Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 21 janvier 2014 à 14h30
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca, rapporteur :

J’ai, lors des auditions, entendu notamment les représentants des directeurs et des personnels de l’administration pénitentiaire, qui ont exprimé une grande sensibilité devant certaines prises de position du Contrôleur général, certains d’entre eux ressentant les critiques formulées sur le fonctionnement d’un établissement comme une remise en cause de leur travail.

Ce sentiment d’amertume ne doit pas être négligé, car tous les personnels chargés d’assurer le fonctionnement de ces lieux ont – je l’ai souligné devant la commission des lois – une tâche très difficile et, souvent, des moyens encore insuffisants. Or le fonctionnement de ces établissements repose avant tout sur les personnels, dont une grande majorité s’acquitte de ses fonctions avec conscience professionnelle et probité.

La mission et la préoccupation premières du Contrôleur général des lieux de privation de liberté sont de faire progresser le fonctionnement des lieux, de tous les lieux de privation de liberté, en repérant les lacunes, les défauts, les éventuels manquements, et en proposant des solutions. Il n’y a assurément aucune volonté de stigmatisation de telle ou telle profession, mais plutôt le souci d’accompagner l’amélioration constante de son exercice.

J’en viens à la proposition de loi. Celle-ci s’appuie sur le premier bilan du Contrôleur général et tire les conséquences d’un certain nombre de pratiques, de difficultés ou de résistances rencontrées au cours des cinq années écoulées.

En premier lieu, le texte comporte diverses mesures destinées à protéger les interlocuteurs du Contrôleur général. Jean-Marie Delarue a souvent eu l’occasion de souligner la qualité du dialogue instauré avec les responsables des lieux de privation de liberté et, dans la grande majorité des situations, ses équipes ont pu accéder aux documents dont ils avaient besoin pour l’exercice du contrôle.

Des difficultés ponctuelles se sont toutefois présentées, notamment à l’occasion d’enquêtes portant sur des faits précis ; M. Delarue a en particulier cité la difficulté à accéder parfois à des images de vidéosurveillance, par exemple.

Surtout, le principal obstacle à la mission du Contrôleur général réside aujourd’hui dans les pressions et risques de « représailles » dont font l’objet, dans certains établissements, celles et ceux qui s’adressent à ce dernier ou acceptent de s’entretenir avec ses équipes. Cela peut concerner non seulement des personnes privées de liberté, mais également des personnels travaillant dans ces lieux. De tels comportements relèvent vraisemblablement d’initiatives individuelles, qui sont ignorées des responsables d’établissement ou des représentants des personnels que j’ai entendus. Ces comportements n’en sont pas moins avérés et inacceptables.

La proposition de loi introduit plusieurs dispositions destinées à protéger de telles mesures de rétorsion toute personne entrant en relation avec le Contrôleur général. Elle crée également un délit d’entrave à l’action du Contrôleur général, sur le modèle de ce qui existe pour d’autres autorités indépendantes comme le Défenseur des droits ou la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, notamment.

Enfin, la proposition de loi renforce, sous peine de sanctions pénales, les dispositions de la loi pénitentiaire sur le secret des correspondances entre les personnes détenues et le Contrôleur général.

En deuxième lieu, la proposition de loi vise à permettre au Contrôleur général d’accéder à un nombre plus important d’informations.

M. Delarue a maintes fois souligné l’importance, pour l’efficacité de sa mission, du nombre et de la qualité des informations mises à sa disposition. Dans les faits, le Contrôleur général continue à se voir opposer un certain nombre de restrictions, légales ou pratiques, en particulier lorsque ses enquêtes portent sur des faits précis.

Plusieurs dispositions visent à remédier à ces difficultés.

Tout d’abord, la proposition de loi lève, de façon encadrée, l’interdiction faite jusqu’à présent au Contrôleur général d’accéder à des informations couvertes par le secret médical. En pratique, cette interdiction limite la portée de son contrôle, par exemple lorsque les faits dont il est saisi ont trait à des allégations de mauvais traitements ou à l’abus de mesures de contention en hôpital psychiatrique.

Prenant modèle sur les dispositions applicables au Défenseur des droits, la proposition de loi prévoit d’autoriser le Contrôleur général à accéder à des informations couvertes par le secret médical à la demande expresse de la personne concernée. Ce consentement ne serait toutefois pas nécessaire lorsque les faits concernent des sévices commis sur un mineur ou sur une personne incapable de se protéger.

S’agissant du contrôle des locaux de garde à vue, la proposition de loi prévoit expressément la possibilité, pour le Contrôleur général, de prendre connaissance des procès-verbaux de déroulement de garde à vue.

Enfin, la proposition de loi ouvre la possibilité au Contrôleur général de faire face aux résistances rencontrées, en mettant en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai qu’il fixera.

En dernier lieu, la proposition de loi tend à la clarification du cadre légal de l’action du Contrôleur général.

La procédure applicable aux enquêtes est précisée, afin de lever tout risque d’ambiguïté. Les ministres devront également, désormais, répondre systématiquement aux observations du Contrôleur général, dans un délai déterminé. Celui-ci devra être informé des suites données à ses démarches auprès du procureur de la République ou de l’autorité chargée du pouvoir disciplinaire. Enfin, ses avis seront systématiquement publiés, ce qui consacre dans la loi la pratique mise en place depuis 2008.

À la suite d’interrogations qui ont été formulées en commission, je précise que cette publicité systématique s’appliquera aux avis, recommandations et propositions, et non nécessairement aux rapports de visite ou aux rapports d’enquête. L’article 1er de la proposition de loi prévoit d’ailleurs expressément que la publication des rapports d’enquête ne sera qu’une faculté pour le Contrôleur général.

Par ailleurs, et en tout état de cause, la publicité donnée à ces prises de position doit respecter les prescriptions de l’article 5 de la loi d’octobre 2007, lequel rappelle que le Contrôleur général est astreint au secret professionnel et que ses interventions publiques ne doivent pas comporter d’éléments permettant l’identification des personnes.

J’ajoute, également pour répondre à une inquiétude formulée en commission des lois, que la proposition de loi prévoit que, lorsqu’il adresse des observations aux ministres concernés, le Contrôleur général doit tenir compte de l’évolution de la situation depuis sa visite. Cette disposition est importante, car, compte tenu des effectifs et de la charge de travail du Contrôle général, ces observations sont parfois transmises plusieurs mois après la visite de ses équipes. Prévoir qu’il tienne compte de l’évolution de la situation depuis sa visite permettra aux ministres de disposer d’informations actualisées et, le cas échéant, d’apprécier la pertinence des réponses apportées par les responsables du lieu visité aux observations du Contrôleur général.

Sur ma proposition, la commission des lois a apporté quatre modifications au texte de la proposition de loi.

La première modification a consisté à compléter ce dernier, afin d’élargir la compétence du Contrôleur général à l’ensemble des mesures d’éloignement forcé d’étrangers en situation irrégulière. Je rappelle que, aujourd’hui, le Contrôleur général est compétent pour contrôler les zones d’attente et les centres de rétention administrative, mais que sa compétence s’arrête aux portes de ces établissements. Or la directive « retour » de 2008 nous impose de prévoir « un système efficace de contrôle du retour forcé », incluant l’ensemble des phases de transfert jusqu’à la remise de l’intéressé aux autorités du pays de destination. Concrètement, il s’agit de permettre l’exercice d’un contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes lors des phases de transfert, notamment dans l’avion.

La commission des lois a souhaité donner une traduction législative à cette obligation dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, et a confié cette mission au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, puisque ce dernier est déjà compétent pour contrôler les centres de rétention administrative.

Dans un souci de cohérence de notre droit, nous avons estimé que cette extension de compétence ne devrait pas être limitée aux éloignements vers les pays tiers à l’Union européenne, comme y aurait conduit une interprétation stricte de la directive « retour », et nous l’avons prévue pour l’ensemble des mesures d’éloignement exécutées par les autorités françaises, y compris vers des pays membres de l’Union européenne.

La deuxième modification apportée au texte par la commission des lois a trait à la question du secret médical. C’est un sujet très sensible pour une grande partie des professionnels de santé, dont on sait le rôle essentiel dans les lieux de privation de liberté.

En tant qu’auteur de cette proposition de loi, j’avais pris le parti de me « caler » sur les dispositions applicables au Défenseur des droits, qui s’appuient sur le consentement exprès de la personne.

Une autre option, qui m’a été suggérée lors des auditions, aurait été de s’inspirer de ce qu’a prévu la loi Kouchner de mars 2002 pour les contrôles de l’IGAS, l4inspection générale des affaires sociales, ou des ARS, les agences régionales de santé : un accès non conditionné au consentement de la personne, mais réservé aux seuls membres de l’IGAS ou de l’ARS titulaires d’un diplôme de médecin.

La solution retenue par la commission des lois est intermédiaire entre ces deux dispositifs. Dans le temps qui nous est imparti pour l’examen de ce texte, dont une adoption rapide par le Parlement me paraît souhaitable, il nous a semblé délicat de passer outre le consentement de l’intéressé. En revanche, nous avons assoupli les modalités de ce consentement : plutôt qu’une « demande expresse » de la personne, nous avons retenu le principe de son « accord », dans un souci de pragmatisme, afin de tenir compte des conditions de fonctionnement de certains établissements et de ne pas exposer la personne intéressée à d’éventuelles pressions.

Surtout, afin d’apaiser les craintes du corps médical, nous avons prévu que seuls les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d’un diplôme de médecin pourront prendre connaissance d’informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d’en extraire les informations nécessaires au contrôle. Trois praticiens hospitaliers font à l’heure actuelle partie de l’équipe du Contrôleur général.

J’irai plus vite sur les deux dernières modifications apportées par la commission des lois.

Sur la proposition conjointe de nos collègues Esther Benbassa et Aline Archimbaud et de moi-même, la commission des lois a préféré renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de détailler les modalités d’organisation interne du Contrôle général, et en particulier, éventuellement, le statut des « chargés d’enquête ».

Enfin, la commission des lois a adopté un amendement permettant l’application de la nouvelle loi dans les collectivités d’outre-mer.

En conclusion, l’adoption de la présente proposition de loi à l’unanimité de notre commission de lois démontre, une nouvelle fois, que ce sujet transcende les clivages politiques. J’émets le souhait que la Haute Assemblée puisse confirmer ce vote en donnant une forte légitimité au présent texte et, par là même, confirmer l’institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rôle et dans la mission qui est la sienne. §

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