Séance en hémicycle du 21 janvier 2014 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion de la proposition de loi modifiant la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, présentée par Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 210, texte de la commission n° 287, rapport n° 286).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la Haute Assemblée est aujourd’hui amenée à examiner la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre, avec les membres du groupe socialiste, afin d’apporter plusieurs modifications à la loi du 30 octobre 2007, qui a institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Je tiens à souligner que l’inscription à l’ordre du jour du Sénat de la discussion de cette proposition de loi est une nouvelle marque de l’attention particulière que notre assemblée accorde à la situation des personnes privées de liberté et, en particulier, de notre attachement à l’existence d’une autorité de contrôle indépendante chargée de veiller au respect des droits fondamentaux de ces personnes.

Dès avril 2001, le Sénat avait d’ailleurs adopté une proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Hyest visant notamment à instaurer un contrôle général des prisons.

La loi du 30 octobre 2007 a également été l’occasion de nous conformer au Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 18 décembre 2002, ratifié par la France le 28 juillet 2008.

Aux termes de la loi du 30 octobre 2007, voulue plus large que ce que prévoient les engagements internationaux de la France, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour mission de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux », mission que l’actuel et premier titulaire de la fonction, M. Jean-Marie Delarue, a incarnée excellemment.

Le législateur a choisi d’étendre la compétence de ce dernier, au-delà des établissements pénitentiaires, à tous les lieux susceptibles d’accueillir des personnes privées de liberté par décision d’une autorité publique – locaux de garde à vue, zones d’attente et centres de rétention administrative, dépôts des palais de justice –, ainsi qu’aux établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement.

Le Contrôleur général a su pleinement se saisir de toutes les prérogatives dont il a été investi par la loi. Depuis 2008, il a su démontrer son efficacité à travers un bilan remarquable, avec plus de 800 établissements visités, conformément à l’engagement pris par lui au début de son mandat d’effectuer 150 visites par an. D’ici à l’été 2014, la quasi-totalité des établissements pénitentiaires aura été visitée.

Il faut également souligner que, malgré des moyens budgétaires modestes, le contrôle s’est exercé à plusieurs reprises dans des départements et collectivités d’outre-mer, où certains établissements fonctionnent dans des conditions fortement dégradées.

S’agissant des saisines, M. Jean-Marie Delarue a pris la décision, dans le silence de la loi, de répondre à tout courrier qui lui était adressé et, le cas échéant, d’envisager les suites à leur donner en effectuant des enquêtes et en confiant à des collaborateurs le soin d’aller vérifier sur place la réalité des faits. Ces saisines représentent depuis 2012 environ 4 000 courriers par an.

Enfin, le Contrôleur général a pleinement fait usage de la faculté de publier des avis ou des recommandations sur des problématiques particulières. Par la publicité donnée à ses prises de position, il a contribué à porter dans le débat public des questions qui n’étaient quasiment jamais évoquées auparavant.

En outre, son expertise nous a souvent été utile, à nous législateur, lorsque nous avons eu à nous prononcer sur des sujets importants, comme la réforme de la garde à vue, par exemple.

Je tiens ici à rendre véritablement hommage à M. Jean-Marie Delarue, dont l’action a permis d’asseoir la légitimité de l’institution, car il a su allier une intransigeance sur les principes avec un souci permanent du dialogue, de l’écoute des responsables et des personnels exerçant dans les lieux de privation de liberté et une exigence de rigueur imposée à ses équipes.

Lors de l’examen de la loi du 30 octobre 2007, notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur au nom de la commission des lois, avait estimé que la première personnalité appelée à exercer les fonctions de Contrôleur général « devrait réunir la compétence et l’expérience nécessaires pour bénéficier d’un crédit incontestable auprès de l’opinion publique tout en suscitant la confiance des administrations et des personnels responsables des lieux soumis à son contrôle ».

Nous nous accorderons, j’en suis sûre, à reconnaître que M. Jean-Marie Delarue a su parfaitement répondre à cette exigence, en donnant toute sa portée à la loi de 2007 et en mettant en place, dans le silence du texte, des pratiques conformes à une conception exigeante et ambitieuse de sa mission.

Avec l’achèvement du mandat de M. Jean-Marie Delarue, qui arrivera à son terme en juin prochain et n’est pas renouvelable, se pose la question des perspectives d’avenir pour cette institution.

En 2011, lors de l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, le Sénat s’était opposé à l’absorption par ce dernier du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de ce texte, avait notamment fait valoir que les missions de ces deux autorités étaient différentes, mais aussi que, en tout état de cause, il convenait de dresser le bilan de l’action du Contrôleur général avant d’examiner toute éventuelle évolution institutionnelle de ce dernier.

L’examen de cette proposition de loi est l’occasion de réaffirmer l’attachement du Sénat à l’existence d’une autorité autonome chargée du contrôle des lieux de privation de liberté. En pratique, d’ailleurs, les missions de l’un et de l’autre sont complémentaires : s’il appartient au Défenseur des droits de rechercher des solutions à des litiges particuliers, le Contrôleur général a, lui, une mission de contrôle et de prévention. Par ses avis et ses recommandations, il contribue à accompagner les différentes administrations dans l’évolution de leurs pratiques.

Le Défenseur des droits, dans le bilan qu’il fait de l’action entre 2000 et 2013 auprès des personnes détenues, insiste lui-même sur cette complémentarité des rôles. J’estime, pour ma part, que le Contrôleur général a fait la preuve de son utilité et je souhaite que son autonomie soit préservée. C’est, du reste, la position qui a été partagée par de nombreux collègues lors de l’examen de ce texte en commission des lois, mercredi dernier.

Au terme de près de cinq ans et demi d’activité, l’expérience démontre qu’il est néanmoins nécessaire d’apporter des amendements à la loi initiale pour conforter la place et le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans le domaine de la défense des libertés publiques.

Tel est l’objet de cette proposition de loi qui, bien loin d’être une initiative isolée, doit être perçue comme s’inscrivant dans la dynamique globale engagée par la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, pour repenser la justice du XXIe siècle, dont le fonctionnement devra être simplifié et amélioré, en veillant toujours à placer le citoyen au cœur du service public de la justice.

Nous ne devons jamais oublier que les personnes privées de liberté pour payer leur dette à la société demeurent des citoyens à part entière et ne sont pas des sous-citoyens. Une privation de liberté respectueuse des droits fondamentaux des personnes est sans doute l’une des conditions pour que la détention conduise à la réinsertion et pour qu’elle contribue à la prévention de la récidive.

Le respect des droits fondamentaux s’impose évidemment de la même manière et avec autant de force pour les étrangers en situation irrégulière et les malades mentaux internés.

Si l’esprit qui a présidé à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et à l’élaboration de la présente proposition de loi a été de garantir la situation des personnes privées de liberté, il ne faut pas, pour autant, que ce texte soit perçu ou subi comme un acte de défiance à l’égard des personnels des administrations concernées.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

J’ai, lors des auditions, entendu notamment les représentants des directeurs et des personnels de l’administration pénitentiaire, qui ont exprimé une grande sensibilité devant certaines prises de position du Contrôleur général, certains d’entre eux ressentant les critiques formulées sur le fonctionnement d’un établissement comme une remise en cause de leur travail.

Ce sentiment d’amertume ne doit pas être négligé, car tous les personnels chargés d’assurer le fonctionnement de ces lieux ont – je l’ai souligné devant la commission des lois – une tâche très difficile et, souvent, des moyens encore insuffisants. Or le fonctionnement de ces établissements repose avant tout sur les personnels, dont une grande majorité s’acquitte de ses fonctions avec conscience professionnelle et probité.

La mission et la préoccupation premières du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sont de faire progresser le fonctionnement des lieux, de tous les lieux de privation de liberté, en repérant les lacunes, les défauts, les éventuels manquements, et en proposant des solutions. Il n’y a assurément aucune volonté de stigmatisation de telle ou telle profession, mais plutôt le souci d’accompagner l’amélioration constante de son exercice.

J’en viens à la proposition de loi. Celle-ci s’appuie sur le premier bilan du Contrôleur général et tire les conséquences d’un certain nombre de pratiques, de difficultés ou de résistances rencontrées au cours des cinq années écoulées.

En premier lieu, le texte comporte diverses mesures destinées à protéger les interlocuteurs du Contrôleur général. Jean-Marie Delarue a souvent eu l’occasion de souligner la qualité du dialogue instauré avec les responsables des lieux de privation de liberté et, dans la grande majorité des situations, ses équipes ont pu accéder aux documents dont ils avaient besoin pour l’exercice du contrôle.

Des difficultés ponctuelles se sont toutefois présentées, notamment à l’occasion d’enquêtes portant sur des faits précis ; M. Delarue a en particulier cité la difficulté à accéder parfois à des images de vidéosurveillance, par exemple.

Surtout, le principal obstacle à la mission du Contrôleur général réside aujourd’hui dans les pressions et risques de « représailles » dont font l’objet, dans certains établissements, celles et ceux qui s’adressent à ce dernier ou acceptent de s’entretenir avec ses équipes. Cela peut concerner non seulement des personnes privées de liberté, mais également des personnels travaillant dans ces lieux. De tels comportements relèvent vraisemblablement d’initiatives individuelles, qui sont ignorées des responsables d’établissement ou des représentants des personnels que j’ai entendus. Ces comportements n’en sont pas moins avérés et inacceptables.

La proposition de loi introduit plusieurs dispositions destinées à protéger de telles mesures de rétorsion toute personne entrant en relation avec le Contrôleur général. Elle crée également un délit d’entrave à l’action du Contrôleur général, sur le modèle de ce qui existe pour d’autres autorités indépendantes comme le Défenseur des droits ou la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, notamment.

Enfin, la proposition de loi renforce, sous peine de sanctions pénales, les dispositions de la loi pénitentiaire sur le secret des correspondances entre les personnes détenues et le Contrôleur général.

En deuxième lieu, la proposition de loi vise à permettre au Contrôleur général d’accéder à un nombre plus important d’informations.

M. Delarue a maintes fois souligné l’importance, pour l’efficacité de sa mission, du nombre et de la qualité des informations mises à sa disposition. Dans les faits, le Contrôleur général continue à se voir opposer un certain nombre de restrictions, légales ou pratiques, en particulier lorsque ses enquêtes portent sur des faits précis.

Plusieurs dispositions visent à remédier à ces difficultés.

Tout d’abord, la proposition de loi lève, de façon encadrée, l’interdiction faite jusqu’à présent au Contrôleur général d’accéder à des informations couvertes par le secret médical. En pratique, cette interdiction limite la portée de son contrôle, par exemple lorsque les faits dont il est saisi ont trait à des allégations de mauvais traitements ou à l’abus de mesures de contention en hôpital psychiatrique.

Prenant modèle sur les dispositions applicables au Défenseur des droits, la proposition de loi prévoit d’autoriser le Contrôleur général à accéder à des informations couvertes par le secret médical à la demande expresse de la personne concernée. Ce consentement ne serait toutefois pas nécessaire lorsque les faits concernent des sévices commis sur un mineur ou sur une personne incapable de se protéger.

S’agissant du contrôle des locaux de garde à vue, la proposition de loi prévoit expressément la possibilité, pour le Contrôleur général, de prendre connaissance des procès-verbaux de déroulement de garde à vue.

Enfin, la proposition de loi ouvre la possibilité au Contrôleur général de faire face aux résistances rencontrées, en mettant en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai qu’il fixera.

En dernier lieu, la proposition de loi tend à la clarification du cadre légal de l’action du Contrôleur général.

La procédure applicable aux enquêtes est précisée, afin de lever tout risque d’ambiguïté. Les ministres devront également, désormais, répondre systématiquement aux observations du Contrôleur général, dans un délai déterminé. Celui-ci devra être informé des suites données à ses démarches auprès du procureur de la République ou de l’autorité chargée du pouvoir disciplinaire. Enfin, ses avis seront systématiquement publiés, ce qui consacre dans la loi la pratique mise en place depuis 2008.

À la suite d’interrogations qui ont été formulées en commission, je précise que cette publicité systématique s’appliquera aux avis, recommandations et propositions, et non nécessairement aux rapports de visite ou aux rapports d’enquête. L’article 1er de la proposition de loi prévoit d’ailleurs expressément que la publication des rapports d’enquête ne sera qu’une faculté pour le Contrôleur général.

Par ailleurs, et en tout état de cause, la publicité donnée à ces prises de position doit respecter les prescriptions de l’article 5 de la loi d’octobre 2007, lequel rappelle que le Contrôleur général est astreint au secret professionnel et que ses interventions publiques ne doivent pas comporter d’éléments permettant l’identification des personnes.

J’ajoute, également pour répondre à une inquiétude formulée en commission des lois, que la proposition de loi prévoit que, lorsqu’il adresse des observations aux ministres concernés, le Contrôleur général doit tenir compte de l’évolution de la situation depuis sa visite. Cette disposition est importante, car, compte tenu des effectifs et de la charge de travail du Contrôle général, ces observations sont parfois transmises plusieurs mois après la visite de ses équipes. Prévoir qu’il tienne compte de l’évolution de la situation depuis sa visite permettra aux ministres de disposer d’informations actualisées et, le cas échéant, d’apprécier la pertinence des réponses apportées par les responsables du lieu visité aux observations du Contrôleur général.

Sur ma proposition, la commission des lois a apporté quatre modifications au texte de la proposition de loi.

La première modification a consisté à compléter ce dernier, afin d’élargir la compétence du Contrôleur général à l’ensemble des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière. Je rappelle que, aujourd’hui, le Contrôleur général est compétent pour contrôler les zones d’attente et les centres de rétention administrative, mais que sa compétence s’arrête aux portes de ces établissements. Or la directive « retour » de 2008 nous impose de prévoir « un système efficace de contrôle du retour forcé », incluant l’ensemble des phases de transfert jusqu’à la remise de l’intéressé aux autorités du pays de destination. Concrètement, il s’agit de permettre l’exercice d’un contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes lors des phases de transfert, notamment dans l’avion.

La commission des lois a souhaité donner une traduction législative à cette obligation dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, et a confié cette mission au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, puisque ce dernier est déjà compétent pour contrôler les centres de rétention administrative.

Dans un souci de cohérence de notre droit, nous avons estimé que cette extension de compétence ne devrait pas être limitée aux éloignements vers les pays tiers à l’Union européenne, comme y aurait conduit une interprétation stricte de la directive « retour », et nous l’avons prévue pour l’ensemble des mesures d’éloignement exécutées par les autorités françaises, y compris vers des pays membres de l’Union européenne.

La deuxième modification apportée au texte par la commission des lois a trait à la question du secret médical. C’est un sujet très sensible pour une grande partie des professionnels de santé, dont on sait le rôle essentiel dans les lieux de privation de liberté.

En tant qu’auteur de cette proposition de loi, j’avais pris le parti de me « caler » sur les dispositions applicables au Défenseur des droits, qui s’appuient sur le consentement exprès de la personne.

Une autre option, qui m’a été suggérée lors des auditions, aurait été de s’inspirer de ce qu’a prévu la loi Kouchner de mars 2002 pour les contrôles de l’IGAS, l4inspection générale des affaires sociales, ou des ARS, les agences régionales de santé : un accès non conditionné au consentement de la personne, mais réservé aux seuls membres de l’IGAS ou de l’ARS titulaires d’un diplôme de médecin.

La solution retenue par la commission des lois est intermédiaire entre ces deux dispositifs. Dans le temps qui nous est imparti pour l’examen de ce texte, dont une adoption rapide par le Parlement me paraît souhaitable, il nous a semblé délicat de passer outre le consentement de l’intéressé. En revanche, nous avons assoupli les modalités de ce consentement : plutôt qu’une « demande expresse » de la personne, nous avons retenu le principe de son « accord », dans un souci de pragmatisme, afin de tenir compte des conditions de fonctionnement de certains établissements et de ne pas exposer la personne intéressée à d’éventuelles pressions.

Surtout, afin d’apaiser les craintes du corps médical, nous avons prévu que seuls les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d’un diplôme de médecin pourront prendre connaissance d’informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d’en extraire les informations nécessaires au contrôle. Trois praticiens hospitaliers font à l’heure actuelle partie de l’équipe du Contrôleur général.

J’irai plus vite sur les deux dernières modifications apportées par la commission des lois.

Sur la proposition conjointe de nos collègues Esther Benbassa et Aline Archimbaud et de moi-même, la commission des lois a préféré renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de détailler les modalités d’organisation interne du Contrôle général, et en particulier, éventuellement, le statut des « chargés d’enquête ».

Enfin, la commission des lois a adopté un amendement permettant l’application de la nouvelle loi dans les collectivités d’outre-mer.

En conclusion, l’adoption de la présente proposition de loi à l’unanimité de notre commission de lois démontre, une nouvelle fois, que ce sujet transcende les clivages politiques. J’émets le souhait que la Haute Assemblée puisse confirmer ce vote en donnant une forte légitimité au présent texte et, par là même, confirmer l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rôle et dans la mission qui est la sienne. §

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de l’indiquer Mme la rapporteur, nous examinons cet après-midi un texte d’une extrême importance, qui a bénéficié de l’expérience très riche et d’une grande qualité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

La réflexion et le recul sur cette expérience ont permis d’élaborer une proposition de loi très bien structurée, dont les huit articles permettent de couvrir l’essentiel des conclusions tirées par le Contrôleur général de l’action qu’il a conduite, mais surtout des difficultés qu’il a rencontrées dans les diverses situations auxquelles il a été confronté.

Je tiens à vous remercier, madame la rapporteur, du travail que vous avez effectué. Lorsque j’ai reçu pour la première fois à la Chancellerie le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en juin 2012, il m’a fait part d’un certain nombre d’améliorations qu’il estimait souhaitable d’apporter à la loi du 30 octobre 2007, en vue de consolider l’exercice de la haute mission qui lui avait été confiée, cela dans un esprit de désintéressement, dans la mesure où son mandat n’est pas renouvelable.

Je vous ai donc fait connaître très rapidement, madame la rapporteur, l’a priori positif de la Chancellerie à l’égard de cette proposition de loi et j’ai mis à votre disposition toutes les informations susceptibles de vous être utiles, afin que la loi du 30 octobre 2007 puisse être améliorée au mieux.

Le texte que vous nous présentez s’inscrit dans un long processus d’élaboration de la condition juridique du détenu.

Ce processus a connu une inflexion assez forte dans les années quatre-vingt, grâce aux initiatives prises par le garde des sceaux d’alors, Robert Badinter. Je pense notamment à la généralisation des parloirs sans dispositif de séparation, ainsi qu’à des mesures relatives à la protection sociale et au régime disciplinaire : il s’agissait de garantir le respect effectif des droits fondamentaux dont continuent à bénéficier les personnes détenues, bien qu’elles soient privées de leur liberté en exécution d’une décision de justice.

Ces évolutions ont été favorisées par un contexte général ayant donné lieu à plusieurs initiatives, prises notamment par le pouvoir exécutif, mais pas seulement. Le contrôle extérieur s’est développé : celui des juges, qui peuvent désormais se présenter dans les établissements pénitentiaires à tout moment, mais aussi celui d’autres autorités, telles que le préfet, la CNIL, la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, et l’inspection du travail.

Un processus de contrôle s’est donc mis en place. La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a reconnu aux personnes détenues le droit à l’accès aux soins. Quant à la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, présentée par Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux, elle a permis aux parlementaires de visiter librement les établissements pénitentiaires. Enfin, le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes, dont la discussion a malheureusement été différée, contient une disposition autorisant les journalistes à accompagner les parlementaires lors de ces visites inopinées.

En 1995, déjà, l’autorité administrative elle-même avait considéré qu’elle pouvait étendre son champ de contrôle aux mesures d’ordre intérieur. Elle a ainsi prononcé des jugements portant, par exemple, sur des décisions de changement d’affectation, des sanctions disciplinaires et même les conditions d’inscription au registre des détenus particulièrement surveillés.

Ce processus a donc permis de construire une condition juridique du détenu, qui devait trouver sa concrétisation dans un texte de loi.

Le contexte que j’évoquais à l’instant a également été marqué par un certain nombre de rapports remarquables et d’initiatives ayant contribué à informer et à sensibiliser l’opinion publique. Je citerai notamment le rapport rédigé en 1999 par Guy Canivet, alors premier président de la Cour de cassation, celui de la commission des lois de l’Assemblée nationale et celui de la commission des lois du Sénat, cosigné par MM. Hyest et Cabanel.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

En effet, monsieur Hyest, deux commissions d’enquête avaient été mises en place au Sénat et à l’Assemblée nationale !

Le rapport que vous avez rédigé avec M. Cabanel a débouché sur le dépôt d’une proposition de loi, qui a été adoptée par le Sénat au mois d’avril 2001. Les débats qui se sont tenus à cette occasion ont permis d’informer l’opinion publique et de la sensibiliser au fait qu’une prison républicaine ne saurait être un lieu de relégation : les droits fondamentaux des personnes privées de liberté par décision de justice qu’elle accueille sont respectés.

À la même époque, le livre du docteur Vasseur a eu l’effet d’un électrochoc sur l’opinion publique. Enfin, il faut saluer le travail des associations, dont la vigilance civique est tout à fait utile.

Sur le plan international, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été signé par la France en 2002 et ratifié en 2008. Il constitue l’une des sources de droit ayant conduit à la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avant l’adoption de ce texte, les règles pénitentiaires européennes adoptées par le Conseil de l’Europe en 2006 ont également contribué à construire l’architecture de cette autorité indépendante chargée du contrôle des lieux de privation de liberté.

Inspirée par le Protocole de 2002, la loi du 30 octobre 2007 charge le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de vérifier que les personnes détenues ne sont pas soumises à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle va toutefois plus loin, le Contrôleur général ayant également pour mission de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Les lieux de privation de liberté incluent évidemment les établissements pénitentiaires, mais aussi les locaux de garde à vue, les centres de rétention administrative, les zones d’attente, les locaux de rétention douanière et les établissements hospitaliers où des patients sont admis sans leur consentement.

La loi du 30 octobre 2007 accorde au Contrôleur général des lieux de privation de liberté un large champ de compétence et un certain nombre de prérogatives lui permettant d’exercer correctement ses missions. Son domaine d’intervention s’étend à tous les lieux de privation de liberté que je viens d’énumérer. Étant soumis au secret professionnel, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, il a accès librement à ces lieux, ainsi qu’aux documents qui lui paraissent nécessaires à la compréhension des situations auxquelles sont confrontées les personnes privées de liberté.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut être saisi par le Premier ministre, les membres du Gouvernement, les parlementaires, le Défenseur des droits, ainsi que par les personnes physiques et les personnes morales concernées par les questions relatives au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Nous avons la chance que le premier titulaire de cette haute fonction soit une personnalité de l’envergure et de la qualité de Jean-Marie Delarue : je me joins très volontiers à l’hommage que vous lui avez rendu, madame la rapporteur. M. Delarue se distingue en effet par sa grande rectitude morale, sa grande exigence, son intransigeance au sens noble du terme : pour lui, l’éthique et les principes sont intangibles. En outre, il fait montre d’une profonde intelligence des situations, du contexte législatif, des relations internationales et de l’apport de certains textes, notamment européens, à l’évolution de notre droit.

À cet égard, la loi pénitentiaire de 2009, qui a largement intégré les règles pénitentiaires établies en 2006 par le Conseil de l’Europe, fait partie du dispositif législatif ayant conduit à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

M. Jean-Marie Delarue a su prendre du recul par rapport à l’exercice de sa haute mission pour en mesurer les faiblesses et les points forts, ainsi que les aménagements à y apporter. Grâce à son extraordinaire expérience, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi dense, substantielle, propre à améliorer le fonctionnement de cette haute autorité indépendante.

Le bilan du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est tout à fait remarquable : il a visité 179 établissements pénitentiaires, 18 établissements hospitaliers accueillant des personnes sans leur consentement ; il a émis des recommandations sur la base de la procédure d’urgence, notamment, en 2011, sur l’établissement pénitentiaire de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, et il a aussi formulé des avis sur la situation à Mayotte. Il est heureux qu’il ait pris en compte les outre-mer, car ceux-ci ont souvent été fortement négligés et le parc pénitentiaire y accuse un retard considérable, tout comme le parc judiciaire d’ailleurs.

Grâce à ses avis, notamment sur la Nouvelle-Calédonie, j’ai pu prendre un certain nombre d’initiatives assez rapidement. J’ai d’abord diligenté une inspection de nos propres services, puis une mission dirigée par la conseillère d’État Mireille Imbert-Quaretta, qui a permis de mettre très vite en œuvre un programme de réhabilitation et de construction en Nouvelle-Calédonie.

Dans le cadre de la procédure d’urgence, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a également formulé des observations concernant la prison des Baumettes, à Marseille. Cela étant, nous les avions anticipées, puisque nous avions inscrit dans la loi de finances rectificative de la fin de 2012 la réalisation d’un certain nombre de travaux au sein de cet établissement.

En tout état de cause, ce qui importe, c’est que l’action, extrêmement fournie, du Contrôleur général a contribué à améliorer de façon très substantielle la gestion de ces établissements et les conditions de vie en leur sein.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a en outre émis toute une série d’avis thématiques relatifs par exemple à la présence de jeunes enfants dans les prisons et aux quartiers mères-enfants, aux politiques sociales et de réinsertion, à la prise en charge des personnes transsexuelles ou à l’exercice des cultes, autant de sujets extrêmement divers ayant trait à la vie à l’intérieur de ces lieux clos. Ces avis, extrêmement utiles, nous ont permis d’améliorer le fonctionnement de ces établissements.

Le champ d’action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté a donc couvert l’ensemble de nos établissements, tant dans l’Hexagone que dans les outre-mer. Je veille à ce que les réponses qui lui sont adressées soient circonstanciées et transmises dans les délais requis. Répondre à ses très nombreuses demandes et interpellations exige de la direction de l’administration pénitentiaire un travail assidu, précis et de qualité, dont les conclusions sont en général publiées en même temps que ses avis et interpellations. Au-delà, je considère que ces réponses fournies au Contrôleur général des lieux de privation de liberté engagent la Chancellerie : l’inspection des services pénitentiaires et les inspecteurs territoriaux veillent à l’application des dispositions correspondantes, y compris dans les territoires lointains.

Aujourd'hui, nous avons l’occasion d’améliorer le fonctionnement d’une instance indépendante dont la qualité du travail nous a permis d’appréhender un certain nombre d’urgences et de faire entendre la nécessité de prendre certaines dispositions. En effet, il ne faut pas sous-estimer la méconnaissance, par la société, du fonctionnement des établissements pénitentiaires et de la vie qui s’y déroule, ainsi que du travail considérable incombant au personnel pénitentiaire.

Par ailleurs, il importe de faire en sorte que ces établissements soient des lieux de privation de liberté, mais pas d’autres droits. La prison est confrontée à ce défi paradoxal qui consiste à retirer de la société des personnes sur lesquelles pèsent des décisions de justice tout en préparant leur réintégration. En d’autres termes, le temps passé en détention doit être utilisé pour faire en sorte que, une fois sa peine exécutée, la personne concernée puisse revenir dans la société sans constituer un danger pour celle-ci. Il doit donc s’agir d’un temps utile, maîtrisé par l’administration, afin que le temps passé en prison n’aggrave pas les conditions sociale, économique et personnelle des détenus, qui sont appelés à réintégrer la société.

Grâce au travail effectué par Jean-Marie Delarue, nous avons pu avancer et ouvrir un certain nombre de chantiers, y compris ici au Sénat. Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé qu’il s’agit de politiques publiques s’inscrivant dans une démarche visant à moderniser la justice pour l’adapter au XXIe siècle, à la mettre véritablement au service des citoyens, à faire en sorte que son efficacité, sa diligence, son accessibilité constituent un progrès général pour la société et contribuent à la paix sociale et à la paix publique.

Je salue la qualité du travail fourni par la commission des lois du Sénat, en particulier par Mme Tasca, dont le rapport souligne que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce un magistère moral reconnu : ce point est absolument indiscutable. Grâce aux dispositions contenues dans le présent texte, ce magistère d’influence deviendra en plus un magistère d’efficience. En effet, l’évaluation de l’exercice de cette haute mission nous permettra d’améliorer celui-ci, pour faire en sorte que l’action du prochain Contrôleur général des lieux de privation de liberté soit encore plus efficace.

Jean-Marie Delarue continuera d’exercer ses fonctions pendant encore un semestre. Il lui reste du travail à accomplir, et la Chancellerie continuera à lui apporter les éclairages nécessaires à l’exercice de ses missions de contrôle.

Je tiens à rendre hommage au personnel pénitentiaire. Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé que l’amélioration des conditions de détention contribue à celle des conditions de travail du personnel pénitentiaire et qu’il n’y a donc pas d’antagonisme entre ces deux dimensions, au contraire.

Avec les représentants des différents métiers pénitentiaires, nous avons pris un certain nombre d’initiatives. Nous avons notamment signé un protocole avec l’organisation syndicale majoritaire et adopté un plan de sécurisation des établissements pénitentiaires. En d’autres termes, nous avons conduit des actions qui améliorent non seulement la situation des personnels dans leur parcours de carrière, mais également les conditions immédiates de travail dans nos établissements pénitentiaires. Il reste encore beaucoup à faire, car un retard important a été accumulé en matière de recrutement, d’effectifs, de définition et d’évolution des métiers, de prise en compte de contrôles qui sont une garantie du fonctionnement démocratique des établissements pénitentiaires, mais qui constituent aussi une pression exercée sur le personnel : il est important que ces contrôles soient vécus comme des actes démocratiques contribuant au bon exercice des métiers de l’administration pénitentiaire.

Ces contrôles permettent d’identifier les défaillances et les obligations de l’État, les manquements de la puissance publique, et d’exonérer les personnels pénitentiaires d’un certain nombre de responsabilités que l’on a tendance à leur imputer indûment. Ces contrôles sont donc propres à faciliter l’exercice des métiers de l’administration pénitentiaire.

En conséquence, il n’existe aucun antagonisme entre, d’une part, l’amélioration des conditions de détention et le respect des droits fondamentaux des personnes détenues, et, d’autre part, la prise en compte des difficultés du travail des personnels pénitentiaires, en vue de leur permettre d’accomplir celui-ci dans des conditions plus favorables.

C’est à cette tâche que nous nous consacrons depuis vingt mois maintenant. J’ai évoqué le protocole d’accord visant à revaloriser les métiers pénitentiaires, s’agissant notamment des métiers d’encadrement et du passage de surveillant à surveillant-brigadier. Nous avons en outre mis en place un plan de formation et un groupe de travail sur les maisons centrales, ainsi qu’un plan de sécurisation des établissements, doté de 33 millions d’euros. Toutes ces mesures convergent pour améliorer les conditions de travail du personnel et les conditions de fonctionnement des établissements pénitentiaires.

Pour conclure, je salue une nouvelle fois cette initiative, qui permettra, avant la fin du mandat de M. Delarue, de consolider le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté : c’est heureux pour notre démocratie ! §

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans cette période où le Sénat est régulièrement incompris, marquée par des majorités fluctuantes, voire inexistantes, nous devons nous réjouir de la belle unanimité qui semble se dégager autour du texte que nous présente notre collègue Catherine Tasca.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est une autorité protectrice des libertés qui a su trouver sa place dans nos institutions.

Les débats qui se sont tenus lors de l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits ont permis de réaffirmer l’indépendance du Contrôleur général, puisque le Sénat a rejeté l’intégration de ce dernier au Défenseur des droits. Nous sommes heureux que cette position, qui avait été défendue par la commission des lois du Sénat, ait prévalu.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

En effet, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté présente une réelle spécificité. Il n’est pas saisi par des personnes individuelles. Il visite tous les lieux de privation de liberté, à tout moment, parce que les détenus et les gardiens hésitent souvent à saisir une autorité de la défense de leurs droits, par peur des représailles. Le Contrôleur général prononce des avis et des recommandations, avec l’autorité qu’on lui connaît.

Le garde des sceaux de l’époque, Michel Mercier, avait d’ailleurs reconnu la particularité du Contrôleur général et s’en était remis à la sagesse du Sénat sur le point de savoir s’il devait ou non être rattaché au Défenseur des droits.

L’indépendance du Contrôleur général ne l’empêche pas de travailler de concert avec le Défenseur des droits, comme en témoigne la convention qui a été conclue entre ces deux institutions dès le mois de novembre 2011.

Comme l’ensemble de mes collègues, je tiens ici à saluer la qualité du travail réalisé depuis 2008 par M. Delarue. Son mandat, qui arrive bientôt à échéance, lui aura permis d’effectuer plus de 800 visites de lieux de privation de liberté. Les locaux de garde à vue représentent plus du tiers des visites réalisées, ce qui est, me semble-t-il, une bonne chose. Il ne fait pas de doute que les mentalités et les pratiques ont évolué ces dernières années grâce aux visites et aux observations de M. Delarue.

Je profite de cette occasion pour rappeler, à la suite de Mme la garde des sceaux, que ces changements sont aussi à mettre au crédit de l’administration pénitentiaire, qui a beaucoup évolué ces dernières années, notamment grâce à la formation dispensée par l’École nationale d’administration pénitentiaire. Ses fonctionnaires font évoluer le quotidien des prisons. Je ne méconnais pas les difficultés qui existent encore – notre collègue Nathalie Goulet abordera tout à l’heure le cas de la prison d’Alençon –, mais il faut aussi souligner les progrès accomplis : je me bornerai à citer, à cet égard, le travail important réalisé en matière de prévention des suicides, dont les statistiques récentes montrent qu’il a porté ses fruits.

Après plusieurs années d’exercice de ses missions par le Contrôleur général, l’heure est venue de faire le point sur le rôle de celui-ci et de s’interroger sur les éventuels aménagements à apporter à la loi du 30 octobre 2007.

Plusieurs des aménagements prévus par le texte visent à pérenniser des pratiques mises en place par M. Delarue et à les inscrire dans la loi. À l’heure où le mandat de M. Delarue approche de son terme, cela ne me paraît pas être une précaution inutile : il convient de nous assurer que son successeur continuera dans la même voie.

Ainsi, l’article 4 de la proposition de loi prévoit de rendre systématiquement publics les avis, recommandations ou propositions émis par le Contrôleur général, de même que les observations en réponse des autorités publiques. Aujourd’hui, cette publication constitue une simple faculté ; la rendre systématique représente un progrès pour notre démocratie. Je rappelle qu’il ne s’agit pas des observations formulées à l’issue de chaque visite, qui, elles, n’ont pas vocation à être publiées ; je pense que la Chancellerie partage cet avis.

J’évoquerai brièvement les amendements déposés par nos collègues écologistes et visant à étendre la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, conformément à une demande exprimée par M. Delarue dans son dernier rapport annuel.

Il semble que ces amendements ne seront pas débattus. En tout état de cause, une telle modification du champ de compétence du Contrôleur général serait à mon sens inopportune ; je crois que cette opinion est partagée par un certain nombre de nos collègues.

En effet, l’extension de la compétence du Contrôleur général à ces établissements se heurterait à plusieurs obstacles sérieux, qui avaient d’ailleurs été exposés par M. Delarue lui-même.

Le premier obstacle tient au fait qu’aucune décision d’une autorité publique n’est à l’origine du placement dans un tel établissement. Ce placement résulte toujours de la demande d’une personne privée ou de ses proches. Il est donc difficile de considérer comme un captif quelqu’un qui a demandé à être admis dans un EHPAD.

Le deuxième obstacle tient à la réalité de la privation de liberté : chacun sait qu’il n’y a pas d’interdiction d’aller et de venir pour les personnes âgées hébergées dans les EHPAD.

Je tiens à remercier une nouvelle fois notre collègue Catherine Tasca pour le dépôt opportun de ce texte législatif et pour la qualité de son travail de rapporteur, qui a fait l’unanimité. Comme elle, nous pensons qu’il est essentiel de continuer à mieux faire connaître les fonctions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en particulier auprès des auxiliaires de justice, notamment les avocats. Ces acteurs pourraient sans doute faire parvenir au Contrôleur général des éléments d’information utiles à l’exercice de sa mission, à condition toutefois d’encadrer l’exercice de cette faculté.

En conclusion, j’espère que la belle unanimité qui s’annonce au Sénat sur cette proposition de loi ne restera pas lettre morte et que nos collègues députés inscriront rapidement ce texte à leur ordre du jour. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour l’inscrire, le cas échéant, à celui qui relève du Gouvernement.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après une latence de quelques années, la loi du 30 octobre 2007 a marqué la naissance, qui était fortement attendue, d’une nouvelle autorité administrative indépendante, chargée spécifiquement du contrôle des lieux de privation de liberté.

En effet, un consensus sur la création d’un mode de contrôle indépendant des prisons existait depuis la parution, au début des années 2000, du rapport Canivet. Sept années se sont écoulées avant que ce contrôle indépendant, dont les membres de mon groupe appelaient depuis longtemps de leurs vœux l’instauration, ne voie enfin le jour.

Permettez-moi de retracer très brièvement le cheminement de cette idée. Elle a réellement émergé en 2000, à un moment où la question pénitentiaire était sur le devant de la scène et où plusieurs rapports importants avaient paru, mettant en évidence à la fois les conditions indignes de détention dans notre pays et la nécessité d’améliorer le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Je pense ici, en particulier, au rapport Canivet, ainsi qu’aux rapports des commissions d’enquête parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale sur les prisons.

Sur le principe, nous étions bien évidemment favorables à l’instauration d’un contrôleur général de tous les lieux de privation de liberté, conformément à l’engagement pris par notre pays auprès des Nations unies, le 16 septembre 2005, de créer un mécanisme national de prévention des traitements inhumains et dégradants.

Concernant les modalités de sa mise en œuvre, nous avions néanmoins formulé certaines critiques sur le dispositif tel qu’instauré par le gouvernement de l’époque, jugeant que l’on nous proposait un texte a minima.

Les amendements émanant de l’ensemble des travées de gauche tendaient à faire de cette structure de contrôle une autorité incontestable, impartiale et indépendante, tant sur le plan politique que sur le plan financier.

Déjà, à l’époque, nous gagions que la première personnalité qui serait nommée, dès l’entrée en vigueur de la loi, pour exercer les fonctions de Contrôleur général saurait donner le ton quant au rôle et à la place de cette instance de prévention des traitements inhumains, en termes d’utilité, de crédibilité, d’efficacité et, bien sûr, d’indépendance.

Depuis, les différents rapports de M. Jean-Marie Delarue ont effectivement mis en exergue les points forts de cette institution, mais également ses quelques faiblesses. Leur présentation a été l’occasion de préconiser des mesures nécessaires pour conforter la place et le rôle du Contrôleur général, que personne ne songe aujourd’hui à remettre en cause.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit, comme l’a rappelé Catherine Tasca, de reprendre un certain nombre de ces recommandations, afin précisément de renforcer le cadre légal de l’action du Contrôleur général, de pallier les difficultés rencontrées par ce dernier dans l’exercice de ses missions, d’aligner un certain nombre de ses prérogatives sur celles qui ont été attribuées, postérieurement à sa création, à certaines autorités indépendantes, en particulier au Défenseur des droits, et de consacrer dans la loi un certain nombre de bonnes pratiques mises en place par M. Delarue depuis sa prise de fonctions, afin de les pérenniser.

Nous saluons l’ensemble de ces avancées, ainsi que le travail fourni par Mme la rapporteur.

La proposition de loi comporte une disposition visant à protéger les interlocuteurs du Contrôleur général, une autre destinée à lui donner accès à davantage d’informations, une autre encore consacrant sa compétence en matière d’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière.

Nous approuvons l’ensemble de ces dispositions, qui, j’en suis sûre, permettront au Contrôleur général d’exercer encore plus efficacement ses fonctions. Comme le souligne le rapport de notre collègue Catherine Tasca, aujourd’hui, au terme de cinq ans et demi d’activité, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut se prévaloir d’un bilan remarquable : plus de 800 établissements accueillant des personnes privées de liberté ont été visités et son action a largement contribué, très certainement grâce à la personnalité du titulaire de la fonction et à la qualité de ses collaborateurs, à faire progresser la situation des personnes privées de liberté dans notre pays.

Cependant, il ne faut pas oublier que, malheureusement, le contexte dans lequel cette institution a vu le jour demeure. En effet, la situation des prisons françaises, qui a motivé la mise en place de cette nouvelle autorité en 2007, a peu évolué. Malgré l’adoption de la loi pénitentiaire de 2009, les constats demeurent les mêmes : surpopulation carcérale, allongement progressif de la durée des peines, sans parler de la situation dans le secteur psychiatrique, dans les centres de rétention ou dans les zones d’attente.

Pour parfaire le travail du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, il reste donc au législateur à agir pour que la loi pénitentiaire soit appliquée réellement dans son intégralité.

Je souhaite aussi que des dispositifs suffisants soient inscrits au cœur de la réforme pénale que vous annoncez, madame la ministre, afin que l’action du futur Contrôleur général des lieux de privation de liberté soit à la hauteur des exigences de notre démocratie.

Applaudissements au banc de s commission s .

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’affaire est connue et a fait les gros titres : il y a un an, l’inspection de la prison des Baumettes, à Marseille, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté avait abouti à la publication de recommandations en urgence.

Cette procédure exceptionnelle était justifiée par les traitements inhumains et dégradants constatés. Les contrôleurs avaient notamment relevé des odeurs d’ordures et un pullulement de rats tel que les surveillants devaient taper des pieds pendant les rondes de nuit pour les éloigner…

Cela avait, à juste titre, fait grand bruit et obligé l’administration pénitentiaire à engager de profondes transformations et des travaux d’entretien.

Madame la garde des sceaux, vous aviez reçu M. Jean-Marie Delarue et longuement répondu par écrit à ses demandes. Vous aviez, à la suite de la publication de ce rapport édifiant, demandé un audit de la sécurité à l’administration, qui devait faire des « propositions précises ». Le procureur et le procureur général avaient été, en outre, sommés « d’apporter une attention toute particulière aux faits de violence ». De surcroît, vous aviez sollicité une inspection.

Tout cela a donc été accompli sous l’impulsion de cette nouvelle institution, si particulière au sein des autorités administratives indépendantes : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Née du constat des carences du dispositif français, l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est issue de la loi du 30 octobre 2007. Cette jeune autorité tente de restaurer la dignité de notre institution pénitentiaire, en rendant la leur aux personnes privées de liberté, que celles-ci se trouvent en centre de rétention administrative, en établissement pénitentiaire ou en établissement d’hébergement.

Cette autorité, avec plus de 800 établissements visités, a largement contribué, grâce à la personnalité de son titulaire et à la qualité de ses collaborateurs, à faire progresser et à améliorer la situation des personnes privées de liberté.

Les cinq années d’existence de cette institution, dont l’indépendance a fait honneur à notre pays, ont cependant mis en lumière des distorsions entre le texte et la pratique, pouvant parfois se révéler dommageables à l’exercice même de la mission du Contrôleur général.

Certes, M. Delarue a parfois expliqué n’avoir pas peur de l’« insistance inconvenante ». Toutefois, les différents rapports rendus par l’institution ont souligné à de nombreuses reprises la perfectibilité des prérogatives qui lui sont attribuées, ainsi que le manque de réactivité ponctuel des autorités publiques.

Le groupe RDSE se félicite donc de cette initiative, particulièrement éclairée, qui tend à prendre en compte les leçons tirées de la pratique des années d’existence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il nous faut ici rappeler que le Sénat s’était opposé, en 2011, à l’intégration du Contrôleur général au sein du nouveau Défenseur des droits.

Comme l’a rappelé Mme Tasca, à laquelle je rends hommage, Patrice Gélard avait justement souligné, dans son rapport, que cette intégration aurait entraîné un affaiblissement du statut du Contrôleur général. Ce constat de l’utilité du Contrôleur général, que partage le groupe RDSE, est aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

À l’aune de la condition des personnes détenues, ainsi que des difficultés rencontrées par le Contrôleur général dans l’exercice de sa mission, on mesure combien il est nécessaire de renforcer les pouvoirs de celui-ci.

La création d’un délit d’entrave, la protection des correspondances avec les personnes détenues, ainsi que la protection contre les risques de représailles des personnels entrant en contact avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté vont dans ce sens !

Parce qu’il se voit quotidiennement opposer un certain nombre de restrictions, légales ou pratiques, il était également indispensable de renforcer les prérogatives du Contrôleur général, notamment de lui permettre d’accéder aux procès-verbaux de déroulement de garde à vue, de mettre en demeure les personnes concernées de répondre à ses demandes d’informations ou de documents, mais aussi de lever, dans certains cas, le secret médical, avec l’autorisation de la personne privée de liberté.

Cette question de la levée du secret médical était particulièrement sensible. Elle a pourtant fait l’objet d’un compromis équilibré, obtenu sous l’égide de Mme la rapporteur et de la commission des lois. Ce droit est accordé aux seuls contrôleurs autorisés à exercer en France la profession de médecin. L’accord des personnes concernées est requis, sauf dans le cas où sont en jeu des privations, sévices et violences commis sur un mineur ou sur une personne qui n’est pas en mesure de se protéger.

Par l’attribution de cette nouvelle prérogative, le caractère d’autorité administrative indépendante du Contrôleur général se trouve également renforcé.

La pratique de ce dernier a par ailleurs mis en lumière quelques imprécisions en matière de dialogue avec les différentes autorités responsables. Il est ainsi particulièrement salutaire que la proposition de loi s’attache à préciser les modalités de l’exercice des prérogatives du Contrôleur général, notamment lorsque ce dernier adresse des observations aux ministres concernés. Aux termes de cette proposition de loi, les ministres seront désormais systématiquement tenus de répondre au Contrôleur général, et ce dans un délai déterminé par celui-ci, qui sera également informé des suites données à ses démarches par le procureur de la République ou par l’autorité disciplinaire.

Enfin, l’élargissement de la compétence du Contrôleur général à l’exécution des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière constitue la suite logique des missions conférées à ce dernier en matière de personnes privées de liberté.

Le groupe RDSE, vous l’aurez compris, accueille très favorablement cette proposition de loi telle qu’issue des travaux de la commission, et la considère comme une clarification particulièrement bienvenue des missions du Contrôleur général.

Alors que son mandat, non renouvelable, touche à son terme, l’ensemble des membres de mon groupe tient à rendre hommage à l’excellent travail de M. Jean-Marie Delarue, à sa compétence et à son engagement. Il aura très largement contribué à assurer l’efficacité et l’indépendance de cette institution républicaine.

Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc de s commission s .

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en 2007, devait montrer la volonté de la France de s’engager pleinement dans la voie d’un contrôle indépendant et effectif de l’ensemble des lieux de détention, quelle que soit la structure concernée : établissements pénitentiaires, centres hospitaliers spécialisés, dépôts des palais de justice, centres de rétention administrative, etc.

Après cinq années d’exercice de la fonction, la nécessité d’avoir un Contrôleur général des lieux de privation de liberté n’est plus à démontrer. Je veux saluer ici le travail indépendant et sans concession mené par Jean-Marie Delarue, qui a, sans nul doute, fait progresser l’effectivité des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et a rempli sa fonction en vrai républicain, grâce à sa grande sensibilité aux droits humains et aux libertés individuelles.

Le groupe écologiste partage l’ensemble des préoccupations qui ont inspiré le texte dont nous débattons aujourd’hui, au premier rang desquelles se trouve la volonté de favoriser l’exercice des missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Il s’agit en fait de traduire la pratique dans la loi, en explicitant la possibilité pour le Contrôleur général de conduire des enquêtes, y compris sur place, et en détaillant la procédure de saisine, ainsi que la procédure de déroulement de l’enquête.

Autre point important, le texte prévoit d’inscrire dans notre droit le principe posé par l’article 21 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux termes duquel aucune sanction ne peut être prononcée et aucun préjudice ne peut résulter du seul fait des liens établis avec le Contrôleur général ou des informations qui lui ont été données se rapportant à l’exercice de sa fonction.

Je veux saluer à mon tour le travail et l’engagement de Mme la rapporteur, notre collègue Catherine Tasca, qui a notablement enrichi le texte.

Ainsi, un amendement visant à étendre le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté au contrôle de l’exécution des mesures d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière, et ce jusqu’au pays de destination, a été adopté par la commission des lois.

Cette disposition me semble capitale pour la défense des droits des étrangers en situation irrégulière. Elle relève non seulement du respect du plus élémentaire des droits humains, mais aussi d’un principe humaniste honorant les pays qui l’observent. Les étrangers expulsés ne sont pas des colis que l’on jette dans les avions ; ils sont des êtres humains dignes d’égards. Ces égards, nous les leur devons, ne serait-ce qu’en raison de notre longue tradition de pays d’immigration. Une certaine propagande anti-immigration a fait des immigrés des indésirables, des parasites. Elle peut, à la longue, les déshumaniser : voilà le danger ! Évitons-le, ne serait-ce qu’en les accompagnant, pendant les expulsions, dans des conditions dignes, pour que nous ne perdions jamais de vue cette humanité qui nous unit irrévocablement aux étrangers, quels qu’ils soient : une humanité réelle, sans frontières, insensible aux différences de nationalité, d’origine ou de religion.

En l’état actuel du droit, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté est compétent pour contrôler les zones d’attente des ports et des aéroports, ainsi que les centres de rétention administrative. Mais le terme de « transfèrement » utilisé par la loi ne s’appliquant qu’aux personnes détenues, le Contrôleur général n’a jusqu’à présent aucun droit de regard sur les conditions de transfert forcé des étrangers, de la sortie du centre de rétention à l’arrivée dans le pays de destination. Or, on le sait, cette phase a donné lieu à maints abus de la part des forces de police. Les témoignages ne manquent pas et nombreux sont ceux qui, de retour au centre de rétention, racontent les coups, les menaces, les humiliations subis durant le trajet vers l’aéroport.

Il me semble donc capital que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse contrôler l’exécution de l’ensemble de la mesure d’éloignement, jusqu’à la remise de l’intéressé aux autorités du pays de destination, et que ses équipes puissent être présentes dans l’avion ou enquêter sur des faits s’y étant éventuellement déroulés. Chacun se souvient avec effroi des cas de ce jeune Somalien de 24 ans et de cet Argentin de 52 ans décédés sur notre sol dans des circonstances troubles, au cours de leur reconduite à la frontière.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe écologiste souhaite que les prérogatives du Contrôleur général soient le plus étendues possible. Ma collègue Aline Archimbaud, très engagée sur le sujet, aura l’occasion de vous en dire davantage lors de la discussion des articles et d’aborder la délicate question des personnes âgées vivant en EHPAD.

Viscéralement attaché à la défense des droits fondamentaux, notamment à ceux des personnes privées de liberté, le groupe écologiste votera, avec engagement et conviction, cette proposition de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai toujours été convaincu que le Sénat était particulièrement investi de deux missions essentielles : l’une, constitutionnelle, de représentation des collectivités territoriales de la République ; l’autre, historique, de défense des libertés et de la dignité humaine.

Nul n’a oublié que c’est au président du Sénat Alain Poher que nous devons la sauvegarde de la grande loi de 1901 sur la liberté d’association, au travers de sa saisine du Conseil constitutionnel, lequel rendit alors sans doute la plus importante de ses décisions, celle du 16 juillet 1971.

Dans le même esprit, l’attention à la situation des personnes détenues et l’ardente obligation de préserver leur dignité et l’espoir de leur réinsertion sont partagées sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée.

Une fois encore, je rappellerai le constat affligeant dressé en 2000 par la commission d’enquête sénatoriale que présidait notre collègue Jean-Jacques Hyest, et résumé avec la brutalité nécessaire par le titre de son rapport : « Prisons : une humiliation pour la République ».

Même partagé, un diagnostic ne suffit pas à lui seul à contrecarrer pareilles dérives. Je citerai les propos tenus par le Président Sarkozy devant le Congrès réuni à Versailles, le 28 juin 2009, presque dix ans plus tard : « Comment accepter que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? […] Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ? L’état de nos prisons, nous le savons tous, est une honte pour notre République, quel que soit par ailleurs le dévouement du personnel pénitentiaire. »

Pourtant, des pas ont été franchis ces dernières années, qui marquent un indiscutable progrès ; il convient bien sûr de le consolider. Vous ne serez pas surpris que je cite la loi pénitentiaire de 2009, même si la règle de l’encellulement individuel demeure plus que jamais virtuelle et si tous ses décrets d’application n’ont pas encore été pris.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Il n’en manque qu’un !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Tout à fait, madame la ministre, mais c’est un de trop !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est parce que la concertation est difficile !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Je citerai également la loi du 30 octobre 2007 instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le champ de compétence dépasse largement les lieux hébergeant des personnes détenues, pour inclure l’ensemble des personnes privées de liberté par décision d’une autorité publique.

Ne sont donc pas concernées – je le note pour ne plus y revenir – les personnes âgées dépendantes, dont l’admission en EHPAD ne résulte d’aucune décision administrative et dont la restriction de liberté s’avère indissociable de leur perte d’autonomie et de la nécessité de les protéger.

Comme l’écrit Mme Tasca dans son rapport, « institution récente – il a débuté ses visites en septembre 2008 –, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté présente au terme de cinq ans et demi d’exercice un bilan quantitatif et qualitatif extrêmement positif, qui a fait de lui une autorité reconnue dans la défense des droits fondamentaux ».

Nous savions tous l’importance que revêtait le choix du premier titulaire de cette fonction. Aussi le Parlement, sur l’initiative du Sénat, avait-il anticipé la saisine pour avis des commissions des lois de chaque assemblée, et chacun se félicite aujourd’hui de la nomination, sur proposition du Président Sarkozy, de Jean-Marie Delarue.

Je citerai encore Éric Senna, conseiller à la cour d’appel de Montpellier et maître de conférences associé à la faculté de droit de cette même ville : « L’organisation administrative et la place du contrôle général des lieux de privation de liberté dans le paysage institutionnel national ne sont plus interrogées dans le débat public. Nombreux sont ceux qui se félicitent, autant dans l’Hexagone qu’à l’échelon européen, de la richesse et de la finesse des observations et du travail considérable qui a été accompli par le Contrôleur général et son équipe. »

À la veille du terme de son mandat non renouvelable, Jean-Marie Delarue a ouvert un dialogue avec les pouvoirs publics sur l’évolution de notre mécanisme national de prévention des atteintes aux droits fondamentaux des personnes captives ; on peut penser que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui devrait en être l’aboutissement.

La première interrogation porte sur l’avenir du Contrôle général, avec les deux branches de l’alternative suivante : maintien de l’autonomie ou intégration au sein des missions du Défenseur des droits. Si la question se pose encore, on le doit au Sénat, puisque l’Assemblée nationale avait opté pour l’intégration à la fin du mandat de Jean-Marie Delarue. Notre assemblée avait en revanche suivi l’argumentation de son rapporteur de la loi organique et de la loi ordinaire relatives au Défenseur des droits, notre collègue Patrice Gélard, qui avait estimé qu’une éventuelle intégration ne pourrait être décidée qu’au regard du premier bilan d’activité du Contrôleur général et qu’un choix prématuré affaiblirait son autorité.

En modifiant la loi de 2007, nous prenons délibérément parti pour l’autonomie de cette institution.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Absolument !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Les arguments ne manquent pas.

Certains sont conjoncturels et tiennent à la situation aujourd’hui toujours aussi délicate de l’univers carcéral : les niveaux de surpopulation pénale demeurent inquiétants et imposeront le renouvellement du moratoire pour l’application des dispositions relatives à l’encellulement individuel.

D’autres arguments présentent un caractère structurel : la démarche de contrôle, de prévention, d’évaluation du Contrôleur général se différencie largement des missions du Défenseur des droits, que peuvent saisir les personnes s’estimant lésées dans leurs droits et qui a repris les responsabilités de médiation.

Enfin, Défenseur des droits et Contrôleur général ont signé le 8 novembre 2011 une convention ayant pour objet d’organiser la transmission des saisines et d’assurer l’information réciproque des deux institutions, dans le respect de leur indépendance et de la protection des données personnelles.

La complémentarité est notamment organisée par l’article 3 de cette convention, dont je me permets de vous donner lecture : « Lorsque l’une ou l’autre des deux autorités est saisie d’une réclamation témoignant à la fois, d’une part, d’un dysfonctionnement administratif, d’une atteinte aux droits ou à l’intérêt supérieur d’un enfant, d’une discrimination, ou du non-respect des règles de déontologie par des personnes exerçant des activités de sécurité et, d’autre part, d’une atteinte aux règles et aux mesures générales d’organisation et de fonctionnement de la prise en charge ou du transfèrement d’une personne privée de liberté, elle met en œuvre les procédures qui lui sont propres et saisit l’autre autorité pour ce qui relève de sa compétence. » Une étroite complémentarité est ainsi assurée.

Cependant, vouloir la pérennité du Contrôle général comme autorité administrative indépendante amène aussi à prendre acte du bilan de l’institution, de ses forces comme de ses faiblesses, pour – je cite encore le rapport – « conforter sa place et son rôle dans le paysage de la défense des libertés publiques ».

La proposition de loi prévoit ainsi toutes mesures utiles pour mettre fin au risque de représailles et de pressions dont peuvent parfois faire l’objet tant les personnes captives que les membres du personnel qui saisissent le Contrôleur général ou s’entretiennent avec ses équipes.

En dépit des évolutions considérables de l’administration pénitentiaire, de la qualification de plus en plus poussée des directeurs d’établissement, des efforts de formation de l’ensemble des personnels, cette administration reste marquée par une certaine opacité et par quelques difficultés parfois rencontrées par la hiérarchie pour se faire entendre.

Il était d’autant plus important d’y porter remède que la crainte de représailles – fût-elle dans bon nombre d’établissements infondée – risquait de déstabiliser toute l’action du Contrôleur général, comme le laissent supposer bon nombre de courriers adressés par des personnes détenues aux parlementaires.

De même, il importe de réexaminer l’interdiction faite au Contrôleur général d’accéder à des informations couvertes par le secret médical.

Le Contrôle général se rend sur place, voit la réalité des situations et peut avoir besoin d’un accès immédiat au dossier médical. L’aide des médecins lui est également précieuse, et l’instauration d’un accès inconditionnel au secret médical risquait de nuire à la qualité des relations avec les professionnels de santé.

L’amendement de notre rapporteur précisant que seuls les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d’un diplôme de médecin auraient la faculté de prendre connaissance d’informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d’en extraire les éléments nécessaires à l’exercice du contrôle, devrait apaiser les inquiétudes tout en marquant un indiscutable progrès.

Le texte laisse cependant subsister un certain nombre d’interdictions. On connaît l’état de la surpopulation carcérale et la dangerosité d’un certain nombre de détenus. Le Contrôleur général ne pourra toujours pas accéder au dossier médical de celui dont la dangerosité est alléguée par un de ses codétenus sans son accord, bien hypothétique. Il est vrai que d’autres solutions existent.

Il importait aussi de préciser la procédure applicable aux enquêtes réalisées par les services du Contrôleur général sur saisine de ce dernier de faits ou situations relevant de sa compétence, en inscrivant dans la loi la pratique mise en place : tout collaborateur du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est autorisé à procéder à toutes vérifications nécessaires sans que les autorités responsables du lieu de privation de liberté puissent s’y opposer pour d’autres motifs que ceux qui encadrent les visites ; toute personne sollicitée sera en outre, sous les mêmes réserves, tenue d’apporter toute information en sa possession.

Enfin, le Contrôleur général apparaissant parfois largement démuni devant l’inertie de certains de ses interlocuteurs, l’article 5 de la proposition de loi lui donne la possibilité de mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai déterminé. En effet, les réponses ministérielles posaient parfois problème, tant par leur contenu que par leur délai.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un vote aussi consensuel que possible sur cette proposition de loi permettra au Sénat de réaffirmer toute l’importance qu’il accorde à la dignité des personnes et à l’évolution nécessaire de l’univers carcéral. Suivant le chemin tracé par le premier Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, il nous appartient de consolider les fondements de la loi du 30 octobre 2007 au regard des imperfections que cette première expérience a permis de mettre en évidence.

Je remercie Mme la rapporteur de la qualité et de l’esprit de son travail et confirme que le groupe UMP apportera tout son appui à cette proposition de loi, en souhaitant qu’elle puisse être examinée rapidement par nos collègues députés. §

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de cette proposition de loi, dont je remercie notre collègue Catherine Tasca d’avoir pris l’initiative. Je la félicite également d’être parvenue à inscrire l’examen de ce texte à l’ordre du jour de cette séance. Les dispositions qu’il contient ont déjà été abondamment évoquées et semblent faire largement consensus.

Il m’a donc paru plus important de faire le point sur le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de se remémorer les raisons pour lesquelles nous avons institué cette autorité indépendante et pourquoi il est aujourd’hui nécessaire de modifier la loi de 2007. La survie de cette institution l’exige, parce que son contrôle s’exerce dans ce que l’on définit comme des lieux de privation de liberté ; ce sont des mots, mais les mots ont leur importance.

La devise de la République est : « liberté, égalité, fraternité ». Certains vivent pourtant, sur décision d'une autorité publique, dans des lieux où ils sont privés de liberté, quelles que soient les raisons pour lesquelles ils y ont été placés.

On ne peut pas évoquer le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sans réfléchir aux conditions matérielles de la vie quotidienne et à la nécessité d’assurer la sécurité dans ces lieux, qui engendrent des contraintes et des tensions dans les relations sociales, qui brouillent les repères et le positionnement des individus les uns par rapport aux autres.

Dans ces endroits de privation de liberté, que ce soient des lieux de détention ou de garde à vue, des centres de rétention ou des hôpitaux psychiatriques, il y a ceux qui ont l’autorité, le savoir et le pouvoir, et les autres. Les relations y sont donc nécessairement tout à fait différentes de celles que nous connaissons dans la vie de tous les jours, lesquelles s’inscrivent dans un contexte de liberté, d’égalité et de fraternité.

C’est bien pour cette raison qu’il est primordial qu’un contrôle indépendant et objectif puisse s’exercer dans ces lieux de privation de liberté, afin qu’y soient respectés a minima les droits fondamentaux des individus, aussi bien ceux qui y sont retenus par décision de l’autorité publique que ceux qui y travaillent, par obligation ou par vocation, un certain nombre d’heures par jour et de jours par semaine.

On ne peut pas ignorer les relations qu’ont les personnels entre eux, selon leur niveau hiérarchique.

On ne peut pas ignorer les relations qu’ont les personnes retenues ou détenues entre elles, et la hiérarchie qui va nécessairement en découler dans un monde qui ne correspond pas à celui dans lequel elles ont jusque-là évolué et dont elles ne comprennent souvent ni l’ordre, ni le règlement, ni la loi.

On ne peut pas ignorer non plus, bien évidemment, les relations entre ceux qui ont le pouvoir, le savoir et l’autorité et ceux qui ne les ont plus.

Dans ces lieux – l’actualité est malheureusement là pour nous le rappeler de temps à autre –, on peut être confronté à la violence la plus extrême, à la résignation, à l’indifférence totale, y compris à l’égard de son propre sort, à la révolte, à l’injustice ou au sentiment d’injustice. On y côtoie le pire et le meilleur de ce dont l’homme est capable, sous une forme concentrée, enfermée, nécessairement explosive à certains moments.

Je profite de cette occasion pour évoquer un point abordé par le Contrôleur général lui-même lors de son audition en vue d’établir l’avis budgétaire relatif aux droits et libertés publics : quand il reçoit une lettre d’un individu désespéré, humilié ou « au bout du rouleau », pour quelque raison que ce soit, il doit absolument y répondre rapidement pour lui montrer qu’une personne l’a entendu et va s’occuper de son cas ; sinon la situation deviendra de plus en plus explosive.

Le taux de suicide élevé dans les prisons françaises, les nombreuses révoltes qui y ont lieu et le mal-être de certains surveillants le montrent bien, il faut absolument garantir un minimum de liberté, d’égalité et de fraternité dans ces lieux de privation de liberté.

Pour cette raison, il est important que le Contrôleur général dispose des moyens d’exercer sa mission, d’apporter des réponses rapides et de se déplacer. Il faut également aider l’administration pénitentiaire et celle de la santé, ainsi que les hommes et les femmes qui, pour une période plus ou moins longue, travaillent dans ces lieux de privation de liberté, à faire régner, dans la mesure du possible, la paix et la sérénité, pour la sécurité de tous.

C’est pour cela que le Sénat a voté à l’unanimité, en 2007, une loi instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et qu’il est aujourd’hui important de modifier cette loi, non pas pour le Contrôleur général en tant que personne, mais pour l’institution qu’il représente.

En effet, depuis sa nomination en 2007, c’est un homme d’exception – nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, sur ce point – qui a assumé cette fonction.

Cet homme d’exception a créé son rôle et mis en place l’institution ; il a constitué autour de lui une équipe de contrôleurs qui ont adopté ses valeurs et ses méthodes. Alors qu’il arrive aujourd'hui au terme de son mandat, cette institution doit rester une institution d’exception. Il est donc primordial d’inscrire dans la loi le mode de fonctionnement qu’il a institué et qui a été accepté par toutes les administrations ayant fait l’objet de ses contrôles. Il faut prendre acte des avancées qu’il demande, notamment en matière de secret médical, pour mieux protéger les personnes concernées.

Il est important aujourd’hui d’avancer et de pérenniser l’institution telle qu’elle existe et fonctionne, parce qu’elle donne satisfaction, ainsi que de soutenir l’administration pénitentiaire dans les efforts qu’elle fait.

Ces efforts, c'est elle-même qui les a produits dans un premier temps, mais ils sont aussi le résultat des remarques et des rapports, toujours contradictoires, dressés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils permettront à cette administration de mieux fonctionner et d’apporter de l’humanité dans ces endroits de déshumanisation que sont les lieux de privation de liberté.

C’est reconnaître la valeur de l’immense majorité des personnels de l’administration pénitentiaire, des médecins et autres intervenants dans les hôpitaux psychiatriques, des agents de sécurité, des officiers de police judiciaire – gendarmerie et police nationale – que de continuer à les aider.

Qui pourrait prétendre aujourd’hui connaître absolument tout ce qui se passe dans son administration, y compris les exceptions, les dérogations au droit, les vexations, les humiliations ? Celles-ci existent dans tous les services, mais elles sont d’autant plus cachées et destructrices qu’elles se déroulent dans des lieux de privation de liberté !

Il s’agit non pas de jeter l’opprobre sur tous, mais simplement de continuer à aider l’administration à progresser, à corriger ses dysfonctionnements, à être plus humaine, pour instaurer davantage de sérénité dans les lieux de privation de liberté.

Pour toutes ces raisons, l’ensemble du groupe socialiste suivra Mme la rapporteur. Nous tenons à remercier une nouvelle fois Catherine Tasca de l’immense travail qu’elle a accompli. §

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, à la suite de la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adopté par l’assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 2002, le législateur français a institué, par la loi du 30 octobre 2007, un Contrôleur général des lieux de privation de liberté et lui a conféré le statut d’autorité administrative indépendante.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour rôle de veiller à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

Il s’assure également qu’un juste équilibre soit observé entre le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et les considérations d’ordre public et de sécurité.

Enfin, il a pour mission de prévenir toute violation des droits fondamentaux de ces personnes.

Ainsi, il peut visiter à tout moment, y compris de manière inopinée, tous les lieux où des personnes sont privées de liberté.

Usant de cette prérogative, quatre délégués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté se sont rendus à Mayotte du 26 mai au 4 juin 2009, dans le but de contrôler le centre de rétention administrative de Pamandzi, jugé par de nombreuses institutions et associations comme « indigne de la République » et tristement célèbre pour sa surpopulation chronique et les conditions inhumaines de privation de liberté, ainsi que la maison d’arrêt de Majicavo, dont le taux d’occupation s’élevait à l’époque à 270 %.

Le constat qu’ils ont établi était plus qu’alarmant. Sur la base de ce bilan accablant, un projet de construction d’un nouveau centre de rétention administrative tenant compte des observations faites et répondant aux exigences d’hygiène et de sécurité fixées aux niveaux national et européen a été annoncé. En mars 2012, Jean-Marie Delarue, auditionné au Sénat pour exposer les grandes lignes de son rapport annuel, s’était irrité de l’immobilisme prévalant sur ce dossier. Des travaux de rénovation ont été entrepris, mais la date exacte de livraison du nouveau centre – on parle de 2017 – reste incertaine.

S’agissant de la maison d’arrêt, les recommandations du Contrôleur général ont permis l’exécution d’un important programme d’extension, actuellement en cours d’achèvement et qui devrait permettre la livraison d’un quartier centre de détention de 152 places au cours du premier semestre de 2014. Les travaux se poursuivront alors sur le site aujourd’hui occupé par les détenus.

En définitive, ce sera un établissement entièrement neuf d’une capacité de 278 places qui sera livré en septembre 2015.

Je profite de cette occasion pour vous remercier, madame la ministre, de votre engagement pour la mise aux normes de cet établissement et de l’institution d’un groupe de travail traitant spécifiquement des conditions d’emprisonnement particulièrement difficiles en outre-mer.

Tout le monde est d’accord sur ce point : l’importance de la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est incontestable. En cinq ans, il a fait procéder à plus de 800 visites sur le terrain et relever de nombreux dysfonctionnements.

Tirant les enseignements de ces quatre années d’expérience, la présente proposition de loi nous invite à améliorer le dispositif entourant son action.

Elle prévoit notamment la publicité systématique de ses recommandations et propositions. Elle donne au Contrôleur général la possibilité de mettre en demeure ses interlocuteurs de lui remettre des documents ou des informations dans un délai qu’il aura fixé. Elle crée également, à l’instar de ce qui existe pour la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, ou encore la CNIL, notamment, une nouvelle infraction pénale punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour entrave à sa mission.

Voilà quelques-unes des raisons qui me poussent à voter en faveur de l’adoption de ce texte, qui améliorera nettement le fonctionnement d’une institution indispensable, grâce au formidable travail de Mme la rapporteur, à qui je rends ici hommage. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Le premier alinéa de l’article 1er de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Il exerce, aux mêmes fins, le contrôle de l’exécution par l’administration des mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’étrangers jusqu’à leur remise aux autorités de l’État de destination. »

L'article 1 er A est adopté.

I. –

Supprimé

II. –

Supprimé

III. – Après l’article 6 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, il est inséré un article 6-1 ainsi rédigé :

« Art. 6-1. – Lorsqu’une personne physique ou morale porte à la connaissance du Contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou des situations, elle lui indique, après avoir mentionné ses identité et adresse, les motifs pour lesquels, à ses yeux, une atteinte ou un risque d’atteinte aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté est constitué.

« Lorsque le Contrôleur général des lieux de privation de liberté estime que les faits ou situations portées à sa connaissance relèvent de ses attributions, il peut procéder à des vérifications, éventuellement sur place. Il peut déléguer à toute personne relevant de son autorité le soin de mener ces vérifications.

« Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s’opposer à ces vérifications sur place que pour les motifs prévus au deuxième alinéa de l’article 8.

« Toute personne sollicitée est tenue d’apporter, dans le délai fixé par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, toute information en sa possession, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 8.

« À l’issue de ces vérifications, et après avoir recueilli les observations de toute personne intéressée, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut formuler des recommandations relatives aux faits ou situations en cause à la personne responsable du lieu de privation de liberté. Ces observations et ces recommandations peuvent être rendues publiques, sans préjudice des dispositions de l’article 5. »

IV. – L’article 8 de la même loi est ainsi modifié :

1° Le troisième alinéa est ainsi modifié :

a) Après les mots : « responsables du lieu de privation de liberté », sont insérés les mots : « ou de toute personne susceptible de l’éclairer. » ;

b) La dernière phrase est complétée par les mots : « et recueillir toute information qui lui paraît utile. » ;

2° Au quatrième alinéa, les mots : « au secret médical » sont supprimés ;

3° Après le quatrième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les informations couvertes par le secret médical peuvent être communiquées, avec l’accord de la personne concernée, aux contrôleurs titulaires d’un diplôme, certificat ou autre titre permettant l’exercice en France de la profession de médecin. Toutefois, les informations couvertes par le secret médical peuvent leur être communiquées sans le consentement de la personne concernée lorsqu’elles sont relatives à des privations, sévices et violences physiques, sexuelles ou psychiques commis sur un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou son incapacité physique ou psychique.

« En outre, les procès-verbaux de garde à vue, lorsqu’ils ne sont pas relatifs aux auditions des personnes, lui sont communicables. »

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

J’interviens sur cet article, à défaut d’avoir pu le faire dans la discussion générale…

En l’espèce, je veux évoquer la situation de la prison d’Alençon-Condé-sur-Sarthe. Dans cet établissement, les incidents se multiplient, de prise d’otages en mutinerie. Tout récemment, le directeur-adjoint a reçu « plusieurs coups de pic ». Selon les syndicats, il s'agit de la deuxième agression physique en moins de vingt-quatre heures dans ce centre pénitentiaire inauguré par vos soins, madame la garde des sceaux, le 30 avril dernier seulement.

Les équipes régionales d’intervention et de sécurité –les ERIS, le « GIGN de la pénitentiaire » – ont été rappelées le vendredi 10 janvier au matin. Arrivés sur place dès le 1er janvier, leurs membres étaient repartis mercredi, par mesure d’économie, alors qu’ils devaient rester jusqu’à la fin de la semaine…

« C’est la panique totale dans cet établissement. À ce rythme-là, si aucune décision radicale et réfléchie n’est prise, l’administration aura au moins un mort sur la conscience à très court terme », a tonné le syndicat UFAP-UNSA dans un communiqué.

Madame la garde des sceaux, on concentre au sein d’un même établissement les détenus les plus durs, qui ont agressé des surveillants ou ont tenté de s’évader, sans mobiliser les moyens nécessaires pour les encadrer. Le personnel est en nombre insuffisant et n’est pas formé : sur 180 surveillants travaillant actuellement dans cet établissement, 90 sont des stagiaires, qui n’ont absolument pas reçu la formation nécessaire pour s’occuper de détenus de l’acabit du tristement célèbre Fofana…

Les syndicats demandent « l’arrêt de la montée en charge de cet établissement », qui n’est pas en état de recevoir ce type de détenus.

Tout à l'heure a été évoqué l’équilibre à trouver entre l’attention à apporter au respect des droits des détenus et la prise en compte des difficultés du personnel pénitentiaire : je tiens à attirer une nouvelle fois votre attention, madame la garde des sceaux, sur la situation de la prison d’Alençon-Condé-sur-Sarthe. Il s’agit d’un problème vraiment très important, non seulement pour les gardiens qui y travaillent, mais aussi pour les habitants de la région d’Alençon. En outre, je souligne que cet établissement n’est occupé qu’aux deux tiers de sa capacité, pour des raisons de personnel, alors que nombre de nos prisons sont surchargées.

Nous devons assurer la sécurité du personnel pénitentiaire : il y va aussi de la garantie du respect des droits des détenus.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

L’article 1er définit le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Notre groupe avait déposé un amendement visant à inclure dans le champ d’action de ce dernier les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Je regrette qu’il ait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, car cela nous empêche de débattre d’un sujet éminemment politique et important.

La mission de protection des droits fondamentaux du Contrôleur général concerne les personnes privées de liberté, davantage susceptibles que les personnes autonomes d’être exposées à de mauvais traitements, en raison de leur vie contrainte. À cet égard, la situation des personnes âgées dépendantes est parfois, de fait, très proche de celles dont le Contrôleur général peut avoir à connaître aujourd’hui.

En outre, une telle extension du champ de compétence du Contrôleur général s’inscrirait dans la logique à l’œuvre depuis 2008. En effet, il y a parfois bien peu de différence entre les conditions de vie dans les hôpitaux spécialisés en psychiatrie, dont certaines unités accueillent, d'ailleurs, des personnes âgées atteintes de démence sénile, et celles qui prévalent dans les établissements d’hébergement médicalisé.

Les personnes âgées résidant dans ces établissements sont souvent en situation de grande fragilité. Leurs difficultés à échanger, la répétition d’actes non admis, les carences de la formation des personnels, l’insuffisance des effectifs sont de nature, malgré toutes les bonnes volontés, à favoriser les atteintes aux droits fondamentaux. Dès lors, sans mettre en cause les personnels, capables de prodiges de dévouement, il ne nous paraît pas exagéré d’affirmer que nous devons porter une attention toute particulière aux établissements pour personnes âgées.

Si ces établissements font bien évidemment déjà l’objet de contrôles, ces derniers n’ont pas le caractère approfondi des visites du Contrôleur général, lesquelles sont d’une autre nature.

De surcroît, il nous semble que l’existence d’un contrôle indépendant apporterait en elle-même une garantie supplémentaire aux personnes concernées. À cet égard, l’expérience acquise depuis cinq ans par le Contrôleur général, la qualité des visites qu’il opère, son habitude du dialogue devraient primer sur la prise en compte de la spécificité, incontestable, de ces établissements. Son apport serait résolument positif : il permettrait à la fois de rassurer les personnes âgées et leurs proches, d’encourager les personnels et de définir des recommandations indépendantes à destination des pouvoirs publics.

Il nous semble vraiment important qu’un débat s’engage rapidement sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Lecerf, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Lorsque les faits ou situations portés à sa connaissance relèvent de ses attributions, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut procéder…

La parole est à M. Jean-René Lecerf.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Cet amendement, de portée tout à fait modeste, vise, d’une part, à récrire l’alinéa 5 d’une manière un peu plus lapidaire, et, d’autre part et surtout, en retirant le verbe « estimer », à supprimer la part de subjectivité que la rédaction initiale semblait laisser au Contrôleur général dans la mise en œuvre de ses missions.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

La commission a donné un avis favorable à cet amendement, qui opère une amélioration rédactionnelle totalement fondée.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Même avis, pour les mêmes raisons.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L'amendement n° 4, présenté par Mme Tasca, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéas 14 à 16

Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :

3° Le dernier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Les procès-verbaux de garde à vue, lorsqu’ils ne sont pas relatifs aux auditions des personnes, lui sont communicables.

« Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut déléguer aux contrôleurs les pouvoirs mentionnés aux premier à cinquième alinéas du présent article.

« Les informations couvertes par le secret médical peuvent être communiquées, avec l’accord de la personne concernée, aux contrôleurs titulaires d’un diplôme, certificat ou autre titre permettant l’exercice en France de la profession de médecin. Toutefois, les informations couvertes par le secret médical peuvent leur être communiquées sans le consentement de la personne concernée lorsqu’elles sont relatives à des privations, sévices et violences physiques, sexuelles ou psychiques commis sur un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. »

La parole est à Mme la rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Il s’agit là aussi d’un amendement rédactionnel, destiné à améliorer, d’une part, l'insertion des modifications apportées par la proposition de loi, telle que l'a modifiée la commission des lois, à l'article 8 de la loi du 30 octobre 2007, et, d’autre part, la lisibilité dudit article.

La rédaction actuelle laisse subsister une interrogation sur la possibilité, pour le Contrôleur général, de déléguer l’accès au dossier médical aux contrôleurs non titulaires d’un titre permettant l’exercice en France de la profession de médecin.

L’amendement n’a d’autre objet que d’inverser deux alinéas, afin de rendre les choses parfaitement claires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Nous n’avons pas eu le texte de cet amendement entre les mains. Toutefois, ayant écouté attentivement les explications de Mme la rapporteur, j’ai bien noté qu’il s’agissait d’une simple inversion de deux paragraphes, tendant à améliorer la rédaction de l’article. Dans ces conditions, l’avis du Gouvernement est favorable.

L'amendement est adopté.

L'article 1 er est adopté.

(Non modifié)

Après l’article 8 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, il est inséré un article 8 bis ainsi rédigé :

« Art. 8 bis. – Aucune sanction ne peut être prononcée et aucun préjudice ne peut résulter du seul fait des liens établis avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou des informations qui lui auront été données se rapportant à l’exercice de sa fonction. Cette disposition ne fait pas obstacle à l’application éventuelle de l’article 226-10 du code pénal. » –

Adopté.

(Non modifié)

L’article 9 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa est complétée par les mots : «, en tenant compte de l’évolution de la situation depuis sa visite. » ;

2° La deuxième phase du premier alinéa est ainsi rédigée :

« À l’exception des cas où le Contrôleur général des lieux de privation de liberté les en dispense, les ministres formulent des observations en réponse dans le délai qu’il leur impartit et qui ne peut être inférieur à un mois. » ;

3° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le procureur de la République et l’autorité disciplinaire informent le Contrôleur général des lieux de privation de liberté des suites données à ses démarches. » –

Adopté.

(Non modifié)

Au deuxième alinéa de l’article 10 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, les mots : « peut rendre » sont remplacés par le mot : « rend ». –

Adopté.

(Non modifié)

Après l’article 9 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, il est inséré un article 9 bis ainsi rédigé :

« Art. 9 bis. – Lorsque ses demandes de documents, d’informations ou d’observations, présentées sur le fondement des articles 6-1, 8 et 9 ne sont pas suivies d’effet, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai qu’il fixe. » –

Adopté.

(Non modifié)

Après l’article 13 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 précitée, il est inséré un article 13 bis ainsi rédigé :

« Art. 13 bis. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait de faire obstacle à la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté :

« 1° Soit en s’opposant au déroulement des visites prévues à l’article 8 ;

« 2° Soit en refusant de lui communiquer les renseignements et documents nécessaires aux enquêtes définies à l’article 6-1, aux visites de l’article 8, en dissimulant ou faisant disparaître lesdits documents et renseignements, en altérant leur contenu ;

« 3° Soit en prenant des mesures destinées à faire obstacle, par menace ou voie de fait, aux relations que toute personne peut avoir avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en vertu des articles 6 et 8 de la présente loi. » –

Adopté.

(Non modifié)

Le deuxième alinéa de l’article 4 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est ainsi rédigé :

« La possibilité de contrôler les communications téléphoniques, les correspondances et tout autre moyen de communication ne s’applique pas aux échanges entre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les personnes détenues. La méconnaissance de cette disposition est passible des peines prévues à l’article 432-9 du code pénal. » –

Adopté.

La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

Les articles 6 et 7 de la présente loi sont applicables en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Bien entendu, le groupe socialiste votera ce texte. Il remercie Mme Tasca de son initiative, ainsi que Mme la garde des sceaux, qui a bien voulu accepter quelques modifications adoptées par la commission des lois.

Lors de la réunion de la commission des lois de ce matin, à laquelle participait Mme Lipietz, nous avons longuement débattu de l’amendement qui a été évoqué par Mme Archimbaud. Pour ma part, je regrette qu’il ait été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 : je pense qu’il aurait été préférable d’en discuter en séance publique.

Quoi qu’il en soit, ce matin, nous sommes convenus que des problèmes pouvaient se poser au sein de certains EHPAD, de certaines maisons d’accueil spécialisées ou de certains établissements pour handicapés mineurs ou majeurs, gérés soit par les collectivités territoriales, soit – le plus souvent – par des associations privées relevant du régime de la loi de 1901. Ici ou là, des scandales ont pu éclater ; ce fut le cas dans mon département.

Si les personnes hébergées y ont parfois été placées par leur famille, ces établissements sont tout de même d’une tout autre nature que ceux qui relèvent actuellement de la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils font déjà l’objet de contrôles, exercés par le conseil général quand ils dépendent du département.

Cela étant, madame la garde des sceaux, il conviendrait que le Gouvernement, en particulier la ministre des affaires sociales et de la santé, se penche sur la façon dont ces contrôles sont menés et réfléchisse à l’opportunité de mettre en place des visites systématiques par une autorité qui pourrait être extérieure aux collectivités territoriales et au conseil d’administration des associations gérant ces établissements.

Madame Archimbaud, vous avez soulevé un véritable problème, mais, outre qu’il s’est vu opposer l’article 40, votre amendement n’entre pas dans le champ du texte qui nous est soumis.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Madame Archimbaud, sachez que la ministre des affaires sociales et de la santé et la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie sont très sensibles aux questions que vous soulevez : nous nous sommes déjà réunies à trois reprises à la Chancellerie pour travailler sur le contrôle des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes.

Cependant, ces établissements n’accueillant pas des personnes privées de liberté par une décision de l’autorité publique, ils n’entrent pas dans le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Je ne me permettrai pas d’exprimer un avis sur l’application de l’article 40, mais j’en ai moi-même beaucoup souffert lorsque j’étais parlementaire…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

En l’occurrence, je souligne que la ministre des affaires sociales et de la santé et la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie sont à ce point préoccupées par ce sujet qu’elles tiennent à ce que l’on affirme nettement les droits des personnes âgées accueillies dans ces établissements, et que celles-ci ne soient pas traitées comme des personnes sur lesquelles s’exercerait une tutelle implicite.

Madame Goulet, vous m’avez interpellée sur un établissement particulier. Je vous adresserai une réponse circonstanciée ultérieurement, puisque ce n’est pas l’objet du débat d’aujourd'hui. Néanmoins, il est vrai que cet établissement pose problème. Centre pénitentiaire le plus sécurisé de France, il concentre des détenus ayant un profil particulier. Dès lors, je suis étonnée que vous proposiez de le remplir davantage… Pour notre part, nous évitons une occupation à 100 % des maisons centrales accueillant des détenus difficiles.

Dans les nouveaux établissements, on sait qu’il se produit toujours des incidents dans les premières semaines ou les premiers mois. J’ai anticipé ces difficultés puisque, dès le mois de décembre, j’ai demandé à l'inspection de se rendre dans l'établissement. Elle m'a rendu un rapport – avant les incidents – qui servira à élaborer le projet d'établissement qui nous sera présenté à la fin du mois de janvier.

J’ai également demandé que les ERIS restent sur place plusieurs jours. Il a été estimé, sur place, que ces équipes pouvaient s'en aller… Je ne saurais porter ici une appréciation subjective.

Par ailleurs, un programme de formation complémentaire a été mis en place pour les personnels.

Sachez que nous exerçons une vigilance particulière sur cet établissement qui, effectivement, nous préoccupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je voudrais remercier les services de la commission des lois pour le travail qu’ils ont accompli et tous les groupes du Sénat. Je remercie en particulier notre collègue Jean-René Lecerf d'avoir insisté sur la dimension consensuelle du texte, qui traduit un réel attachement de notre assemblée, sur toutes les travées, à la préservation des droits fondamentaux et des libertés publiques. Cet attachement du Sénat, qui s'est exprimé à l'occasion de la proposition de loi comme des travaux de nos collègues Patrice Gélard ou Jean-Jacques Hyest, mérite d'être souligné.

Je veux également remercier vos services et les membres de votre cabinet pour la qualité de leur collaboration, madame la garde des sceaux ; je remercie aussi le ministère de l'intérieur, qui a évidemment été consulté sur l'élargissement de la compétence du Contrôleur général à l'égard des étrangers reconduits dans leurs pays d'origine.

Pour finir, je renouvelle, comme tous l'ont fait ici, mon hommage au travail de Jean-Marie Delarue. Je pense qu’il y sera sensible et, surtout, qu’il souhaite ardemment que toutes les qualités que nous lui avons reconnues soient recherchées lorsqu'il faudra désigner son successeur.

Applaudissements.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Nous y veillerons !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Monsieur le président, avant d’entamer la suite de l’ordre du jour, je sollicite une suspension de séance de cinq minutes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Le Sénat va bien entendu accéder à votre demande, madame la garde des sceaux.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (projet n° 175 rectifié, texte de la commission n° 289, rapport n° 288).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi d'habilitation, que j'ai l'honneur de vous présenter, s'inscrit dans le cadre du chantier ambitieux que le Gouvernement a engagé en vue de simplifier et de clarifier le droit et les procédures. L'objectif est d'alléger les contraintes qui pèsent souvent sur les administrations et de faciliter les formalités parfois imposées à nos concitoyens. En effet, ces derniers entretiennent parfois des rapports difficiles avec nos administrations à cause de la persistance de règles obsolètes dans notre droit.

Le texte que je vous présente comporte seize articles, dont dix visent à autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances. L’ancienne députée que je suis…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

… connaît les réticences intrinsèques, structurelles, absolues et définitives des parlementaires vis-à-vis des projets de loi d'habilitation. En plusieurs circonstances – inutile d'aller consulter le Journal officiel, je l’avoue publiquement –, j’ai rudement ferraillé, de jour comme de nuit, contre le gouvernement qui demandait au Parlement de l'autoriser à légiférer par ordonnances.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous avons les preuves !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

S'il m'est arrivé de me battre avec intensité contre les ordonnances, il m'est aussi arrivé – tout en continuant à contester le procédé – d'en reconnaître l'opportunité.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Ainsi, durant de très longues années, les gouvernements successifs ont très souvent omis d'adapter le droit aux outre-mer, de sorte qu’ils ont été très fréquemment conduits à présenter des projets de loi d'habilitation.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est dans ces circonstances qu’il m’est arrivé de protester contre les ordonnances, tout en reconnaissant l'opportunité d’y recourir. En effet, parfois plus de cinquante mesures concernaient les outre-mer. Il aurait donc fallu examiner cinquante textes de loi, alors que, à l'exception de quelques-unes, ces mesures pouvaient souffrir une telle procédure.

Face aux parlementaires responsables que vous êtes, je le dis clairement : l'ambition du Gouvernement est aujourd'hui plus grande. Ce texte de loi vise à répondre à l'engagement du Président de la République de simplifier le droit à chaque fois que c'est nécessaire, de le clarifier, de le moderniser, afin de rendre nos administrations et nos institutions plus efficaces, et de faciliter la vie des citoyens en les rapprochant de services publics qui doivent, effectivement, rester à leur service. Par conséquent, il ne s'agit pas là d'un acte d'expropriation du Parlement. Je parle bien entendu d'expropriation au sens de « responsabilité » et non de « propriété ».

Indiscutablement, les débats parlementaires sont extrêmement utiles pour enrichir les textes. L'ancienne parlementaire que je suis sait à quel point la navette entre les deux chambres sert à les améliorer, à en préciser l'écriture, à les éclaircir. Je ne sous-estime donc pas le travail parlementaire.

Je rappelle que légiférer par ordonnances est un acte provisoire : les ordonnances conservent leur caractère réglementaire tant qu’un projet de loi de ratification n’a pas été soumis au Parlement. Or le Parlement peut ne pas se contenter de ratifier : il a parfaitement le droit de retoucher l'écriture des ordonnances, et il y a des précédents ! Vous aurez donc toute liberté de modifier le texte de ces ordonnances si vous estimez que c'est nécessaire.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mieux encore – je vais vous le démontrer –, je peux vous dire que travailler avec vous en bonne intelligence nous a permis de prendre en considération vos observations. Prenons l’exemple du texte de loi lui-même.

La commission a fait figurer dans le projet de loi des dispositions que nous vous demandions de nous permettre d’intégrer dans les ordonnances. Or cela a été possible parce que, en amont, nous avions défini le contenu de la plupart des ordonnances et que vous réfléchissez vous-mêmes depuis plusieurs années à ces dispositions. Vous le voyez, le projet de loi vise véritablement à engager une démarche de simplification, sans précipitation. Le Gouvernement ne cherche pas à aller vite, mais à effectuer un travail dans le temps nécessaire et avec la précision requise.

Le texte que je vous présente, je le répète, comporte dix articles qui vous demandent d’autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Votre commission a choisi soit de supprimer certains de ces articles, soit d’introduire directement dans le projet de loi un certain nombre de dispositions. Convenez que la Chancellerie a facilité les choses…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

… et que les séances de travail se sont déroulées dans un bon esprit.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Bien sûr, le Gouvernement se réjouit du fait que plusieurs dispositions soient intégrées dans le texte de loi. S’il était possible qu’un seul texte de loi contienne toutes les dispositions que nous souhaitons faire adopter, ce serait évidemment l’idéal !

La plupart des mesures du présent texte concernent la justice : règles d’administration légale, procédures d’exécution civile ou même – je pense à la communication électronique – procédures pénales. D’autres portent sur l’administration territoriale, c’est-à-dire les relations avec les services déconcentrés de l’État et les collectivités. Il y a également une mesure qui concerne le ministère de la culture, afin de corriger une omission : on avait en effet oublié que le conservateur des registres du cinéma et de l’audiovisuel avait le même statut que les conservateurs des hypothèques.

J’en reviens aux dispositions concernant les règles d’administration légale.

En l’état actuel du droit, lorsqu’un décès survient et que le veuf ou la veuve est chargé de la gestion du patrimoine familial dans l’intérêt des enfants mineurs, l’intervention du juge est systématique. Cette procédure lourde, jugée nécessaire en 1964, c’est-à-dire il y a cinquante ans, ne se justifie plus aujourd’hui. Certes, dans le cas où le patrimoine est important, il convient que le juge puisse vérifier la légalité des actes qui sont accomplis par le conjoint survivant, mais cette situation n’est malheureusement pas celle de la majorité des Français. Pour autant, je suis évidemment très soucieuse qu’il n’y ait pas de différence dans l’attention que la puissance publique porte aux petits patrimoines. La surveillance ne doit pas être moins rigoureuse que celle qui s’exerce sur les gros patrimoines, car il n’y a pas de raison de léser les familles les plus modestes.

Il nous avait donc paru souhaitable que soient définis les actes pour lesquels l’intervention du juge serait obligatoire. Votre commission des lois a préféré ne pas retenir ce dispositif ; je souhaite néanmoins qu’une réflexion ait lieu, car, je le répète, le caractère systématique de cette intervention ne se justifie plus aujourd’hui.

Nous vous proposons également une modification d’un texte beaucoup plus récent : la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, adoptée le 5 mars 2007, sinon à l’unanimité, du moins à une très large majorité. Ce texte de grande qualité, largement salué par les acteurs de la protection juridique des majeurs, fixe l’obligation de révision des mesures de protection au bout de cinq ans.

Nous avons proposé que le juge puisse décider que la première révision n’aurait pas lieu au bout de cinq ans, mais entre cinq et dix ans. Nous estimons que pour des pathologies peu évolutives, parce que lourdes, il n’y a pas lieu de contraindre automatiquement les familles à être soumises à un tel délai. Reste que nous limitons bien entendu la prorogation à dix ans.

En l’état actuel du texte, toutes les révisions sont imposées au bout de cinq ans, mais à partir de la deuxième révision il n’y a pas de limite de durée. Nous pensons que la protection serait meilleure si le juge était en mesure de dire que la première révision peut avoir lieu au plus tard dans un délai de dix ans, plutôt que d’imposer toutes les révisions au bout de cinq ans, puis de ne pas imposer de terme pour la deuxième révision.

Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités en mai 2012, j’ai été assez rapidement sensibilisée, dès mes premiers déplacements dans les juridictions, à la question de la révision des mesures de tutelle. Il m’a été unanimement demandé de reporter le délai qui avait été fixé par la loi du 5 mars 2007 au 31 décembre 2013. J’ai très rapidement donné un accord de principe, mais dès que nous avons commencé à travailler à la Chancellerie sur le sujet, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas une bonne solution, dans la mesure où le stock de l’année suivante allait venir se superposer au stock de l’année précédente. Par conséquent, si nous ne résorbions pas le premier stock, les tribunaux continueraient à être engorgés.

J’ai donc décidé de renforcer les moyens des tribunaux d’instance non seulement en fonctionnaires – magistrats, greffiers –, mais aussi en vacataires, sans pénaliser les autres contentieux. Il fallait en effet parvenir à résorber le stock, tout en évitant ce risque. N’oublions pas que les tribunaux d’instance traitent les contentieux de proximité, ceux qui concernent les petits problèmes des Français au quotidien.

Le retard pris a pu être comblé. Reste qu’il n’y a pas lieu de reproduire la difficulté. C’est la raison pour laquelle nous introduisons dans le projet de loi, ou plutôt nous avions introduit – puisque vous l’avez refusé –, la possibilité pour le juge de prononcer dès la mesure initiale une révision qui pourrait être de cinq à dix ans. Je le dis très clairement, nous ne pourrons pas indéfiniment renforcer les juridictions pour résorber les stocks dans les derniers mois. Sachez que, lorsque l’échéance arrive, les personnels font des efforts considérables pour tenir les délais.

Évitons de mettre en péril les majeurs protégés. Nous avons tous le souci de nous assurer que ces majeurs sont placés sous tutelle à bon escient. C’est en ce sens que la loi de 2007 est une loi protectrice. Cependant, rien ne nous empêche d’avoir du discernement en rendant efficace la révision de ces mesures.

Nous avons également introduit dans le texte de loi une disposition, que la commission des lois a maintenue, qui permet aux personnes sourdes ou muettes de faire établir leur testament par acte authentique. Actuellement – il y a des anomalies dans notre droit qui nous échappent si l’on ne tombe pas dessus –, les personnes sourdes ou muettes sont soumises à l’obligation de dicter leur volonté testamentaire, ce qui est une aberration ! Vous avez d’ailleurs souhaité qu’il y ait deux interprètes, l’un pour le testateur et l’autre pour le notaire. Pour ne pas compliquer une mesure de simplification, nous vous proposons de ne retenir qu’un seul interprète choisi sur une liste d’interprètes agréés.

Par ailleurs, nous avons introduit une disposition concernant les héritages modestes. Je rappelle que les héritages d’un montant inférieur à 5 300 euros représentent 30 % des successions.

En l’état actuel du droit, c’est le maire qui doit délivrer le certificat de qualité d’héritier. Or les maires craignant que leur responsabilité ne soit engagée répugnent à délivrer ce certificat et, dans 60 % des cas, ils ne le font pas. Les personnes peuvent alors s’adresser au notaire, qui délivrera un acte qui peut coûter 200 euros. Dans ces circonstances, beaucoup d’héritiers renoncent à l’héritage. Entre 2004 et 2012, le renoncement à ces petits héritages a augmenté de 25 %. Or le renoncement n’est pas seulement pécuniaire, il concerne également les objets personnels, les souvenirs, qui ont une valeur sentimentale considérable.

Vous n’avez pas souhaité retenir le dispositif simplifié, mais j’espère que nous pourrons encore travailler sur le sujet. Certes, il y a des précautions à prendre, mais nous souhaitons éviter qu’un ou plusieurs héritiers ne soient oubliés par mégarde ou délibérément. Voilà pourquoi le maire est chargé de fournir ce certificat. En tenant les registres d’état civil, qui sont la source des livrets de famille, c’est lui qui détient l’information. C’est donc une bonne solution, même si nous sommes obligés de constater qu’il y a une pénalisation objective qui concerne les héritiers de sommes modestes.

J’en viens à un sujet un peu difficile : votre commission des lois a souhaité supprimer l’article 3 du projet de loi d’habilitation.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Voilà pourquoi, monsieur le président de la commission, j’ai dit en toute honnêteté que ce projet de loi d’habilitation ne visait pas simplement à replâtrer un certain nombre de dispositions ou à supprimer quelques mesures obsolètes. Nous avons eu le courage d’aborder des sujets lourds. Cet article 3 a indiscutablement l’ambition de simplifier, moderniser et clarifier le droit des contrats et le régime des obligations.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Je ne doute pas, monsieur Hyest, que tous ceux qui s’exprimeront durant la discussion générale reviendront sur cette question. Je rappelle toutefois que le droit des contrats et le régime des obligations n’ont pas été substantiellement modifiés depuis la promulgation du code Napoléon, …

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

… c’est-à-dire depuis deux cent dix ans.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Cette petite pique fait plaisir venant du groupe du RDSE…

Voilà donc deux cent dix ans que le fondement de nos échanges économiques est établi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

La Déclaration des droits de l’homme est plus ancienne !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Le nombre incalculable de contentieux survenus au cours de cette période a évidemment engendré une jurisprudence abondante. Or, comme toute jurisprudence, elle est fluctuante, incertaine et peut même donner lieu à de nouveaux contentieux. Il est temps de rendre lisibles ce droit des contrats et ce régime des obligations dans le code civil.

De nombreux pays de par le monde se sont inspirés de ce code Napoléon, à l’aura extraordinaire, pour rédiger leur propre code civil. Aujourd’hui, nous sommes condamnés à une cure d’humilité : ces mêmes pays, qui ont su moderniser leur législation, non seulement ne s’inspirent plus de notre droit des contrats, mais ils éprouvent également quelques difficultés à commercer avec nous puisqu’ils ne partagent plus le même socle législatif en matière contractuelle.

Nous proposons donc de tenir compte de cette abondante jurisprudence et de moderniser ce droit des contrats, en accord avec l’esprit du code Napoléon, de façon à le stabiliser de manière logique et consensuelle, tout en respectant le principe de la protection de la partie la plus vulnérable.

Vous savez à quel point le contrat a envahi la vie quotidienne. Nous devons clarifier, offrir de la visibilité, permettre aux contractants de connaître les conséquences de leur engagement dès la conclusion du contrat.

Cette réforme avait déjà été annoncée en 2004, lors des célébrations du bicentenaire du code civil. Sa nécessité était même établie depuis une vingtaine d’années : nous disposons de rapports parlementaires, universitaires, de travaux de la Chancellerie, notamment de la direction des affaires civiles et du sceau, de très grande qualité. Le matériau est là, il est disponible, et nous savons ce qu’il faut en faire. Or il n’est pas possible d’inscrire cette réforme à l’agenda parlementaire.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Si nous ne faisons rien aujourd’hui, nous savons pertinemment que nous en parlerons encore dans dix ans, voire dans vingt ans.

Il s’agit d’un rendez-vous extrêmement important. Les attentes sont très fortes chez ceux qui ont conscience de la nécessité de stabiliser le droit des contrats et le régime des obligations et ceux qui sont quotidiennement confrontés à cette relative instabilité de notre droit, dont une part importante relève de la jurisprudence.

Nous avons également décidé de supprimer l’action possessoire.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

La suppression de l’action possessoire, je le sais, provoque un immense désespoir chez un certain nombre d’universitaires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Toutefois, cette question, qui donne matière à des discussions passionnantes, restera un sujet d’étude pour l’université. Il ne s’agira plus de droit positif, mais d’histoire du droit.

Cette procédure, qui ne trouve à s’appliquer que cent vingt fois par an, a été supplantée par le référé, même si cela reste très « chic » d’avoir recours à l’action possessoire. Les professeurs, de même que les parlementaires qui donnent des cours, pourront continuer à gourmander leurs étudiants ou à faire des démonstrations juridiques. Ce plaisir perdurera, mais non l’action possessoire.

Vous avez exprimé quelques réticences sur la prescription acquisitive, que j’avoue partager et que j’ai moi-même exprimées lors de nos séances de travail. Il nous faudra approfondir la question, car nous voyons bien que certaines difficultés récurrentes demeurent pour établir la preuve de la propriété dans un certain nombre de territoires – je pense à la Corse ou aux outre-mer. Le sujet n’est sans doute pas suffisamment mûr. Je comprends donc parfaitement que vous ayez souhaité supprimer ces dispositions.

Le projet de loi vise également à réformer le Tribunal des conflits. Cette juridiction particulière est chargée de trancher les conflits pouvant apparaître entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. Il s’agit d’une institution ancienne. Instaurée par la Constitution de 1848, elle n’a vraiment pris corps qu’avec la loi du 24 mai 1872. Le fondement de notre dualité juridictionnelle, quant à lui, a été posé par les lois des 16 et 24 août 1790 relatives à l’organisation judiciaire, ainsi que par le décret du 16 fructidor an III.

Le fait que le Tribunal des conflits soit présidé par le garde des sceaux m’a quelque peu préoccupée. J’ai donc demandé à l’ancien vice-président du Tribunal, Jean-Louis Gallet – j’ai procédé hier à l’installation du Tribunal des conflits, dont le nouveau vice-président est M. Arrighi de Casanova –, de présider une mission dont le rapport, d’excellente qualité, m’a été remis en octobre dernier.

Nous avons repris l’essentiel des propositions qu’il contient. La lettre de mission, conformément à mon intention de départ, demandait que soit étudiée la question de la présidence du garde des sceaux. À mes yeux, cette situation laisse craindre une confusion des pouvoirs, même théorique, voire une ingérence de l’exécutif, même virtuelle.

Le garde des sceaux a un pouvoir de départage en cas d’égalité entre les juges. Le dernier départage, effectué par Jacques Toubon, remonte à 1997 dans une affaire de voie de fait. Il n’y a pas lieu de maintenir ce qui apparaît comme un archaïsme. Le rapport fait une préconisation tout à fait intéressante que le projet de loi reprend.

J’ai demandé à ce que la réflexion aille plus loin et que l’on cherche à moderniser cette juridiction. Elle a d’ailleurs su le faire elle-même à travers sa jurisprudence sur des concepts classiques tels que l’emprise ou la voie de fait, ou encore l’actualisation du fameux arrêt Septfonds de 1923 à l’aune du droit communautaire. Le Tribunal des conflits a donc produit une jurisprudence en action, comme disait le doyen Carbonnier, et modernisé notre droit administratif.

Le projet de loi reprend l’ensemble de ces dispositions. Nous en débattrons plus précisément lorsque je vous présenterai un amendement visant à ce que cette réforme du Tribunal des conflits revête la forme d’une loi à part entière et ne s’effectue pas au détour d’une loi d’habilitation.

Je voudrais évoquer rapidement la question de la communication électronique en matière de procédure pénale. Nous commençons à moderniser le ministère de la justice et disposons d’un budget numérique 2013-2014 important.

Si nous avons amélioré la correspondance numérique avec les professionnels du droit, ce n’est pas encore le cas avec les justiciables : conformément au code de procédure pénale, les convocations se font par courrier recommandé avec accusé de réception. Le montant du budget de frais de justice s’élève ainsi à 58 millions d’euros, alors que 80 % de ces lettres ne sont pas retirées par leurs destinataires. Nos concitoyens ouvrent plus facilement leur messagerie électronique qu’ils ne se rendent au bureau de poste ! Nous vous proposerons donc d’autoriser la mise en place de la communication électronique.

Plusieurs dispositions de ce texte gouvernemental concernent l’administration territoriale. Ainsi, par exemple, nous supprimons la transmission obligatoire au préfet de tous les actes budgétaires des établissements publics d’éducation. Je crois qu’il s’agit d’une mesure utile.

Nous modifions également la représentation de l’État devant les juridictions judiciaires en matière de contentieux d’accidents scolaires, ainsi que le droit funéraire en allégeant la participation des fonctionnaires de la police nationale à la surveillance des opérations funéraires.

Nous supprimons l’avis conforme obligatoire du conseil municipal sur certaines délibérations des CCAS, les centres communaux d’action sociale, de même qu’une disposition obsolète sur le régime des voitures de petite remise, en voie d’extinction.

Nous permettons enfin aux automobilistes d’accéder par voie électronique à leur relevé de points du permis de conduire.

Votre commission a refusé une disposition qui nous paraît extrêmement importante en matière de substitution de régimes de déclaration à certains régimes d’autorisation. Nous sommes pourtant engagés dans un processus de recensement de l’ensemble des régimes d’autorisation, dont certains peuvent, sans préjudice ni de l’administration ni des usagers, être remplacés par des régimes de déclaration. Cela s’inscrit dans la logique de la réforme que nous mettons en place, selon laquelle le silence vaut accord. Votre commission des lois semble réticente à cette disposition. Nous espérons cependant pouvoir avancer sur ce point.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà l’essentiel des mesures du projet de loi. J’espère que la discussion de mon amendement sur le droit des contrats et le régime des obligations sera l’occasion d’un débat de fond nous permettant de comprendre la nature des réticences des sénateurs sur cette modernisation.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour la quatrième fois en six mois, notre assemblée est saisie d’un projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances certaines mesures de simplification ou de modernisation du droit. Le présent texte a trait aux domaines de la justice et des affaires intérieures.

Les trois précédentes lois portaient respectivement sur le logement, sur le droit administratif – Hugues Portelli était le rapporteur de ce texte, qui consacrait la règle selon laquelle le silence de l’administration vaut accord – et sur le droit des entreprises, texte que j’ai eu l’honneur de rapporter il y a peu.

En procédant ainsi, par textes successifs, le Gouvernement se conforme à la nouvelle méthode de simplification et de modernisation du droit à laquelle il s’est engagé : des projets de loi de taille limitée, consacrés à quelques domaines identifiés, qui combinent demandes d’habilitation et mesures directement applicables, et pour lesquels la procédure accélérée est systématiquement engagée.

Le périmètre resserré des textes autorise un examen parlementaire plus complet, même s’il est contraint par la procédure accélérée. Surtout, il évite l’écueil de ces textes fourre-tout et interminables que notre commission des lois a dénoncés par le passé.

Pour autant, une telle méthode de simplification du droit par ordonnances suscite des réserves légitimes de la part du législateur. À cet égard, la commission s’est attachée à inscrire ses travaux dans le droit fil des principes qui l’ont guidée pour l’examen des trois projets de loi que je viens d’évoquer. Ainsi, sans remettre en cause la pertinence que peut parfois avoir la législation déléguée, elle vous propose, mes chers collègues, de veiller à garantir le respect des prérogatives parlementaires en limitant les habilitations au strict nécessaire et en privilégiant, à chaque fois, les solutions qui permettront un examen éclairé et public des dispositions envisagées. C’est ce à quoi elle s’est employée, à travers les amendements qu’elle a adoptés.

Certains de ces amendements ont supprimé purement et simplement des demandes d’habilitation qui n’avaient pas lieu d’être. D’autres les ont supprimées à titre conservatoire, dans l’attente de précisions complémentaires. D’autres encore y ont substitué des dispositions directement applicables. En effet, il n’est pas nécessaire – il est surtout moins rapide – d’habiliter le Gouvernement à faire ce que l’on peut accomplir dès à présent. Enfin, les derniers ont précisé le champ de l’habilitation, de façon à déterminer la solution que le Gouvernement devra retenir.

Je tiens à souligner la qualité du dialogue noué avec le Gouvernement sur ce texte. Il s’est montré attentif aux réserves que je lui opposais et a veillé, autant que possible, à préciser ce qui pouvait l’être. Plusieurs amendements déposés par le Gouvernement, en vue de notre séance publique, procèdent d’ailleurs directement de ce dialogue. J’ajoute – la situation est suffisamment rare pour le souligner – que l’étude d’impact est exhaustive, claire et bien construite.

Compte tenu de cet engagement du Gouvernement, ainsi que des principes clairs que la commission des lois a retenus, les conditions d’un examen serein, exigeant et responsable de ce texte me semblent réunies.

Mme la garde des sceaux vient de présenter l’essentiel des dispositions contenues dans ce texte. Bien qu’il ne compte que seize articles, les sujets qu’il aborde sont divers. Ils touchent tout d’abord au droit civil, avec la protection juridique des majeurs et des mineurs à l’article 1er, le droit des successions et des régimes matrimoniaux à l’article 2, le droit des obligations à l’article 3, le droit des biens à l’article 4, celui des procédures civiles d’exécution à l’article 5. À l’origine, il s’agissait, dans la plupart des cas, d’habiliter le Gouvernement à prendre certaines mesures ponctuelles de simplification, à l’exception de l’article 5, qui autorise la ratification du code des procédures civiles d’exécution et, surtout, de l’article 3. Je reviendrai sur ces points dans un instant.

Les dispositions du présent projet de loi touchent ensuite à l’organisation de la justice, dans son article 7, avec la réforme envisagée du Tribunal des conflits, pour mettre fin à la présidence du garde des sceaux. Cette réforme est très attendue par les praticiens. Le Gouvernement m’a transmis un premier projet, très inspiré des travaux de grande qualité du groupe de travail présidé par M. Jean-Louis Gallet, qui me semble vraiment intéressant. J’allais regretter que la demande d’habilitation persiste, mais vous venez de me rassurer sur ce point, madame la garde des sceaux. Il s’agira en effet de dispositions directement contenues dans le projet de loi, ce qui, à mon sens, ôtera tout motif de réserve.

Les dispositions du présent texte ont également trait à la procédure pénale, à l’article 8, avec, initialement, une demande d’habilitation pour mettre en œuvre la possibilité de procéder à des communications électroniques. Le Gouvernement a toutefois pu proposer, sur ce sujet sensible, une rédaction des dispositions envisagées, à laquelle la commission a souhaité apporter une garantie supplémentaire.

Enfin, les dernières mesures concernent l’administration de l’État et des collectivités territoriales, avec quelques simplifications mineures mais judicieuses aux articles 9 à 13, telles que la suppression de commissions ayant accompli leur objet, le transfert aux services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, ou au centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, de l’organisation de leurs élections et la compétence accordée aux maires sur certaines activités se déroulant dans leur commune.

Nous pourrons examiner plus en détail ces différents points lorsque nous aborderons les amendements. À ce stade, je souhaiterais, mes chers collègues, appeler votre attention sur deux questions.

La première a trait à l’article 3 et à la volonté initiale du Gouvernement de réformer le droit civil des obligations et des contrats par voie d’ordonnances, à laquelle la commission des lois s’est opposée de manière unanime. J’entends, madame la garde des sceaux, les arguments de l’exécutif : cette partie du code civil n’a pas bougé depuis 1804. Une jurisprudence considérable s’est développée à partir d’elle, ce qui a pour conséquence que, selon la formule du professeur Denis Mazeaud, que nous avons auditionné, « le droit des contrats n’est plus dans le code civil ».

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Cela nuit à la lisibilité et à la prévisibilité de notre droit. En outre, il faut moderniser certaines règles et, par exemple, intégrer une partie relative aux avant-contrats, en grande expansion. Enfin, vous l’avez souligné, par cette réforme, il faut prendre pied dans les réflexions en cours au niveau européen.

Ces arguments sont pertinents, et je les partage, pour conclure à la nécessité de la réforme. Néanmoins, cela ne dit rien de la façon dont elle doit être conduite. Or il ne semble pas qu’une réforme de cette importance, d’une partie aussi essentielle du droit civil, doive échapper à l’examen du Parlement. J’observe que la règle a longtemps été de toujours passer par la loi pour de telles réformes. Il n’y a eu que deux exceptions : la réforme du droit de la filiation, …

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Ce n’est pas banal !

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

… mais les modifications que la commission des lois a dû y apporter lors de la ratification montrent que cette exception n’a sans doute pas été heureuse, et la réforme du droit des sûretés, ratifiée à la va-vite dans un texte sur la Banque de France, procédé que Jean-Jacques Hyest avait vigoureusement dénoncé à l’époque.

L’argument selon lequel une telle réforme serait trop technique pour le Parlement, que nous avons pu entendre lors des auditions que nous avons menées, n’est tout simplement pas recevable. Il est contredit par le travail que nous avons conduit sur le droit des successions en 2005 ou sur celui des prescriptions en 2008. De plus, il obère le fait que le présent projet de loi pose de véritables questions politiques. Je ne citerai que deux exemples pour illustrer mon propos.

Premièrement, il y a un équilibre à trouver entre l’impératif de justice dans le contrat, qui peut justifier une plus grande intervention du juge ou une modification de ses termes, et celui qui s’attache à l’autonomie contractuelle et à la sécurité juridique du contrat, qui peut justifier qu’une partie reste tenue par ses engagements, même si ceux-ci lui deviennent défavorables.

Deuxièmement, la question se pose de la préférence donnée à la survie du contrat, pour en forcer l’exécution, ou à la sortie facilitée du contrat, par la sanction pécuniaire de l’inexécution. Faut-il autoriser la résiliation unilatérale du contrat ? Quels moyens donner à l’exécution des obligations ?

Les arguments que je vous livre sont des arguments de principe. Mais il me semble aussi que des considérations pratiques militent pour rejeter la demande d’habilitation et privilégier la voie d’un projet de loi.

Tout d’abord, la perspective d’une ratification n’est pas une garantie suffisante. Outre qu’elle n’intervient pas toujours, en dépit des engagements pris – je n’ai pas de raisons de douter de votre parole, madame la garde des sceaux, mais je parle de façon générale –, il n’est pratiquement pas possible au législateur, lors de la ratification, de remettre en cause les grands équilibres du texte, puisque l’ordonnance est déjà en vigueur depuis sa publication, ce qui cantonne son examen à un ajustement limité.

Ensuite, la voie de l’ordonnance n’est pas forcément plus rapide que celle du projet de loi ou de la proposition de loi. La réforme du droit des successions, comparable, par sa dimension, à celle du droit des obligations, en fournit un exemple parlant. Il s’est seulement écoulé un an entre le dépôt du texte par le Gouvernement, le 29 juin 2005, et son adoption définitive, le 13 juin 2006. Seuls deux jours de séance dans chaque chambre ont été nécessaires à son adoption en première lecture, puis une nuit à l’Assemblée nationale pour l’adoption définitive. À l’inverse, sept mois se sont écoulés entre l’habilitation du Gouvernement à procéder à la réforme de la filiation et la publication de l’ordonnance, le 5 juillet 2005, et plus d’un an pour l’examen du projet de loi de ratification, adopté le 6 janvier 2009. Le délai important entre le dépôt du projet de loi de ratification, le 22 septembre 2005, et la ratification elle-même fait que cette réforme aura attendu plus de quatre ans pour être définitivement fixée.

Enfin, j’ajoute que le choix du Gouvernement de passer par ordonnances conduit à une incohérence : il exclut du champ de la réforme le droit de la responsabilité civile, qu’il entend soumettre plus tard au Parlement. Ce faisant, le Gouvernement se contraint à faire la réforme du droit des contrats sans faire celle de la responsabilité contractuelle. Cela est d’autant plus dommage que l’avant-projet que le Gouvernement a eu l’amabilité de me communiquer est solide et pourrait faire l’objet d’une discussion parlementaire dans un avenir proche. Je ne doute pas que la commission des lois du Sénat se mobiliserait pour un tel projet.

Convaincue de la nécessité de soumettre ce projet à une discussion publique éclairée, que seul permet l’examen parlementaire, la commission a donc supprimé l’habilitation demandée par le Gouvernement. Loin de signifier le refus de cette réforme, ce vote est un appel insistant au Gouvernement pour qu’il inscrive rapidement ce texte à l’ordre du jour du Sénat, afin que celui-ci reçoive l’écho que sa qualité mérite.

Je souhaite, mes chers collègues, appeler votre attention sur une deuxième question. Elle a trait à l’article 11 relatif aux professions autorisées à donner des consultations juridiques et concerne plus particulièrement la pratique du démarchage en matière juridique, que j’ai souhaité soumettre solennellement à l’examen parlementaire. En effet, la question du démarchage juridique a fait l’objet d’un examen précipité dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, où il avait été réglé par un amendement tardif déposé par le Gouvernement en première lecture. Cela n’avait pas permis à la commission des lois, qui n’était pas saisie au fond du texte, d’en connaître. Les débats, rapides sur ce point au Sénat comme à l’Assemblée nationale, attestent de cette précipitation. Je souligne ce point de procédure, parce qu’il me semble qu’il aurait été opportun et légitime qu’une telle question fasse l’objet d’un débat plus ouvert.

Tout vient d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 5 avril 2011, qui a déclaré contraires à la directive Services les interdictions absolues de démarchage en matière juridique. Le Gouvernement a souhaité régler cette question rapidement, par le biais du projet de loi relatif à la consommation. Toutefois, la rédaction retenue fait débat, puisqu’elle réserve aux seuls avocats la possibilité de réaliser des sollicitations personnalisées, interdisant ainsi aux autres professionnels du droit, exerçant à titre principal ou accessoire, de procéder aux mêmes démarchages. Ainsi, demain, un avocat pourra démarcher un client pour lui proposer de rédiger un contrat de bail, mais un administrateur de biens, un agent immobilier ou un géomètre-expert ne pourra faire de même, alors que ces professionnels sont par ailleurs autorisés à rédiger de tels actes à titre accessoire.

Le dispositif adopté dans le projet de loi relatif à la consommation pourrait donc être perçu comme constitutif d’une rupture caractérisée d’égalité entre les professions autorisées à pratiquer le droit. Le risque d’inconstitutionnalité aurait dû être examiné, comme celui de contrariété avec le droit communautaire. À cet égard, on ne peut que regretter que les autres professionnels du droit n’aient pas été associés à la rédaction d’un dispositif qui, pourtant, les concernait par le monopole qu’il instituait.

Ce n’est pas la seule insuffisance du dispositif précédemment adopté, qui soustrait aussi les avocats à toute répression pénale, même en cas de démarchage abusif, en ne les soumettant plus qu’à leur discipline ordinale. En outre, il renvoie à un décret le soin de préciser l’encadrement nécessaire.

Or, pour contenir les excès possibles, il apparaît souhaitable de n’autoriser que le démarchage par voie écrite, afin de permettre aux personnes sollicitées de se constituer aisément une preuve de la démarche effectuée par le professionnel. De la même manière, il serait pertinent de renvoyer aux principes essentiels d’exercice de ce métier, pour garantir que le démarchage se déroulera dans le respect de la déontologie de cette profession.

Convaincue de la nécessité d’ouvrir le débat, la commission des lois a adopté un premier amendement, intégré au texte qui vous est soumis, posant directement la question du monopole. Il s’agit de remédier aux défauts que je vous ai présentés et d’ouvrir un débat public sur ces questions, que l’examen précipité du mois de septembre a trop vite refermé.

Dès le début, j’ai tenu à associer à mes travaux la profession d’avocat, dont j’ai reçu les représentants à trois reprises. Deux amendements très inspirés de leurs positions ont été déposés par plusieurs de nos collègues ; ils reconnaissent d’ailleurs la justesse de certains points, comme le fait d’inscrire dans la loi la limitation du démarchage aux seules sollicitations effectuées par voie écrite ou la référence aux principes essentiels d’exercice de la profession. La commission a adopté un sous-amendement à ces amendements, et elle vous proposera de les voter ainsi sous-amendés.

Au bénéfice de ces observations liminaires et sous réserve de l’adoption de ses amendements, la commission vous propose d’adopter le présent texte, pertinent et utile, dans les limites que nous lui avons fixées.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE . – M. Henri Tandonnet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Madame la garde des sceaux, vous nous avez parlé avec sincérité et humour. Vous avez bien fait !

Notre collègue Thani Mohamed Soilihi – vous savez que, à Mayotte, on l’appelle « maître Thani » ; c’est le signe de la sagesse qui le caractérise – a montré les difficultés devant lesquelles nous nous trouvons, que vous connaissez parfaitement. Franchement, faut-il céder à ce rituel qui consiste à protester avec force et véhémence contre les ordonnances dans certains domaines quand on est dans l’opposition et à convenir benoîtement que, après tout, il faut bien en passer par là quand on est dans la majorité ? Je n’en suis pas sûr.

Les ordonnances sont prévues par l’article 38 de la Constitution. Elles peuvent incontestablement être utiles – nous allons d’ailleurs en accepter certaines dans ce projet de loi – lorsqu’elles permettent d’effectuer des modifications à caractère technique et n’empêchent pas les débats fondamentaux, qui doivent relever de la loi. La commission des lois, hier comme aujourd'hui, a toujours eu cette position, comme elle a une position constante sur les lois mémorielles. Nos collègues Patrice Gélard et Jean-Jacques Hyest peuvent en témoigner.

Nous nous sommes élevés contre les ordonnances hier ; nous étions dans l’opposition, tandis que d’autres collègues siégeaient dans la majorité. Nous nous élevons à nouveau contre le fait de recourir aux ordonnances dans le cadre de l’article 3 – tous les groupes politiques ont été unanimes sur ce point – et d’autres articles que M. Mohamed Soilihi a mentionnés. Sur d’autres dispositions, en revanche, il n’y a pas de problème ; je n’y reviens donc pas.

Rappelons-nous des grands anciens. Lorsque Portalis, qui est ici et nous observe, …

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pas d’idolâtrie !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… a présenté devant l’assemblée de l’époque son projet de code civil, que vous avez évoqué avec éloquence, il a dit ceci : « Le plan que nous avons tracé de ces institutions remplira-t-il le but que nous nous sommes proposé ? Nous demandons quelque indulgence pour nos faibles travaux, en faveur du zèle qui les a soutenus et encouragés. Nous resterons au-dessous, sans doute, des espérances honorables que l’on avait conçues [du résultat] de notre mission : mais ce qui nous console, c’est que nos erreurs ne sont point irréparables ; une discussion solennelle, une discussion éclairée les réparera. »

En présentant ce projet de code civil, qui aura la postérité que nous savons, voilà que Portalis parle avec une infinie modestie et indique que le texte, pour atteindre le statut qui doit être le sien, a besoin du travail du Parlement, ce travail auquel nous tenons tant.

Le doyen Carbonnier, quant à lui, a parlé du code civil comme de la « Constitution civile de la France ». C’est dire l’importance de ce texte.

Je pourrais en citer d’autres ; il en est tant. Je me permettrai simplement de me référer à un ami qui m’était cher, avec qui j’ai eu l’occasion de cheminer pendant quelques décennies : Guy Carcassonne. Dans son ouvrage commenté de laConstitution, il écrit en 2004 : « Décidément, pour faire de bonnes lois, on n’a pas encore inventé mieux que le Parlement. Les ordonnances, en effet, sont exactement comme des projets de loi qui deviendraient directement des lois. Ce sont généralement des textes défectueux, dont les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce innocemment, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle utilement. Elles sont donc à n’utiliser qu’avec modération. »

Si Guy Carcassonne était là – peut-être est-il parmi nous par la force de l’esprit –, je lui dirais que, dans cette citation, il n’a pas été sympathique à l’égard des chefs de bureau, pour lesquels nous avons tous un très grand respect… Reste qu’il faut aborder clairement la question qui est sous-jacente. Je crois que, bien souvent, au sein du pouvoir exécutif, certains soirs, la fatigue ou le harassement aidant, on arrive à considérer que passer devant le Parlement finit par être une contrainte. Cela irait tellement plus vite, ce serait tellement plus simple si l’on ne devait pas, de jour en jour, de nuit en nuit, de commission en séance publique, de navette en commission mixte paritaire, venir devant le Parlement…

La procédure des ordonnances a été inventée pour traiter de sujets qui requièrent assurément des procédures rapides, plus simples. Il est bien que cela existe. Mais lorsque de grands sujets du code civil que sont le droit des contrats et le régime des obligations sont en cause – M. le rapporteur a rappelé combien ces matières étaient complexes et le fait que des problèmes devaient être tranchés, même si vous avez rédigé un avant-projet d’ordonnance –, le travail du Parlement est irremplaçable. Il faut le dire et le répéter !

La commission des lois a décidé de faire une réunion sur l’écriture de la loi. Vous connaissez bien ce travail, madame la garde des sceaux, que ce soit hier comme parlementaire ou aujourd'hui comme ministre, dans lequel vous excellez. C’est un travail lent, laborieux, mais tellement intéressant. Il consiste à passer au tamis de tous les amendements venant de tous les groupes toute ligne du texte.

La République a voulu que la loi fût écrite non pas par des juristes, si brillants et si compétents soient-ils, mais par les représentants de la nation. C’est un processus au sein duquel tous les groupes s’expriment. Chaque parlementaire intervient dans le feu du débat et, de débat en débat, on arrive peu à peu à écrire un texte, poli et repoli au fil des navettes ; c’est pourquoi nous n’aimons pas la procédure accélérée. De cette manière, s’ébauche peu à peu, puis se perfectionne cette loi dont tous les mots, toutes les lignes, tous les alinéas s’appliqueront à l’ensemble du peuple français, souvent pour des décennies, voire des siècles ; dois-je évoquer à nouveau Portalis et le code civil ?

Si je suis monté à cette tribune, c’est tout simplement pour soutenir les propos de notre rapporteur, prendre acte du fait que, ce que je dis ici, vous le saviez déjà – d’une certaine manière, votre discours en témoigne – et vous faire une proposition concrète dont nous avons parlé en commission.

Voyez-vous, la dernière réforme constitutionnelle a prévu qu’une semaine de séance sur quatre serait désormais consacrée au contrôle parlementaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous nous posons en effet certaines questions au sujet de cette semaine de contrôle. Comme vient de le souligner Jean-Louis Carrère, il arrive qu’elle donne lieu à de nombreux débats platoniques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Croyez bien que je ne dis pas cela pour porter préjudice à Platon, qui nous a tellement apporté et appris.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Puisque les commissions peuvent, comme les groupes politiques, faire des propositions en matière d’organisation de la semaine de contrôle, nous vous faisons une proposition très simple, madame la garde des sceaux : la commission des lois pourrait – j’ai déjà effectué cette démarche auprès des instances du Sénat – demander qu’une partie d’une semaine de contrôle soit consacrée à l’examen de votre projet de loi.

Nous savons que, avant de déposer votre projet de loi devant le Sénat, il vous faudra le soumettre au Conseil d'État, même si celui-ci a déjà traité de la matière, et le présenter en conseil des ministres. Nous savons également que la discussion en séance d’un projet de loi ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai de six semaines après son dépôt. Si vous saisissez le Conseil d'État dans les jours qui viennent, nous pourrions envisager d’examiner votre projet de loi en séance au mois de mai ; vous le voyez, le délai ne serait pas très important. Cela nous permettrait de faire prévaloir la nécessité du processus parlementaire d’examen, de débat et de vote.

Madame la garde des sceaux, nous savons très bien ce qu’il en est des ordonnances et de leur ratification. S'agissant des deux exceptions citées par notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, le droit des sûretés, en 2006, et la filiation, je ne vous donnerai pas lecture des propos tenus par un certain nombre d’orateurs, dont votre serviteur, en séance publique. Dans l’un des deux cas, l’habilitation a été vigoureusement dénoncée par des membres de la majorité comme de l’opposition. La commission des lois avait adopté un amendement visant à supprimer l’habilitation à prendre une ordonnance relative à la filiation, et le champ de l’ordonnance relative aux sûretés avait été considérablement réduit par l’Assemblée nationale. Jean-Jacques Hyest s’était à l’époque élevé contre la méthode employée.

Notre position est constante. Il ne s’agit pas de refuser le débat, mais au contraire de vouloir le débat. Il s'agit également de défendre les prérogatives du Parlement sur des sujets importants. Nous demandons simplement à remplir notre office. Ce sont donc des raisons de fond qui ont conduit la commission des lois à s’opposer unanimement à votre souhait que l’article 3 du projet de loi habilite le Gouvernement à réformer le livre III du code civil par voie d’ordonnances.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le président de la commission des lois vient de faire un certain nombre de constats que nous partageons toutes et tous au sein de la commission. Étant donné le temps qui m’est imparti, je reprendrai certains éléments de manière plus concise, mais avec la même force.

Je commencerai par saluer le rapport de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui consacre un certain nombre de pages aux effets du recours excessif aux ordonnances prévues par l’article 38 de la Constitution. Il est devenu commun de dénoncer l’usage abusif de ce mécanisme depuis le début des années 2000. Permettant au Gouvernement de demander au Parlement de l’habiliter à légiférer par ordonnances « pour l’exécution de son programme » et « pendant un délai limité », les dispositions de l’article 38 ont en effet suscité un regain d’intérêt, ce qui a entraîné une accélération inédite de leur fréquence d’utilisation en 2002. Alors que, au début de la Ve République, l’emploi des délégations législatives relevait de l’exception, au point que certains s’étaient même interrogés sur l’utilité de ce dispositif, force est de constater que son usage s’est aujourd’hui largement banalisé. Les chiffres rappelés dans le rapport parlent d’eux-mêmes.

Les ordonnances, qui contribuent à l’inflation et au désordre normatifs, touchent aux domaines législatifs les plus divers. Comme le relevait le secrétaire général du Conseil constitutionnel, Marc Guillaume, en 2005, « depuis trois ans, il n’est pas de domaine du droit, ou presque, qui n’ait fait l’objet d’habilitation puis d’ordonnance ». Le Conseil constitutionnel n’a cependant pas souhaité encadrer la pratique des ordonnances par sa jurisprudence. Celle-ci s’illustre au contraire par une réelle souplesse dans l’évaluation des conditions de constitutionnalité des dispositions législatives d’habilitation et par une singulière bienveillance à l’égard des justifications du recours à l’article 38.

Une telle position, que le Conseil constitutionnel justifie par l’urgence et l’encombrement de l’ordre du jour parlementaire, n’est pas de nature à encourager la réduction du nombre de projets de loi demandant une habilitation à légiférer par ordonnances, et elle est critiquable dans la mesure où elle permet au Gouvernement, avec la complicité de sa majorité parlementaire, d’enlever au Parlement l’une de ses principales prérogatives : le vote de la loi. Il est vrai que, comme cela a été souligné, nous pourrions de notre côté réfléchir à une autre organisation de nos travaux parlementaires, afin de disposer de plus de temps pour jouer pleinement notre rôle.

Urgence, retard dans la transposition des directives communautaires et simplification du droit sont au nombre des raisons régulièrement invoquées par les gouvernements successifs pour légiférer par ordonnances.

J’estime que certaines dispositions du présent projet de loi se justifient – je vous rejoins, madame la garde des sceaux –, car elles relèvent réellement de la simplification. C’est le cas de la disposition qui prévoit de mettre en place un mode simplifié de preuve de la qualité d’héritier auprès des administrations et des établissements bancaires, de celle qui prévoit d’ouvrir la possibilité aux personnes atteintes de surdité et de mutité de disposer de leurs biens au moyen d’un testament authentique et de bénéficier ainsi de la même sécurité juridique que les autres citoyens, ou encore de celle qui prévoit de simplifier les règles relatives à la gestion par les citoyens des biens de leurs enfants mineurs par une réforme de l’administration légale dont l’objet est notamment d’éviter un contrôle systématique des agissements des parents par le juge des tutelles.

En revanche, je considère, comme notre rapporteur, que la réforme majeure et attendue du droit des obligations ne peut pas être réalisée par voie d’ordonnances. Toute réforme du code civil, qui organise la vie de nos concitoyens depuis plus de deux siècles, revêt une importance telle qu’il n’est pas concevable qu’aucun débat public n’ait lieu au préalable. Je salue donc le choix fait par notre commission de supprimer la disposition prévoyant la mise à l’écart du Parlement sur un sujet de cette ampleur.

Je salue également la suppression d’un certain nombre de dispositions qui n’avaient pas lieu de figurer dans le projet de loi, ainsi qu’un certain nombre d’amendements du Gouvernement, par lesquels celui-ci renonce à demander une habilitation à légiférer par ordonnances pour introduire directement les dispositions correspondantes dans le projet de loi.

Madame la garde des sceaux, j’entends ce que vous dites au sujet de l’utilité de la navette. Je tiens cependant à rappeler – les dernières semaines nous ont quelque peu refroidis – que la navette vise à enrichir les textes, et non à permettre au Sénat d’adopter des textes qui sont ensuite vidés de leur substance par l’Assemblée nationale.

Le projet de loi comporte encore quelques dispositions qui suscitent des interrogations ; nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.

Mes chers collègues, la récurrence des critiques à l’encontre de l’excès de la législation déléguée et l’absence de réelle mesure visant à y remédier illustrent finalement le paradoxe du mécanisme prévu par l’article 38 : bien qu’il soit dénoncé de toutes parts, comme cela vient d’être fait et comme, je n’en doute pas, cela sera fait par les prochains orateurs, son emploi itératif démontre que les membres des gouvernements successifs, qui ont pourtant critiqué son utilisation à outrance lorsqu’ils étaient parlementaires, n’ont pas su s’en défaire une fois arrivés aux responsabilités.

À rebours des déclarations du Président de la République, qui a récemment souhaité que le Gouvernement recoure à cette formule pour légiférer plus rapidement, notre groupe continuera à dénoncer l’usurpation du droit des parlementaires par le Gouvernement. En attendant, au regard du travail fait par notre commission pour ne conserver dans le projet de loi que les dispositions pour lesquelles le recours aux ordonnances se justifie – dans certains cas précis, ce recours peut être mis en discussion –, nous pensons que nos débats d’aujourd'hui et de jeudi lèveront les inquiétudes et les craintes politiques qui subsistent sur plusieurs points et conforteront le texte de la commission. Nous espérons donc que nous pourrons voter le projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui répond à un impératif de sécurité juridique bien connu, qui est celui de la modernisation et de la simplification du droit. La modernisation de l’action publique a été engagée par le Gouvernement dans une volonté affirmée de « choc de simplification ». Un programme de simplification sera ainsi mis en œuvre entre 2014 et 2016. Ce programme vise à faciliter la vie des particuliers et des entreprises, ainsi que le travail des services dont les tâches peuvent être allégées et recentrées sur leurs missions essentielles.

Il ne s’agit pourtant pas d’une préoccupation nouvelle dans la sphère publique. Le Conseil constitutionnel a consacré un objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi dans sa décision du 16 décembre 1999, ainsi qu’un principe à valeur constitutionnelle de clarté de la loi. Le Conseil d’État a ensuite affirmé le principe général de sécurité juridique dans son arrêt Société KPMG de 2006. On retrouve également ce principe au niveau européen, depuis l’arrêt Bosh rendu en 1962 par la Cour de justice des Communautés européennes. La Cour européenne des droits de l’homme a quant à elle posé une exigence de stabilité et de prévisibilité de la loi dans ses arrêts Sunday Times contre Royaume-Uni, en 1979, et Hentrich contre France, en 1994.

Certains pays, au premier rang desquels l’Allemagne et l’Angleterre, se sont attelés à la tâche. La France n’a pas dérogé à la règle : la loi du 20 décembre 2007, la loi du 12 mai 2009 et la loi du 17 mai 2011 se sont successivement donné pour objectif la simplification et l’amélioration du droit. Le groupe du RDSE a voté la grande majorité de ces textes.

L’objectif de simplification du droit est incontestable et incontesté sur toutes nos travées. Cependant, il ne doit pas conduire à ce que la simplification ignore la complexité inhérente au droit, qui n’est bien souvent que le reflet de la complexité, ô combien grande, de la réalité des rapports sociaux. Par un retournement, la simplification du droit pourrait rendre encore plus compliqué ce qui l’est déjà bien assez. C’est parce que la complexité est parfois nécessaire que le groupe du RDSE a déposé certains amendements.

La réforme du code civil et du droit des contrats et des obligations ne pouvait faire l’objet d’un simple article tentant de balayer à grands traits un pan entier – et l’un des plus importants – du droit. Sur ce point, nous suivons l’avis de la commission des lois, qui s’est prononcée pour la suppression de l’article en question.

La suppression de l’action possessoire et son remplacement, peu ou prou, par une action en référé sont un exemple de cette fausse simplicité qui est parfois à l’œuvre dans les textes de simplification et de modernisation. Même si elle est peu utilisée, l’action possessoire prévue par l’article 2279 du code civil contribue à la paix de nos voisinages et au maintien de l’ordre public, car elle permet d’éviter que, en cas d’éviction du véritable propriétaire, celui-ci ne se livre à des voies de fait pour récupérer son bien. A contrario, son remplacement par une action en référé ne permettrait pas l’écoulement de cette temporalité favorable au règlement, parfois amiable, des différends possessoires.

De même, la disparition de l’obligation d’un titre exécutoire, lorsque l’huissier de justice s’adresse à l’administration, permettrait, certes, de fluidifier l’œuvre des huissiers, mais à quel prix ! L’exigence d’un tel titre permet de contrebalancer les éventuelles atteintes à la vie privée et de ne pas donner un caractère par trop intrusif aux procédures civiles d’exécution. Ces « ingérences légitimes », pour reprendre la terminologie de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, paraissent opportunes, l’ordre public étant en jeu. L’huissier est en effet celui qui protège l’exécution des décisions de justice et, finalement, le droit au recouvrement de la créance pour celui qui a obtenu un titre exécutoire la constatant. Toutefois, je le répète, si les procédures civiles d’exécution ont effectivement besoin d’être efficaces, elles ne doivent pas être intrusives à l’excès.

Le travers de la fausse simplicité se manifeste également avec la suppression de l’avis conforme du conseil municipal pour les budgets des CCAS. Les emprunts des CCAS sont soumis au jeu des articles L. 2131-1 et L. 2121-34 du code général des collectivités territoriales, ce dernier subordonnant les délibérations des CCAS concernant un emprunt exécutoire à un avis conforme du conseil municipal lorsque les conditions suivantes sont réunies : la somme à emprunter ne dépasse pas, seule ou réunie au chiffre d’autres emprunts non encore remboursés, le montant des revenus ordinaires de l’établissement et le remboursement doit être effectué dans le délai de douze années, sous réserve que le projet en ait été préalablement approuvé par l’autorité compétente, s’il s’agit de travaux quelconques à exécuter.

Bien évidemment, nous sommes très attachés aux libertés territoriales, mais quelle est la réalité concrète des CCAS ? Dans beaucoup de communes, plus particulièrement dans les plus petites d’entre elles, cet organisme ne se réunit pas. Cependant, les CCAS peuvent disposer d’un budget élevé : pour exemple, une subvention de 1 million d’euros a été accordée au CCAS d’Aurillac, cher au président de notre groupe, en 2012, par la commune.

Leurs ressources proviennent également des versements effectués par les organismes d’assurance maladie, d’assurance vieillesse, les caisses d’allocations familiales ou tout autre organisme ou collectivité au titre de leur participation financière aux services gérés par le CCAS. L’engagement et le risque liés aux prêts contractés par ces structures concernant donc la commune de manière directe, ainsi que l’État en dernier ressort, ceux-ci doivent continuer à être soumis à un avis conforme du conseil municipal, compris comme une garantie essentielle du service public et de l’équilibre des finances locales.

Enfin, nous vous proposerons un amendement visant à établir la mixité des sexes dans la composition de la formation collégiale mentionnée à l’article L. 213-4 du code de l’organisation judiciaire. Le juge aux affaires familiales peut renvoyer à la formation collégiale du tribunal de grande instance qui statue comme juge aux affaires familiales, et ce renvoi est de droit, à la demande des parties, pour le divorce et la séparation de corps. Les promotions de l’École de la magistrature étant composées de près de 80 % de femmes, chaque année, les tribunaux entièrement féminisés, de la greffière à la procureur, sont donc amenés à se multiplier. Notre amendement tend ainsi à équilibrer les jugements en les faisant procéder de regards masculin et féminin, et ce pour une meilleure justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Le groupe du RDSE est favorable à la modernisation et à la simplification du droit. Comment pourrait-il en être autrement ? Nos amendements, toutefois, visent à corriger les travers, peut-être inévitables, de ces textes qui touchent des pans entiers du droit.

Nos amendements ont donc vocation à contenir la dérive d’un système de véhicule législatif qui complique parfois plus qu’il ne simplifie et dont les conséquences réelles ne sont pas suffisamment appréciées. C’est donc, vous l’aurez compris, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avec la plus grande attention que nous suivrons les débats, aujourd’hui et jeudi, sur ce projet de loi.

Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRC, ainsi qu’au banc de s commission s .

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vient allonger la liste des projets de loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances. Il s’inscrit dans le programme de simplification, d’allégement des contraintes, de clarification de l’action administrative et de modernisation du droit et des procédures. L’objectif visé ici, que nous ne pouvons qu’approuver, est non seulement de moderniser certaines règles de droit pour en améliorer la lisibilité et l’intelligibilité, mais également de simplifier des procédures pour obtenir une réponse adaptée aux besoins exprimés par les justiciables.

Il est sans nul doute à la fois pertinent et urgent d’améliorer la lisibilité de notre législation et, partant, la sécurité juridique de nos concitoyens, mais, en tant que parlementaires, nous ne pouvons que regretter à nouveau de ne pas pouvoir débattre plus sereinement de toutes les mesures, qui sont ici fort nombreuses, comme je l’ai déjà dit. De surcroît, ce projet de loi, qui tend à réécrire des pans entiers du code civil, est débattu dans un temps encore limité par le recours à la procédure accélérée.

Les écologistes, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont déjà contesté ce mode d’examen de textes ambitieux et importants pour la vie de nos concitoyens. Nous le contestons encore aujourd’hui, et ce d’autant plus que le texte initial concernait, notamment, le droit des obligations, pilier du droit civil s’il en est.

Ces réserves sur la forme étant exprimées, j’en viens au fond du projet de loi d’habilitation que nous examinons aujourd’hui. Pour commencer, je tiens à saluer le travail de notre rapporteur, M. Mohamed Soilihi, qui, en limitant les habilitations au strict nécessaire, a contribué à rendre ce texte nettement plus acceptable.

Si l’examen exhaustif de ce projet de loi paraît ici impossible, tant les sujets abordés sont nombreux et techniques, on peut y distinguer deux séries de mesures.

D’une part, il y a les demandes d’habilitation ou les mesures d’application directe ponctuelles visant à la simplification ou à la modernisation de règles ou de procédures de droit privé ou administratif. Ces dispositions nous semblent nécessaires et opportunes.

D’autre part, on trouve dans ce texte certaines demandes d’habilitation qui se distinguent des autres par l’ampleur des modifications qu’elles sont susceptibles d’engager : il s’agit des réformes relatives au droit des obligations, à l’article 3, au Tribunal des conflits, à l’article 7, à la communication électronique en matière pénale, à l’article 8, et à la simplification des régimes d’autorisation administrative applicables aux entreprises, à l’article 14. De telles mesures apparaissent plus problématiques aux yeux des écologistes. En effet, le texte initial du projet de loi se distinguait des autres projets de loi d’habilitation en ce qu’il prévoyait, entre autres mesures, la réforme des titres III et IV, hors responsabilité, du livre III du code civil, consacrés au droit des contrats et des obligations.

Comme l’a justement rappelé M. le rapporteur, par son ampleur, près de 300 articles, comme par ses répercussions éventuelles, le droit des contrats et des obligations étant la source de nombreux autres droits, comme ceux des affaires et de la consommation, le présent projet de réforme était le plus ambitieux depuis la création du code civil. Nous considérons qu’une telle ambition, si elle est sans nul doute nécessaire, mérite un travail parlementaire de réflexion approfondi. En effet, loin d’être seulement technique, la réforme du droit des obligations pose des questions politiques majeures, qu’il revient au seul Parlement de trancher. Nous nous réjouissons donc que la commission se soit opposée à ce que celle-ci puisse être traitée par voie d’ordonnances.

Dans le même sens, nous ne pouvons qu’approuver la suppression de l’article 14 tendant à habiliter le Gouvernement à basculer certains régimes d’autorisation administrative applicables aux entreprises en régime déclaratif ou à supprimer les uns et les autres. L’objectif louable de poursuivre ainsi le mouvement de simplification entrepris avec l’adoption du principe selon lequel le silence de l’administration vaut accord ne pouvait justifier une habilitation aussi imprécise et générale qui n’apportait aucune garantie concernant la sécurité juridique des actes.

Je terminerai mon propos en rappelant qu’il est difficile aux membres du groupe écologiste d’accepter que, sous couvert de simplification, des pans entiers du code civil soient réécrits par ordonnances, notamment s’agissant de sujets aussi importants que le droit des contrats. Le travail de la commission des lois, sur l’initiative de M. le rapporteur, a fort heureusement permis d’aboutir à un texte plus équilibré, auquel le groupe écologiste apportera son soutien.

M. le président de la commission des lois applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, quand je lis le mot « modernisation », je m’inquiète. Avec le terme « simplification », je m’interroge. Et avec l’expression « par ordonnances », j’ai envie de bouillir !

Cela dit, comme vous l’avez très bien démontré, madame le garde des sceaux, les ordonnances sont un mal nécessaire. Vous avez rappelé les ordonnances portant adaptation du droit aux outre-mer. La commission des lois en a d’ailleurs corrigé un grand nombre au moment de leur ratification. Par parenthèses, ce phénomène montre la mauvaise habitude prise par certaines administrations de ne pas mettre directement dans la loi ce qui concerne l’outre-mer.

Il n’en demeure pas moins que le recours à l’article 38 de la Constitution s’est accéléré.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Sous l’ancien quinquennat ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Depuis que vous êtes aux responsabilités, même si c’est récent, le mouvement s’est encore accéléré : il y a de plus en plus d’ordonnances !

Après Jean-Pierre Sueur, qui nous a en quelque sorte donné la solution, permettez-moi de dire que notre méthode de travail a été complètement déstabilisée par le fait qu’on a voulu à tout prix partager l’ordre du jour entre le Gouvernement et le Parlement. Le Sénat, pour sa part, avait considéré qu’une semaine sur quatre réservée à l’initiative parlementaire était suffisante et que, en tout état de cause, le contrôle se faisait toute l’année, notamment en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Malheureusement, nous n’avons pas été entendus et il a bien fallu faire un compromis, qui nous a conduits à la situation actuelle. Si ces quelques semaines sont certainement très utiles pour débattre, elles ne font pas avancer la législation.

De plus, nous savons très bien que nous légiférons beaucoup trop. Nous faisons même des lois avec tellement d’ajouts – je pense à la loi sur la consommation ou à celle sur le logement – qu’elles en deviennent absolument hirsutes, à tel point que nous sommes obligés d’y revenir pour les corriger. Ce fut le cas par exemple pour le démarchage en matière juridique.

On nous dit que la législation serait bien meilleure après étude par des directions éminentes, puis l’avis du Conseil d’État, qui est forcément bien plus compétent que ces imbéciles de parlementaires…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Qui dit cela ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Je me suis laissé dire que le président d’une très haute juridiction française avait accusé les parlementaires de ne pas savoir faire la loi, ce que j’ai vivement regretté.

Un autre argument utilisé en faveur des ordonnances est que certains sujets n’intéresseraient personne. Lorsque nous avons consenti, difficilement, à ce que le droit des sûretés soit réformé par ordonnances, j’avais protesté. On m’avait alors expliqué gentiment que, les hypothèques n’intéressant que moi, nous nous serions retrouvés à trois sénateurs en séance pour en débattre. On nous avait dit la même chose pour les prescriptions, mais le projet d’ordonnance qui nous a été présenté était tellement faible – c’est le moins qu’on puisse dire ! – que le droit des prescriptions a été finalement réformé par une proposition de loi du Sénat, avec le concours irréprochable de la direction des affaires civiles et du sceau de la Chancellerie. Le Parlement dispose donc de toutes les capacités nécessaires pour modifier des pans entiers du droit civil.

Je ne me résous pas à ce que le droit des contrats et des obligations et le droit de la preuve soient réformés par ordonnances. La seule justification du recours à cette procédure, c’est le manque de temps, car le Parlement est tout à fait capable de s’en charger. Vous le savez très bien, puisque nous avons réalisé d’importants travaux sur ces sujets : en ce qui me concerne, j’ai travaillé avec des universitaires. Nous avions d’ailleurs dit à l’époque que, si le Gouvernement ne nous présentait pas de projet de loi, nous déposerions une proposition de loi. Je ne doute pas que le Parlement finira bien par réformer le droit des obligations.

Votre démonstration était parfaite, madame le garde des sceaux, mais elle est totalement inaudible pour la commission des lois du Sénat : nous souhaitons qu’une réforme aussi considérable soit débattue au Parlement, car elle a des implications nombreuses. On ne peut donc pas se contenter de voter une loi d’habilitation, car vous savez très bien comment se passe l’adoption des projets de loi de ratification. J’ajoute, au passage, que c’est la dernière réforme constitutionnelle qui a imposé au Gouvernement de procéder à une ratification explicite : antérieurement, celle-ci pouvait être implicite et on ne savait pas très bien quelles étaient les dispositions effectivement ratifiées – ce changement représente un progrès, même s’il n’est pas suffisant !

Ce texte touche essentiellement au droit civil, mais il comporte aussi des dispositions qui ne se rattachent pas directement à votre champ de compétences, ce qui est normal : on y a inséré tout ce qu’on a pu…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Non, nous avons procédé à un choix méticuleux !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

C’est toujours ce qui se dit, mais il y a des précédents…

Vous avez pu constater que certaines habilitations pouvaient être transformées en dispositions d’application directe, puisqu’elles touchent à des questions relativement simples qui ne méritent pas que l’on recoure à une ordonnance, ce qui permet de gagner du temps. Le consentement des sourds et muets en est un bon exemple. Nous avions achoppé à plusieurs reprises sur ce problème, et nous vous proposons de le résoudre directement ; il me semble que tout le monde y trouvera un bénéfice.

J’insiste également sur la nécessité de bien préciser le domaine de l’habilitation. C’est ainsi que la rédaction de l’article 14 était vraiment trop floue. Je suis d’accord pour qu’on aille dans le sens que vous préconisez, mais il est nécessaire de préciser toutes les procédures d’autorisation qui pourraient être remises en cause. En l’état du texte, tout peut être changé, et je pense que le Conseil constitutionnel pourrait trouver à y redire.

M. le rapporteur, qui a réalisé un excellent travail, a permis d’apporter un certain nombre de précisions et de rendre directement applicables les dispositions qui ne méritaient pas le recours à une habilitation ; il a également prévu de n’accorder l’habilitation que sur les sujets qui le méritaient. Comme vous le voyez, je ne suis pas systématiquement opposé aux ordonnances, et je n’y suis pas plus hostile maintenant que je suis dans l’opposition que lorsque j’appartenais à la majorité, à la différence de certains !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Pas moi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest. Je ne pensais pas à vous.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Quand on parle de simplification, notamment en ce qui concerne les collectivités territoriales, je m’amuse de constater que l’État se désengage tout en laissant les autres se débrouiller. L’État ne peut plus s’occuper des courses cyclistes, parce que les préfectures ne disposent quasiment plus de personnel, c’est donc aux maires qu’il appartient de trouver une solution ; il en va de même pour les loteries ! Or ce désengagement pose des problèmes juridiques.

Même si je ne suis pas farouchement opposé à ces évolutions, force est de constater que, s’il n’y a plus de tutelle, ces activités sont encore soumises à autorisation administrative, et l’État ne peut pas s’en désintéresser. On peut laisser les collectivités territoriales se débrouiller, à condition qu’elles disposent des compétences juridiques et techniques pour faire face à ces nouvelles demandes d’autorisation. Voilà ce que j’ai ressenti à la lecture des dispositions concernant les collectivités territoriales : on déclare leur donner plus de libertés, mais on ne leur accorde pas plus de moyens. Nous avons pu le constater par ailleurs en matière d’urbanisme, où les petites communes sont lâchées en rase campagne : elles pouvaient encore bénéficier de l’assistance des services de l’État, mais celle-ci leur a été retirée à partir du 1er janvier 2014 !

Ces évolutions sont imposées par la nécessité, pour l’État, de réaliser des économies. Il ne faudrait pas pour autant déstabiliser davantage les collectivités territoriales en les amenant à engager toujours plus leur responsabilité. Une réflexion générale doit donc être engagée, car il ne s’agit pas de la première – ni de la dernière ! – loi de simplification ou de modernisation. Celles-ci ne peuvent pas avoir pour seul objectif de faire des économies, même si ce souci est louable : il faut aussi garantir aux collectivités territoriales, notamment aux petites communes, une certaine assistance de l’État.

Telles sont les observations que ce texte appelle de ma part, après les remarquables tirades du président Sueur – je me réjouis de constater une continuité à la commission des lois ! Madame le garde des sceaux, présentez-nous un excellent projet de loi…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Celui-ci est excellent, vous avez pu le voir !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Je parle de la réforme du droit des obligations : je n’ai encore rien vu !

Je vais conclure, bien qu’il me reste encore trois minutes de temps de parole, mais je sens que tout le monde veut assister aux vœux du Président de la République. Comme je n’y suis pas invité, j’ai tout mon temps…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest. Le groupe UMP soutiendra donc les propositions de la commission des lois.

Applaudissements sur de nombreuses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à la lecture de son intitulé, on ressent immédiatement que le projet de loi a un objet assez vague, pour ne pas dire flou. On est tenté de penser à une catégorie de textes, que l’on a souvent qualifiés de « fourre-tout » et que l’actuelle majorité a tant décriés à une époque.

Même si notre rapporteur a tenté de trouver un fil conducteur à ces dispositions, reconnaissez qu’il est difficile d’établir un lien étroit entre l’action possessoire, la communication par voie électronique en matière pénale et le régime juridique applicable aux voitures de petite remise.

Les sénateurs de notre groupe rappelaient régulièrement lorsque nous examinions les propositions de loi dites « Warsmann » que nous n’appréciions pas la méthode ; permettez que nous continuions aujourd’hui à penser de même, madame la garde des sceaux. Toutefois, la différence fondamentale entre le présent projet de loi et les propositions de loi que je viens de mentionner tient au fait que ces dernières permettaient au Parlement d’exercer directement sa mission, c’est-à-dire de légiférer. Dans le cas présent, non seulement le Gouvernement nous propose une jungle de dispositions sans lien entre elles, mais, surtout, il nous demande de nous dessaisir et de le laisser légiférer par ordonnances. Disons-le clairement : nous ne sommes pas favorables à cette méthode.

On observe un phénomène préoccupant de multiplication des ordonnances tout au long de la Ve République – vous n’êtes pas la seule mise en cause, madame la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Ah ! Quand même !

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Cette évolution est alarmante.

Dans l’édition de 2011 de son ouvrage intitulé La Constitution, Guy Carcassonne considérait en effet que l’« usage immodéré » des ordonnances est « franchement inquiétant ». Analysant la valeur des textes ainsi adoptés, il se montrait particulièrement sévère, les jugeant « généralement […] défectueux ». Il ajoutait que « les malfaçons ne se révèlent qu’a posteriori, là où il se serait sans doute trouvé un parlementaire pour soulever, fût-ce ingénument, le problème qui ne s’est découvert qu’après, à l’occasion de contentieux multiples. Le tamis parlementaire a des vertus intrinsèques. À qui pourrait les oublier, cette législation de chefs de bureau que sont les ordonnances le rappelle. » Tout est dit !

Le comble, c’est que le Gouvernement nous propose ici de recourir aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution dans des matières hautement symboliques. Quoi de plus symbolique, en effet, que le code civil ?

La réforme proposée, par son ampleur – près de 300 articles – comme par ses répercussions éventuelles, est la plus ambitieuse depuis la création du code civil. Le droit des contrats est en passe d’être remanié de fond en comble à cette occasion. Peut-on raisonnablement envisager une telle réforme par voie d’ordonnances ? Évidemment, non ! Si encore vous aviez annexé les projets d’ordonnances au présent projet de loi, nous aurions pu nous prononcer autrement…

Pour reprendre les mots très justes de notre rapporteur, « l’importance de l’enjeu semble exiger que le Parlement se saisisse de cette réforme, afin qu’un débat public puisse avoir lieu ». Oui, un débat public sur ces matières qui touchent le quotidien de nos concitoyens, aussi bien dans leur vie privée que dans la vie des affaires, est indispensable ! D’ailleurs, à deux exceptions près, la réforme de la filiation en 2005 et celle du droit des sûretés en 2006, la règle a toujours été de réformer le droit civil par la loi.

Je tiens donc à saluer la position de principe affirmée par notre rapporteur et soutenue par le président Sueur : la commission des lois du Sénat a toujours refusé les ordonnances dans certains domaines, comme le droit civil ou le droit pénal. Nous entendons bien tous continuer à appliquer cette doctrine.

Le rapporteur, M. Thani Mohamed Soilihi, a détaillé les raisons de forme, que j’ai évoquées précédemment, mais également les raisons de fond qui justifient notre position : la réforme du droit des obligations pose des questions majeures, que seul le Parlement peut trancher.

Comme nous l’avons fait en commission, nous soutiendrons en séance le rapporteur et le président de la commission des lois, qui n’ont pas hésité à rejeter plusieurs demandes d’habilitation du Gouvernement. Nous soutenons aussi la démarche du rapporteur consistant à supprimer les demandes d’habilitation, au profit de l’adoption directe des mesures envisagées lorsque cela est possible.

En conclusion, même si nous ne sommes pas favorables à toutes les dispositions de ce texte – loin de là ! – ni à son caractère « fourre-tout », il nous paraît important, à ce stade, de soutenir la position de la commission des lois. C’est pour cette raison que le groupe de l’UDI-UC votera pour le projet de loi, tel qu’il est présenté par le rapporteur, en espérant que le Gouvernement ainsi que nos collègues députés entendront le message fort que nous leur adressons depuis les diverses travées de cet hémicycle : il faut laisser le Parlement exercer pleinement et sereinement sa mission !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes parvenus au terme du délai de quatre heures imparti au groupe socialiste.

Je vous rappelle que nous poursuivrons l’examen de ce texte ce jeudi 23 janvier, après les questions cribles thématiques, dans le cadre du second espace réservé au groupe socialiste cette semaine.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspe ndue à dix-huit heures trente, est reprise à vingt-et-une heures.