avait notamment fait valoir que les missions de ces deux autorités étaient différentes, mais aussi que, en tout état de cause, il convenait de dresser le bilan de l’action du Contrôleur général avant d’examiner toute éventuelle évolution institutionnelle de ce dernier.

L’examen de cette proposition de loi est l’occasion de réaffirmer l’attachement du Sénat à l’existence d’une autorité autonome chargée du contrôle des lieux de privation de liberté. En pratique, d’ailleurs, les missions de l’un et de l’autre sont complémentaires : s’il appartient au Défenseur des droits de rechercher des solutions à des litiges particuliers, le Contrôleur général a, lui, une mission de contrôle et de prévention. Par ses avis et ses recommandations, il contribue à accompagner les différentes administrations dans l’évolution de leurs pratiques.

Le Défenseur des droits, dans le bilan qu’il fait de l’action entre 2000 et 2013 auprès des personnes détenues, insiste lui-même sur cette complémentarité des rôles. J’estime, pour ma part, que le Contrôleur général a fait la preuve de son utilité et je souhaite que son autonomie soit préservée. C’est, du reste, la position qui a été partagée par de nombreux collègues lors de l’examen de ce texte en commission des lois, mercredi dernier.

Au terme de près de cinq ans et demi d’activité, l’expérience démontre qu’il est néanmoins nécessaire d’apporter des amendements à la loi initiale pour conforter la place et le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans le domaine de la défense des libertés publiques.

Tel est l’objet de cette proposition de loi qui, bien loin d’être une initiative isolée, doit être perçue comme s’inscrivant dans la dynamique globale engagée par la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, pour repenser la justice du XXIe siècle, dont le fonctionnement devra être simplifié et amélioré, en veillant toujours à placer le citoyen au cœur du service public de la justice.

Nous ne devons jamais oublier que les personnes privées de liberté pour payer leur dette à la société demeurent des citoyens à part entière et ne sont pas des sous-citoyens. Une privation de liberté respectueuse des droits fondamentaux des personnes est sans doute l’une des conditions pour que la détention conduise à la réinsertion et pour qu’elle contribue à la prévention de la récidive.

Le respect des droits fondamentaux s’impose évidemment de la même manière et avec autant de force pour les étrangers en situation irrégulière et les malades mentaux internés.

Si l’esprit qui a présidé à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et à l’élaboration de la présente proposition de loi a été de garantir la situation des personnes privées de liberté, il ne faut pas, pour autant, que ce texte soit perçu ou subi comme un acte de défiance à l’égard des personnels des administrations concernées.

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