Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 21 janvier 2014 à 14h30
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

Les arguments ne manquent pas.

Certains sont conjoncturels et tiennent à la situation aujourd’hui toujours aussi délicate de l’univers carcéral : les niveaux de surpopulation pénale demeurent inquiétants et imposeront le renouvellement du moratoire pour l’application des dispositions relatives à l’encellulement individuel.

D’autres arguments présentent un caractère structurel : la démarche de contrôle, de prévention, d’évaluation du Contrôleur général se différencie largement des missions du Défenseur des droits, que peuvent saisir les personnes s’estimant lésées dans leurs droits et qui a repris les responsabilités de médiation.

Enfin, Défenseur des droits et Contrôleur général ont signé le 8 novembre 2011 une convention ayant pour objet d’organiser la transmission des saisines et d’assurer l’information réciproque des deux institutions, dans le respect de leur indépendance et de la protection des données personnelles.

La complémentarité est notamment organisée par l’article 3 de cette convention, dont je me permets de vous donner lecture : « Lorsque l’une ou l’autre des deux autorités est saisie d’une réclamation témoignant à la fois, d’une part, d’un dysfonctionnement administratif, d’une atteinte aux droits ou à l’intérêt supérieur d’un enfant, d’une discrimination, ou du non-respect des règles de déontologie par des personnes exerçant des activités de sécurité et, d’autre part, d’une atteinte aux règles et aux mesures générales d’organisation et de fonctionnement de la prise en charge ou du transfèrement d’une personne privée de liberté, elle met en œuvre les procédures qui lui sont propres et saisit l’autre autorité pour ce qui relève de sa compétence. » Une étroite complémentarité est ainsi assurée.

Cependant, vouloir la pérennité du Contrôle général comme autorité administrative indépendante amène aussi à prendre acte du bilan de l’institution, de ses forces comme de ses faiblesses, pour – je cite encore le rapport – « conforter sa place et son rôle dans le paysage de la défense des libertés publiques ».

La proposition de loi prévoit ainsi toutes mesures utiles pour mettre fin au risque de représailles et de pressions dont peuvent parfois faire l’objet tant les personnes captives que les membres du personnel qui saisissent le Contrôleur général ou s’entretiennent avec ses équipes.

En dépit des évolutions considérables de l’administration pénitentiaire, de la qualification de plus en plus poussée des directeurs d’établissement, des efforts de formation de l’ensemble des personnels, cette administration reste marquée par une certaine opacité et par quelques difficultés parfois rencontrées par la hiérarchie pour se faire entendre.

Il était d’autant plus important d’y porter remède que la crainte de représailles – fût-elle dans bon nombre d’établissements infondée – risquait de déstabiliser toute l’action du Contrôleur général, comme le laissent supposer bon nombre de courriers adressés par des personnes détenues aux parlementaires.

De même, il importe de réexaminer l’interdiction faite au Contrôleur général d’accéder à des informations couvertes par le secret médical.

Le Contrôle général se rend sur place, voit la réalité des situations et peut avoir besoin d’un accès immédiat au dossier médical. L’aide des médecins lui est également précieuse, et l’instauration d’un accès inconditionnel au secret médical risquait de nuire à la qualité des relations avec les professionnels de santé.

L’amendement de notre rapporteur précisant que seuls les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d’un diplôme de médecin auraient la faculté de prendre connaissance d’informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d’en extraire les éléments nécessaires à l’exercice du contrôle, devrait apaiser les inquiétudes tout en marquant un indiscutable progrès.

Le texte laisse cependant subsister un certain nombre d’interdictions. On connaît l’état de la surpopulation carcérale et la dangerosité d’un certain nombre de détenus. Le Contrôleur général ne pourra toujours pas accéder au dossier médical de celui dont la dangerosité est alléguée par un de ses codétenus sans son accord, bien hypothétique. Il est vrai que d’autres solutions existent.

Il importait aussi de préciser la procédure applicable aux enquêtes réalisées par les services du Contrôleur général sur saisine de ce dernier de faits ou situations relevant de sa compétence, en inscrivant dans la loi la pratique mise en place : tout collaborateur du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est autorisé à procéder à toutes vérifications nécessaires sans que les autorités responsables du lieu de privation de liberté puissent s’y opposer pour d’autres motifs que ceux qui encadrent les visites ; toute personne sollicitée sera en outre, sous les mêmes réserves, tenue d’apporter toute information en sa possession.

Enfin, le Contrôleur général apparaissant parfois largement démuni devant l’inertie de certains de ses interlocuteurs, l’article 5 de la proposition de loi lui donne la possibilité de mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai déterminé. En effet, les réponses ministérielles posaient parfois problème, tant par leur contenu que par leur délai.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un vote aussi consensuel que possible sur cette proposition de loi permettra au Sénat de réaffirmer toute l’importance qu’il accorde à la dignité des personnes et à l’évolution nécessaire de l’univers carcéral. Suivant le chemin tracé par le premier Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, il nous appartient de consolider les fondements de la loi du 30 octobre 2007 au regard des imperfections que cette première expérience a permis de mettre en évidence.

Je remercie Mme la rapporteur de la qualité et de l’esprit de son travail et confirme que le groupe UMP apportera tout son appui à cette proposition de loi, en souhaitant qu’elle puisse être examinée rapidement par nos collègues députés. §

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