Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 21 janvier 2014 à 14h30
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Christiane Taubira, garde des sceaux :

En effet, monsieur Hyest, deux commissions d’enquête avaient été mises en place au Sénat et à l’Assemblée nationale !

Le rapport que vous avez rédigé avec M. Cabanel a débouché sur le dépôt d’une proposition de loi, qui a été adoptée par le Sénat au mois d’avril 2001. Les débats qui se sont tenus à cette occasion ont permis d’informer l’opinion publique et de la sensibiliser au fait qu’une prison républicaine ne saurait être un lieu de relégation : les droits fondamentaux des personnes privées de liberté par décision de justice qu’elle accueille sont respectés.

À la même époque, le livre du docteur Vasseur a eu l’effet d’un électrochoc sur l’opinion publique. Enfin, il faut saluer le travail des associations, dont la vigilance civique est tout à fait utile.

Sur le plan international, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été signé par la France en 2002 et ratifié en 2008. Il constitue l’une des sources de droit ayant conduit à la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Avant l’adoption de ce texte, les règles pénitentiaires européennes adoptées par le Conseil de l’Europe en 2006 ont également contribué à construire l’architecture de cette autorité indépendante chargée du contrôle des lieux de privation de liberté.

Inspirée par le Protocole de 2002, la loi du 30 octobre 2007 charge le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de vérifier que les personnes détenues ne sont pas soumises à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle va toutefois plus loin, le Contrôleur général ayant également pour mission de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Les lieux de privation de liberté incluent évidemment les établissements pénitentiaires, mais aussi les locaux de garde à vue, les centres de rétention administrative, les zones d’attente, les locaux de rétention douanière et les établissements hospitaliers où des patients sont admis sans leur consentement.

La loi du 30 octobre 2007 accorde au Contrôleur général des lieux de privation de liberté un large champ de compétence et un certain nombre de prérogatives lui permettant d’exercer correctement ses missions. Son domaine d’intervention s’étend à tous les lieux de privation de liberté que je viens d’énumérer. Étant soumis au secret professionnel, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, il a accès librement à ces lieux, ainsi qu’aux documents qui lui paraissent nécessaires à la compréhension des situations auxquelles sont confrontées les personnes privées de liberté.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut être saisi par le Premier ministre, les membres du Gouvernement, les parlementaires, le Défenseur des droits, ainsi que par les personnes physiques et les personnes morales concernées par les questions relatives au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Nous avons la chance que le premier titulaire de cette haute fonction soit une personnalité de l’envergure et de la qualité de Jean-Marie Delarue : je me joins très volontiers à l’hommage que vous lui avez rendu, madame la rapporteur. M. Delarue se distingue en effet par sa grande rectitude morale, sa grande exigence, son intransigeance au sens noble du terme : pour lui, l’éthique et les principes sont intangibles. En outre, il fait montre d’une profonde intelligence des situations, du contexte législatif, des relations internationales et de l’apport de certains textes, notamment européens, à l’évolution de notre droit.

À cet égard, la loi pénitentiaire de 2009, qui a largement intégré les règles pénitentiaires établies en 2006 par le Conseil de l’Europe, fait partie du dispositif législatif ayant conduit à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

M. Jean-Marie Delarue a su prendre du recul par rapport à l’exercice de sa haute mission pour en mesurer les faiblesses et les points forts, ainsi que les aménagements à y apporter. Grâce à son extraordinaire expérience, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi dense, substantielle, propre à améliorer le fonctionnement de cette haute autorité indépendante.

Le bilan du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est tout à fait remarquable : il a visité 179 établissements pénitentiaires, 18 établissements hospitaliers accueillant des personnes sans leur consentement ; il a émis des recommandations sur la base de la procédure d’urgence, notamment, en 2011, sur l’établissement pénitentiaire de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, et il a aussi formulé des avis sur la situation à Mayotte. Il est heureux qu’il ait pris en compte les outre-mer, car ceux-ci ont souvent été fortement négligés et le parc pénitentiaire y accuse un retard considérable, tout comme le parc judiciaire d’ailleurs.

Grâce à ses avis, notamment sur la Nouvelle-Calédonie, j’ai pu prendre un certain nombre d’initiatives assez rapidement. J’ai d’abord diligenté une inspection de nos propres services, puis une mission dirigée par la conseillère d’État Mireille Imbert-Quaretta, qui a permis de mettre très vite en œuvre un programme de réhabilitation et de construction en Nouvelle-Calédonie.

Dans le cadre de la procédure d’urgence, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a également formulé des observations concernant la prison des Baumettes, à Marseille. Cela étant, nous les avions anticipées, puisque nous avions inscrit dans la loi de finances rectificative de la fin de 2012 la réalisation d’un certain nombre de travaux au sein de cet établissement.

En tout état de cause, ce qui importe, c’est que l’action, extrêmement fournie, du Contrôleur général a contribué à améliorer de façon très substantielle la gestion de ces établissements et les conditions de vie en leur sein.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a en outre émis toute une série d’avis thématiques relatifs par exemple à la présence de jeunes enfants dans les prisons et aux quartiers mères-enfants, aux politiques sociales et de réinsertion, à la prise en charge des personnes transsexuelles ou à l’exercice des cultes, autant de sujets extrêmement divers ayant trait à la vie à l’intérieur de ces lieux clos. Ces avis, extrêmement utiles, nous ont permis d’améliorer le fonctionnement de ces établissements.

Le champ d’action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté a donc couvert l’ensemble de nos établissements, tant dans l’Hexagone que dans les outre-mer. Je veille à ce que les réponses qui lui sont adressées soient circonstanciées et transmises dans les délais requis. Répondre à ses très nombreuses demandes et interpellations exige de la direction de l’administration pénitentiaire un travail assidu, précis et de qualité, dont les conclusions sont en général publiées en même temps que ses avis et interpellations. Au-delà, je considère que ces réponses fournies au Contrôleur général des lieux de privation de liberté engagent la Chancellerie : l’inspection des services pénitentiaires et les inspecteurs territoriaux veillent à l’application des dispositions correspondantes, y compris dans les territoires lointains.

Aujourd'hui, nous avons l’occasion d’améliorer le fonctionnement d’une instance indépendante dont la qualité du travail nous a permis d’appréhender un certain nombre d’urgences et de faire entendre la nécessité de prendre certaines dispositions. En effet, il ne faut pas sous-estimer la méconnaissance, par la société, du fonctionnement des établissements pénitentiaires et de la vie qui s’y déroule, ainsi que du travail considérable incombant au personnel pénitentiaire.

Par ailleurs, il importe de faire en sorte que ces établissements soient des lieux de privation de liberté, mais pas d’autres droits. La prison est confrontée à ce défi paradoxal qui consiste à retirer de la société des personnes sur lesquelles pèsent des décisions de justice tout en préparant leur réintégration. En d’autres termes, le temps passé en détention doit être utilisé pour faire en sorte que, une fois sa peine exécutée, la personne concernée puisse revenir dans la société sans constituer un danger pour celle-ci. Il doit donc s’agir d’un temps utile, maîtrisé par l’administration, afin que le temps passé en prison n’aggrave pas les conditions sociale, économique et personnelle des détenus, qui sont appelés à réintégrer la société.

Grâce au travail effectué par Jean-Marie Delarue, nous avons pu avancer et ouvrir un certain nombre de chantiers, y compris ici au Sénat. Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé qu’il s’agit de politiques publiques s’inscrivant dans une démarche visant à moderniser la justice pour l’adapter au XXIe siècle, à la mettre véritablement au service des citoyens, à faire en sorte que son efficacité, sa diligence, son accessibilité constituent un progrès général pour la société et contribuent à la paix sociale et à la paix publique.

Je salue la qualité du travail fourni par la commission des lois du Sénat, en particulier par Mme Tasca, dont le rapport souligne que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce un magistère moral reconnu : ce point est absolument indiscutable. Grâce aux dispositions contenues dans le présent texte, ce magistère d’influence deviendra en plus un magistère d’efficience. En effet, l’évaluation de l’exercice de cette haute mission nous permettra d’améliorer celui-ci, pour faire en sorte que l’action du prochain Contrôleur général des lieux de privation de liberté soit encore plus efficace.

Jean-Marie Delarue continuera d’exercer ses fonctions pendant encore un semestre. Il lui reste du travail à accomplir, et la Chancellerie continuera à lui apporter les éclairages nécessaires à l’exercice de ses missions de contrôle.

Je tiens à rendre hommage au personnel pénitentiaire. Madame la rapporteur, je vous remercie d’avoir rappelé que l’amélioration des conditions de détention contribue à celle des conditions de travail du personnel pénitentiaire et qu’il n’y a donc pas d’antagonisme entre ces deux dimensions, au contraire.

Avec les représentants des différents métiers pénitentiaires, nous avons pris un certain nombre d’initiatives. Nous avons notamment signé un protocole avec l’organisation syndicale majoritaire et adopté un plan de sécurisation des établissements pénitentiaires. En d’autres termes, nous avons conduit des actions qui améliorent non seulement la situation des personnels dans leur parcours de carrière, mais également les conditions immédiates de travail dans nos établissements pénitentiaires. Il reste encore beaucoup à faire, car un retard important a été accumulé en matière de recrutement, d’effectifs, de définition et d’évolution des métiers, de prise en compte de contrôles qui sont une garantie du fonctionnement démocratique des établissements pénitentiaires, mais qui constituent aussi une pression exercée sur le personnel : il est important que ces contrôles soient vécus comme des actes démocratiques contribuant au bon exercice des métiers de l’administration pénitentiaire.

Ces contrôles permettent d’identifier les défaillances et les obligations de l’État, les manquements de la puissance publique, et d’exonérer les personnels pénitentiaires d’un certain nombre de responsabilités que l’on a tendance à leur imputer indûment. Ces contrôles sont donc propres à faciliter l’exercice des métiers de l’administration pénitentiaire.

En conséquence, il n’existe aucun antagonisme entre, d’une part, l’amélioration des conditions de détention et le respect des droits fondamentaux des personnes détenues, et, d’autre part, la prise en compte des difficultés du travail des personnels pénitentiaires, en vue de leur permettre d’accomplir celui-ci dans des conditions plus favorables.

C’est à cette tâche que nous nous consacrons depuis vingt mois maintenant. J’ai évoqué le protocole d’accord visant à revaloriser les métiers pénitentiaires, s’agissant notamment des métiers d’encadrement et du passage de surveillant à surveillant-brigadier. Nous avons en outre mis en place un plan de formation et un groupe de travail sur les maisons centrales, ainsi qu’un plan de sécurisation des établissements, doté de 33 millions d’euros. Toutes ces mesures convergent pour améliorer les conditions de travail du personnel et les conditions de fonctionnement des établissements pénitentiaires.

Pour conclure, je salue une nouvelle fois cette initiative, qui permettra, avant la fin du mandat de M. Delarue, de consolider le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté : c’est heureux pour notre démocratie ! §

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